La lettre juridique n°723 du 14 décembre 2017 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Réparation des préjudices subis du fait d'une expulsion ultérieurement remise en cause

Réf. : Cass. civ. 3, 30 novembre 2017, n° 16-17.686, FP-P+B (N° Lexbase : A4826W4I)

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par Julien Prigent, Avocat à la cour, Mutelet - Prigent et Associés, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

le 14 Décembre 2017

A la suite de la remise en cause d'une décision d'expulsion qui a été exécutée, le locataire qui ne peut être réintégré a droit à la réparation des préjudices causés par cette expulsion et, à cet égard, le préjudice né de la perte du droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction doit être distingué de celui réparé par cette indemnité. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 30 novembre 2017.
En l'espèce, par contrat du 24 mai 2000, avait été concédée à une société, la jouissance, pour une durée indéterminée, d'un emplacement dans un centre commercial. Le 4 mars 2011, son contractant lui avait notifié un congé. Après annulation d'une sentence arbitrale du 10 août 2012, complétée le 24 septembre 2012, un arrêt irrévocable du 14 janvier 2014 avait requalifié le contrat liant les parties en bail commercial, annulé le congé et, au constat de l'impossibilité de réintégrer le locataire dans les lieux, ordonné une expertise sur le montant de l'indemnité d'éviction. Après le dépôt du rapport de l'expert, le locataire a sollicité sa réintégration dans les lieux et l'annulation de l'expertise et la désignation d'un autre expert, en contestant le montant de l'indemnisation proposé par l'expert. I - La requalification du "contrat de prestations réciproques" et les conséquences liées à cette requalification

L'arrêt rapporté constitue le prolongement d'une affaire dans laquelle un contrat, intitulé "contrat de prestations de services réciproques", accordant un droit de jouissance sur un local situé dans un "village de marques" avait été qualifié de bail commercial. Le cocontractant disposait en effet d'une clientèle propre et les contraintes qui lui étaient imposées n'avaient pas été jugées incompatibles avec le libre exercice de son exploitation (Cass. civ. 3, 19 novembre 2015, n° 14-13.882, F-D N° Lexbase : A5487NXI ; nos obs., Lexbase, éd. aff., 2016, n° 450 N° Lexbase : N0882BWL ; Gaz. Pal., 1er mars 2016, p. 76, note J.-D. Barbier).

Toutefois, la société locataire avait été expulsée avant que son action en requalification ait été accueillie et la cour d'appel avait, dans une précédente décision, déjà constaté l'impossibilité de la réintégrer dans les lieux loués. Dans l'arrêt objet du pourvoi ayant donné lieu à la décision du 30 novembre 2017, la cour d'appel avait en conséquence ordonné une expertise judiciaire en vue de la fixation du montant de l'indemnité d'éviction selon la mission habituellement impartie à un expert judiciaire pour la fixation d'une telle indemnité à la suite d'un refus de renouvellement (C. com., art. L. 145-14 N° Lexbase : L5742AII).

S'agissant de l'expulsion, il peut être rappelé que le créancier titulaire d'un titre exécutoire provisoire peut décider de ne pas mettre en oeuvre l'exécution de ce titre (voir, par exemple, Cass. civ. 3, 4 juin 2008, n° 07-14.118, FS-P+B N° Lexbase : A9316D8K).

Il peut toutefois faire procéder à l'exécution forcée mais, dans ce cas, à ses risques (C. proc. civ. exécution, art. L. 111-10 N° Lexbase : L5798IR8) compte tenu du fait que le titre pourrait être remis en cause, la décision n'étant pas irrévocable. Dans cette hypothèse, le créancier doit "rétablir le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent si le titre est ultérieurement modifié" (C. proc. civ. exécution, art. L. 111-10).

La Cour de cassation a précisé sur ce point que "l'exécution d'une décision de justice exécutoire à titre provisoire n'a lieu qu'aux risques de celui qui la poursuit, à charge par lui, si le titre est ultérieurement modifié, d'en réparer les conséquences dommageables" (Ass. plén., 24 février 2006, n° 05-12.679, P N° Lexbase : A4318DNA), "sans qu'il soit nécessaire de relever une faute à son encontre" (Cass. civ. 2, 22 janvier 2004, n° 01-00.580, F-P+B N° Lexbase : A8629DAT).

L'expulsion pouvant être poursuivie en vertu d'une décision de justice (C. proc. civ. exécution, art. L. 411-1 N° Lexbase : L9116IZN), il résulte de ce qui précède que le bailleur peut poursuivre l'expulsion sur la base d'une décision exécutoire qui ne serait pas irrévocable, sous réserve de réparer les conséquences dommageables de cette exécution si le titre est ensuite modifié.

Le créancier qui a fait exécuter sur la base d'un titre provisoire ultérieurement modifié étant tenu de "rétablir le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent" (C. proc. civ. exécution, art. L. 111-10), la réintégration du locataire pourra être ordonnée si elle est possible (en ce sens, CA Paris, 5 mai 2010, n° 07/04238 N° Lexbase : A4865EXH ; CA Paris, Pôle 1, 2ème ch., 7 mars -2012, n° 10/23644 N° Lexbase : A0136IER ; CA Paris, Pôle 1, 2ème ch., 20 juin 2012, n° 11/18550 N° Lexbase : A3067IPB ; CA Paris, Pôle 1, 5ème ch., 20 juin 2013, n° 13/05852 N° Lexbase : A6050MTA ; CA Paris Pôle 1, 2ème ch., 19 novembre 2015, n° 15/05482 N° Lexbase : A1464NXI ; Cass. civ. 3, 15 février 2011, n° 10-14.003, F-D N° Lexbase : A1647GXB ; Cass. civ. 3, 8 mars 2011, n° 09-71.848, F-D N° Lexbase : A2508G9R et Cass. civ. 3, 28 juin 2011, n° 10-20.041, F-D N° Lexbase : A6420HUC et relatifs à une réintégration accordée dès lors que le bail avait été consenti à un tiers de manière frauduleuse).

S'agissant de la remise en cause d'une décision de cour d'appel par un arrêt de la Cour de cassation, l'article L. 111-11 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5799IR9) dispose que "sauf dispositions contraires, le pourvoi en cassation en matière civile n'empêche pas l'exécution de la décision attaquée. Cette exécution ne peut donner lieu qu'à restitution ; elle ne peut en aucun cas être imputée à faute". L'article 625 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7854I4N) précise, par ailleurs, que "sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement cassé".

A défaut de réintégration possible, comme dans l'arrêt rapporté, ce point ayant d'ailleurs été tranché par une précédente décision, le preneur pourra prétendre à des dommages et intérêts (voir à propos des conséquences de la cassation d'un arrêt de cour d'appel, qualifiant de restitution l'indemnisation de la privation de jouissance, Cass. civ. 3, 9 mars 2011, n° 10-30.603, FS-P+B N° Lexbase : A2599G97).

Dès lors que l'indemnité d'éviction, en cas de refus de renouvellement alors que le locataire pourrait y prétendre, doit correspondre au préjudice causé par ce défaut de renouvellement (C. com., art. L. 145-14), il paraît logique de s'appuyer sur les éléments que l'article L. 145-14 du Code de commerce vise, de manière non exhaustive, pour apprécier le montant de l'indemnité : "cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre".

II - Sur la perte du droit au maintien dans les lieux

En ce qui concerne le quantum de l'indemnisation, l'arrêt objet du pourvoi ayant donné lieu à la décision rapportée avait, notamment, débouté le locataire de sa demande en réparation de la perte de son droit au maintien dans les lieux.

Les juges du fond avaient en effet estimé que l'indemnisation de la perte du droit au maintien dans les lieux avait déjà été prise en compte par la fixation d'une indemnité d'éviction qui indemnise le préjudice subi par le défaut de renouvellement du bail.

La Cour de cassation censure cette solution, au visa des articles L. 145-14 (indemnité d'éviction) et L. 145-28 du Code de commerce (N° Lexbase : L5756AIZ droit au maintien dans les lieux) en précisant que le préjudice né de la perte du droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction est distinct de celui réparé par cette indemnité. Ce visa incite à conclure que c'est bien au regard de ces dispositions que l'appréciation du préjudice né de l'expulsion ultérieurement remise en cause doit s'apprécier, en dépit du fait que la situation juridique est différente de celle du locataire se voyant refuser un renouvellement.

Sur la distinction entre indemnité d'éviction et indemnité d'occupation, il peut être rappelé que le locataire évincé dans le cadre d'un refus de renouvellement avec offre d'indemnité d'éviction bénéficie d'un droit au maintien dans les lieux dans l'attente du paiement de cette indemnité. Cette dernière est fixée en fonction de la valeur locative de l'article L. 145-33 du Code de commerce (N° Lexbase : L5761AI9 ; cf. C. com., art. L. 145-28) sur laquelle est appliqué, en vertu des usages, un abattement pour prendre en compte la précarité de l'occupation.

Dans le moyen annexé au pourvoi, le preneur réclamait au titre d'une indemnisation de la perte de son droit au maintien dans les lieux, un manque à gagner lié à la diminution de son chiffre d'affaires par rapport aux années précédentes, de laquelle il avait déduit l'économie de loyer en résultant, ainsi que le préjudice lié à l'obligation d'écouler son stock sur internet, déduction faite des frais d'exploitation.

Même si ce préjudice est lié à l'exploitation, il ne pouvait a priori être confondu avec le préjudice pris en compte au titre de l'indemnité d'éviction qui correspond à la valeur du fonds de commerce ou du seul droit au bail s'il est supérieur.

Il appartiendra donc à la cour de renvoi de déterminer le préjudice subi par le preneur au titre de la perte du droit au maintien dans les lieux.

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