Réf. : Cass. civ. 1, 9 mars 2011, n° 09-72.371, FS-D (N° Lexbase : A2512G9W)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
le 31 Mars 2011
I. Le fondement inédit de l'article 370-3, alinéa 3, du Code civil pour refuser la transcription du jugement d'adoption
Procédure (1). C'est le Parquet de Nantes, en la personne du procureur de la République du tribunal de grande instance de Nantes, qui est exclusivement compétent pour ordonner la transcription directe d'une décision étrangère produisant en France les effets d'une adoption simple, lorsque cette adoption concerne un adoptant français et un adopté né à l'étranger (C. civ., art. 354, al. 2 N° Lexbase : L6487DI4 ; C. pr. civ., art. 1050 N° Lexbase : L1364H4B ; IGREC n° 585 (2)). Le Parquet vérifie l'opposabilité en France de la décision étrangère qui, en matière d'état des personnes, fait en principe l'objet d'une reconnaissance de plein droit. Le cas échant, comme ce fut le cas en l'espèce, il refuse la transcription lorsque ces conditions ne sont pas, de son point de vue, satisfaites. Le Parquet ne doit pas vérifier le jugement étranger en ce qui concerne son opportunité au regard de l'intérêt de l'enfant mais seulement sa régularité internationale a priori. Face au refus de transcription du Parquet de Nantes, les adoptants peuvent assigner ce dernier devant le tribunal de grande instance de Nantes en transcription de la décision étrangère. Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 9 mars 2011, ce recours n'a abouti ni devant le tribunal de grande instance de Nantes, ni devant la cour d'appel de Rennes (CA Rennes, 8 septembre 2008, n° 07/05457 N° Lexbase : A7665HEM) qui ont tous deux considéré que le consentement de la mère à l'adoption de son enfant ne satisfaisait pas les exigences de l'article 370-3, alinéa 3, du Code civil.
Fondement de l'article 370-3, alinéa 3. L'un des apports essentiels de l'arrêt du 9 mars 2011 réside dans le fait qu'il constitue la première application admise par la Cour de cassation de l'article 370-3, alinéa 3, du Code civil dans le cadre d'un refus de transcription d'un jugement étranger d'adoption. Ce texte semblait, en effet, faire l'objet "d'une interprétation chaotique tant par le service central de l'état civil que les tribunaux de grande instance depuis son entrée dans le Code civil avec la loi du 6 février 2001" (3).
Contenu de l'article 370-3, alinéa 3. L'article 370-3, alinéa 3, du Code civil, qui reprend les exigences de l'article 4, c) de la Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale (N° Lexbase : L6792BHZ), soumet toutes les adoptions internationales s'agissant du consentement parental à un contrôle a posteriori. Il s'agit de vérifier que ce consentement a été donné dans des "conditions décentes" (4), sans toutefois que des exigences de forme, ni la remise de l'enfant de moins de deux ans à un service de même nature que l'aide sociale à l'enfance (comme c'est le cas en France selon l'article 348-5 du Code civil N° Lexbase : L2863ABN) ne soit imposées.
Objectif de l'article 370-3, alinéa 3. L'objectif de l'article 370-3, alinéa 3, est précisément de s'assurer qu'aucun enfant ne fera l'objet d'une commande ou d'un arrangement contractuel qui pourrait relever du trafic ou de la vente d'enfant. Ce contrôle a posteriori vise à lutter contre les adoptions internationales qui ne satisferaient pas les garanties du droit français sur la question du consentement parental. Il est donc particulièrement logique qu'il s'applique dans la procédure relative à la transcription du jugement étranger prononçant l'adoption. C'est le seul moyen pour empêcher ce jugement de produire des effets en France ; en effet, cette décision ayant pour objet l'état des personnes ne nécessite pas d'exequatur (5).
Contrôle d'opposabilité. Dans un arrêt du 4 octobre 2005 (6), la Cour de cassation a réaffirmé le principe de l'opposabilité de la décision étrangère sous réserve de l'absence de fraude et de violation de l'ordre public en précisant que toute révision au fond était interdite au juge de l'inopposabilité. En considérant que le contrôle d'opposabilité d'un jugement étranger peut s'effectuer au regard de l'article 370-3, alinéa 3, elle admet que la mise en oeuvre de cette disposition relève bien du contrôle d'opposabilité de la décision étrangère et non d'un contrôle au fond qui pourrait aboutir à la révision du jugement. Cette analyse ne relevait pas de l'évidence puisqu'on aurait pu considérer que l'analyse des conditions de recueils du consentement de la mère biologique constituait un examen au fond de ce consentement déjà opéré par le juge étranger selon sa propre loi (7). En admettant ce contrôle du consentement du parent d'origine de l'enfant au moment de la demande de transcription du jugement, la Cour de cassation accepte indéniablement que le juge français s'octroie un droit de regard sur le processus étranger d'adoption. Les circonstances de l'arrêt commenté tendent à démontrer qu'un tel droit de regard n'est pas superflu !
II. La mise en oeuvre des exigences de l'article 370-3, alinéa 3, du Code civil pour lutter contre les adoptions illicites d'enfant
Appréciation souveraine du caractère libre et éclairé du consentement. Dans son attendu, la Cour de cassation retient plusieurs points relevés par les juges du fond qui permettent de considérer que le consentement de la mère biologique ne satisfaisait pas les exigences de l'article 370-3, alinéa 3. Elle relève tour à tour l'existence d'un arrangement contractuel entre les candidats à l'adoption et la mère de naissance, le caractère précipité du consentement et enfin l'absence d'expérience de la séparation d'avec l'enfant. La Cour de cassation considère que la cour d'appel, dont elle reconnaît l'appréciation souveraine, a pu justement en déduire "que le consentement donné par Mme Y ne revêtait pas le caractère du consentement libre et éclairé exigé par l'article 370-3, alinéa 3, du Code civil ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision de rejeter la demande de transcription du jugement sur les registres de l'état civil français".
Arrangement contractuel. En exigeant que le consentement du parent biologique soit donné après la naissance, l'article 370-3, alinéa 3, du Code civil poursuit l'objectif de s'assurer qu'aucun enfant ne fera l'objet d'une "commande" qui s'apparenterait à une convention de gestation pour le compte d'autrui (8). Or, les circonstances de l'espèce établissaient sans aucun doute que les adoptants et la mère de l'enfant s'étaient entendus avant la naissance, le recours à une petite annonce accentuant le caractère indigne du procédé.
Caractère précipité du consentement. A tous les niveaux de la procédure, les juges se montrent légitimement choqués par le fait que la mère, le lendemain de la naissance de l'enfant, ait pu consentir à l'adoption de celui-ci en 90 minutes. Les adoptants ont beau produire les documents contenant le consentement écrit de la mère, dans lesquels elle affirme être saine de corps et d'esprit et ne faire l'objet d'aucune contrainte ni violence, consentir librement et de son plein gré à ce que les requérants adopte son enfant et comprendre les conséquences résultant de ce consentement, il est difficile de se défaire de la sensation que l'abandon de l'enfant par sa mère est précipité. Comment pourrait-on en effet admettre qu'une décision aussi grave soit prise après deux rencontres à trois jours d'intervalle et le lendemain même de la naissance de l'enfant ? Le seul élément qui pourrait jouer en faveur d'un consentement réfléchi est le laps de temps de trois mois qui s'est écoulé entre la réponse de la mère à l'annonce des adoptants et son consentement définitif à l'adoption. Ce laps de temps a cependant eu lieu pendant la grossesse et non pas après la naissance de l'enfant. La Cour de cassation approuve la cour d'appel qui a considéré que le caractère précipité de la procédure et notamment du consentement donné par la mère était incompatible avec l'exigence d'un consentement libre et éclairé, la mère n'ayant pu évaluer les conséquences de tous les actes qu'elle avait signés en l'espace d'une heure et demi.
Absence de délai de rétractation. La rapidité avec laquelle la mère a consenti à l'adoption s'ajouter au fait, relevé par les juges, qu'elle n'a pas pu faire l'expérience de la séparation. Un consentement ne peut, en effet, être réellement libre et éclairé que dans la mesure où son auteur le donne en connaissance de cause. Tel n'est pas le cas lorsque ce dernier ne réalise pas la portée de son acte. C'est précisément le but poursuivi par le délai de deux mois accordé aux parents biologiques d'un enfant pour rétracter leur consentement à l'adoption de celui-ci par l'article 348-3, alinéa 2, du Code civil. Le fait que, en l'espèce, la mère ne pouvait pas se rétracter, d'autant que les adoptants ont quitté le territoire américain dix-huit jours après que la mère ait donné son consentement, a pesé lourd dans l'appréciation du caractère libre et éclairé de son consentement.
Contrepartie financière. Parmi les différents éléments avancés par les juges du fond pour caractériser l'absence de consentement libre et éclairé, la Cour de cassation, curieusement, ne reprend pas le fait que la mère a reçu une contrepartie financière de plus de 18 000 dollars alors même que l'article 370-3, alinéa 3, du Code civil mentionne l'absence de toute contrepartie. Peut-être a-t-elle été convaincue par l'argument du pourvoi selon lequel la mère n'avait, en réalité, reçu qu'une très faible partie de cette somme (2 392,74 dollars), le reste étant destiné à financer les frais d'avocat et de procédure.
Conséquences du refus de transcription. Si l'on ne peut qu'approuver l'analyse que les juges font des circonstances de l'espèce, et leur volonté de ne pas admettre que des adoptions réalisées dans de telles conditions produisent des effets en France, on ne peut s'empêcher de s'inquiéter des conséquences du refus de transcription pour l'enfant concerné. Ce refus ne remettra en effet pas en cause le jugement américain d'adoption : aux yeux du droit américain, la mère biologique de l'enfant a perdu tous ses droits sur l'enfant, à supposer qu'elle souhaite d'ailleurs les recouvrer. Les adoptants sont quant à eux les parents légaux de l'enfant. En France, en revanche, ils sont des étrangers pour lui... cet enfant ne peut notamment acquérir la nationalité française puisque les adoptants, français, ne sont pas censés être ses parents. Cette situation boiteuse, conséquence d'un refus au demeurant légitime de consacrer une volonté de mettre les autorités françaises devant le fait accompli, est inacceptable au regard des droits de l'enfant. On ne voit cependant quelle solution pourrait permettre de concilier les différents intérêts en présence dans ce type d'affaire, si ce n'est une collaboration plus étroite entre les Etats pour éviter que certains tolèrent ce que d'autres ne sauraient accepter...
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