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N7662BR9
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par Jean-Jacques Lubin, Consultant au Cridon Paris
le 30 Mars 2011
1 - L'objet du litige et la question préjudicielle
Une association cultuelle, ayant son siège statutaire en Allemagne, a été désignée comme légataire universel d'une ressortissante belge. La testatrice, ayant résidé toute sa vie en Belgique, y est décédée.
Cette association a déposé une déclaration de succession au nom de la défunte auprès de l'administration belge et a, par la suite, payé les droits de succession, au taux marginal de 80 %, réclamés par cette administration.
En effet, il faut rappeler que la législation belge dispose que les droits de succession et de mutation par décès sont réduits "à 7 % pour les legs faits aux associations sans but lucratif, aux mutualités ou unions nationales de mutualités, aux unions professionnelles et aux associations internationales sans but lucratif, aux fondations privées et aux fondations d'utilité publique" (Code des impôts belge, art. 59, point 2).
Aux termes de l'article 60, paragraphe 1, du Code des impôts belge, le taux réduit prévu à l'article précité n'est applicable qu'aux organismes et institutions réunissant les conditions suivantes :
"a. l'organisme ou l'institution doit avoir un siège d'opération :
- soit en Belgique ;
- soit dans l'Etat membre de la Communauté européenne dans lequel le de cujus résidait effectivement, ou avait son lieu de travail au moment de son décès, ou dans lequel il a antérieurement effectivement résidé, ou eu son lieu de travail ;
b. l'organisme ou l'institution doit poursuivre dans ce siège, à titre principal et dans un but désintéressé, des objectifs de nature environnementale, philanthropique, philosophique, religieuse, scientifique, artistique, pédagogique, culturelle, sportive, politique, syndicale, professionnelle, humanitaire, patriotique ou civique, d'enseignement, de soins aux personnes ou aux animaux, d'assistance sociale ou d'encadrement des personnes, au moment de l'ouverture de la succession ;
c. l'organisme ou l'institution doit avoir son siège statutaire, son administration centrale ou son principal établissement sur le territoire de l'Union européenne".
L'association a sollicité de l'administration belge le remboursement de la différence entre le montant des droits payés et celui résultant de l'application du taux réduit. Sa demande a été rejetée au motif qu'il n'était pas suffisamment prouvé que le défunt avait résidé ou travaillé en Allemagne.
La question préjudicielle posée était alors la suivante :
"Faut-il interpréter les articles 18 (N° Lexbase : L2484IPP), 45 (N° Lexbase : L2693IPG), 49 (N° Lexbase : L2697IPL) et 54 (N° Lexbase : L2703IPS) [du TFUE] en ce qu'ils interdisent l'adoption ou le maintien, par le législateur d'un Etat membre, d'une règle ayant pour objet de réserver le bénéfice d'une taxation au taux réduit de 7 % aux associations sans but lucratif, aux mutualités ou aux unions nationales de mutualités, aux unions professionnelles et aux associations internationales sans but lucratif, aux fondations privées et aux fondations d'utilité publique, ressortissantes d'un Etat membre où le de cujus -résident wallon- résidait effectivement ou où il avait son lieu de travail au moment de son décès, ou dans lequel il a antérieurement effectivement résidé ou eu son lieu de travail ?".
Sans surprise, la Cour décide que la législation nationale belge constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, au sens de l'article 63, paragraphe 1, du TFUE (N° Lexbase : L2713IP8).
L'application d'un taux d'imposition plus élevé à certains mouvements de capitaux transfrontaliers par rapport à celui appliqué aux mouvements à l'intérieur de la Belgique présente sans conteste ce caractère. La différence de traitement n'est justifiée par aucune raison impérieuse d'intérêt général.
2 - Les enseignements relatifs à cette solution
La présente décision n'est pas sans conséquence sur notre législation. En France, les exonérations de droits de mutation édictées par le CGI en faveur de certains organismes et établissements ne sont, en principe, applicables qu'aux collectivités françaises.
Toutefois, ces avantages peuvent bénéficier à des collectivités étrangères, lorsqu'il existe en cette matière un régime de réciprocité entre la France et le pays considéré. Cette réciprocité peut résulter soit d'une Convention internationale, soit d'un simple accord constaté par un échange de notes diplomatiques (DB 7 G-261, du 20 décembre 1996, n° 40).
Conséquemment à cet arrêt, la doctrine administrative est devenue obsolète, tout au moins en ce qui concerne les flux de capitaux entre Etats membres.
Dans deux arrêts, le Conseil d'Etat illustre sa nouvelle jurisprudence relative aux apports-cessions. En 2010, la Haute assemblée aurait décidé que le placement, en report d'imposition, d'une plus-value, réalisée par un contribuable, lors de l'apport de titres à une société qu'il contrôle, et qui a été suivi de leur cession par cette société, était constitutif d'un abus de droit. Cette qualification était subordonnée à la condition que le montage ait pour seule finalité de permettre au contribuable, en interposant une société, de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession de ces titres, tout en restant détenteur des titres de la société reçus en échange lors de l'apport. Il n'a, en revanche, pas ce caractère s'il ressort de l'ensemble de l'opération que cette société a, conformément à son objet, effectivement réinvesti le produit de ces cessions dans une activité économique (CE, 8° et 3° s-s-r., 8 octobre 2010, n° 313139, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3503GBD et CE, 8° et 3° s-s-r., 8 octobre 2010, n° 301934, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3490GBU).
Pour le Conseil d'Etat, deux conditions doivent donc être cumulativement remplies : la non-appréhension des liquidités de la société bénéficiaire des titres par l'apporteur, et le réinvestissement de ces dernières dans une activité économique.
La première affaire commentée est complexe : un contribuable fait l'apport de titres à une société holding de droit luxembourgeois, cette dernière ayant cédé sa participation à une société anglaise via une société maltaise, elle-même filiale d'une autre société luxembourgeoise, filiale à son tour de la première holding.
L'administration fiscale a estimé que l'apport des titres n'avait eu d'autre intérêt que de permettre au contribuable de se placer abusivement dans le champ d'application du report d'imposition, prévu par le 4 du I ter de l'article 160 du CGI, aujourd'hui abrogé (N° Lexbase : L2652HLS), et ainsi de différer, voire de supprimer, l'imposition due sur la plus-value dégagée par la cession ultérieure des titres par la holding.
Le produit de cession a été réinvesti sur plusieurs années de façon partielle. L'arrêt n'indique pas la fraction réinvestie. Cependant, les éléments constitutifs de l'abus de droit font défaut au cas présent.
Dans la seconde affaire, seulement 4 % du produit de cession avaient été réutilisés dans le financement d'une activité économique. D'importantes sommes en compte courant avait été investies dans une société, soit environ 60 % du produit de la cession des actions. Selon le Conseil d'Etat, cet apport, en l'absence de circonstances particulières de nature à lui retirer son caractère patrimonial, ne constituait pas un investissement dans une activité économique ; dès lors, l'administration pouvait faire application des dispositions de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L4668ICU).
En matière d'optimisation fiscale, les opérations d'apports-cessions sont fréquentes. Ces nouvelles illustrations sont importantes pour les praticiens et leurs clients.
Autre situation d'abus de droit : la transformation d'un dividende taxable à l'impôt sur le revenu en plus-value taxable au taux proportionnel de 31,3 % (cumul du prélèvement forfaitaire libératoire de 19 % et des prélèvements sociaux qui s'élèvent à 12,3 %).
La motivation fiscale de l'opération était bien présente. Toutefois, les requérants faisaient valoir que le montage n'avait pas un but exclusivement fiscal, mais présentait, également, pour eux, un intérêt d'ordre financier et patrimonial durable, en permettant, notamment, à une société qu'ils contrôlaient, de dégager une capacité d'emprunt supérieure à celle des associés, en obtenant, dans de meilleures conditions, des financements extérieurs pour le développement de la société. On est là sur le terrain de l'exclusivisme fiscal.
Rappelons que la nouvelle définition de l'abus de droit fiscal couvre les situations de fictivité juridique et de fraude à la loi.
Selon l'administration fiscale (instruction du 9 septembre 2010, BOI 13 L-9-10 N° Lexbase : X7799AGX), la fictivité juridique est constituée par la différence objective existant entre l'apparence juridique créée par l'acte en cause et la réalité.
Selon la jurisprudence, la fraude à la loi en matière fiscale, souvent présumée par la recherche d'un but exclusivement fiscal, est constituée toutes les fois que sont réunies, d'une part, cette recherche d'un but exclusivement fiscal et, d'autre part, l'obtention d'un avantage fiscal par une application littérale des textes ou de décisions qui vient à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs (CE 3° et 8° s-s-r., 29 décembre 2006, n° 283314, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3666DTX). C'est le cas, par exemple, du recours à un montage juridique et économique artificiel (CE 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2005, n° 267087, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3517DI4 ; CE 3° et 8° s-s-r., 18 février 2004, n° 247729, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3599DBW ; CE 3° et 8° s-s-r., 27 juillet 2009, n° 295358, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1236EKY).
La recherche d'un but exclusivement fiscal, consistant à éluder ou atténuer les charges fiscales, peut notamment prendre la forme d'une réduction d'une dette d'impôt, ou de la perception indue d'un crédit d'impôt, ou encore de l'augmentation abusive d'une situation déficitaire (instruction précitée, § 12). Au cas présent, l'économie fiscale est bien réelle, mais le Conseil d'Etat décide que l'opération présentait également un intérêt d'ordre financier et patrimonial durable.
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