La lettre juridique n°434 du 31 mars 2011 : Distribution

[Jurisprudence] Les conséquences de la nullité des contrats cadre de distribution sur les contrats d'application

Réf. : Cass. com., 8 février 2011, n° 10-10.847, F-D (N° Lexbase : A7327GWB)

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N7766BR3

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par Valérie Marx, Docteur en droit, Avocate à la cour d'appel de Paris

le 01 Avril 2011

Les velléités de la société Chrysler de réorganiser son réseau de distribution en 1997 ont été à l'origine d'un véritable feuilleton judiciaire, ainsi qu'en témoigne un arrêt rendu le 8 février 2011 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Cet arrêt de rejet, qui n'a pas eu les faveurs du Bulletin, semble amorcer un revirement de jurisprudence concernant les effets de la nullité des contrats cadre de distribution sur les contrats d'application. La société Sonauto, importateur exclusif de la marque Chrysler, avait conclu des contrats de concession avec huit sociétés. Le 22 mai 1996, la société Sonauto a cédé son fonds de commerce avec les contrats de distribution à la société Chrysler France. Un peu plus d'un an plus tard, le cessionnaire a informé les membres du réseau de distribution de son intention de résilier la totalité des contrats de concession en raison de la nécessité de réorganiser son réseau, et, par courrier du 30 septembre 1997, elle leur a notifié la résiliation des contrats.
Les huit sociétés l'ont assignée en paiement de dommages-intérêts en soutenant qu'ils étaient liés par un contrat verbal d'exclusivité à durée indéterminée et auraient dû bénéficier d'un préavis d'au moins deux ans. Un arrêt irrévocable de la cour d'appel de Versailles du 18 mars 2004 a constaté que les parties considéraient comme acquise la nullité des contrats de concession signés entre les concessionnaires et la société Sonauto, cette dernière n'ayant pas respecté l'obligation d'information précontractuelle prévue par l'article L. 330-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L8526AIM). La cour d'appel a estimé que les relations entre les concessionnaires et la société Chrysler France avaient été régies uniquement par des contrats nuls, à l'exclusion de contrats verbaux, et a débouté les concessionnaires de toutes leurs demandes à ce titre. Les juges du second degré ont par suite ordonné une expertise sur les conséquences de la nullité des contrats cadre. La société Chrysler a formé un pourvoi contre cet arrêt qui a été rejeté par arrêt du 19 décembre 2006. L'affaire étant revenue devant la cour d'appel de Versailles, cette dernière a considéré, le 25 juin 2009 (CA Versailles, 12ème ch., sect. 1, 25 juin 2009, n° 08/05471 N° Lexbase : A3011G4B), que devaient être pris en compte dans le cadre des restitutions les investissements et dépenses engagés par les distributeurs en leur qualité de concessionnaires Chrysler pour la publicité de la marque, pour les stages de formation du personnel, pour les dépenses informatiques, la participation à des foires exposition, la location de locaux spécifiquement aménagés pour la vente de véhicules Chrysler ou pour les investissements immobiliers réalisés spécialement pour pouvoir représenter la marque.

Sur pourvoi, la société Chrysler reproche à la cour d'appel de n'avoir pas donné de base légale à sa décision en incluant certains postes de charges dans les restitutions au seul motif que ces charges étaient imposées par le concédant et conditionnaient la qualité de concessionnaire, sans rechercher, d'une part, si ces postes n'étaient pas indissociables de l'exécution des contrats d'application validés par l'arrêt du 18 mars 2004 et, d'autre part, s'ils n'avaient pas été pris en compte dans les marges et bénéfices sur ventes réalisées par les concessionnaires et exclus des restitutions.

La Haute juridiction était alors appelée à se prononcer sur les conséquences de l'annulation des contrats cadre et plus particulièrement sur les règles gouvernant la détermination des prestations restituables. La Chambre commerciale estime que la cour d'appel a légalement justifié sa décision et rejette le pourvoi. La Haute juridiction, après avoir rappelé les motifs de l'arrêt d'appel selon lesquels "la nullité des contrats cadre ne remet pas en cause les contrats d'application, notamment les contrats de vente et de maintenance des véhicules, dès lors qu'ils ont été intégralement exécutés", considère que la cour pouvait légitimement décider l'exclusion des comptes de restitutions des excédents de marge brute et des charges directement liées à l'exécution des contrats d'application et ayant pour contrepartie les marges réalisées sur les ventes augmentées des éventuelles primes d'objectifs ou les marges sur les opérations de maintenance. Pour autant, la Haute juridiction valide l'intégration dans les restitutions des dépenses directement liées à l'exécution des contrats cadre, imposées par le concédant et conditionnant la qualité de concessionnaire, au titre desquelles, les frais de publicité, de personnel, de loyers et charges locatives des locaux d'exploitation ou d'amortissements de ces locaux.

L'abandon du contrôle de l'indétermination du prix sur le terrain de l'article 1129 du Code civil (N° Lexbase : L1229AB7) avait tari, pour une grande part, le contentieux des restitutions réciproques consécutives à l'annulation des contrats cadre. La jurisprudence relative à la violation de l'obligation d'information précontractuelle, sanctionnée par la nullité du contrat, ravive le débat. Cet arrêt nous donne également l'occasion de revenir sur la dichotomie entre les contrats cadre et les contrats d'application et de saisir les différences fondamentales entre ces deux types de contrats. Le contrat cadre est un contrat innomé, imaginé par les praticiens pour pallier les insuffisances de la théorie classique à maîtriser les relations contractuelles complexes de longue durée, seule la combinaison de plusieurs contrats étant de nature "à répondre de manière appropriée au prolongement des rapports commerciaux dans le temps" (1). Le contrat cadre permet, en effet, de scinder la structure contractuelle de l'opération économique en suscitant la conclusion de contrats d'application successifs. Il définit les règles principales auxquelles seront soumis les contrats d'application, consistant le plus souvent en de simples bons de commandes. Or, ce schéma à double détente pose de nombreuses difficultés dès qu'il s'agit d'envisager les conséquences de l'annulation du contrat cadre, qui sont d'autant plus prégnantes que le Code civil ne consacre aucune disposition d'ensemble aux effets de l'annulation (2) et que les règles relatives à la détermination des prestations restituables, leur évaluation, ou de manière générale, aux modalités des restitutions sont dégagées de manière casuistique par la jurisprudence. L'avant-projet de réforme du droit des obligations proposait, à cet égard, d'introduire dans le Code civil un corps de règles spécifiques à la matière, tant il semble "indispensable de définir un régime cohérent propre aux seules restitutions consécutives à l'annulation ou à la résolution" (3).

Cette décision apporte quelques éclaircissements louables concernant la détermination des prestations restituables consécutives à l'annulation des contrats cadre, en réaffirmant ainsi la spécificité des contrats cadre par rapport aux contrats d'application (I). Par ailleurs, en abandonnant les solutions traditionnellement retenues à propos des conséquences de l'annulation des contrats cadre sur les contrats d'application, la Cour de cassation semble conférer une plus grande autonomie aux contrats cadre. Il n'en reste pas moins que cette autonomie ne peut être que relative, en raison du lien intrinsèque unissant ces deux types de convention (II).

I - L'affirmation de la spécificité des contrats cadre par rapport aux contrats d'application

Après avoir jeté un regard rétrospectif sur le contentieux des restitutions consécutives à l'annulation des contrats cadre (A), il conviendra d'envisager l'apport de cet arrêt quant aux règles gouvernant la détermination des prestations restituables (B).

A - L'instabilité du régime des restitutions consécutives à l'annulation du contrat cadre

A la suite de la violation de l'article L. 330-3 du Code de commerce, mettant à la charge du promoteur de réseau une obligation d'information précontractuelle, les contrats cadre de distribution conclus par la société Sonauto ont fait l'objet d'un jugement d'annulation prononçant leur anéantissement rétroactif. En effet, lorsqu'un acte juridique est affecté d'une irrégularité, cette dernière est sanctionnée par la nullité de l'acte vicié. La nullité provoque l'anéantissement rétroactif de l'acte annulé (4). La disparition rétroactive du contrat a pour effet de replacer les parties dans la situation juridique qui existait avant la conclusion du contrat, engendrant des obligations réciproques de restituer les prestations exécutées. Les restitutions ont pour finalité le retour au statu quo ante et répondent, de ce fait, au principe de restitution intégrale et réciproque des prestations exécutées avant l'annulation. A s'en tenir à ces observations, le rétablissement de la situation antérieure semble assez simple. Pour autant, les conséquences de l'anéantissement rétroactif d'un contrat de longue durée emportent d'importantes difficultés pratiques. Tant la doctrine que les praticiens dénoncent les incertitudes et, parfois, l'incohérence du régime des restitutions, essentiellement construit par la jurisprudence. Le domaine de la distribution ne fait pas exception à ces reproches et présente, au contraire, des particularités propres à compliquer encore la matière. En effet, les liens unissant le contrat cadre et les contrats d'application invitent à réfléchir à la portée de la rétroactivité et à l'opportunité de répercuter systématiquement les effets de l'annulation sur les contrats d'application.

Cette conclusion peut au moins se prévaloir de la logique qui préside à la théorie des nullités : il y a là un lien logique, d'antériorité en quelque sorte. De plus, le contrat cadre arrête souvent des modalités importantes concernant la conclusion et l'exécution des contrats d'application, à l'image de la clause de réserve de propriété globale qui peut être déterminante du consentement des parties aux ventes.

Pendant une vingtaine d'années, la jurisprudence a donné plein effet à l'effet rétroactif en faisant systématiquement disparaître les contrats passés successivement en application d'un contrat cadre annulé. Le contrat annulé étant censé n'avoir jamais existé, la jurisprudence considérait qu'il devait emporter l'anéantissement consécutif des contrats d'application. L'annulation des contrats d'application entraînait la restitution du prix des ventes par le fournisseur et la restitution des produits livrés par le distributeur dès lors que les marchandises figuraient toujours dans son patrimoine. Les produits contractuels ayant le plus souvent fait l'objet d'une revente, la restitution en nature était impossible et ne pouvait avoir lieu qu'en valeur (5). La jurisprudence décidait, en outre, que les restitutions devaient être limitées à ce qui est nécessaire pour remettre les parties en l'état. L'évaluation doit en effet, autant que faire se peut, éviter qu'un des anciens contractants se voit restituer plus que nécessaire. Ainsi, l'évaluation ne doit pas tenir compte des bénéfices et des pertes nées du contrat annulé. A cet égard, la jurisprudence a pu décider qu'en raison de l'anéantissement des contrats cadre, une compagnie pétrolière "était fondée à obtenir paiement non pas du prix au tarif qu'elle demandait et qui aboutissait à l'exécution des contrats nuls, mais de la valeur réelle des produits livrés, en excluant tout bénéfice pour elle" (6). Ainsi, il ne faut pas se référer au contrat annulé pour évaluer les restitutions (7).

Si les solutions retenues pouvaient emporter approbation, il n'en allait pas de même concernant celles relatives à l'évaluation des restitutions, ayant pour effet d'introduire la plus grande incohérence en la matière, tant au niveau de la notion de contrat cadre que de celle de restitutions. Le contentieux des suites de l'annulation s'est en effet focalisé sur le problème de l'évaluation des prestations restituables. L'impossibilité de tenir compte des stipulations contractuelles pour évaluer les marchandises, objet des contrats de vente, aboutissait à faire bénéficier le distributeur de la marge bénéficiaire du fournisseur, puisque ce dernier, débiteur du prix perçu, ne se voyait restituer que la valeur réelle des produits. La doctrine a fait valoir que cette solution revenait à permettre au distributeur de cumuler ses marges bénéficiaires avec celles du vendeur (8). Par réaction, un mouvement inverse a vu le jour, initié par certaines cours d'appel. Afin d'introduire une plus grande équité, les juges du fond ont considéré que les restitutions ne pouvaient avantager les distributeurs (9), allant même jusqu'à imposer à ces derniers de restituer une valeur correspondant au prix de revente des produits, par une construction subtile et très contestable, consistant à considérer le distributeur comme le mandataire du fournisseur (10). Cette jurisprudence aboutissait, cette fois, à avantager le fournisseur.

Les voies empruntées, par la suite, par la jurisprudence n'ont pas permis de recouvrer la cohérence espérée en la matière. Elles ont au contraire contribué à brouiller davantage les notions de contrats cadre et de restitutions (11). L'arrêt du 8 février 2011 permet de revenir à une analyse plus rigoureuse de cette figure juridique particulière, au détour de la question de la détermination des prestations restituables consécutives à l'annulation des contrats cadre.

B - La détermination des prestations restituables consécutives à l'annulation des contrats cadre

L'arrêt du 8 février 2011 prend acte du particularisme de la distribution en réseau en distinguant les prestations exécutées au titre du contrat cadre de celles issues des contrats d'application. La question avait ici un intérêt pratique évident puisque les contrats d'application intégralement exécutés ne pouvaient pas être anéantis. Les prestations exécutées à ce titre étaient donc irrépétibles. Dès lors, la détermination des prestations restituables supposait d'examiner le contenu des contrats cadre annulés et d'identifier les stipulations imposant des sujétions aux distributeurs dans l'organisation de leur activité. En l'espèce, les contrats cadre annulés imposaient classiquement aux distributeurs des engagements en matière "de publicité, de personnel, de loyers et charges locatives des locaux d'exploitation ou d'amortissements de ces locaux". Par la suite, la Cour de cassation estime que la cour d'appel a légalement justifié sa décision "en retenant que ces dernières dépenses, obligatoires pour obtenir et conserver la qualité de concessionnaire, avaient été directement imposées par le concédant et en faisant ressortir par un rappel des obligations mises à la charge des concessionnaires par les contrats nuls qu'elles correspondaient à leur exécution". Ainsi, lorsque le contrat annulé appartient à un ensemble de contrats, il s'avère nécessaire d'identifier l'acte juridique ayant donné naissance aux obligations exécutées dont les parties sollicitent la restitution. La détermination des prestations restituables ne peut s'opérer qu'à l'issue d'un examen du contrat cadre, voire des contrats d'application éventuels en cours d'exécution au jour de l'annulation. Le calcul et l'évaluation des restitutions impliquent, de plus, que l'on détermine ensuite pour chaque obligation exécutée les avantages directs et indirects reçus qui feront l'objet de la restitution.

L'appréciation du contenu du contrat cadre donne à la Cour de cassation l'opportunité de préciser cette figure juridique et de réaffirmer implicitement la spécificité des contrats cadre par rapport aux contrats d'application (12). On le voit, le contrat cadre de distribution se distingue radicalement des contrats d'application de par la nature de leurs obligations. Ainsi que l'illustre cet arrêt, le contrat cadre a pour fonction d'intégrer le distributeur dans un ensemble contractuel organisé, le réseau de concession, ainsi que de standardiser et d'uniformiser les relations contractuelles à venir (13). En effet, en contrepartie de son intégration au réseau et de l'exclusivité territoriale dont il bénéficie, le concessionnaire renonce à l'essentiel de sa liberté d'exploitation en s'engageant à respecter les normes imposées par le fournisseur ainsi que sa politique commerciale. En principe, ces normes de commercialisation visent à préserver l'image des produits et à renforcer l'unité du réseau. Il en va ainsi, notamment, des obligations imposant aux distributeurs d'employer du personnel qualifié et d'assurer sa formation professionnelle (14), ou encore celles relatives à la garantie de réseau, à l'information du concédant sur l'état des ventes ou les exigences de la clientèle, voire des normes de présentation des produits contractuels ou d'aménagement du local commercial. Les contrats d'application organisent, quant à eux, de manière ponctuelle et successive, le transfert de propriété des marchandises. Autrement dit, au rebours des contrats d'application, les produits contractuels ne constituent pas directement l'objet du contrat cadre de concession (15). La fourniture de ces produits interviendra par la conclusion de contrats d'application.

Si l'on ne peut qu'approuver cet arrêt en ce qu'il a mis en exergue la spécificité des contrats cadre par rapport aux contrats d'application, l'appréciation de la première partie des motifs de la Cour de cassation relative au périmètre de la rétroactivité, est plus mitigée. L'autonomie du contrat cadre ne peut être que relative en raison de la complémentarité des contrats d'application.

II - L'autonomie juridique relative des contrats cadre par rapport aux contrats d'application

L'arrêt du 8 février 2011 amorce un revirement de jurisprudence en décidant que l'annulation des contrats cadre laisse intacts les contrats d'application intégralement exécutés. Si l'aménagement des effets de la rétroactivité de la nullité des contrats cadre peut être louée à certains égards (A), elle ne peut, en revanche, supprimer le lien entre ces deux types de convention (B).

A - L'aménagement des effets de la rétroactivité de la nullité des contrats cadre

La Chambre commerciale de la Cour de cassation rompt avec la jurisprudence antérieure en décidant que "la nullité des contrats cadre ne remet pas en cause les contrats d'application, notamment les contrats de vente et de maintenance des véhicules, dès lors qu'ils ont été intégralement exécutés". Cette position avait déjà été suivie par certaines cours d'appel qui ne déployaient la sanction de la nullité des contrats cadre que sur les contrats d'application en cours d'exécution. Ainsi, la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 7 juin 1990, limitait les effets de la nullité pour indétermination du prix aux seuls contrats cadre, estimant que cela ne saurait "priver rétroactivement de toute efficacité les diverses opérations effectuées successivement dans le cadre de la gérance et dans celui du mandat, alors que lesdits contrats sont normalement arrivés à leur terme, après une exécution sans réserve de ses obligations par chacune des parties" (16). Cet arrêt avait cependant était cassé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, le 23 juin 1992 (17). La Haute juridiction estimait alors que l'annulation du contrat cadre devait emporter l'anéantissement rétroactif de l'ensemble des contrats. Dès lors que la disparition du contrat cadre ne se répercute que sur les contrats d'application en cours d'exécution, à l'exclusion de ceux qui ont été intégralement exécutés, la Cour de cassation en conclut que les concessionnaires ne pouvaient solliciter la restitution de prestations "directement liées à l'exécution des contrats d'application et qui ont pour contrepartie les marges réalisées sur les ventes augmentées des éventuelles primes d'objectifs ou les marges sur les opérations de maintenance".

En principe, et sauf à ce que le rétablissement de la situation antérieure soit impossible, l'anéantissement rétroactif de l'acte juridique annulé doit s'exercer pleinement par le jeu des restitutions réciproques. Or, l'annulation rétroactive de l'ensemble contractuel constitué par le contrat cadre et ses contrats d'application n'en reste pas moins extrêmement compliquée en pratique, puisqu'elle impose de revenir sur les prestations contractuelles exécutées en vertu de plusieurs contrats distincts quoique complémentaires et, par définition, sur une longue durée. Un aménagement du régime de la nullité par une limitation de son effet rétroactif aux contrats d'application non intégralement exécutés a alors le mérite de la simplicité. Il permet, en outre, d'éviter une remise en cause trop facile de contrats d'application valablement formés et correctement exécutés, qui ont d'ailleurs, le plus souvent, été suivis par des reventes aux consommateurs, le fournisseur et le concessionnaire ayant tous les deux perçu leur marge bénéficiaire. En d'autres termes, la limitation de l'effet rétroactif insuffle une plus grande sécurité juridique sur l'opération d'ensemble.

Est-ce à dire, pour autant, que cet arrêt reconnaît l'autonomie juridique du contrat cadre par rapport au contrat d'application ? Il n'en est rien. La solution retenue par la Cour de cassation n'est censée s'appliquer qu'aux contrats d'application "qui ont été intégralement exécutés". Les conséquences de l'anéantissement du contrat cadre se déploieront toujours à propos des contrats d'application en cours d'exécution. Si cette décision venait à être confirmée, la nullité jouera au sein de l'ensemble de contrats de la même manière que la résiliation d'une convention unique à exécution successive. Autrement dit, une telle solution, si elle venait à être confirmée, aurait pour conséquence de ne faire disparaître les contrats d'application que pour l'avenir. Une telle position pourrait trouver une justification dans le fait que les contrats d'application demeurent des contrats distincts. Autrement dit, ce sont des actes juridiques à part entière nécessitant un consentement, un objet et une cause qui leur sont propres (18). Effectivement, l'efficacité de chacune de ces conventions requiert un "double consentement", le premier à l'occasion de la conclusion du contrat cadre et le second lors de la conclusion du contrat d'application (19). Le second consentement n'est, en outre, pas systématiquement donné par les mêmes parties, lorsque, par exemple, le contrat cadre incite le distributeur à s'approvisionner auprès d'un tiers. Ainsi, toute irrégularité affectant la formation du contrat cadre ne vicie pas, pour autant, les contrats d'application, dont les conditions de formation peuvent quant à elles avoir été tout à fait régulières. Ainsi, l'on peut se rappeler des conséquences que la jurisprudence faisait produire à l'indétermination du prix dans les contrats cadre avant 1995, alors même que le prix était tout à fait déterminé dans les contrats d'application.

Au demeurant, si les contrats d'application sont suffisamment autonomes pour justifier un aménagement de l'effet rétroactif de l'annulation du contrat matrice, cette autonomie est toute relative en raison de la nature du lien existant entre ces deux types de contrats.

B - Le lien irréductible entre les contrats cadre et les contrats d'application

Cet arrêt conduit inévitablement à s'interroger sur les relations qu'entretiennent le contrat cadre et les contrats d'application, la nature de leurs liens et les conséquences qu'il convient d'y attacher. La doctrine relève depuis des années que l'analyse de ces liens est fort délicate et qu'elle constitue une des difficultés majeures de la matière. Cet ensemble de contrats est analysé comme une forte structure "hiérarchisée" dans laquelle les contrats d'application sont dans une relation de subordination au contrat cadre (20), l'annulation des premiers n'ayant aucune incidence sur le second. Le lien entre ces deux types de conventions reposerait sur une dépendance unilatérale des contrats d'application. On voit bien ici que la nature du lien entre le contrat cadre et les contrats d'application est tout à fait différente de celle posée par d'autres ensembles de contrats, par exemple entre un contrat cadre et un contrat de prêt de matériel. Un auteur a pu constater qu'il n'y avait pas de véritable interdépendance entre le contrat cadre et les contrats d'application (21). En effet, "les deux sortes de conventions entretiennent [...] des rapports évidents, même si, en principe, ils ne sauraient toucher au coeur du contrat" (22). Une réflexion d'ensemble sur cet ensemble de contrats aurait le mérite d'affiner la connaissance de cette structure contractuelle complexe, condition essentielle pour être en mesure d'introduire une plus grande sécurité juridique dans ces opérations économiques.


(1) CREDA, Le contrat-cadre, sous la direction de A. Sayag, Litec, 1er vol. Exploration comparative, 1994 ; 2ème vol. La distribution, 1995, n° 4 p. 2.
(2) La notion de restitutions n'est pourtant pas totalement absente du Code civil, les codificateurs ne s'étant intéressés à la question des restitutions qu'à propos de certaines institutions telles que la rescision de la vente pour cause de lésion, la répétition de l'indu, la garantie contre l'éviction et la garantie des vices cachés.
(3) M.-Y. Sérinet, Restitutions après anéantissement rétroactif du contrat, in Avant projet de réforme du droit des obligations, p. 44.
(4) V., en matière de distribution, Cass. com., 2 juillet 2002, n° 00-14.939, F-D (N° Lexbase : A0497AZG), à propos d'un contrat de franchise : "la nullité des contrats litigieux avait pour effet de les priver rétroactivement de tout effet, peu important qu'ils aient été résiliés entre-temps".
(5) Cass. com., 3 mai 1994, n° 92-13.378 (N° Lexbase : A7784CLU), au sujet de pompistes de marque : "la remise en état des parties n'est pas subordonnée à la possibilité d'une restitution en nature, l'impossibilité d'une telle restitution se résolvant par une restitution par équivalent en valeur".
(6) Cass. com., 23 juin 1992, n° 90-18.951, publié au Bulletin (N° Lexbase : A4733ABW).
(7) Cass. com., 3 mai 1994, n° 92-13.378 préc..
(8) J. Raynard, JCP éd. E, n° 1, 2 janvier 1997, 617.
(9) CA Paris, 13 octobre 1993, D., 1993, somm. p. 73, obs. D. Ferrier.
(10) J. Raynard, JCP éd. E, préc..
(11) J. Raynard, JCP éd. E, préc..
(12) Dans le même sens, CA Versailles, 7 février 2002, n° 1999/1548 : le franchisé est fondé à revendiquer le remboursement des frais constitués par les charges d'exploitation au cours de l'exécution du contrat de franchise dès lors qu'elles sont "directement liées à l'exploitation dudit contrat".
(13) Nos obs., La dimension collective des réseaux de distribution, dir. D. Ferrier, Thèse droit privé, Montpellier, 2008, n° 103, p. 105.
(14) CREDA, Le contrat-cadre, sous la direction de A. Sayag, Litec, La distribution, vol. 2, 1995, n° 37, p. 24.
(15) CREDA, Le contrat-cadre, op. cit., n° 44, p. 28.
(16) CREDA, Le contrat-cadre, op. cit., n° 118, p. 74.
(17) L. Leveneur, JCP éd. E, n° 9, 407, p. 55.
(18) F. Pollaud-Dulian et A. Ronzano, Le contrat-cadre, par delà les paradoxes, RTDCom., 1996, p. 180, n° 6 et n° 20 ; D. Ferrier, JCP éd. E, n° 12, 25 mars 1993, 231.
(19) J. Gatsi, Le contrat cadre, préf. M. Béhar-Touchais, LGDJ, 1996, Bibliothèque de droit privé, tome 273, n° 232 et s..
(20) S. Pellé, L'interdépendance contractuelle, Contribution à l'étude des ensembles de contrats, préf. J. Foyer et M.-L. Demeester, Nouvelle Bibliothèque des thèses, vol. 64, 2007, n° 186 , F. Pollaud-Dulian et A. Ronzano, Le contrat-cadre, par delà les paradoxes, op. cit, n° 8 ; v., également, M. Cabrillac, note sous CA Paris 12 octobre 1966 et 3 février 1967, D., 1967, jur., p. 516.
(21) S. Pellé, ibid..
(22) F. Pollaud-Dulian et A. Ronzano, op.cit., n° 30.

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