La lettre juridique n°434 du 31 mars 2011 : Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le regroupement des CARPA, une solution d'avenir - Questions à Raymond Bondiguel, trésorier de la CARPA Bretagne

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par Yann Le Foll, journaliste juridique

le 31 Mars 2011

Afin de mieux gérer les fonds qui leur sont confiés, d'économiser sur les coûts de fonctionnement, et de mieux former les administrateurs et le personnel, la réunion de plusieurs CARPA de la région Bretagne en une seule s'est imposée. A la fois moyen unique et obligatoire de sécuriser les paiements destinés aux clients des avocats, délégataire d'une mission de service public lorsqu'elle gère les fonds destinés à l'aide juridictionnelle et à l'accès au droit, et garante des fonds qui lui sont confiés au titre des séquestres, qu'ils soient conventionnels ou judiciaires, chaque CARPA doit se doter d'importants moyens humains et matériels, ce qui plaide en faveur de l'union de plusieurs barreaux de départements voisins. C'est aussi le point de vue de Raymond Bondiguel, ancien Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Rennes et, aujourd'hui, trésorier de la CARPA Bretagne, qui regroupe les barreaux de Rennes, Brest et Quimper, que Lexbase Hebdo - édition professions a récemment rencontré. Lexbase : Pouvez-vous nous retracer les étapes de la constitution de la CARPA Bretagne ?

Raymond Bondiguel : Sous mon bâtonnat, des situations de blocage qui perduraient depuis une vingtaine d'années ont pris fin, avec l'arrivée en 2003 d'un premier barreau, celui de Dinan, qui a rejoint la CARPA de Rennes créée en 1972. Notre regroupement était fondé sur l'idée que nous n'étions pas sur des rapports de force, mais sur des logiques d'addition, de complémentarité, puisque le barreau de Rennes s'engageait à ne pas revendiquer la présidence de cette entité, bien qu'il était à l'époque majoritaire. Lorsque le barreau de Guingamp nous a rejoint en 2004, nous avons changé nos statuts, je suis ensuite devenu trésorier, et c'est le Bâtonnier de Dinan, la plus petite entité avec, à l'époque, 17 avocats, qui en a pris la présidence. La CARPA Bretagne ne s'est véritablement constituée qu'en 2004, puisque nous a rejoint cette année là le barreau de Brest, suivi des barreaux de Quimper et d'Avranches en 2005, et du barreau de Morlaix en 2006. Aujourd'hui, avec la réforme de la carte judiciaire entrée en vigueur au 1er janvier 2011, la CARPA Bretagne ne compte plus que trois barreaux : ceux de Rennes, Brest (qui comprend, désormais, celui de Morlaix qui lui a été rattaché de plein droit) et Quimper. Toutefois, ce mouvement de regroupement à vocation à se poursuivre, puisqu'il y a matière à réfléchir sur la sécurisation des placements et des commissions de contrôle des CARPA, les sinistres qui peuvent survenir représentant des montants très importants. En outre, le rôle des CARPA est, avant tout, de rendre des services collectifs aux avocats, ce qui nécessite des structures de plus en plus étoffées.

Lexbase : Quelles sont les ressources dont vous disposez ?

Raymond Bondiguel : Nous avons à notre disposition trois "tiroirs". Tout d'abord, ce qu'on peut appeler les "maniements de fonds". En effet, la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), prévoit que les fonds manipulés par les avocats pour le compte de leurs clients, aussi bien une cession d'entreprise qu'une action en recouvrement de créances contre une commune, doivent obligatoirement transiter par les CARPA. Ensuite, nous sommes par dérogation ordonnateurs des dépenses de l'aide juridictionnelle, qui sont versées aux barreaux via les CARPA, lesquelles vont, ensuite, lors de la réception des attestations de fin de mission, payer, sur fonds publics, les avocats. Sur ce "tiroir" là, les CARPA sont donc sous contrôle de la Cour des comptes, puisque nous manipulons des fonds publics (1). Cependant, la baisse continue des taux d'intérêts qui a affecté les placements des dotations versées par l'Etat (les SICAV sont, aujourd'hui, rémunérées à 0,3 % contre 7 à 8 % auparavant et le livret A à 2 %) explique que les dépenses de fonctionnement de l'aide juridictionnelle sont, aujourd'hui, supérieures aux recettes qui proviennent de nos placements. La gestion de cette aide occupe, d'ailleurs, la moitié de nos effectifs. Enfin, la dernière ressource est constituée des séquestres : dans ce cas, les fonds peuvent être consignés à la CARPA dans l'attente de la décision judiciaire, ou du dénouement de l'accord conclu entre les parties.

L'addition de ces trois ressources constitue en 2010, pour la CARPA Bretagne, un montant moyen de dépôt de 43 millions d'euros par mois. A la CARPA Bretagne, nous conservons les fonds pendant seize jours. Le total de ces placements doit générer un produit suffisant pour nous permettre de couvrir nos charges et de rendre un service effectif à nos confrères. L'année 2010 a été relativement exceptionnelle puisque nous avons dégagé un bénéfice de 263 000 euros, ce qui est considérable.

Pour l'utilisation de ce bénéfice, nous sommes contraints par l'article 235-1 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), qui prévoit que les produits financiers dégagés doivent servir exclusivement au "financement des services d'intérêt collectif de la profession [...]". Ces services peuvent comprendre la formation, la prévoyance, ou encore la documentation. Lors du regroupement des différents barreaux, nous avons fixé une ligne simple pour la répartition des bénéfices : celle-ci s'effectuera, non pas en proportion des avocats de chaque barreau, mais en fonction de ce que chaque barreau apporte au titre des maniements de fonds. Puisque le barreau de Rennes apporte 55 % du montant total des sommes constituées par ces maniements, il a donc droit à 55 % des bénéfices. Ainsi, au titre de l'année 2010, le barreau de Brest-Morlaix, fort de 200 avocats, va recevoir 53 000 euros, et le barreau de Rennes, qui compte environ 550 avocats, 146 000 euros. Le barreau de Quimper recevra donc 64 000 euros. Il y a une possibilité pour qu'au deuxième semestre 2011 les taux de rémunération de l'argent remontent, ce qui entraînera une amélioration de la situation des CARPA. Si ce n'est pas le cas, nous devrons redoubler de vigilance pour que les placements opérés couvrent au moins nos charges. A titre d'exemple, nous avons réalisé récemment un placement auprès de sociétés d'assurance pour un montant de 20 millions d'euros. Or, une simple variation de 1 % sur ce montant représente une somme de 200 000 euros, ce qui est considérable. Cette tension sur les taux rend donc le métier de trésorier de CARPA extrêmement difficile.

Lexbase : L'avenir des CARPA réside-t-il, selon vous, dans des regroupements accrus ?

Raymond Bondiguel : A mon avis, l'addition des risques de taux bas qui se maintiennent à l'avenir et de poursuite probable de la crise financière, ainsi que la nécessité de continuer à fournir des services de qualité à nos confrères, de renforcer les contrôles internes en liaison avec les réglementations anti-blanchiment, et de sécuriser les maniements de fonds pour protéger nos clients, nécessitent la présence au sein de chaque CARPA de plusieurs administrateurs qui se spécialisent sur des pôles précis et leur donnent beaucoup de temps. En d'autres termes, s'il y a une petite dizaine d'années un président de CARPA pouvait tout régenter, c'est aujourd'hui impossible. Au sein de la CARPA Bretagne, une salariée est mobilisée sur le secteur des saisies des clients débiteurs. Elle est accompagnée par un administrateur en charge des saisies. Je m'occupe des placements, épaulé par le président, le Bâtonnier Didier Lajous. Nous disposons d'un conseiller financier extérieur. Toutes ces personnes sont bénévoles et consacrent beaucoup de temps chaque semaine à la CARPA, et doivent suivre des formations continues pour remplir leurs missions. A ces équipes s'ajoute une commission de contrôle interne composée de cinq avocats honoraires.

Lexbase : Que pensez-vous des réticences qui ont pu s'exprimer au sein de la profession concernant ce mouvement de rapprochement des CARPA ?

Raymond Bondiguel : La réforme territoriale de la carte judiciaire a, effectivement, pu faire naître certaines craintes quant à la légitimité de ces rapprochements (2), mais celles-ci ne sont, à mon sens, pas justifiées. En effet, quelle est la liberté d'un barreau dont la CARPA n'équilibre pas ses comptes ? Les CARPA, en charge d'une mission légale, ne peuvent pas se retrouver en situation de dépôt de bilan, ce qui implique, quand les produits tirés des placements ne sont plus suffisants, que ce sont les avocats qui doivent résorber le déficit par le biais de cotisations en se répartissant la charge née de ce déficit. C'est alors le monde à l'envers, puisque l'outil qui a été créé pour aider la profession à assurer ses besoins collectifs devient un outil qui l'affaiblit en facturant des cotisations. Aujourd'hui, c'est ce qui arrive au sein de certaines CARPA non regroupées. De notre côté, non seulement nous sommes bénéficiaires, mais nous disposons, au 31 décembre 2010, de 2 173 900 euros de fonds propres. Nous pouvons donc traverser quelques années "blanches" sans aucun problème.

En outre, la CARPA Bretagne prend à sa charge tout ce qui concerne la prévoyance, ce qui a représenté une somme totale de 159 000 euros, la retraite pour une somme de 122 000 euros, et la formation délivrée par le CNB pour un montant de 167 000 euros. Le bénéfice dégagé par notre CARPA s'entend donc déduction faite de toutes ces sommes qui représentent au total 500 000 euros. Un barreau qui nous rejoint voit, ainsi, tous ces postes pris en charge par la CARPA regroupée, ce qui allège les charges des confrères. En outre, chaque barreau regroupé se voit, également, mettre à disposition une quote-part des bénéfices et profite de la suppression de multiples dépenses (expert comptable, commissaire aux comptes, secrétariat). J'ajoute que l'affectation des bénéfices au sein de chaque barreau est totalement libre, du moment que cela reste dans le cadre de la loi : il peut donc les utiliser ou, au contraire, se constituer une épargne. Il n'y a donc finalement aucune perte ni de liberté, ni d'autonomie, ni de considération, ni d'identité du barreau. Enfin, chaque Bâtonnier est de plein droit administrateur de la CARPA Bretagne et peut déléguer ses pouvoirs à la personne qu'il souhaite. Si un barreau estime que la délibération prise par le conseil d'administration de la CARPA est contraire à ses intérêts, un conseil de surveillance composé exclusivement des Bâtonniers en exercice pourra se réunir pour décider d'une deuxième lecture, laquelle s'imposera au conseil d'administration.

En conclusion, je pense que l'addition de la raison et des économies à réaliser devrait conduire les barreaux à se regrouper. La principale crainte liée à la perte d'autonomie n'est, à mon sens, pas justifiée, puisque le regroupement permet de redonner du pouvoir et de la marge de manoeuvre en matière financière. Je serais curieux de voir si les CARPA regroupant moins d'une centaine d'avocats ont la possibilité de régler toutes les cotisations que j'ai évoquées ci-dessus, de dégager un bénéfice et de le mettre à disposition du Bâtonnier, de mettre à disposition des confrères une base juridique gratuite, et de s'offrir les services d'un conseil financier extérieur, comme le fait la CARPA Bretagne. Il faut à l'avenir que les Bâtonniers soient porteurs de l'idée selon laquelle les avocats de leur barreau ont légitimement droit à la clause de l'avocat le plus favorisé en matière de maniement de fonds, ce qui peut les conduire à opter pour un regroupement, c'est-à-dire à faire le choix de la rationalité.


(1) Lire Aide juridictionnelle : comment rentabiliser la gestion des dotations ? - Questions à Philippe Duprat, ancien Bâtonnier du barreau de Bordeaux, membre du bureau de la Conférence des Bâtonniers, Lexbase Hebdo n° 41 du 29 juillet 2010 - édition professions (N° Lexbase : N6986BPG).
(2) Lire Plaidoyer pour un regroupement des CARPA - Questions à Pascal Eydoux, Président de la Conférence des Bâtonniers, Lexbase Hebdo n° 7 du 12 novembre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N3726BMX).

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