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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 24 Mars 2011
Emmanuelle Boussard-Verrecchia : Il s'agit de 17 mineurs de fond des Houillères licenciés avec 3 000 autres salariés pour avoir été identifiés comme les meneurs des grèves massives de 1948 et 1952, provoquées par la remise en cause du statut des mineurs de 1946. L'un d'entre eux, Georges Carbonnier, a, au cours des années 1980, interpellé autorités et élus sur ce qu'il avait vécu comme une injustice et dont les conséquences avaient été dramatiques pour ces mineurs et leurs familles. Il a rassemblé plusieurs anciens mineurs ou leurs familles. Ensemble, accompagnés du Bâtonnier Tiennot Grumbach, ils saisissent la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) en 2005. Une délibération du 22 mai 2006 ouvrait la possibilité d'une médiation, qui est engagé mais qui échoue. Les salariés concernés ou leurs ayants-droit ont alors saisi le conseil des prud'hommes pour faire juger que leurs licenciements étaient discriminatoires.
Lexbase : Pourquoi ces faits (participation à une grève) n'étaient-ils pas prescrits ?
Emmanuelle Boussard-Verrecchia : L'ancienneté des faits ne pouvait qu'entraîner une réflexion sur la prescription. Lors de la saisine du conseil des prud'hommes en 2007, la prescription était de 30 ans (3). Cependant, c'est à partir de la révélation de la discrimination que le point de départ de la prescription s'apprécie. En l'espèce, le collectif des quatre avocats du SAF (Syndicats des avocats de France) défendant les mineurs a donc soutenu que la révélation du caractère discriminatoire était intervenue à la suite des lois du 2 janvier 1984 (loi n° 84-2 du 2 janvier 1984 N° Lexbase : L7867IP3), confortée par la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L7868IP4) et la loi n° 2004-1486 30 décembre 2004 (N° Lexbase : L5199GU4) rétablissant "les mineurs licenciés pour faits de grève" dans certains droits sociaux. Appréciant les faits, la cour d'appel a retenu cette argumentation, se situant ainsi dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation, renforcée récemment par la loi du 15 juin 2008 portant réforme de la procédure civile (4). Rejetant donc l'exception d'irrecevabilité, elle a ensuite jugé que les licenciements présentaient un caractère discriminatoire, en l'absence d'abus du droit de grève. Ce sont les faits historiques soumis à la cour qui donne à cet arrêt un caractère exceptionnel, mais sa solution est conforme au droit.
Lexbase : Pensez-vous que d'autres actions aux faits similaires pourraient être introduites ?
Emmanuelle Boussard-Verrecchia : Une grande prudence s'impose. Il ne faut pas créer d'illusions, car si ce n'est pas impossible, les faits sont appréciés par le juge du fond. Quand le résultat est positif, on oublie le long travail réalisé en amont, par les demandeurs eux même et leurs conseils, de construction de dossiers, de réflexion collective. Les règles applicables en matière de prescription ont été mobilisées et ce dossier n'est donc pas un "modèle" de remise en cause de la prescription.
Lexbase : La prescription a été réformée en 2008. N'est-il pas à craindre que la prescription de 5 ans ne réduise l'action de salariés voulant établir une possible discrimination ?
Emmanuelle Boussard-Verrecchia : La réforme de la prescription civile projetée au printemps 2008 comportait ce risque. C'est pourquoi un collectif d'associations et de syndicats a oeuvré pour que la lutte contre la discrimination au travail, par nature opaque, puisque l'employeur ne qualifie pas de discriminatoires les faits qui le sont, n'en fasse pas les frais. A la suite de l'action de ce collectif, un article a été ajouté spécifiquement sur ce point dans le Code du travail. L'article L. 1134-5 (N° Lexbase : L7245IAL) prévoit donc que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par 5 ans à compter de la révélation de la discrimination et que les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice dans toute sa durée. Un salarié peut vivre une situation d'injustice, ressentir un traitement différencié pour telle ou telle cause, sans être en mesure de le qualifier de discrimination ni d'agir. Comme l'indique le rapport de l'Assemblée nationale n° 847 du 30 avril 2008 de Monsieur Emile Blessig , "le salarié pourra agir une fois qu'il aura eu connaissance effective de tous les éléments lui permettant d'exercer son droit, c'est à dire lorsqu'il aura eu entre ses mains l'ensemble des documents permettant d'établir qu'il a été victime de discrimination", lesquels documents sont en la seule possession de l'employeur. Dès lors, il ne serait pas choquant que la prescription soit opposée à un salarié qui, disposant de l'ensemble des éléments d'information démontrant qu'il a été discriminé par son employeur, s'abstiendrait d'agir dans le délai de 5 ans.
(1) Aucun salarié ne peut être licencié en raison de l'exercice normal du droit de grève, C. trav., art. L. 1132-2 (N° Lexbase : L0676H9W), v. sur cette question, l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E2522ETL).
(2) CA Versailles, 10 mars 2011, 11ème ch., n° 09/04172 (N° Lexbase : A9085HB4).
(3) V. l'ancien article 2262 du Code civil (N° Lexbase : L2548ABY).
(4) Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I). Pour une analyse de cette loi, v. les obs. d'E. Verges, Le temps de l'action en justice : présentation de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, Lexbase Hebdo n° 314 du 24 juillet 2008 - édition privée ([LXB=N6679BG]) et pour une étude des conséquences en droit du travail, v. les obs. de S. Tournaux, Les incidences en droit du travail de la loi du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription civile, Lexbase Hebdo n° 310 du 26 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3769BGP).
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