La lettre juridique n°434 du 31 mars 2011 : Entreprises en difficulté

[Questions à...] Entreprises en difficulté au Royaume-Uni : le Company Voluntary Agreement - Questions à Olivier Morel, Partner, Cripps Harries Hall LLP

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[Questions à...] Entreprises en difficulté au Royaume-Uni : le Company Voluntary Agreement - Questions à Olivier Morel, Partner, Cripps Harries Hall LLP. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4259022-questions-a-entreprises-en-difficulte-au-royaumeuni-le-i-company-voluntary-agreement-i-questions-a-b
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 31 Mars 2011

Face à la mondialisation et à l'interpénétration des économies, notamment européennes, connaître le droit des entreprises en difficulté de nos voisins est souvent un plus, notamment pour les conseils de créanciers d'entreprises étrangères qui feraient l'objet d'une "procédure collective". Cette semaine Lexbase Hebdo - édition affaires a donc voulu mettre la lumière sur la première solution offerte par le droit britannique pour sauver une entreprise en difficulté : le Company Voluntary Agreement. Nous avons donc rencontré Olivier Morel, Partner, Cripps Harries Hall LLP. Avocat français et solicitor anglais, ce dernier dirige le Pôle Entreprises françaises du cabinet Cripps Harries Hall. Fort d'une expérience de l'investissement français et étranger au Royaume-Uni de plus de 20 ans, Olivier Morel anime ce département d'une dizaine d'avocats anglais, qui offrent tous les services juridiques d'accompagnement aux entreprises françaises et étrangères au Royaume-Uni : implantation, rachat d'entreprise, signature de joint venture, négociation de baux commerciaux, rédaction de contrats de travail, de contrats commerciaux, contentieux commercial.
Pour répondre à nos dernières questions sur la comparaison avec le droit français, Olivier Morel a fait appel à Nicolas Sapir, avocat à la Cour, spécialiste contentieux commercial et procédures collectives, WSA Avocats.



Lexbase : Comment définissez-vous le "
Company Voluntary Agreement" ? Quels arguments plaident en sa faveur ?

Olivier Morel : Le "Company Voluntary Arrangementt" ("CVA") est un contrat entre la société et ses créanciers, qui s'accordent pour suspendre toute poursuite contre la société pour le paiement de ses dettes pendant une période précise fixe -au moins un an et jusqu'à cinq ans-. En contrepartie, la société s'engage à payer une proportion de ses créances pendant cette période, soit à partir de ses revenus, soit à partir de la vente d'actifs, ou des deux, comme convenu avec ses créanciers.

Au terme de la période convenue, si la société a réussi à honorer le contrat avec ses créanciers, le solde de ses dettes disparaît. La société est alors libérée de toutes ses obligations vis-à-vis de ses créanciers, qui n'auront plus le droit de récupérer le solde.

Deux arguments de poids plaident en faveur du CVA :
- les créanciers, en permettant à la société de continuer d'exercer son activité commerciale au lieu d'entamer des poursuites pour le montant total de leur créance, devraient récupérer une proportion plus importante de la dette qui leur est due que s'ils provoquent la mise en liquidation de la société, et, dans cette dernière hypothèse, l'expérience montre que les créanciers ordinaires récupèrent généralement moins de 10 % de leur créance ;
- ils sont probablement payés plus tôt que si la société est mise en liquidation.

Si la société ne respecte pas les termes du CVA, elle court le risque d'être mise en liquidation.

Lexbase : Quelles sont les modalités de la mise en place de cette procédure ?

Olivier Morel : Un Licensed Insolvency Practitioner ("LIP"), tiers indépendant, rédige le CVA, encadre les créanciers et fait office d'intermédiaire entre eux et la société. Le LIP soumet au vote des créanciers les termes du CVA qu'il propose et leur demande :
- de compléter un formulaire de preuve de dette, confirmant la somme due et les justificatifs -typiquement des factures- ;
- et d'établir une procuration autorisant une personne à voter en son nom à la réunion des créanciers (en général il donne procuration au président de la réunion).

Le CVA doit être approuvé par plus de 75 % des votes des créanciers en valeur pour être mis en oeuvre. Dans ce contexte, les créanciers n'incluent pas les créanciers préférentiels -ceux qui ont une garantie-. Une fois approuvé, le CVA engage tous les créanciers, y compris ceux qui ont voté contre l'accord, ou qui n'ont pas voté.

Une fois le CVA en place, le LIP, dont le titre officiel devient "Supervisor", contrôle les rentrées d'argent de la société et les utilise pour payer ses frais et distribuer le solde aux créanciers. Il peut s'écouler plusieurs mois entre la date de la réunion et la première distribution. Pendant la durée du CVA, le Supervisor publie des rapports annuels rendant compte de son activité à destination des créanciers.

Si la société ne respecte pas l'échéancier des paiements convenu, le Supervisor en avisera les créanciers. Si ces derniers donnent leur accord, le CVA peut être modifié, par exemple pour prendre en compte des circonstances qui ont évolué. Autrement, le CVA échouera et le Supervisor mettra alors la société en liquidation.

Lexbase : En quoi cette procédure est-elle intéressante pour les créanciers ?

Olivier Morel : Le CVA ne représente pas, bien sûr, une situation idéale pour un créancier, mais reste une bien meilleure solution alternative à la liquidation pure et simple. Dans cette dernière hypothèse, et dans l'immense majorité des cas, le seul résultat sera un versement très modeste (bien inférieur à 10 % de la créance), voire nul, après plusieurs années. Dans la grande majorité des cas, les créanciers se résignent donc à parier sur le CVA.

Lexbase : Quelles sont les différences notables avec la sauvegarde française ?

Olivier Morel et Nicolas Sapir : Les principales différences sont les suivantes. 

- Alors que le CVA est un contrat entre la société et ses créanciers, la procédure de sauvegarde est une véritable procédure collective qui suppose la saisine du tribunal de commerce ou du tribunal de grande instance.

- Le plan de sauvegarde n'est arrêté par le tribunal que s'il existe une possibilité sérieuse pour l'entreprise d'être sauvegardée.

- Les mesures pouvant être prises dans le cadre du plan de sauvegarde sont plus larges que pour le CVA puisque la procédure de sauvegarde est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise : arrêt d'une activité, cession partielle d'actif, licenciement, etc..

- Concernant le projet de plan, l'adoption du plan est prise par chaque comité des créanciers à la majorité des deux tiers du montant des créances détenues par les membres ayant exprimé un vote. Ne prennent pas part au vote les créanciers pour lesquels le projet de plan ne prévoit pas de modification des modalités de paiement ou prévoit un paiement intégral en numéraire dès l'arrêté du plan ou dès l'admission de leurs créances.
Le vote favorable des deux comités de créanciers sur les propositions contenues dans le projet de plan ne suffit pas puisque le tribunal devra vérifier que les intérêts de tous les créanciers sont suffisamment protégés et rendra par la suite un jugement arrêtant le plan.

- La durée du plan est fixée par le tribunal. Elle ne peut excéder 10 ans (15 ans pour les agriculteurs).

- Le tribunal nomme l'administrateur ou le mandataire judiciaire en qualité de commissaire chargé de veiller à l'exécution du plan. Le tribunal peut, en cas de nécessité, nommer plusieurs commissaires. Il est chargé de veiller à l'exécution du plan. Sa seule fonction est de rendre compte de sa mission au président du tribunal. Pour ce faire, il établit un rapport annuel sur l'exécution des engagements du débiteur, qu'il dépose au greffe et qui est tenu à la disposition des créanciers. De plus, il rédigera un rapport spécial en cas d'inexécution du plan.

Lexbase : Serait-il intéressant, selon vous, de s'inspirer du CVA pour le traitement des entreprises en difficulté en France ?

Olivier Morel et Nicolas Sapir : Le CVA et la procédure de sauvegarde ont la même finalité : faciliter le redressement de l'entreprise et la poursuite de l'activité, l'un dans un cadre contractuel, l'autre dans un cadre judiciaire. A ce titre, les deux peuvent être comparées au fameux "Chapter 11" du droit américain.
Ainsi, il n'est pas forcément utile de s'inspirer du CVA pour le traitement des entreprises en difficulté en France, d'autant plus que le rôle du juge dans la procédure de sauvegarde est un gage de sécurité.

De plus, il existe déjà en France des procédures permettant la prévention des difficultés des entreprises dans un cadre contractuel (conciliation et mandataire ad hoc), mais de telles procédures doivent nécessairement être ordonnées par le juge.

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