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par Henri de La Motte Rouge, avocat à la Cour et Caroline Dupuy, Titulaire du CAPA
le 31 Mars 2011
C'est ainsi que le législateur a prévu, dans la loi du 30 décembre 1985, à l'article 56-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3557IGT), la possibilité pour le juge de perquisitionner le cabinet ou le domicile d'un avocat afin de saisir des documents établissant sa participation à l'activité délictuelle. Cette disposition du droit national est conforme aux exigences européennes. En effet, la Cour européenne juge également insaisissables des documents couverts par le secret professionnel aux avocats qui exercent leur mission de défense ou de conseil de leur client, et qui sont à ce titre totalement tiers à l'infraction présumée. Tel n'est d'ailleurs pas le cas lorsque ces documents sont de nature à établir la preuve de la participation de l'avocat à la fraude présumée (3).
En droit interne, certaines garanties ont donc été prévues afin de préserver le respect du secret professionnel, notamment par une procédure se déroulant dans des conditions particulières. Si la perquisition du droit commun prévue dans le Code de procédure pénale semble apporter des garanties suffisantes, l'absence d'intervention du Bâtonnier dans certaines procédures dérogatoires est contestable.
I - Régime de droit commun de la perquisition du cabinet d'avocat
La perquisition au cabinet ou au domicile d'un avocat n'est autorisée que dans les formes et hypothèses prévues au cas de crime flagrant (C. pr. pén., art. 56 N° Lexbase : L7226IML et 57 N° Lexbase : L5957IED), à savoir "si la nature du crime est telle que la preuve en puisse être acquise par la saisie des papiers, documents, données informatiques ou autres objets en la possession des personnes qui paraissent avoir participé au crime ou détenir des pièces, informations ou objets relatifs aux faits incriminés".
La perquisition doit ainsi permettre d'établir que l'avocat a participé à l'infraction. On constate ainsi que la prérogative de l'avocat à conserver le secret de ses clients cède lorsqu'il la détourne de sa finalité. C'est le cas lorsque l'avocat détourne le secret pour soustraire aux investigations de la justice des éléments de preuve, en général pour protéger son client et à plus forte raison, lorsqu'il se fait complice, ou organise de faux témoignages.
Cette forme de perquisition ne peut être qu'exceptionnelle et suivant des conditions particulières pour garantir le respect du secret professionnel.
Afin de préserver le secret professionnel, l'enquête déclarée contre un avocat ne peut en réalité concerner un client de l'avocat perquisitionné. Le magistrat doit donc, préalablement, par une décision écrite et motivée préciser la nature de l'infraction et les documents qu'il recherche. Il ne peut procéder à une fouille générale. Seuls les documents relatifs à l'infraction pourront être saisis.
La saisie de correspondances échangées entre l'avocat et son client ne peut être ordonnée qu'à titre exceptionnel et seulement si les documents saisis sont de nature à établir la preuve de la participation de l'avocat à une infraction. Par ailleurs, l'article 97 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7223IMH) prévoit la saisie du matériel informatique et des données informatisées.
L'article 56-1 du Code de procédure pénale prévoit la procédure de perquisition au cabinet ou domicile d'un avocat.
Elle ne peut être effectuée que par un magistrat du Parquet ou un juge d'instruction selon la nature de l'investigation, enquête préliminaire ou instruction, et en présence du Bâtonnier ou de son délégué. Eux seuls pourront prendre connaissance des documents avant leur éventuelle saisie.
Le Bâtonnier, garant des principes essentiels de la profession et assurant les intérêts de son ordre, joue un rôle prépondérant dans la perquisition. En effet, si le Bâtonnier estime la saisie d'un document irrégulière, comme contrevenant au secret professionnel, il peut s'y opposer.
Le document contesté sera mis sous scellé et un procès-verbal sera établi. Le tout sera transmis au juge des libertés et de la détention qui doit statuer dans les cinq jours par une ordonnance motivée, non susceptible de recours. A cette fin, il pourra entendre le magistrat ayant perquisitionné, le procureur de la République, l'avocat objet de la perquisition et le Bâtonnier.
Le juge des libertés et de la détention peut ordonner la restitution du document et du procès-verbal. Dans le cas contraire, le document et le procès-verbal seront versés à la procédure.
En tout état de cause, les parties conservent ultérieurement la possibilité de demander la nullité de la saisie, soit devant la chambre de l'instruction, soit devant la juridiction de jugement.
Ainsi, les garanties offertes par le Code de procédure pénale semblent adéquates. Il convient de préciser que tout avocat doit pouvoir en bénéficier quelle que soit son origine. En effet, dans une décision du 21 janvier 2010 (4), la Cour européenne a considéré que les perquisitions au domicile d'un avocat étant susceptibles de porter atteinte au secret professionnel, ces dernières doivent être impérativement assorties de garanties spéciales de procédure. Un avocat ressortissant d'un Etat membre de l'UE exerçant à titre occasionnel en France n'est pas tenu de s'inscrire au barreau national pour pouvoir bénéficier des garanties offertes par l'article 56-1 du Code de procédure pénale. En outre, le requérant n'a pas disposé d'un "contrôle efficace" pour contester la perquisition et les saisies, les recours dont il a fait usage ne lui étaient légalement pas ouverts. La France a donc été condamnée pour violation de l'article 8 de la CESDH au titre du droit au respect du domicile.
L'ordonnance n° 2009-233 du 26 février 2009, prise en application de l'article 164 de la loi de modernisation de l'économie, réformant les voies de recours contre les visites domiciliaires et les saisies de l'Autorité des marchés financiers (AMF) (N° Lexbase : L9689ICT), soumet désormais les visites de l'autorité dans les cabinets d'avocats ou à leur domicile au droit commun des perquisitions dans les cabinets d'avocats (C. pr. pén., art. 56-1).
Par ailleurs, l'ordonnance permet à la personne visitée de faire appel, de manière non suspensive, à un conseil de son choix pendant la visite et transfère du président du TGI au juge des libertés et de la détention la compétence en vue d'autoriser la visite de l'AMF pour la recherche des infractions à la transparence des marchés (C. mon. et fin., art. L. 465-1 N° Lexbase : L2169INN et L. 465-2 N° Lexbase : L2168INM).
II - Régimes dérogatoires de la perquisition du cabinet d'avocat
L'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L0549IHS) prévoit la perquisition chez le contribuable, voire chez des tiers et notamment l'avocat du contribuable, par les inspecteurs des services fiscaux lorsqu'il existe des présomptions qu'un contribuable se soustrait à l'établissement ou au paiement de ses impôts. Il peut être pratiqué une perquisition dans tous les lieux : locaux commerciaux, d'habitation, comptable, avocat de l'assujetti, banque où le redevable loue un coffre.
La perquisition doit être autorisée par une ordonnance du président du TGI compétent. Afin de garantir le respect du secret professionnel, ces perquisitions doivent avoir lieu aux conditions de l'article 56 du Code de procédure pénale.
Toutefois, à la différence des perquisitions dans le cadre d'une enquête préliminaire ou d'une instruction, l'opération est généralement effectuée sous la surveillance d'un officier de police judiciaire et sous le contrôle du juge qui les a autorisées, mais le Bâtonnier n'est pas présent. Comme souvent dans cette matière dérogatoire du droit commun, on s'interroge sur ce qui justifie une telle exception à cette garantie du secret professionnel des avocats.
Ce régime de perquisition, associé à la déclaration de soupçon lorsqu'il est demandé à l'avocat de rédiger un acte permettant une activité financière illicite, ou une consultation ordonnée en vue d'un blanchiment d'argent, laisse penser que le secret de l'avocat est battu en brèche par les administrations fiscales et douanières. Plus récemment, des dispositions en matière de droit de la concurrence permettent de faire un constat similaire.
L'article L. 450-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L2208IEI) permet aux agents de la Direction de la concurrence de procéder à des visites en tous lieux, même privés, où sont susceptibles d'être détenus les documents se rapportant aux agissements frauduleux dont la preuve est recherchée. Ils peuvent ainsi perquisitionner au cabinet de l'avocat.
La perquisition doit avoir été demandée par la Commission européenne, le ministre chargé de l'Economie ou le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence sur proposition du rapporteur, sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter, dans le cadre d'une enquête. Les agents ne sont pas astreints à respecter la procédure prévue par le Code de procédure pénale mais doivent toutefois respecter les droits de la défense.
(1) CEDH, 15 février 2011, deux arrêts, n° 56720/09 et n° 56716/09, en anglais uniquement.
(2) CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03 (N° Lexbase : A8281D9L).
(3) CEDH, 24 juillet 2008, préc..
(4) CEDH, 21 janvier 2010, Req. 43757/05 (N° Lexbase : A4497EQM).
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