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N9719BRE
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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 15 Avril 2011
Rémi Dupiré : Préalablement à toute discussion, il est important de rappeler que la mise à disposition d'un salarié au sein d'une filiale étrangère peut être effectuée sous deux régimes différents, le détachement ou l'expatriation. Les statuts qui en découlent obéissent alors à des règles juridiques distinctes emportant des conséquences différentes en matières sociales et fiscales. Le choix de l'un ou l'autre de ces statuts dépend essentiellement de la durée prévisible de la mission, de la législation applicable au sein du pays d'accueil ainsi que des conventions internationales en vigueur.
En cas de "détachement" le contrat de travail conclu avec la société mère française se poursuit. Pour des raisons inhérentes à la législation du pays d'accueil, un contrat de droit local peut être conclu "en parallèle".
En cas "d'expatriation", le contrat initial est, en revanche, suspendu. Un contrat de droit local est alors obligatoirement conclu.
Ainsi, tant en matière de détachement que d'expatriation le lien de droit entre l'employeur français et le salarié subsiste. Il est dès lors normal qu'à l'échéance de la mission effectuée à l'étranger le salarié soit réintégré dans ses fonctions antérieures. C'est dans cette logique que s'inscrivent les dispositions de l'article L. 1231-5 du Code du travail. Celles-ci visant à garantir la protection du salarié français en mission de courte ou longue durée à l'étranger. En 2008, la Cour de cassation a toutefois pris une position revenant sur ce raisonnement juridique. Les juges suprêmes ont, en effet, affirmé que cette obligation de rapatriement prévue à l'article L. 1231-5 du Code du travail s'appliquait même en l'absence de tout lien contractuel liant le salarié travaillant à l'étranger avec la maison mère.
L'arrêt rendu le 30 mars 2011 conforte cette position mais vient, par ailleurs, ajouter que cette obligation de rapatriement subsiste alors même que le salarié n'a jamais exercé la moindre activité en France. En l espèce, un salarié avait été embauché en contrat à durée déterminée en France pour travailler à la création et l'implantation d'une filiale aux états unis. A l'expiration de son contrat à durée déterminée de deux mois, ledit salarié avait été logiquement recruté par la société américaine nouvellement créée. Cinq ans plus tard, licencié par son employeur américain, ce même salarié demandait (et obtenait) sa réintégration au sein de la maison mère française.
La solution rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme que les dispositions de l'article L. 1231-5 du Code du travail s'appliquent en l'absence même de tout lien contractuel existant entre le salarié et la maison mère française. Elle précise, au passage, que bien que le salarié n'ait jamais exercé la moindre activité en France, cela ne fait pas obstacle à l'application de ces mêmes dispositions. Se faisant, elle pose le postulat selon lequel le droit du travail français reste applicable à une relation contractuelle pourtant totalement soumise au droit étranger...
Lexbase : Pourquoi doit-on appliquer l'article L. 1231-5 en l'absence de contrat de travail entre le salarié étrangère et la société mère ?
Rémi Dupiré : Ainsi qu'il l'a été précédemment rappelé cette obligation ne résulte pas de la loi mais bien d'une interprétation extensive de la jurisprudence.
Les juges suprêmes ont souhaité assurer une protection optimale des salariés licenciés hors de leur pays d'origine. Le but étant, au-delà de la problématique liée à la réintégration, de permettre au salarié de bénéficier, en cas de licenciement, des dispositions applicables en droit français.
Lexbase : Cette obligation ne joue-t-elle qu'en cas de licenciement ?
Rémi Dupiré : L'obligation de rapatriement s'impose dès lors qu'il y a expatriation ou détachement et ce, en toute logique, la mission à l'étranger ayant, par définition, un caractère temporaire.
Une fois la prestation menée à son terme, le salarié réintègre son entreprise d'origine soit parce que son contrat initial est resté en vigueur (détachement) soit parce qu'il a simplement été suspendu (expatriation).
Les dispositions de l'article L. 1231-5 visent donc simplement à éviter toute "confusion" de l'employeur souhaitant procéder au licenciement de l'un de ses salariés détaché ou expatrié via la rupture du contrat conclu avec la filiale.
Par ailleurs, les magistrats de la Chambre sociale ont étendu la notion de licenciement à toute forme de rupture du contrat local (transaction (4), cession de fonds de commerce (5) (...).
Lexbase : Comment mettre en place l'obligation de reclassement ? Ne joue-t-elle qu'à l'égard de la société mère ou aussi à l'égard des autres filiales ?
Rémi Dupiré : L'article L. 1231-5 du Code du travail impose à l'employeur de rapatrier le salarié licencié au sein de la société mère française.
Toutefois, dans la mesure où il a déjà été jugé qu'un reclassement pouvait se traduire par une modification du contrat de travail du salarié réintégré, il semble possible d'affirmer que l'obligation de reclassement s'étend au groupe (du moins en l'absence de poste vacant au sein de la maison mère).
Lexbase : L'article L. 1231-5 ne souffre-t-il pas d'une interprétation difficile ?
Rémi Dupiré : Les dispositions figurant audit article découlent naturellement du statut de détaché ou d'expatrié, de l'existence d'un contrat principal et d'un contrat accessoire, uniquement conclu pour répondre à des contraintes d'ordre extérieur (législation locale, prestations sociales, fiscalité...).
C'est plutôt l'interprétation jurisprudentielle qui en est faite qui semble difficile à appréhender. Cependant, déconnectée des règles applicables en matière de mobilité internationale (détachement et expatriation), elle risque de rendre particulièrement complexe les mutations intra groupe.
Ces dispositions jurisprudentielles contreviennent, par ailleurs, au principe dit de la "loi d'autonomie" applicable en matière de droit international.
Ce faisant, la Chambre sociale revient, également, sur le principe qu'elle avait posée en 1993 dans un arrêt dit "Robertson", arrêt aux termes duquel elle avait précisé "que le droit français avait cessé d'être applicable aux relations contractuelles des parties à la date à laquelle le nouvel engagement avait pris effet [...]" (6).
De fait, les dispositions de l'article L.1231-5 du Code du travail peuvent dorénavant être considérées comme une règle de droit international privé devant être appliquée quelle que soit la loi régissant le contrat de travail.
Lexbase : Comment simplifier les relations entre les sociétés mères françaises et les filiales étrangères ?
Rémi Dupiré : Au regard de cette jurisprudence, le risque de développement des contentieux au sein des groupes de dimension transnationale risque de s'accroître.
Il suffira, pour les salariés mutés au sein d'un groupe français et implantés à l'international, de démontrer qu'ils ont été contractuellement liés à un moment donné avec la société mère française pour se voir appliquer les dispositions de l'article L. 1231-5 précité et de fait, l'ensemble des règles prévues en matière de licenciement par le Code du travail français.
De manière à limiter ces contentieux les employeurs français vont devoir faire preuve d'ingéniosité : embauche directe par leur filiale des salariés destinés à l'international, conclusion de contrats internationaux intégrant une clause compromissoire...
C'est le salarié qui, au final, sera pénalisé par cette volonté de le protéger à tout prix, au détriment de toute logique juridique et des règles applicables en matière de droit international.
(1) Sur cet arrêt, voir, également, les obs. de Ch. Willmann, Détachement dans une filiale : la société mère reste débitrice de l'obligation de reclassement, Lexbase Hebdo n° 436 du 14 avril 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N9666BRG).
(2) Sur cette question, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E9303ESD).
(3) Cass. soc., 13 novembre 2008, n° 06-42.583, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2272EBR) et 07-41.700, FS-P+B+R(N° Lexbase : A2437EBU).
(4)Cass. soc., 6 juillet 1982, n° 80-41.092, publié (N° Lexbase : A3477CGU), Bull. soc., n° 451.
(5)Cass. soc., 13 novembre 2008, n° 06-42.583, préc..
(6) Cass. soc., 30 juin 1993, n° 89-41.293 (N° Lexbase : A6250AB4).
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