La lettre juridique n°708 du 27 juillet 2017 : Ohada

[Doctrine] La saisie des droits d'associés et des valeurs mobilières dans le droit uniforme OHADA

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par Yaya Bodian, Agrégé des facultés de droit, Directeur du Centre de Recherche, d'Etude et de Documentation Sur les Institutions et les Législations Africaines (CREDILA)

le 27 Juillet 2017

L'analyse des dispositions de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution (AURVE) (N° Lexbase : L0546LGC) autorise deux interrogations. La première consiste à savoir s'il est possible d'envisager la saisie des droits d'associés émis par les sociétés de personne eu égard au caractère intuitu personae qui prévaut dans ce type de sociétés commerciales et aux groupements dépourvus de personnalité morale. La seconde interrogation s'attache aux valeurs mobilières, surtout lorsqu'elles sont dématérialisées. La saisie de ces valeurs mobilières résoudra-t-elle les difficultés découlant de l'identification des teneurs de comptes ? Introduction

Trop de biens ne devrait pas nuire ; en tout cas pas au créancier saisissant ! Telle devrait être la devise des créanciers en quête de recouvrement de ce qui leur est dû. Il est tout aussi vrai que la consistance du patrimoine du débiteur n'étant pas facile à apprécier, le droit de recouvrer ce qui lui est dû, comme l'écrivait un illustre professeur, risque de s'en trouver bien limité (1) au point de prendre les allures d'une sorte de droit ne pas payer ses dettes ! Cette image se rapproche de la réalité des patrimoines de nos jours, lorsqu'il faudrait les apprécier en tenant compte des droits du débiteur qu'il tient en qualité d'associé.

Le droit uniforme des voies d'exécution n'est malheureusement pas d'un secours adéquat pour le créancier saisissant les droits d'associés et les valeurs mobilières de son débiteur. L'emploi simultané des concepts de valeurs mobilières et de droits d'associés, ajouté à la pauvreté des textes, ne fait que rendre la tâche plus ardue à ce malheureux créancier dont le seul espoir repose sur ces titres.

Les difficultés de réalisation de la saisie s'apprécient en effet en tenant compte de la spécificité de certains groupements d'affaires, considérés comme marqués par la prise en compte de la personne des associés et à l'égard desquels la mise en oeuvre des saisies peut susciter bien des réflexions.

L'on ne manquera certainement pas de se demander ce qu'une réflexion sur la saisie des droits d'associés et des valeurs mobilières peut bien apporter de plus. D'éminents auteurs ont eu en effet à réfléchir sur ce sujet en abordant certaines problématiques susceptibles d'être envisagées, notamment dans le contexte du droit français (2).

L'ambition nourrie dans cette réflexion sera ainsi très modeste. Il ne s'agira pas de procéder à une présentation détaillée et méthodique des différentes saisies qui peuvent être mises en oeuvre pour appréhender les droits que le débiteur détient sur ces catégories de biens assez particuliers.

La réflexion procède d'une analyse de la possibilité, pour un créancier, d'appréhender les droits d'un associé pour le recouvrement de ce qui lui est dû. Elle a la particularité de mettre en relation les dispositions de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution avec le droit uniforme des sociétés commerciales (3).

A priori, cette réflexion aboutit à conclusion que le droit uniforme ne résout pas certaines difficultés déjà rencontrées, notamment en droit français, en ce qui concerne la saisie des droits d'associés.

Il faut du reste préciser que la réglementation applicable aux valeurs mobilières ne procède pas exclusivement du droit uniforme OHADA. Elle fait partie de ces matières dont certains aspects font l'objet d'une réglementation spécifique, en l'espèce par le Conseil régional de l'épargne public et des marchés financiers (CREMAF).

Les droits d'associés et les valeurs mobilières renvoient à des réalités multiples et complexes à cerner (4), résultant de la réforme du droit uniforme des groupements d'affaires (5).

L'on peut ainsi s'interroger sur le contenu des concepts de "droits d'associés" visés, notamment par le droit des voies d'exécution. Ne recouvre-t-il pas la notion de valeurs mobilières ? Autrement dit, ces valeurs ne constituent-elles pas des droits reconnus aux associés ou à certains d'entre eux ?

Au sens large, en effet, un associé est une personne qui est membre d'une société et qui, en contrepartie d'un apport, reçoit des droits sociaux ou titres sociaux représentant ses droits au sein de cette société : droit de vote, droit au dividende, droit au boni de liquidation, etc.. Au regard de l'article 4 de l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique (AUSCGIE) (N° Lexbase : L0647LG3), les associés conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. La distinction entre ces concepts de droits d'associés et de valeurs mobilières est néanmoins nécessaire à tout le moins pour tenir compte du statut des groupements de personnes.

Les droits d'associés correspondent dès lors aux droits détenus par les associés dans les sociétés de personnes et les valeurs mobilières aux titres qui, selon l'article 744, alinéa 2, de l'AUSCGIE, "confèrent des droits identiques à une quotité du capital de la société émettrice, ou à un droit de créance général sur son patrimoine". Les parts sociales émises par les SARL devraient relever de la première catégorie, en raison de l'importance de l'intuitu personae qui affecte leur régime.

La distinction est opportune ; elle permet d'aborder la saisie de ces biens de manière à faire ressortir des problématiques différentes, selon que cette saisie vise à appréhender les parts sociales ou les valeurs mobilières. La réflexion permet de s'interroger sur la question de savoir si la nature de la saisie peut être différente selon qu'elle porte sur les parts sociales ou les valeurs mobilières du débiteur. En fonction de la nature de ces biens dont la saisie est envisagée, les effets de celle-ci peuvent également être différents.

Certes, la question de la saisissabilité des parts sociales ne se pose plus. Elle est tranchée par le législateur communautaire qui "a admis la possibilité de pratiquer une saisie non seulement sur les valeurs mobilières, mais aussi sur les parts sociales" (6). L'expression "parts sociales" n'est visée, certes, que de manière indirecte (7) au sujet des mentions de l'acte de saisie. Mais il y a, en plus, la référence, souvent faite dans l'Acte uniforme relatif aux voies d'exécution, à la saisie des droits d'associés.

Des interrogations subsistent cependant au sujet des mesures visant à la réalisation de l'exécution forcée. La nature de certains groupements ou de certains titres sociaux suscite parfois des doutes sur le type de saisie ou les modalités requises en matière de saisies.

Malgré un tel doute, l'on peut se hasarder à mener la réflexion en s'attachant à certains éléments qui permettent de confronter le droit des saisies au statut des groupements émetteurs (I) ; et on pourrait procéder au même exercice par rapport aux droits appréhendés par le créancier poursuivant (II).

I - La saisissabilité et le statut des groupements émetteurs

Les droits d'associés sont émis par des groupements dont le statut peut être marqué par la prise en compte, plus ou moins importante, de la personne de ses membres.

L'analyse combinée des dispositions de l'AURVE et celles de l'AUSCGIE conduit, au moins, à s'interroger sur la saisissabilité des droits d'associés ou parts sociales (8) d'une part (A) et, d'autre part, sur l'incidence du statut du groupement émetteur sur la saisie elle-même (B).

A - La saisissabilité des droits d'associés émis par les sociétés de personnes

Le droit uniforme des sociétés commerciales joue la même partition que celui des voies d'exécution, ce qui contribue à mieux les articuler, notamment au sujet de la possibilité de saisir ou de nantir les parts des sociétés de personnes. Les deux textes optent en effet pour la saisissabilité des "droits d'associé", expression certainement choisie de façon calculée. Telle que formulée en effet, l'on pourrait voir dans cette nuance la permission de saisir des droits d'associé dans une société en participation, voire dans une société créée de fait. L'absence de personnalité morale, dans ces types de groupements d'affaires, doit-elle constituer un obstacle à la saisie ? De prime abord, la réponse est négative. Le problème résiderait plutôt au niveau des formalités de la procédure de saisie.

Dépourvue de la personnalité juridique, la société en participation émet-elle des parts sociales ? Rien ne semble a priori s'opposer à une réponse positive (9). Il apparaît des dispositions de l'Acte uniforme relatif au droit des groupements d'affaires que les associés jouissent de droits d'associés, qui comportent diverses prérogatives. L'article 855 de l'AUSCGIE envisage en ce sens l'émission de droits d'associés, dans ce type de société, lorsqu'il prévoit que "les associés conviennent librement de l'objet, de la durée, des conditions de fonctionnement, des droits d'associés, [...] sous réserves de ne pas déroger aux règles impératives des dispositions communes aux sociétés [...]". Cette disposition nous conduit à admettre que la société en participation peut bien émettre des parts sociales. La question se pose alors de la saisissabilité de ces parts et ; notamment des formalités requises pour la mise en oeuvre de la saisie.

La saisissabilité de certains droits d'associés, qui sont aussi strictement personnels à leur titulaire, suscite des interrogations. La question peut être posée de savoir si les parts sociales représentant un apport en industrie (10) constituent des droits d'associés, saisissables.

La réponse semble également affirmative au vu des termes de l'Acte uniforme qui envisage les droits d'associés sans distinction. On sait qu'il est un principe de droit non écrit qu'on ne peut distinguer, là où la loi ne distingue pas. La notion de droit d'associé, utilisée par l'Acte uniforme, doit être entendue de manière large à défaut de précision contraire.

Il y a cependant une objection majeure : l'article 50-4 de l'AUSCGIE dispose que "les titres sociaux résultant d'apports en industrie ne sont ni cessibles ni transmissibles". Ces droits étant incessibles ils ne devraient donc pas être saisissables ; la saisie s'analysant en effet comme une cession forcée. Dans ce cas, seuls les produits de ces parts devraient être saisissables. Reste à savoir si la saisie à mettre en oeuvre sera la saisie des rémunérations du travail ou la saisie-attribution (11).

Lorsque la saisie est opérée, l'associé saisi ne va perdre sa qualité d'associé à l'égard des tiers qu'à partir du moment où la publicité de la cession sera complètement réalisée. Il s'agit à travers cette mesure de protéger les tiers qui ne sont censés connaître la perte de la qualité d'associé qu'à compter de la publication.

S'il est personnellement tenu au passif de la société, son obligation de couverture des dettes sociales cessera à ce moment, alors que subsistera l'obligation de régler les dettes antérieures à son départ.

En outre, le démembrement d'une part sociale a pour conséquence de mettre l'usufruitier à l'abri de la saisie, dans la mesure où il n'a pas la qualité d'associé. De plus, le droit de l'indivision interdit aux créanciers personnels des indivisaires de saisir les parts indivises, qui ne sont à la portée que des créanciers de l'indivision. On peut transposer ces dernières solutions au cas des valeurs mobilières.

A - L'incidence du statut de l'émetteur sur la procédure de saisie

Une objection de nature technique à la saisie des droits dans une société en participation peut être soulevée. En effet, l'on voit mal comment mettre en oeuvre l'article 236 de AURVE, qui impose de saisir "auprès de la société", alors que celle-ci n'a pas la personnalité morale, elle n'existe pas en tant que personne morale.

La mise en oeuvre de la saisie ne peut donc se faire que si l'on oublie quelque peu les termes du texte, pour trouver des équivalents : on pourrait ainsi envisager de procéder à la saisie soit auprès du gérant de la société en participation, soit auprès de chaque associé. Dans cette hypothèse et en raison du caractère occulte d'une telle forme de groupement, il y a lieu de veiller à connaître l'un et les autres, pour espérer obtenir quelque chose d'une telle poursuite.

L'efficacité de la saisie pourrait également être affectée dans lorsque l'on envisage une situation quelque peu différente, celle où la saisie des droits d'associés et valeurs mobilières n'est envisagée que de manière subsidiaire, lorsque un créancier social se heurte à la défaillance de la société débitrice dans laquelle les associés sont solidaires tenus du passif social. En effet, le créancier ne disposant en principe que d'un titre exécutoire à l'égard de la société, peut-il sur ce fondement envisager de poursuivre les associés pour la dette contractée par la société ? Il nous semble que cette poursuite se heurtera à l'obstacle résultant de l'absence d'indication du nom du débiteur dans le titre exécutoire qui constitue une condition à la régularité de la saisie (12). Certes, la saisie des droits d'associés est pourra dans ce cas être dirigée contre les associés pour les droits qu'ils détiennent dans la société, mais à la condition que le créancier soit nanti d'un titre exécutoire contre l'associé. Toute exécution forcée implique, en effet, que le créancier soit nanti d'un titre exécutoire à l'égard de son débiteur dont les droits d'associés (ou les valeurs mobilières) sont saisis.

La question fait penser au cas des dettes sociales, dans une société en nom collectif lorsque, après mise en demeure restée infructueuse, le créancier désire poursuivre un associé. Lorsqu'il envisage d'appréhender ces biens, il faudrait, dans ce cas, qu'il veille à se munir d'un titre exécutoire contre cet associé ; le seul titre émis contre la société ne saurait suffire.

La jurisprudence française considère que le titre délivré à l'encontre de la société n'emporte pas le droit de saisir les biens des associés, même lorsque ceux-ci sont tenus indéfiniment et solidairement des dettes sociales, à défaut d'un titre exécutoire émis contre eux (13). A ce sujet, droit uniforme des sociétés et droit uniforme des voies d'exécution se séparent, à tout le moins momentanément (14).

La question pourrait par ailleurs se poser dans le cadre des groupes de sociétés. Il s'agira dans cette hypothèse de rechercher l'incidence éventuelle de la saisie des droits détenus par la société mère sur sa filiale ou dans le cadre des participations réciproques (15). Il est normal que la saisie soit faite entre les mains de la filiale selon les termes de l'article 231 de l'AURVE. Aux termes de l'article 179 de l'AURVE, "une société est une société mère d'une autre société quand elle possède dans la seconde plus de la moitié du capital. La seconde société est la filiale de la première". La saisie des droits de la société mère, notamment lorsqu'elle est l'associé unique, devrait conduire à la rupture du lien de filiation ou, tout au moins, à une redistribution du pouvoirs, lorsque la saisie ne porte que sur une partie des droits sociaux ou lorsque la société mère n'est pas associée unique (16).

Ces difficultés de mise en oeuvre des voies d'exécution, suscitées par le statut des groupements d'affaires, se prolongent pour concerner également la saisie des valeurs mobilières.

II - La saisissabilité et la nature particulière des valeurs mobilières

En principe, ce sont les sociétés par actions qui sont habilitées à émettre des valeurs mobilières dans les conditions prévues afin de garantir une meilleure transparence financière pour les souscripteurs. Il résulte de l'article 58 de l'AUSGIE que "les sociétés par actions émettent des titres négociables". L'émission de ces titres est interdite pour les autres sociétés.

Selon l'article 741-1 de l'AUSCGIE, quelle que soit leur forme, les valeurs mobilières doivent être inscrites en compte au nom de leur propriétaire, ce qui est problématique pour le créancier saisissant.

A - La problématique de la dématérialisation des valeurs mobilières

L'obligation d'inscrire en compte les valeurs mobilières est une innovation de taille. Elle conduit à dématérialiser toutes les valeurs mobilières et quel que soit leur objet, et s'inscrit certainement dans la logique de l'article 111, alinéa 2 du Règlement général du Conseil régional de épargne publique et des marchés financiers (CREMAF).

Ce texte exige, à compter de l'application du Règlement général, que toutes les nouvelles émissions et les titres cotés à la Bourse régionale des valeurs mobilières soient dématérialisés et conservés chez le Dépositaire central/Banque de règlement (17).

Les valeurs mobilières peuvent être soit matérialisées par un document appelé certificat d'actions, soit traduites par une inscription en compte ouvert auprès d'un établissement habilité.

L'établissement teneur des comptes titres est souvent différent de la société émettrice pour sauvegarder l'anonymat que confèrent, notamment les titres au porteur. Il est ainsi possible, dans ce cas, de recourir à plusieurs établissements intermédiaires dans la tenue des comptes titres de sorte à renforcer la préservation de l'anonymat.

Lorsque le titre est en forme nominative matérialisée par un certificat, la société tient un registre dans lequel sont inscrites l'identité du propriétaire ainsi que les références des titres détenus. Ce registre constitue la base légale du transfert de propriété du titre entre le cédant et le cessionnaire.

L'inscription en compte ne constitue pas un simple moyen de preuve ou une simple mesure d'opposabilité ou de publicité. Elle doit être considérée comme la valeur mobilière, ce qui conduit à envisager la saisie auprès de l'établissement tiers, teneur de compte. La dématérialisation ne semble pas cependant avoir changé la nature du droit entre l'émetteur et le titulaire d'un titre inscrit en compte. Ce dernier dispose à l'encontre de la société émettrice d'un droit de créance pour les titres de créance, ou d'associé pour les titres de capital. Un lien direct est maintenu entre les titulaires de titres et l'émetteur, que les titres soient détenus directement ou par l'intermédiaire d'un établissement teneur de compte.

C'est toutefois la question de la nature du droit du titulaire de compte à l'encontre de son teneur de compte conservateur qui peut se poser : droit réel ou droit personnel.

La qualification de l'inscription en compte de droit réel semble faire l'objet d'un consensus. C'est ainsi que René Roblot écrivait : "Le titulaire n'a pas réellement seulement contre l'émetteur ou l'intermédiaire habilité un droit de créance qui assujettit le teneur de comptes à un certain nombre d'obligations rigoureuses. Il a, par la valeur représentée par l'inscription, un droit qui se rattache à la catégorie des droits réels, par les pouvoirs qu'il confirme en vue de son utilisation directe et immédiate et par son opposabilité absolue" (20).

Dans ce contexte de dématérialisation, le créancier poursuivant le recouvrement forcé devra être suffisamment informé, notamment sur les droits de son débiteur à l'égard de la société ou de ses mandataires, pour mettre en oeuvre, de manière utile, des mesures d'exécution forcée.

B - La détermination de la mesure d'exécution appropriée : saisie-attribution ou saisie-vente ?

La mise en oeuvre de la saisie ne pose aucune difficulté particulière, lorsque les titres sont gérés par la société émettrice qui tient les comptes titres. Il suffira de procéder à la saisie entre les mains de la société. Encore qu'à ce sujet apparaît une originalité de la saisie des droits d'associés et des valeurs mobilières. Cette saisie est notifiée, non pas à l'associé, débiteur du créancier poursuivant, mais à la société.

Elle fait intervenir un tiers entre les mains duquel est procédée la saisie. C'est ce qu'exige l'article 236 qui dispose que la saisie est effectuée auprès de l'émetteur. L'intervention de celui-ci s'explique par le fait que la saisie ne vise à affecter que les droits pécuniaires attachés aux titres sociaux. Ce qui suscite une hésitation sur le point de savoir si c'est la saisie-vente ou la saisie attribution qui sera mise en oeuvre.

A priori, l'Acte uniforme n'envisage de manière spécifique que la saisie qui aboutit à la vente des titres sociaux. L'on songe à l'hypothèse où le créancier souhaite appréhender, non pas les titres sociaux, mais les dividendes auxquels ils donnent lieu. Cette possibilité aurait pu être envisagée par l'Acte uniforme, qui réduirait les conséquences de la saisie sur la propriété des titres sociaux.

La tentation est grande pour la saisie des obligations. En effet, les valeurs obligataires sont des "titres représentatifs de créance" ; or il s'agit clairement de créances de somme d'argent. Par conséquent, la tentation peut exister de pratiquer sur elles non une saisie-vente de valeurs mobilières, mais une saisie-attribution, qui, comme chacun sait, est beaucoup plus efficace (21).

La question est fondamentale, car elle revient à se demander si l'obligation est distincte de la créance qu'elle représente. Récemment, un auteur faisait valoir que la dématérialisation avait corrompu la notion de titre, et rapproché les valeurs mobilières des créances (22). Il reste cependant incontestable que les valeurs mobilières demeurent soumises à un régime de cession simplifié qui leur est particulier.

La saisie risque également de se heurter à des difficultés, lorsque les titres sont gérés par un mandataire de la personne morale émettrice. Il faudra identifier celle-ci avant de procéder à la saisie. Le choix du mandataire teneur de compte étant libre, cette identification peut s'avérer difficile d'autant que celui-ci peut confier à un autre mandataire la tenue des comptes. Les difficultés sont particulièrement importantes relativement aux titres au porteur.

En effet, l'anonymat est une arme qui peut s'avérer déloyale (23). Si les titres sont au porteur, il est prévu que la saisie devra s'effectuer auprès de l'intermédiaire financier en charge de leur conservation et gestion. Or, cette procédure est quasi impossible à mettre en pratique en raison de l'anonymat des titres et de la difficulté à identifier les teneurs de comptes, et la société émettrice ne peut davantage renseigner le créancier puisqu'elle ignore les titulaires et les gestionnaires des titres au porteur (24).

L'Acte uniforme sur les voies d'exécution ne met aucune obligation spécifique d'information à la charge de la société émettrice (25). Il appartiendra dès lors à l'huissier de justice d'effectuer les éventuelles recherches. Ces recherches seront d'autant plus délicates que la désignation d'un mandataire n'est pas non plus soumise à une publication au Registre du commerce et du crédit mobilier.

Certes, l'on pourrait envisager l'application de l'article 38 de l'AURVE pour faire peser sur la société émettrice une obligation de concours dont la sanction est assez dissuasive. Encore que, sur cette question, une décision de justice semble donner une lecture critiquable de l'article 38 (26).

La saisie doit être signifiée directement au mandataire comme l'exige l'article 236 de l'AURVE et l'acte de saisie rend indisponibles les droits pécuniaires de l'associé (27).

Mais la mise en oeuvre de la saisie-vente devrait conduire à la vente des titres sociaux (28). L'adjudicataire se trouvera certainement dans une situation moins favorable que celle d'un cessionnaire proposé par un associé. Sa situation sera marquée par le fait qu'il ne peut pas négocier avec le vendeur et obtenir, notamment, une garantie de passif ou d'actif; il ne peut que se fier à l'information qui lui est délivrée ; tout au plus sera-t-il créancier d'une obligation de non-concurrence à l'égard du débiteur saisi, dans la mesure où celle-ci peut peser sur un associé. En revanche, si son admission lui est refusée notamment en vertu d'une clause d'agrément ou d'un pacte de préférence, l'adjudicataire se verra évincé (29), il aura au moins été informé du risque qu'il court en raison de l'insertion de la clause dans le cahier des charges.

Etant donné les risques que présente la situation de l'adjudicataire -lenteurs, incertitudes, difficultés de procédure -, on peut penser que les candidats à une telle acquisition ne seront guère nombreux ; l'activité économique a besoin de sécurité et de rapidité... Que se passera-t-il si aucun enchérisseur ne se présentait ?

Aucune disposition n'oblige le créancier saisissant à acquérir lui-même à sa mise à prix. Il pourra éventuellement organiser une nouvelle vente forcée, à des conditions certainement moins élevées. Le risque de ne trouver aucun acquéreur pour des parts minoritaires est tout à fait réel, et peut conduire à abandonner la poursuite.

Ces obstacles qui se dressent sur la route de l'adjudicataire sont de nature à dissuader les créanciers de provoquer une vente forcée des parts ; la crainte de saisir des biens invendables protège le débiteur (30)... à moins que le recours à la saisie-attribution lui apparaisse salutaire !

Lorsque la mesure d'exécution est une saisie-attribution (31), la question récurrente va nécessairement se poser. Il s'agira en effet de savoir si la notification de la saisie-attribution, lorsque le créancier l'utilise pour appréhender les droits de son débiteur, aura pour effets d'affecter les droits pécuniaires que l'associé devrait percevoir ultérieurement à la saisie.

Autrement dit, la saisie-attribution, qui a un effet attributif immédiat, a-t-elle pour conséquence de faire entrer dans le patrimoine du créancier, la créance à exécution successive, portant sur les droits pécuniaires du débiteur associé ? Cette question renvoie à la date de naissance de la créance de dividendes. Si l'on estime que la créance de dividende nait au fur et à mesure que ceux-ci seront distribués, il est certain que la saisie-attribution ne peut permettre d'appréhender la partie des dividendes postérieurement dus.

Par contre, si l'on considère que cette créance naît de manière globale avec les droits d'associés, la solution sera plus intéressante pour le créancier. Celui-ci pourra se faire attribuer, sans concours et sans subir d'éventuels effets de l'ouverture d'une procédure collective, du fait de la saisie, les droits pécuniaires à verser successivement au débiteur. L'on considère que la saisie-attribution signifiée avant l'ouverture d'une procédure collective, produit ses effets même à l'égard des dividendes à verser postérieurement. Il faut néanmoins reconnaitre que cette analyse présente plus d'intérêt pour le droit des obligations.

La réflexion sur la saisie des droits d'associés et des valeurs mobilières se nourrit encore des idées développées par des auteurs (32). Elle présente des intérêts certains lorsqu'elle est posée dans le contexte du droit uniforme OHADA. Il s'agira de savoir, dans la mise en oeuvre de ce droit, quelle peut être la date de naissance des créances à exécution successive (33), notamment dans la perspective d'une plus grande efficacité des voies d'exécution.


(1) Jacques Mestre, Le droit pour le créancier de recouvrer son dû... et ses limites, RTDCiv., 1990, p. 477.
(2) Voir, par exemple : E. Putman, La saisie des droits d'associés et des valeurs mobilières, JCP éd. G., 1993, I, 3689 ; M-L. Coquelet, Mesures d'exécution forcées sur valeurs mobilières et droits d'associés, JurisClasseur Banque-Crédit-Bourse, 2004, fasc. 2121.
(3) S. Thomasset-pierre, La coexistence réussie du droit des sociétés et des nouvelles procédures civiles d'exécution, JCP éd. E, 1995, I, 467.
(4) Cf. E. Putman, précité, n° 16.
(5) On peut remarquer que la réforme a été riche en innovations relatives aux valeurs mobilières. Elle a notamment introduit de manière spécifique les notions d'action de préférence (articles 778-1 à 778-15) ou de valeurs mobilières composées (articles 822-1-822-21).
(6) N. Diouf, Commentaires de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, introduction au Titre VII relatif aux dispositions particulières à la saisie des droits d'associés et des valeurs mobilières, Recueil OHADA, Traité et actes uniformes commentés et annotés, 4ème Juriscope, 2014, p. 1087.
(7) AUSCGIE, art. 237, 5°.
(8) Cette assimilation est partagée par des auteurs ; voir en ce sens P. Le Cannu, Saisie -vente des droits d'associé et des valeurs mobilières non cotées, Bull. Joly, 1992, p. 1275.
(9) Certains auteurs sont d'avis contraire, estimant qu'une telle société n'émet pas de parts sociales.
(10) La réforme du droit uniforme des sociétés commerciales a permis de remédier aux insuffisances de la réglementation des apports. L'article 40 AUSCGIE a ainsi été reformulé pour préciser la notion d'apport en industrie qui est constitué "des connaissances techniques ou professionnelles ou des services" que l'associé apporte à la société. Cette définition semble plus précise que celle antérieure qui ne visait l'"apport de main d'oeuvre". Elle reste cependant restrictive en ce qu'elle exclue la possibilité d'effectuer d'autres types d'apports.
(11) La saisie des rémunérations ne semble pas possible à mettre en oeuvre d'autant que l'associé en industrie n'est pas un travailleur au sens de la législation sociale. Seule la saisie-attribution s'impose au créancier.
(12) Cette condition est sous entendue dans l'article 31 de l'AURVE qui dispose que "l'exécution forcée n'est ouverte qu'au créancier justifiant d'une créance certaine, liquide et exigible".
(13) Cass. civ. 2, 19-05-1998, n° 96-12.944, P+B (N° Lexbase : A2660ACI), Bull. Joly, 1998, p. 1182, note J.-J. Daigre.
(14) Le droit uniforme des sociétés commerciales est plus rigoureux que celui des voies d'exécution à l'égard de l'associé tenu indéfiniment et solidairement.
(15) Sur les problèmes posés par les groupes de sociétés, voir Abdoulaye Sakho, Les groupes de sociétés en Afrique (Droit, pouvoir et dépendance économique), Kartala, CRES, 2010, pp.77 à 138 et ss.
(16) Les difficultés peuvent aboutir à la dissolution de la société filiale en raison de la considération plus ou moins importante de la personne des associés.
(17) La désignation du dépositaire central/banque de règlement a fait l'objet de contestations par les banques qui se voient devoir partager avec cette structure la tenue des comptes de titres. C'est pourquoi, sur instruction du CREMAF, les banques ont été habilitées à tenir des comptes titres (Instruction de 1998).
(18) En ce sens, P. Le Cannu, Droit des sociétés, Montchrestien 2002, n° 1033, p. 621.
(19) Une tendance de la doctrine a soutenu que ce droit pouvait être considéré comme un droit personnel. Cette thèse constate que, à la suite de la dématérialisation, le titre a disparu et avec lui l'idée d'incorporation du droit dans le titre et de propriété de titres. Selon cette thèse, l'inscription ne serait pas un meuble corporel susceptible de propriété et de possession. Dans ce même courant de pensées, les droits constitués par les titres sont des droits de nature personnelle qui ne peuvent pas faire l'objet de propriété ou de dépôt.
(20) R. Roblot, La dématérialisation des valeurs mobilières, n° 185/1994, nos 1 et suiv..
(21) On pourrait néanmoins objecter qu'il ne s'agit plus d'une saisie de droits d'associé, mais simplement d'une saisie de créance, ce qui excéderait les termes du sujet.
(22) D. R. Martin, Du titre et de la négociabilité (à propos des pseudo-titres de créance négociables), D., 1993, Chron., p. 20.
(23) Cf. par Marie-Anne Frison-Roche, Pourquoi existe-t-il encore des titres au porteur ?, JCP éd. E, n° 12, 24 mars 1994, 344.
(24) Cette crainte doit être relativisée, notamment avec l'existence de titres au porteur identifiables.
(25) Il résulte simplement de l'article 237 6) que l'acte de saisie doit contenir, à peine de nullité "la sommation de faire connaitre, dans un délai de 8 jours, l'existence d'éventuels nantissements ou saisies et d'avoir à communiquer au saisissant copie des statuts".
(26) Dans une ordonnance inédite, un juge TGI de Dakar, statuant sur les difficultés d'exécution, se refuse à condamner aux causes de la saisie, dès lors que les sommes appréhendées par la saisie et détenues par le tiers saisi seraient largement inférieures au montant de la créance.
(27) AURVE, art. 239. Les droits d'associé autres que les droits pécuniaires ne sont dès lors pas atteints par l'indisponibilité. Aussi, est-il important de faire la différence entre droits pécuniaires et droits non pécuniaires.
(28) L'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution envisage la saisie-vente des droits d'associés et valeurs mobilières, sans toutefois exclure la possibilité d'user d'une saisie-attribution.
(29) L'article 241 de l'AURVE dispose cependant que "les conventions instituant un agrément ou créant un droit de préférence au profit des associés ne s'imposent à l'adjudicataire que si elles figurent dans le cahier des charges". Il s'y ajoute que, selon l'article 244 de l'AURVE, "les éventuelles procédures légales et conventionnelles d'agrément, de préemption ou de substitution sont mises en oeuvre conformément aux dispositions propres à chacune d'elles".
(30) Ces handicaps ne devraient pas exister lorsque les droits saisis sont négociables sur un marché organisé.
(31) Dans ce cas toutefois, il n'agira plus d'une saisie de droits d'associés ou de valeurs mobilières, mais d'une simple saisie de créances de sommes d'argent.
(32) A. Bikek Mbang, La saisie des droits d'associés et des valeurs mobilières de la législation OHADA : une réforme inadaptée au droit des sociétés commerciales, Penant n° 886, 2013, Doctr., p. 5.
(33) Cette problématique a suscité d'intéressantes réflexions en droit français. Cf. notre Thèse, La situation de l'Etat dans les procédures civiles d'exécution, UCAD, 2012, p. 170 et ss..

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