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par Anne-Lise Lonné, rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée
le 31 Mars 2011
François Roth : Avant l'entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2009, l'ancien article 227-3 du Code pénal (N° Lexbase : L9284G9Q) réprimait le non-paiement des pensions alimentaires dans tous les cas de figure et le texte se référait en particulier aux articles et aux titres du Code civil relatifs au mariage, au divorce, à la filiation, etc.. Sous couvert de simplification du droit, la loi du 12 mai 2009 a supprimé la référence à tous ces titres du Code civil en ne faisant plus référence qu'au seul titre IX du livre 1er, relatif à l'autorité parentale. Il faut en conclure que tout ce qui ne relève pas de l'autorité parentale n'est plus concerné, de sorte que sont exclues de la pénalisation, les contributions aux charges du mariage, les pensions alimentaires dues entre époux pendant la durée de la procédure et les prestations compensatoires.
A partir du moment où le législateur a supprimé l'un des éléments légaux à savoir la référence aux titres du Code civil relatifs au mariage ou au divorce, c'est toute l'infraction qui échappe désormais à la répression.
Cela relève, au mieux, d'une erreur, au pire, d'une faute d'inattention du législateur.
La portée de cette suppression est très importante dès lors qu'il s'agit d'une loi pénale plus douce, puisqu'elle vient supprimer l'un des éléments constitutifs de l'infraction. Cette loi s'applique donc immédiatement, y compris aux faits commis avant son entrée en vigueur. C'est-à-dire qu'au jour de la publication de la loi, toutes les personnes sur le territoire national qui faisaient l'objet de poursuites pour non-paiement de pensions alimentaires entre conjoints ou de prestations compensatoires pouvaient aller plaider utilement une relaxe sur ce fondement.
Lexbase : Quel est le sens et la portée de la décision prononcée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 16 février dernier ?
François Roth : L'arrêt du 16 février 2011 vient confirmer cette analyse, que j'avais faite à l'époque, en des termes qui sont d'une sécheresse absolue : "l'article 133, III, de la loi du 12 mai 2009, a remplacé, au premier alinéa de l'article 227-3 du Code pénal, les références aux titres V, VI, VII et VIII du livre 1er du Code civil par la seule référence au titre IX du livre 1er du même code, lequel ne concerne que l'autorité parentale ; [...] il s'ensuit que le non-paiement d'une prestation compensatoire allouée par un jugement de divorce échappe désormais aux prévisions de l'article 227-3 du Code pénal".
La Cour de cassation ne pouvait retenir une solution différente dès lors que la répression d'une infraction devant une juridiction pénale, quelle qu'elle soit, suppose que soient réunis un élément légal, un élément matériel et, le cas échéant, un élément intentionnel. A partir du moment où l'un de ces trois éléments fait défaut, l'élément légal au cas d'espèce, il ne peut plus y avoir d'infraction, donc de sanction pénale.
Si certains ont pu soutenir qu'il y avait lieu d'interpréter les nouvelles dispositions de telle sorte que le titre IX vienne s'ajouter à l'énumération légale antérieurement prévue et non la remplacer, le texte de la loi du 12 mai 2009 était pourtant parfaitement clair puisque l'article 133-III prévoit que "au premier alinéa de l'article 227-3 du même code, les références : les titres V, VI, VII et VIII' sont remplacées par la référence : le titre IX'". Les rédacteurs n'ont tout simplement pas fait attention à la portée de cette prétendue simplification qui est "ravageuse" !
Lexbase : Comment le législateur prévoit-il de remédier à cette situation ?
François Roth : Lorsque j'avais découvert cette faille, je l'avais immédiatement signalé au député local et au sénateur du Haut-Rhin, Monsieur Jean-Marie Bockel, qui était à l'époque secrétaire d'Etat à la Justice, lequel avait pris en compte ma demande puisqu'une nouvelle modification de l'article 227-3 du Code pénal a effectivement été inscrite en discussion au Sénat, dans le cadre de la nouvelle refonte de cette simplification du droit. A l'occasion d'un premier débat au Sénat, le rapporteur de la loi semblait assez sceptique sur l'interprétation que j'en donnais, mais l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 16 février 2011 vient bien confirmer cette interprétation et l'on reste donc dans l'attente que les parlementaires veuillent bien rétablir cette "bévue".
A ma connaissance, on est toujours dans un système de navette, c'est-à-dire que la modification par retour à l'ancien système a été adoptée par le Sénat (cf. proposition de loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit). Il est envisagé de viser plus largement "une obligation alimentaire due en application du Code civil" ; cette rédaction présente le mérite de s'assurer de ne rien oublier ! Elle irait effectivement dans le sens d'une simplification dans la mesure où cela concernerait toutes les obligations alimentaires, entre conjoints, mais aussi, par exemple, celles dues par les descendants aux ascendants.
En termes de délais, on peut imaginer que cette décision de la Cour de cassation, probablement groupée avec les lobbies d'associations monoparentales, par exemple, vont accélérer les choses ; mais il est regrettable de devoir en arriver là pour rectifier ce que je qualifie d'une "incompétence législative".
Quoi qu'il en soit cela ne viendra pas résoudre le problème de la période transitoire courant jusqu'à la prochaine modification du texte, le principe étant qu'une loi pénale plus sévère n'est théoriquement jamais rétroactive, c'est-à-dire qu'elle ne s'applique qu'aux faits commis après son entrée en vigueur. Donc au cas d'espèce, cela voudrait dire qu'à compter de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, les premières infractions seront passibles de poursuites deux mois après. Mais toutes les infractions qui sont commises jusque-là ne peuvent pas être sanctionnées.
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