La lettre juridique n°434 du 31 mars 2011 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Validité d'une clause de non-concurrence insérée dans un pacte d'actionnaires

Réf. : Cass. com., 15 mars 2011, n° 10-13.824, F-P+B (N° Lexbase : A1682HDN)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 04 Avril 2011

On sait que la licéité d'une clause de non-concurrence est subordonnée à quatre conditions : elle doit être justifiée par les intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et l'espace, tenir compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporter une contrepartie financière à la charge de l'employeur. Reprenant à son compte ces conditions, la Chambre commerciale considère, dans un important et curieux arrêt rendu le 15 mars 2011, qu'elles doivent être réunies lorsqu'un salarié est tenue d'une obligation de non-concurrence en vertu, non pas de son contrat de travail, mais d'un pacte d'actionnaires. Si la décision retient l'attention à ce titre, elle est, également, intéressante au regard de la mise en oeuvre des conditions précitées par la Chambre commerciale. Outre qu'elle paraît vouloir soumettre une clause de non-sollicitation de clientèle à l'exigence d'une limitation dans l'espace, elle laisse entendre que la contrepartie à la charge de l'employeur peut prendre la forme d'une attribution d'actions, en lieu et place d'une somme d'argent.
Résumé

Lorsqu'elle a pour effet d'entraver la liberté de se rétablir d'un salarié, actionnaire ou associé de la société qui l'emploie, la clause de non-concurrence signée par lui n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour la société de verser à ce dernier une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.

Observations

I - La source de l'obligation de non-concurrence

  • Spécificité de la source

Salarié, depuis 1995, de la société HBI, spécialisée dans l'organisation de transports internationaux à Marseille, M. X avait bénéficié, en février 2004, de la part de l'actionnaire principal de la société, de l'attribution de quarante actions de celle-ci au prix symbolique d'un euro. Il s'agissait, par cette opération avantageuse, de récompenser ses bons et loyaux services et son implication personnelle dans la société. Cette cession et ses conditions avaient été formalisées dans un pacte d'actionnaires contenant une clause de non-concurrence envers la société. Le 4 octobre 2005, M. X avait démissionné de son emploi, pour entrer au service de l'agence marseillaise de la société Coquelle Gourdin, concurrente de son ancien employeur. Soutenant que son ancien salarié démarchait systématiquement sa clientèle en proposant des conditions plus avantageuses et que plusieurs de ses clients s'étaient détournés pour s'adresser à la société Coquelle Gourdin, la société HBI avait fait assigner M. X ainsi que la société Coquelle Gourdin en réparation.

L'employeur entendait donc se prévaloir d'une clause de non-concurrence qui, une fois n'est pas coutume, ne figurait pas dans le contrat de travail du salarié mais dans un pacte d'actionnaires. Cela peut évidemment surprendre étant entendu que, comme son nom l'indique, cet acte juridique a habituellement pour objet de régler les rapports entre actionnaires (1). On est tenté de considérer qu'il en était ainsi, en l'espèce, puisque M. X était à la fois salarié et actionnaire de la société qui l'employait. Il faut néanmoins souligner que l'obligation de non-concurrence s'appliquait à lui en tant qu'il était salarié et non actionnaire. On peut d'ailleurs se demander s'il est véritablement dans le pouvoir d'un actionnaire, serait-il majoritaire, d'imposer une clause de non-concurrence dont le créancier ne peut être que l'employeur, en l'occurrence une personne morale (2).

Toujours est-il que, tenant compte de la spécificité de la source de l'obligation de non-concurrence, les juges d'appel avaient jugé que, dans la mesure où elle était insérée dans un pacte d'actionnaires, elle n'était pas subordonnée à l'existence d'une contrepartie financière. Ce n'est pas la voie qu'a empruntée la Chambre commerciale qui conclut quant à elle à l'indifférence de la source de cette obligation.

  • Indifférence de la source

Visant le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, ensemble l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9), la Cour de cassation censure la décision des juges du fond sur ce point. Ainsi qu'elle l'affirme "lorsqu'elle a pour effet d'entraver la liberté de se rétablir d'un salarié, actionnaire ou associé de la société qui l'emploie, la clause de non-concurrence signée par lui n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour la société de verser à ce dernier une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives".

Cette solution, qui conduit à subordonner la validité de clause de non-concurrence insérée dans un pacte d'actionnaires, aux mêmes conditions que lorsqu'elle figure dans un contrat de travail (3) doit être pleinement approuvée. En effet, quelle que soit sa source (4), cette obligation a pour effet de porter atteinte au principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle. Il importe donc peu que le salarié soit également actionnaire ou associé de la société qui l'emploie puisque c'est en tant que salarié qu'il est lié par l'obligation en cause.

On ne peut s'empêcher à cet égard de relever que la Chambre commerciale prend soin de viser le "salarié, actionnaire ou associé". Cela laisse entendre que cette formation de la Cour de cassation n'entend pas modifier sa jurisprudence aux termes de laquelle la clause de non-concurrence applicable à un dirigeant ou à un actionnaire cédant ses titres est valable alors même qu'elle ne comporte pas de contrepartie financière (5). Cela est contestable dans la mesure où une telle stipulation porte aussi atteinte au principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle. De même, l'application de l'article 1131 du Code civil ne paraît pas non plus pouvoir être écartée dans cette situation.

Cela étant, parce qu'il était salarié, la clause de non-concurrence de M. X ne pouvait être valable que si les quatre conditions auxquelles une telle stipulation est subordonnée étaient réunies.

II - Les conditions de validité de l'obligation de non-concurrence

  • La contrepartie financière

Pour en revenir à l'arrêt sous examen, la cour d'appel, après avoir décidé que, parce qu'elle figurait dans un pacte d'actionnaires, la clause de non-concurrence n'était pas subordonnée à l'existence d'une contrepartie financière, avait jugé qu'au demeurant, le droit d'entrée de M. X dans le capital de la société HBI avait été symbolique et constituait la contrepartie financière.

Là encore la décision des juges du fond est censurée, mais au visa cette fois de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). Selon la Chambre commerciale, "en statuant ainsi, alors que les termes du pacte d'actionnaires, relevés par l'arrêt, précisaient que l'attribution des actions à M. X était réalisée en contrepartie de ses 'bons et loyaux services', de son implication personnelle' et de 'l'activité déployée par lui, dans l'activité et le développement de la société HBI', la cour d'appel a dénaturé les termes de cette convention et violé le texte susvisé".

Sans doute peut-on ici comprendre que l'attribution des actions à un prix préférentiel trouvait sa cause dans les services rendus par le salarié à la société et ne pouvait donc être considérée comme la contrepartie l'obligation de non-concurrence. Mais, pour ce faire, la Chambre commerciale s'en tient aux stipulations du pacte d'actionnaires qui, effectivement, s'attachaient expressément à l'activité du salarié. Par voie de conséquence, la solution laisse entière la question de savoir si, en fait de contrepartie pécuniaire, il pourrait être attribué au salarié, non pas une somme d'argent, mais des actions à un prix préférentiel. La Chambre commerciale ne l'exclut pas explicitement et on ne voit pas, sous réserve de considérations très pratiques (6), ce qui l'interdirait, dès lors que l'attribution de ces actions n'est pas motivée par une autre raison (7). Dans une telle hypothèse, la clause de non-concurrence aura bel et bien une cause. Pour autant, cela peut ne pas apparaître pleinement satisfaisant. Au-delà de strictes considérations juridiques, la contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence garantit à son débiteur un certain revenu (8). Or, sauf à céder ses actions immédiatement après la rupture de son contrat de travail et se trouver ainsi propriétaire d'un capital, l'ancien salarié ne peut compter que sur d'éventuels dividendes.

  • Les autres conditions

Les juges d'appel avaient encore retenu que la clause de non-concurrence était justifiée par un motif légitime, qu'elle était proportionnée et n'apportait pas une restriction trop importante à la liberté du travail de M. X, lequel pouvait continuer à exercer dans le secteur professionnel qui était le sien, mais devait seulement ne pas démarcher la seule clientèle de la société HBI. Cette argumentation n'aura pas plus convaincu la Chambre commerciale qui considère "qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la clause était limitée géographiquement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale".

Dans la mesure où la clause de non-concurrence doit, pour être licite, être limitée dans l'espace, la solution paraît ici relever de l'évidence. Elle prend néanmoins un relief particulier si l'on a égard au fait que l'arrêt laisse ici entendre que la stipulation se bornait en fait à interdire au salarié de solliciter les clients de la société qui l'employait. Ce faisant, on était moins en présence d'une clause de non-concurrence que d'une clause dite "de clientèle" (9). Si ces clauses ont en commun de porter atteinte au libre exercice d'une activité professionnelle, ce qui justifie à notre sens qu'elles soient en principe soumises aux même exigences quant à leur validité, ces dernières paraissent devoir être adaptées s'agissant de la clause de clientèle. Il en va spécialement, sinon uniquement, ainsi de la condition de limitation dans l'espace qui n'a guère de sens dès lors que l'on se borne à exiger de l'ancien salarié qui ne sollicite pas les clients de son ancien employeur. C'est pourtant ce qu'exige curieusement la Chambre commerciale.


(1) Sur ces pactes d'actionnaires, v. notamment, M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 23ème édition, 2010, n° 722.
(2) Cette personne morale employeur ne pourrait-elle pas alors soutenir, par l'intermédiaire de son représentant, que la clause de non-concurrence ne lui est pas opposable afin, par exemple, de se dégager de l'obligation de verser la contrepartie financière ?
(3) Sur ces conditions, v. J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 25ème édition, 2010, p. 308 et s.
(4) Remarquons que le fait que la clause de non-concurrence figure dans une convention collective de travail ne l'a fait pas non plus échapper à ces conditions de validité.
(5) Elle se contente pour l'heure d'exiger une "proportionnalité" entre la clause et l'objet du contrat liant le débiteur à la société : J. Mestre et D. Velardocchio, Lamy Sociétés commerciales, 2010, § 659 et 1088.
(6) Il conviendrait notamment d'apprécier la valeur de ces actions afin de vérifier que la contrepartie n'est pas symbolique.
(7) Ce qui nous paraît exclure que cette contrepartie puisse prendre la forme d'actions gratuites qui, par définition, n'ont pas de contrepartie. En revanche, il pourrait être attribué au salarié des options de souscription ou d'achat d'actions.
(8) Ce qui explique peut-être en partie que cette contrepartie soit assimilée à un salaire et non à des dommages-intérêts.
(9) M. Castronovo, Clause de clientèle et clause de non-concurrence, RDT, 2010, p. 507.

Décision

Cass. com., 15 mars 2011, n° 10-13.824, F-P+B (N° Lexbase : A1682HDN)

Cassation, CA Aix-en-Provence, 2ème ch., 12 novembre 2009

Textes visés : principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, C. civ., art. 1131 (N° Lexbase : L1231AB9) et 1134 (N° Lexbase : L1234ABC)

Mots-clés : clause de non-concurrence, conditions de validité, pactes d'actionnaires, contrepartie financière, nature.

Liens base : (N° Lexbase : E8703ES7)

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