La lettre juridique n°440 du 19 mai 2011 : Fonction publique

[Doctrine] Chronique de droit de la fonction publique - Mai 2011

Lecture: 10 min

N1612BSI

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Doctrine] Chronique de droit de la fonction publique - Mai 2011. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4427811-doctrinechroniquededroitdelafonctionpubliquemai2011
Copier

par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour

le 20 Octobre 2011

La présente chronique expose trois décisions récentes du Conseil d'Etat. Bien que portant sur des domaines différents du droit de la fonction publique, à savoir la démission (CE Sect., 27 avril 2011, n° 335370, publié au recueil Lebon), la protection fonctionnelle (CE 4° et 5° s-s-r., 20 avril 2011, n° 332255, publié au recueil Lebon) et le licenciement pour insuffisance professionnelle (CE 2° et 7° s-s-r., 11 mars 2011, n° 328111, mentionné aux tables du recueil Lebon), ces décisions marquent toutes le souci de la jurisprudence administrative de veiller au respect des droits statutaires des fonctionnaires. A une époque où la fin de la singularité juridique de l'emploi public est régulièrement annoncée, ces arrêts viennent rappeler que les devoirs attachés à la mission de service public dont les agents publics ont la charge doivent s'accompagner de contreparties et de garanties professionnelles.
  • L'administration qui reçoit la démission d'un fonctionnaire doit se prononcer sur cette demande dans un délai de quatre mois (CE Sect., 27 avril 2011, n° 335370, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4348HPQ)

Il est souvent opposé aux fonctionnaires la sécurité de l'emploi dont ils bénéficient. S'il est indéniable que la titularisation implique pour l'agent une permanence et une stabilité, il ne faut pas oublier que les fonctionnaires peuvent, eux aussi, quitter le service public. La rupture peut être à l'initiative de l'employeur (sur le licenciement pour inaptitude professionnelle, voir infra), mais, également, de l'agent. La démission des fonctionnaires de l'Etat est régie par les dispositions de l'article 58 du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985, relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions (N° Lexbase : L1022G8D). Selon ce texte, "la démission ne peut résulter que d'une demande écrite de l'intéressé marquant sa volonté expresse de quitter son administration ou son service. Elle n'a d'effet qu'autant qu'elle est acceptée par l'autorité investie du pouvoir de nomination et prend effet à la date fixée par cette autorité. La décision de l'autorité compétente doit intervenir dans le délai de quatre mois à compter de la réception de la demande de démission".

Ainsi, dans la fonction publique de l'Etat, la démission n'est pas totalement libre et discrétionnaire. L'administration peut donc contraindre, pour un motif tiré de l'intérêt du service, un agent à continuer d'exercer ses fonctions. L'arrêt du 27 avril 2011 modifie les conditions dans lesquelles l'administration peut -ou non- accepter la démission. Cette évolution se fait dans un sens favorable aux agents publics. Cet arrêt doit être lu à l'aune des récentes réformes de la fonction publique, qui visent à inciter les fonctionnaires à quitter l'administration.

En l'espèce, un administrateur civil s'est vu proposer une indemnité de départ volontaire en application du décret n° 2008-368 du 17 avril 2008, instituant une indemnité de départ volontaire (N° Lexbase : L8743H39). Cette indemnité (qui peut représenter jusqu'à vingt-quatre mois de rémunération brute) peut être versée aux fonctionnaires qui quittent définitivement la fonction publique de l'Etat à la suite d'une démission régulièrement acceptée. L'agent a présenté sa démission du corps des administrateurs civils par un courrier adressé au Premier ministre, remis le 17 octobre 2008 au directeur des personnels du ministère de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi. Toutefois, ce n'est que par un décret du 11 mars 2009 que le Président de la République a accepté cette démission. Le fonctionnaire a, ensuite, formé un recours en annulation à l'encontre de ce décret et de la décision lui ayant refusé le versement de son traitement et de ses primes pour la période du 1er novembre 2008 au 31 mars 2009.

La question qui se posait était celle de savoir si l'administration peut "régulièrement", au sens de l'article 24 du titre I du statut général des fonctionnaires (loi n° 83-634, du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires N° Lexbase : L6938AG3), accepter une démission au-delà du délai de quatre mois mentionné par le décret du 16 septembre 1985. Jusqu'à présent, la solution retenue par la jurisprudence était favorable à l'employeur. En effet, en application de la décision du 21 octobre 1962 "Mériot" (Rec. CE, 1962, p. 563), le Conseil d'Etat ne reconnaissait au délai de quatre mois qu'un caractère indicatif. Par suite, l'agent ne pouvait invoquer l'existence d'une décision implicite (favorable ou non) à l'expiration de ce délai. La solution était critiquable. En effet, l'agent se trouvait donc contraint de demeurer en service sine die, sauf à prendre l'initiative d'un abandon de poste. De même, la pratique de l'acceptation rétroactive d'une démission plaçait les agents dans une situation des plus inconfortables. Ainsi, dans l'arrêt commenté, une fois la démission acceptée, l'agent a été rétroactivement privé de traitement pour la période comprise entre la remise de sa démission et son acceptation, près de cinq mois plus tard.

Désormais, la jurisprudence considère que, si l'autorité investie du pouvoir de nomination dispose d'un délai de quatre mois pour notifier une décision expresse d'acceptation ou de refus, sans que puisse naître, à l'intérieur de ce délai, une décision implicite de rejet (contrairement au principe général), elle se trouve dessaisie de l'offre de démission à l'expiration de ce délai, dont le respect constitue une garantie pour le fonctionnaire. Elle ne peut, alors, se prononcer légalement que si elle est à nouveau saisie dans les conditions prévues par l'article 58 du décret du 16 septembre 1985.

Ainsi, la règle de droit commun (refus implicite né après un silence de deux mois) ne trouve pas à s'appliquer à l'hypothèse de la démission. Cependant, lorsque l'administration n'a apporté aucune réponse à la demande démission à l'intérieur du délai de quatre mois, elle sera considérée comme ayant implicitement refusé celle-ci. L'agent pourra, alors, contester ce refus devant le juge de l'excès de pouvoir. En l'espèce, le décret qui accepte la démission au-delà du délai de quatre mois est, de ce simple fait, illégal.

  • La protection fonctionnelle doit parfois être accordée, même si l'intérêt général s'y oppose (CE 4° et 5° s-s-r., 20 avril 2011, n° 332255, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1029HPS)

Au titre des garanties que le statut général offre aux fonctionnaires, la protection fonctionnelle est l'une des plus originales, dont la jurisprudence assure un respect strict. La protection fonctionnelle est régie par l'article 11 du titre I du statut général. Selon ce texte, "les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales [...] la collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle [...] les dispositions du présent article sont applicables aux agents publics non titulaires".

L'arrêt du 20 avril 2011 est né dans des circonstances bien connues, tant elles ont défrayé la chronique. Un ancien directeur central des renseignements généraux avait conservé chez lui, aux termes de ses fonctions, tout un ensemble de notes recueillies durant son exercice professionnel. Ces documents ont été saisis par la justice puis -cela paraît presque normal, en dépit du secret de l'instruction- diffusés par extraits dans des journaux. La parution des fameux "carnets" a suscité nombre de réactions et commentaires. L'agent en question a été mis en cause, notamment dans des articles de presse, et il a fait l'objet de plusieurs plaintes pour diffamation, déposées par les personnes dont les faits et gestes étaient exposés dans les carnets.

Le fonctionnaire a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle, afin que l'Etat prenne en charge sa défense, tant en défense qu'en demande, les faits à l'origine des poursuites et injures ayant eu lieu alors qu'il était en fonction. Le ministre de l'Intérieur a opposé un refus à cette demande. Celui-ci a été annulé par le Conseil d'Etat en 2009 (CE 4° et 5° s-s-r., 19 juin 2009, n° 323745, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2876EID). Réitérant sa demande, le fonctionnaire s'est vu opposer un second refus ; cette décision est partiellement annulée par l'arrêt commenté.

Pour refuser de nouveau la protection fonctionnelle, l'administration invoquait deux éléments : d'une part, l'existence d'une faute personnelle détachable de l'exercice des fonctions, à savoir le fait de conserver à son domicile des notes personnelles ; d'autre part, un motif d'intérêt général, ces carnets comportant des annotations susceptibles de jeter le discrédit sur des personnalités publiques et attentatoires à leur vie privée. Ce motif n'était opposé à l'agent pour que la protection contre les attaques.

Dans son arrêt, le Conseil d'Etat annule la décision de refus, mais uniquement en ce qu'elle rejette la demande de protection fonctionnelle à raison des plaintes déposées contre l'agent. La décision opère, ainsi, une distinction entre les divers motifs qui peuvent justifier un refus. Si l'administration peut invoquer l'intérêt général pour refuser la protection à un agent victime de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages (loi n° 83-634, du 13 juillet 1983, art. 11 N° Lexbase : L5204AH9), une telle justification n'est pas opérante lorsque l'administration souhaite refuser la protection à raison de poursuites pénales dont l'agent est l'objet (alinéa 4 du même article 11).

L'invocation de l'intérêt général représente une hypothèse classique de dérogation au principe suivant lequel la protection fonctionnelle est un droit pour les agents victimes d'attaques (au sens large). De ce point de vue, l'arrêt commenté confirme une jurisprudence constante (CE, 25 juillet 2001, n° 210797, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5032AUW ; CE référé, 8 mars 2009, n° 335543 N° Lexbase : A1669ETY ; CE 4° s-s., 5 mai 2010, n° 326551, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1167EXI ; CE 4° s-s., 4 avril 2011, n° 334402, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8931HMQ).

Ainsi, si le ministre a eu tort d'opposer le caractère personnel de la faute commise par l'agent, le Conseil d'Etat constate, cependant, qu'il aurait pris la même décision sur le seul fondement du motif d'intérêt général mentionné dans sa décision, à savoir le fait que "l'Etat ne saurait couvrir de son autorité les agissements d'un directeur central des renseignements généraux ayant recueilli sur des personnalités publiques, dont certaines investies de responsabilités nationales ou de mandats électifs, des informations sans lien avec les missions de service public dont il avait la responsabilité, et gravement attentatoires à l'intimité de la vie privée de ces personnes". Le refus est donc légal pour ce qui concerne les attaques et injures dont l'agent s'estimait victime.

En revanche, la question, à notre connaissance inédite, restait de savoir si l'administration peut opposer un motif tiré de l'intérêt général pour refuser la protection fonctionnelle à un agent faisant l'objet de poursuites pénales. Dans cette hypothèse, l'article 11 du statut général indique que la collectivité publique est tenue d'assurer cette protection dès lors que les faits ne sont pas constitutifs d'une faute personnelle. En présence d'une telle rédaction, le Conseil d'Etat ne pouvait qu'être incité à la prudence. Il semble bien, en effet, que le législateur a clairement eu pour objectif de limiter ici les causes de rejet des demandes et, partant, le pouvoir discrétionnaire des autorités administratives. En l'espèce, le fait d'avoir conservé à son domicile les carnets contenant des notes relatives aux fonctions qu'il avait exercées n'a pas le caractère d'une faute personnelle, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'agent a conservé ces carnets en vue de s'en servir à des fins personnelles. Par conséquent, le fonctionnaire a droit à la protection fonctionnelle.

S'agissant de l'assiette financière de la protection contre les poursuites, l'arrêt indique que doivent être regardés comme des éléments pouvant donner lieu à cette protection les frais exposés en relation directe avec une plainte déposée à l'encontre du fonctionnaire ou de l'ancien fonctionnaire, alors même que cette plainte aboutit ultérieurement à une décision de classement sans suite.

  • Le licenciement pour insuffisance professionnelle est possible même sans texte, à condition de respecter une procédure contradictoire (CE 2° et 7° s-s-r., 11 mars 2011, n° 328111, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1882G9L)

Dans l'arrêt ici commenté, le Conseil d'Etat affirme la primauté du pouvoir de l'administration, dès lors que celui-ci est tourné vers la plus grande satisfaction possible de l'intérêt général ; toutefois, la décision veille au respect des garanties élémentaires auxquelles les agents publics peuvent prétendre.

Une chambre des métiers -qui possède le statut d'établissement public- ayant licencié son directeur financier, cet agent a saisi le tribunal administratif et obtenu l'annulation de son licenciement au motif que le motif retenu par l'administration ne pouvait constituer, en l'espèce, un motif légitime. Pour arriver à cette solution, le tribunal et la cour administrative d'appel (CAA Nantes, 3ème ch., 5 février 2009, n° 07NT00962 N° Lexbase : A2093EID) ont estimé que le statut des personnels administratifs des chambres des métiers ne prévoyait pas la possibilité de prononcer le licenciement d'un agent pour insuffisance professionnelle. Ce type de licenciement repose sur une justification bien particulière. En effet, à l'exclusion de toute faute disciplinaire, l'administration peut se séparer d'un agent qui "ne répond pas aux attentes légitimes de son employeur compte tenu de son grade et de son emploi. Il n'accomplit pas de manière satisfaisante les missions qui lui sont confiées, notamment par comparaison avec les fonctions que doit normalement remplir un agent de son grade ou pourvu de ses titres" (1). En bref, il s'agit d'une mesure fondée sur l'intérêt général, celui-ci exigeant que les personnes travaillant à son service exercent leurs fonctions pour la plus grande satisfaction de la collectivité.

Une chambre des métiers peut-elle prononcer ce type de licenciement alors même que rien, dans le statut de ces agents, ne l'y autorise ? La réponse est positive pour le Conseil d'Etat. Dans des termes très généraux, l'arrêt note que "l'autorité administrative peut, même sans texte, procéder au licenciement d'un agent de droit public en raison de son insuffisance professionnelle, dès lors qu'elle s'entoure des garanties attachées à une décision de cette nature, notamment le respect d'une procédure contradictoire".

Cet arrêt est intéressant car il étend à l'ensemble des agents publics une possibilité que la jurisprudence a déjà admise pour les personnels contractuels (CE 8° et 9° s-s-r., 22 juillet 1994, n° 135108, mentionné au tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2160ASS). De plus, il rappelle qu'en toute hypothèse, le licenciement pour inaptitude professionnelle ne peut intervenir qu'après la mise en oeuvre d'une procédure contradictoire. En l'absence de texte, on peut estimer que cette procédure devra être calquée sur la procédure disciplinaire applicable à l'agent licencié, comme c'est le cas dans les fonctions publiques d'Etat (loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, art. 70 N° Lexbase : L4974AHP) et territoriale (loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, art. 93 N° Lexbase : L4080E3I).

Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour


(1) F. Mallol, Bilan de la jurisprudence sur le licenciement pour insuffisance professionnelle, AJFP, 1996, p. 43.

newsid:421612