La lettre juridique n°434 du 31 mars 2011 : Procédures fiscales

[Jurisprudence] L'absence de valeur probante de la liste des trois mille évadés fiscaux volée à une banque suisse

Réf. : CA Paris, 8ème ch., 8 février 2011, n° 10/14508 (N° Lexbase : A5043G9N)

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N7689BR9

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 17 Novembre 2011

L'administration fiscale s'était fondée sur une liste volée, mentionnant le nom de trois mille français détenant un compte au sein d'une banque privée suisse, basée à Genève, pour demander une ordonnance l'autorisant à procéder à l'application de l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L0549IHS) dans les locaux d'un contribuable. Cet article prévoit que l'administration fiscale peut procéder à des visites et des saisies en cas de présomptions qu'un contribuable se soustrait à l'établissement ou au paiement des impôts sur le revenu notamment, en omettant sciemment de déclarer un revenu ou un patrimoine. Un agent de l'administration fiscale, ayant au moins le grade d'inspecteur, et habilité à cet effet par le Directeur général des finances publiques, va donc, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, rechercher la preuve des agissements en cause, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, dans lesquels il pourrait découvrir les pièces et documents s'y rapportant. Il peut procéder à la saisie de ces pièces, quel que soit leur support. L'ordonnance a été demandée à la suite de la découverte de l'existence d'un compte, détenu par une société, dont le contribuable était l'unique associé, basée aux Seychelles, où l'administration craint qu'elle n'a pas d'activité réelle et dissimule en réalité l'activité de conseil, représentant et mandataire financier, pour le compte de tiers, en relation avec un établissement financier de droit étranger, exercée par le contribuable, sans souscrire les déclarations fiscales y afférentes et sans passer les écritures comptables correspondantes, le tout sciemment. Autrement dit, le contribuable est soupçonné de fraude fiscale. Ces allégations sont fondées sur une liste mentionnant la détention d'un compte en Suisse, par ce contribuable, qui ne l'a pas déclaré en France. Le contribuable a formé appel de l'ordonnance devant le premier président de la cour d'appel de Paris, comme le lui permet l'article L. 16 B. En l'espèce, les agents fiscaux ont perquisitionné le domicile du contribuable dont le nom apparaissait sur la liste dérobée, l'appel n'étant pas suspensif. Or, le juge d'appel a, le 8 février 2011, rendu une ordonnance d'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, au motif que la liste ayant servi de fondement à son émission n'avait pas de valeur probante, du fait qu'elle avait été obtenue par des moyens illicites.
Afin de comprendre l'aspect médiatique de cette affaire, qui lui donne toute son importance aujourd'hui, il faut appréhender le contexte dans lequel elle intervient (I), avant de revenir sur l'ordonnance en elle-même (II) et sur l'importance du critère de licéité des fondements sur lesquels elle est prise (III). I - L'aspect médiatique de l'affaire de la liste dite "des 3 000", dans un contexte de lutte véhémente contre la fraude fiscale

Eté 2008, aux Etats-Unis. Un ancien gérant, qui a travaillé au sein de la première banque de la Confédération helvétique, a livré à l'Internal Revenue Service, l'équivalent de la Direction générale des Finances publiques en France, les pratiques d'évasion fiscales mises en place par la banque depuis 2001 pour permettre aux riches contribuables américains d'échapper à l'impôt sur une partie de leurs revenus et de leur patrimoine. La source, qui avait négocié son immunité, a pourtant été condamnée à trois ans de prison, pour avoir elle-même participé à ces actions. Afin de clore ce triste chapitre de son histoire, Berne a, le 26 août 2009, après avoir, le 19 août 2009, signé un contrat avec Washington, livré aux autorités fédérales quelques 4 450 noms de clients américains soupçonnés d'évasion fiscale.

Cette affaire, qui a eu un retentissement formidable dans le monde, a été suivie de très près par le pouvoir en France. La chasse aux fraudeurs s'est ouverte. Profitant de la fragilisation du secret bancaire, la France a conclu, le 27 août 2009, un avenant à la Convention fiscale franco-suisse datant du 19 septembre 1966 (N° Lexbase : L6752BHK), qui a pris effet le 1er janvier 2010. Cet avenant prévoit l'insertion d'une clause d'échange de renseignements précisant que l'administration suisse ne peut refuser de communiquer des renseignements au motif que ceux-ci sont protégés par le secret bancaire national. Cette signature intervient après la dernière modification de l'article 26 de la Convention modèle OCDE, en juillet 2005, qui a intégré les paragraphes 4 et 5 dont l'objet est la levée du secret bancaire, et sur lequel la Suisse, mais aussi l'Autriche, la Belgique et le Luxembourg avaient émis des réserves. Auparavant, les îles britanniques Jersey et Guernesey avaient, in extremis, négocié deux conventions du même type avec la France, pour échapper à la nouvelle liste des juridictions non coopératives publiée par l'OCDE lors du sommet du "G 20" du 2 avril 2009.

Outre la signature de ces avenants, la France s'est dotée de ses propres listes recensant les paradis fiscaux. L'article 22 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, de finances rectificative pour 2009 (N° Lexbase : L1817IGE) a créé l'article 238-0-A du CGI (N° Lexbase : L3333IGK). Cet article dispose que "sont considérés comme non coopératifs, à la date du 1er janvier 2010, les Etats et territoires non membres de la Communauté européenne dont la situation au regard de la transparence et de l'échange d'informations en matière fiscale a fait l'objet d'un examen par l'Organisation de coopération et de développement économiques et qui, à cette date, n'ont pas conclu avec la France une Convention d'assistance administrative permettant l'échange de tout renseignement nécessaire à l'application de la législation fiscale des parties, ni signé avec au moins douze Etats ou territoires une telle convention". La liste de ces Etats doit être mise à jour tous les 1er janvier, à compter de 2011.

Enfin, la France s'est adressée aux contribuables personnes physiques. A l'instar des Etats-Unis, et dans le refus des amnisties proposées notamment en Belgique et en Italie, où elle était, d'ailleurs, subordonnée au rapatriement des sommes non déclarées placées à l'étranger, le Gouvernement français a installé, le 20 avril 2009, place Saint-Sulpice, à Paris, une cellule de régularisation de la situation des contribuables résidents français détenant des avoirs non déclarés dans les paradis fiscaux. Les volontaires, peu nombreux, ont bénéficié de la non-application des dispositions pénales fiscales : cinq ans d'emprisonnement et 37 500 euros d'amende (CGI, article 1741 N° Lexbase : L1670IPK). Le bilan décevant de cette cellule a amené le Gouvernement à utiliser des moyens plus controversés contre les fraudeurs. Sans aller jusqu'aux extrémités observées en Irlande, où le pouvoir avait menacé de révéler dans la presse le nom des évadés fiscaux qui n'allaient pas se dénoncer par eux-mêmes à l'administration, Eric Woerth, alors ministre du Budget, a déclaré, le dimanche 30 août 2009, détenir une liste de trois mille noms de fraudeurs. Selon ses dires, cette liste ne serait que le commencement d'une opération visant à démasquer les coupables d'évasion fiscale illicite, notamment ceux qui expatrient leur argent sur des comptes situés dans des paradis fiscaux, sans les déclarer en France. Très vite, l'origine de cette liste a intrigué. Finalement, la vérité a révélé la provenance illicite de la liste, issue du piratage informatique de la base de données de la banque privée sise à Genève, par un salarié indélicat, qui avait remis cette liste au pouvoir français en échange d'un refuge en France. Après avoir rassemblé des documents, preuves et présomptions, une enquête a été ouverte contre chacun des noms cités, pour fraude fiscale, et les agents fiscaux ont demandé au juge des libertés et de la détention de leur délivrer des ordonnances afin qu'ils puissent effectuer des visites et des saisies chez les contribuables épinglés. Cette affaire, très médiatisée, vient de subir un coup d'arrêt après l'intervention du premier président de la cour d'appel de Paris.

II - Le régime de l'ordonnance permettant d'appliquer l'article L. 16 B du LPF, alliant efficacité des services fiscaux et protection du contribuable et de ses biens

L'ordonnance délivrée par le juge des libertés et de la détention, qui permet de mettre en application l'article L. 16 B du LPF, a été mise en place afin de protéger le contribuable face aux pouvoirs de l'administration. En effet, cette ordonnance, qui encadre les pouvoirs des agents fiscaux lors de la visite et de la saisie, indique au contribuable qu'il peut faire appel au conseil de son choix et former appel contre cette ordonnance. Les agents fiscaux, même s'ils effectuent des actes de perquisition, ne sont pas des agents de police. C'est ce que nous rappelle l'ordonnance d'annulation, la procédure de l'article L. 16 B étant une simple mesure d'instruction civile (A), qui est, depuis le 6 août 2008 (loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie, art. 164 N° Lexbase : L7358IAR) susceptible d'appel devant le premier président de la cour d'appel (B).

A - Une simple mesure d'instruction civile

L'administration fiscale a tenté de "blanchir" les pièces issues de la liste volée en arguant du fait que les informations en question ont été communiquées par le Parquet, en application de l'article L. 101 du LPF (N° Lexbase : L7897AE9). Cet article dispose que l'autorité judiciaire communique à l'administration fiscale toute indication dont elle a eu connaissance et qui est de nature à faire présumer l'existence d'une fraude fiscale ou d'une manoeuvre ayant eu, pour objet ou résultat, une fraude fiscale. En l'espèce, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nice a fait transmettre à l'administration, le 9 juillet 2009, les données informatiques volées par l'ancien salarié de la banque suisse. Le Parquet fait partie de l'autorité judiciaire pouvant procéder à une telle communication (Cons. const., décision 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4551E7P ; CE 8° et 9° s-s-r., 10 décembre 1999, n° 181977, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5079AXE). Toutefois, cela n'ôte pas à la liste communiquée son origine illicite. L'origine est toujours la même, et la transmission par le Parquet ne devient pas elle-même l'origine de la liste. Elle ne provient pas du Parquet, mais bien de la banque en cause. Le Conseil d'Etat avait déjà décidé, dans un arrêt de 1998, que, lorsque l'autorité judiciaire communique à l'administration fiscale des informations en violation du secret médical, les redressements qui découlent de l'utilisation de ces informations sont irréguliers (CE 9° et 8° s-s-r., 17 juin 1998, n° 156532, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7152ASP). La violation du secret médical, autorisée à la police judiciaire, est interdite à l'administration fiscale. A fortiori, le vol d'une liste de contribuables soupçonnés fortement de fraude fiscale, peut être exploitée par le Parquet mais pas par les agents des impôts. Ce qui pourrait passer pour une incohérence est en réalité une barrière nécessaire à toutes sortes de débordements.

Le juge d'appel fait aussi application d'une autre jurisprudence, selon laquelle la procédure de l'article L. 16 B du LPF est une simple mesure d'instruction de nature civile. Il ne s'agit ni d'une opération de police judiciaire, ni d'une enquête préliminaire (Cass. mixte, 15 décembre 1988, n° 87-11.944, publié au Bulletin N° Lexbase : A9794AAY). Voilà pourquoi les pièces qui fondent la demande d'ordonnance ne peuvent avoir qu'une origine licite.

Quoiqu'il en soit, l'administration ne peut user du filtre, par ailleurs inopérant, de l'article L. 101 du LPF, car elle a eu accès à la fameuse liste avant que le Parquet ne la lui transfère, ceci étant prouvé par le contribuable qui produit le rapport d'enquête n° 2010-M-062-01 dans lequel il est fait état d'une transmission antérieure à celle du Parquet de la liste à l'administration. Celle-ci n'a pas les pouvoirs de police judiciaire qui lui permettraient d'user de documents obtenus en violation de la loi, elle est donc contrainte de s'y conformer, et de ne pas violer le Code pénal notamment.

B - Une mesure susceptible d'appel

L'ordonnance autorisant le recours à l'article L. 16 B était, avant le 6 août 2008, insusceptible d'appel. Le contribuable, subissant une visite des agents de l'impôt, ne pouvait qu'agir devant le juge de cassation (N° Lexbase : L8235DNC). La Cour européenne des droits de l'Homme a condamné la limitation des recours contre l'ordonnance, au motif que cela violait l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), prévoyant le droit à un procès équitable à tous les résidents des Etats signataires. En effet, le juge européen a constaté que, le juge de cassation n'étant que le juge du droit, et non le juge des faits, le contrôle juridictionnel n'était pas effectif, car limité (CEDH, 21 février 2008, Req. 18497/03 N° Lexbase : A9979D4D). Et notamment, le juge de cassation n'examinait pas les éléments de fait fondateurs de l'ordonnance, ce qui est le cas de la fameuse liste ! Il examinait la mention de l'origine des pièces, et leur licéité, mais n'opérait pas un contrôle aussi poussé que le juge du fond qui peut recueillir du contribuable visité la preuve selon laquelle la pièce a été obtenue en violation de la loi. Ainsi, sans l'office du juge européen, la liste volée n'aurait pas été sanctionnée par le juge de cassation : "selon la Cour, cela implique en matière de visite domiciliaire que les personnes concernées puissent obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ainsi que, le cas échéant, des mesures prises sur son fondement ; le ou les recours disponibles doivent permettre, en cas de constat d'irrégularité, soit de prévenir la survenance de l'opération, soit, dans l'hypothèse où une opération jugée irrégulière a déjà eu lieu, de fournir à l'intéressé un redressement approprié [...] elle considère qu'à elle seule, la possibilité de se pourvoir en cassation -dont les requérants ont d'ailleurs usé- ne répond pas aux exigences de l'article 6 § 1 dès lors qu'un tel recours devant la Cour de cassation, juge du droit, ne permet pas un examen des éléments de fait fondant les autorisations litigieuses". Et en effet, la Cour de cassation aurait vérifié la légalité de la transmission par le Parquet d'une pièce, mais pas sa provenance première.

A l'issue de l'arrêt rendu par la CEDH, la "LME" du 4 août 2008 a modifié l'article L. 16 B, et a notamment prévu une voie d'appel contre l'ordonnance délivrée par le juge des libertés et de la détention. L'appel se forme devant le premier président de la cour d'appel territorialement compétente, en l'espèce celui de la cour d'appel de Paris. Cet appel n'est pas suspensif, comme c'était le cas du pourvoi en cassation (ce point n'a pas été modifié par la "LME"). Seul l'occupant des locaux visités et l'auteur présumé des agissements dont la preuve est recherchée par la mise en oeuvre de la procédure de visite et de saisie peuvent former cet appel. Son but est de contrôler la légitimité de l'atteinte au domicile subie. Ce terme de légitimité renvoie aux fondements, aux motifs de la visite. La liste des trois mille évadés fiscaux a fondé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, elle est donc au coeur de cette nouvelle procédure d'appel. L'appel doit être formé dans le délai de quinze jours à compter de la réception de l'ordonnance, par déclaration remise ou adressée, par pli recommandé ou, à compter du 1er janvier 2009, par voie électronique, au greffe de la cour. Le contribuable n'a pas besoin d'avoir recours à un avoué. La date de l'audience est fixée par le premier président de la cour d'appel saisie. En l'espèce, l'ordonnance a été délivrée par le juge des libertés et de la détention le 15 juin 2010, et a été complétée par une ordonnance du 17 juin 2010, concernant l'ouverture d'un coffre. Leurs annulations interviennent près de huit mois après la visite. Le premier président de la cour d'appel a instruit l'affaire, entendu les parties (C. pr. civ., art. 940 N° Lexbase : L3245ADK). Quelles étaient les options offertes au juge d'appel ? Celui-ci peut, soit déclarer l'appel irrecevable comme irrégulier ou tardif, soit confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention attaquée, si l'appel n'est pas fondé, soit la réformer (modifier la décision du juge des libertés et de la détention, tout en retenant la même solution, changer la motivation ou rectifier les erreurs matérielles affectant l'ordonnance) ou l'annuler, en tout ou partie, dans la mesure où l'appel lui paraît fondé (C. pr. civ., art. 542 N° Lexbase : L1789ADM). En l'espèce, le juge d'appel a annulé l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris. La procédure de visite et de saisie est donc irrégulière. Le motif est le suivant : l'ordonnance est fondée sur la liste dite "des 3 000", cette liste ayant été dérobée à une banque suisse par un ancien salarié. Ce vol, sanctionné par le Code pénal (C pén., art. 311-1 N° Lexbase : L7586ALK et suivants), n'a pas sa place dans une procédure de perquisition fiscale. Les pouvoirs accordés à l'administration sont suffisamment importants pour nécessiter une protection du contribuable face à des pratiques qui lui auraient values, s'il les avait mises en oeuvre lui-même, une condamnation pénale. Le juge d'appel a, ainsi, sanctionné le juge des libertés et de la détention qui, sans doute emporté par l'"aura" de cette affaire, et par les sommes et les pratiques en jeu, en a oublié les principes de cette procédure de l'article L. 16 B, pourtant bien connus et établis.

III - L'exigence de la licéité des pièces fondant l'ordonnance, gardienne de la mission de l'administration fiscale

L'appel de l'ordonnance autorisant l'application de l'article L. 16 B du LPF permet au premier président de la cour d'appel d'en contrôler la régularité de forme et de fond. Notamment, le juge d'appel peut se pencher sur l'origine de l'ordonnance, et contrôler les preuves et présomptions produites par l'administration fiscale. Sans véritable surprise, car suivant une jurisprudence bien établie (A), le juge d'appel a annulé l'ordonnance se fondant principalement sur les pièces issue d'un délit (B), entravant l'action des agents fiscaux mais protégeant surtout l'administration contre elle-même (C).

A - Une jurisprudence bien établie

La décision du premier président de la cour d'appel de Paris d'annuler l'ordonnance autorisant l'application de l'article L. 16 B du LPF, n'a pas étonné outre mesure. En effet, la jurisprudence, selon laquelle les pièces fondant une telle ordonnance doivent être licites, est bien établie. L'un des premiers arrêts en la matière est un arrêt rendu le 4 février 1997 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui avait été saisie pour annuler neufs ordonnances autorisant des visites et saisies dans des parfumeries dont l'unique gérante contestait la régularité. Sur les neufs arrêts, un seul décide d'annuler l'ordonnance, au motif que "il résulte à l'évidence des mentions de l'ordonnance que les documents litigieux avaient été détournés par les anciens salariés [...] et que leur transmission par le procureur de la République au titre de l'article L. 101 du LPF ne pouvait rendre licite leur détention et leur production par les agents de l'administration fiscale à l'appui de leur demande de visite et saisie domiciliaires" (Cass. com., 4 février 1997, n° 95-30.008, inédit N° Lexbase : A2320CMU). Cet attendu aurait pu être repris tel quel dans l'arrêt commenté. En 1991 déjà, dans un arrêt publié au Bulletin, la Cour de cassation avait, dans une formule lapidaire, énoncé que "le juge [...] ne peut se référer qu'aux documents produits par l'administration demanderesse détenus par celle-ci de manière apparemment licite" (Cass. com., 27 novembre 1991, n° 90-10.607, 90-10.608 et 90-11.980, publié N° Lexbase : A7019C8H). En 1999, deux autres arrêts ont décidé que les pièces communiquées par l'administration au juge, afin qu'il vérifie le bien-fondé de la demande d'autorisation de visite et de saisie, doivent avoir une origine licite et être détenues de manière licite. Le premier retient que "certaines des pièces produites par l'administration fiscale à l'appui de sa requête, obtenues par elle dans l'exercice de son droit de communication auprès de France Télécom, étaient détenues de manière apparemment licite, le président du Tribunal a satisfait aux exigences de l'article L. 16 B du LPF" (Cass. com., 12 janvier 1999, n° 97-30.140, inédit N° Lexbase : A8230AHB). Le second déclare, dans ce qui est devenu un attendu de rappel, que "le juge statuant en vertu de l'article L. 16 B du LPF, ne peut se référer qu'aux éléments de preuve produits par l'administration demanderesse détenus par celle-ci de manière apparemment licite" (Cass. com., 4 mai 1999, n° 97-30.125, inédit N° Lexbase : A0319AUD). Le juge a même pu préciser sa jurisprudence, retenant que la charge de la preuve du caractère illicite de la détention par l'administration de documents ayant permis de motiver une autorisation de visite et de saisie pèse sur le contribuable visité, l'administration jouissant donc d'une présomption de licéité, dans la mesure où le juge doit mentionner, dans l'ordonnance autorisant la visite, l'origine des pièces sur lesquelles il s'est fondé (LPF, art. L. 16 B). Comme pour marquer le coup, la Cour de cassation a, dans un arrêt récent, rendu en Assemblée plénière, au visa des articles 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3201ADW), 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) et du principe de loyauté dans l'administration de la preuve, répéter que la production d'une preuve obtenue selon un procédé déloyal rend cette preuve irrecevable (Ass. plén., 7 janvier 2011, n° 09-14.316 P+B+R+I N° Lexbase : A7431GNK). Le principe s'applique à toutes les procédures, à l'exception de la matière pénale. Le juge de cassation a donc, maintes fois, affirmé son attachement à la loyauté de la preuve. Or, une preuve obtenue par vol n'est-elle pas dépourvue de toute loyauté ? Le juge, et l'opinion, certainement, répondent que violer le Code pénal n'est pas vraiment une façon faire preuve de loyauté.

Le juge de cassation a eu l'occasion, dans un arrêt du 7 avril 2010, de donner au juge d'appel tous les pouvoirs propres à contrôler l'origine licite des preuves apportées par l'administration. Le juge d'appel statue, en effet, en fait et en droit, il est donc compétent pour contrôler l'origine des preuves fondant une ordonnance autorisant une visite domiciliaire (Cass. com. 7 avril 2010, n° 09-15.122, FS-P+B+R N° Lexbase : A5903EU8). L'administration a, pourtant, fait la sourde oreille dans cette affaire. Elle n'est pas restée impunie.

B - Une jurisprudence confirmée

Le 8 février 2011, par une décision du juge d'appel, premier président de la cour d'appel de Paris, annulant une ordonnance du juge des libertés et de la détention de Paris, autorisant l'application de l'article L. 16 B du LPF, sur le fondement d'une liste volée à la banque suisse par un de ses anciens salariés, cette jurisprudence a été appliquée une nouvelle fois. L'administration s'était pourtant fondée sur quantité de preuves et présomptions pour fonder cette demande d'ordonnance. Dix-huit pièces ont été produites. Deux vont attirer l'attention, puis les foudres du premier président de la cour d'appel de Paris. Il s'agit de deux pièces présentées en annexe A et B. Ces pièces sont, en réalité, des retraitements de la liste volée à la banque par l'un de ses anciens salariés. Celui-ci fourni à l'administration un document interne, en anglais, et un document issu des données informatiques volées. Comme vu précédemment, le fait que ces pièces aient été fournies à l'administration par le Parquet ne leur ôte pas leur origine illicite. En outre, l'administration n'a pas attendu la transmission de ces pièces par le Parquet. Cette transmission a été opérée les 9 juillet 1999, 2 septembre 2009 et 12 janvier 2010. Or, le rapport d'enquête n° 2010-M-062-01, établi par l'Inspection générale des finances, sur demande du ministère du Budget, a été rendu public le 11 juillet 2010, et mentionne la transmission par la DNEF à l'administration fiscale de la liste dite "des 3 000" au 28 mai 2009. L'argument précédent, inopérant, est donc, au surplus, inutile. Le contribuable apporte bien la preuve de l'origine illicite de cette liste, qui ne faisait aucun doute, au vu des nombreuses déclarations du ministre du Budget lui-même et de l'auteur des vols. Rappelant l'arrêt du 7 avril 2010, selon lequel le juge de cassation reconnaît les pouvoirs du juge d'appel en matière de contrôle de la licéité des preuves produites par l'administration fiscale, le premier président de la cour d'appel de Paris relève que la liste dite "des 3 000", mentionnée à de nombreuses reprises dans l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, est la pièce principale et unique qui permettait de la fonder, les autres pièces étant insuffisantes à permettre l'autorisation d'une visite domiciliaire. Dès lors, cette liste n'ayant pas de valeur probante, l'ordonnance n'est pas suffisamment fondée, la présomption de fraude fiscale étant insuffisante, elle est donc annulée. Cette ordonnance d'annulation sonne comme un couperet sur les procédures engagées par l'administration à la suite de la divulgation de la fameuse liste.

C - Une jurisprudence à pérenniser

L'administration a formé un pourvoi en cassation. Au vu de ce qui précède, il est évident que les agents fiscaux n'entrevoient, ni n'espèrent, aucun revirement de jurisprudence. Pourquoi former un pourvoi en cassation ? Pour gagner du temps. Pour que l'administration puisse prévoir les conséquences de l'annulation de l'ordonnance. En effet, en annulant l'ordonnance, le juge d'appel a invalidé la visite et la saisie fondées sur elle. L'administration doit revoir sa copie et trouver d'autres preuves et présomptions lui permettant de fonder une nouvelle demande d'ordonnance.

Quels sont les avantages et les inconvénients de cette décision pour les contribuables ? Pour le contribuable ordinaire, celui qui n'a pas de compte secret en Suisse et même pas, en France, de gestionnaire de compte en banque privée, il n'y a aucun changement. En revanche, il y en a pour les contribuables de la liste dite "des 3 000". Les redressements vont pouvoir être attaqués, puisque l'ordonnance permettant une visite et des saisies de pièces fondant le redressement est invalide, lorsqu'elle s'appuie surtout sur la fameuse liste. Pour autant, cette ordonnance admet-elle la victoire du contribuable sur l'administration ? Non, pas totalement. Les contribuables gagnent du temps. Le délai de prescription court, les transferts d'argent aussi. Voire de domicile. Les Etats qui n'ont pas conclu une convention d'assistance administrative en matière fiscale, conforme au dernier modèle OCDE, avec la France, sont encore nombreux. L'administration fiscale ne laissera pas s'évanouir dans la nature ces sommes, et lorsqu'elle aurait fait siens les moyens de fonder une procédure de vérification et un redressement, elle appliquera dans toute leur splendeur les dispositifs mis à sa disposition. En effet, le CGI impose aux contribuables français de déclarer les sommes déposées sur des comptes à l'étranger et prévoit un arsenal de sanctions, applicables pendant un délai de reprise étendu à dix ans (LPF, art. L. 169 N° Lexbase : L0499IP8). La non-déclaration du transfert de capitaux donne lieu à l'application de la pénalité de 40 % des capitaux transférés en cas de manquement délibéré ou de 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses (CGI, art. 1728 b et c N° Lexbase : L1715HNT), des pénalités de retard de 0,40 % par mois (CGI, art. 1727 N° Lexbase : L1536IPL) et d'une amende de 10 000 euros par compte non déclaré (CGI, art. 1736 IV N° Lexbase : L0838IPQ). Le transfert de capitaux est en outre imposé à la CSG et à la CRDS (LPF, art. L. 69 N° Lexbase : L8559AEQ) et qualifié de revenu réputé distribué qui s'ajoute donc à l'assiette de l'impôt sur le revenu (CGI, art. 1649 alinéa 3 N° Lexbase : L1744HMK). Ces lourdes sanctions planent toujours sur la tête des contribuables fraudeurs, même en l'absence de visite et de saisie. En effet, l'assistance administrative internationale n'est pas exclue. La Suisse ne peut plus opposer à la France son légendaire secret bancaire, et même si ces procédures sont longues, elles sont suspensives de la prescription, et ne sont donc qu'un retard sans réelle importance pour les agents des impôts. Cette décision doit donc être mitigée pour les contribuables, qui n'ont pas sauvé ainsi leur argent. Les conséquences de cette décision sont plus importantes pour l'administration fiscale, qui est rappelée à l'ordre par le premier président de la cour d'appel de Paris. Le vol ne fait pas partie des pouvoirs, déjà importants, que lui octroie la loi fiscale.

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