Réf. : Cons. const., décision n° 2017-623 QPC du 7 avril 2017 (N° Lexbase : A3926UXP)
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par Hervé Haxaire, ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition professions
le 18 Mai 2017
Rappelons ici les dispositions des deux premiers alinéas de l'article L. 1453-8 du Code du travail entré en vigueur le 1er août 2016 : "Le défenseur syndical est tenu au secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication.
Il est tenu à une obligation de discrétion à l'égard des informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par la personne qu'il assiste ou représente ou par la partie adverse dans le cadre d'une négociation".
Par arrêt en date du 18 janvier 2017 ( CE 1° et 6° ch.-r., 18 janvier 2017, n° 401742 N° Lexbase : A2070S9K, sur l'arrêt cf. nos obs., Obligation de discrétion du défenseur syndical et obligation au secret professionnel de l'avocat : deux poids, deux mesures ?, Lexbase, éd., prof., n° 235 N° Lexbase : N6829BWT), le Conseil d'Etat avait renvoyé la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Conseil national des barreaux qui, en substance, faisait valoir que le législateur avait méconnu le principe d'égalité des justiciables devant la loi en se bornant à prévoir une obligation de discrétion du défenseur syndical à l'égard des informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par la personne qu'il assiste ou représente alors que, en vertu de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), l'ensemble des échanges et correspondances entre l'avocat et le client qu'il assiste ou représente devant le conseil de prud'hommes et la cour d'appel en matière prud'homale est couvert, dans l'intérêt même du justiciable, par le secret professionnel.
Devant le Conseil d'Etat, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, avait soutenu que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 (N° Lexbase : L0276AI3) n'étaient pas remplies et en particulier que la question posée ne présentait pas un caractère sérieux.
Le Conseil d'Etat avait jugé, quant à lui, que le recours pour excès de pouvoir formé par le Conseil national des barreaux contre le décret du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail "soulève une question présentant un caractère sérieux et qu'ainsi il y avait lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée".
La décision du Conseil constitutionnel était donc attendue avec la plus grande impatience.
Le Conseil constitutionnel prend soin de rappeler dans ses motifs : "le requérant soutient que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la justice au motif que le défenseur syndical ne présente pas des garanties de confidentialité aussi protectrices pour le justiciable que celles auxquelles sont tenues les avocats. Alors que ces derniers sont soumis à une obligation de secret professionnel s'étendant à l'ensemble des échanges et des correspondances avec leurs clients, le défenseur syndical est uniquement tenu à une obligation de secret professionnel limité aux procédés de fabrication, ainsi qu'à une simple obligation de discrétion restreinte à certaines informations. Dès lors qu'en matière prud'homale la représentation des parties est obligatoire en appel, soit par un avocat, soit par un défenseur syndical, l'égalité entre les justiciables serait ainsi méconnue".
Ainsi est-il clairement rappelé par la décision des Sages que la rupture d'égalité entre les justiciables invoquée par la question prioritaire de constitutionnalité est celle de la hiérarchie, qui existe ou n'existe pas, entre, d'une part, l'obligation de secret professionnel de l'avocat et, d'autre part, l'obligation de discrétion du défenseur syndical restreinte à certaines informations, et qui, si cette hiérarchie existe, serait de nature à ne pas offrir au justiciable des garanties de confidentialité aussi protectrices selon qu'il est assisté ou représenté par un avocat ou par un défenseur syndical.
Attendue avec impatience, la décision du Conseil constitutionnel l'était également avec le plus grand intérêt.
Le Conseil constitutionnel rappelle en préambule de sa motivation les dispositions des articles 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 : la loi est "la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse". L'article 16 dispose : "toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution".
Le Conseil ajoute dans ce préambule : "Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elle s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soit assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties".
Le logique juridique conduit le lecteur de la décision, lequel en connaît la teneur pour avoir, comme tout juriste, commencé par en lire le dispositif, à s'interroger sur les motifs par lesquels le Conseil constitutionnel a écarté l'application de ces principes qu'il a rappelés en préambule, et notamment les références à l'exigence de garanties égales assurées au justiciable et au respect du principe des droits de la défense.
Faut-il le rappeler, le secret professionnel ne concerne pas que les seuls rapports de l'avocat avec son client. Le secret professionnel est également protecteur des droits du justiciable, notamment en ce qu'il fait obstacle à des mesures coercitives de saisie ou de perquisition au cabinet de l'avocat (sauf les exceptions qui sont connues), au détriment de son client : le justiciable.
L'obligation de discrétion du défenseur syndical offre-t-elle des garanties équivalentes ?
L'intérêt de la décision du Conseil constitutionnel en date du 7 avril 2017 pâtit ... à sa lecture.
C'est en vain que l'on recherchera dans les motifs de cette décision quelque développement que ce soit relatif au caractère protecteur, comparé, des garanties de confidentialité offertes au justiciable par l'obligation de discrétion du défenseur syndical ou par le secret professionnel de l'avocat ; ou quelque explication pour justifier que ces garanties, si elles ne sont pas identiques, ne portent pas atteinte au respect des droits de la défense et à l'équilibre des droits des parties.
Le Conseil constitutionnel se borne à rappeler, sans la moindre analyse de leur sens et de leur portée, ni des conséquences qui en résultent, ou qui n'en résultent pas, et sans le moindre commentaire relatif aux motifs de la question prioritaire de constitutionnalité, les règles légales qui régissent le secret professionnel de l'avocat et l'obligation de discrétion du défenseur syndical, rappelant que ce dernier s'expose à une radiation de la liste des défenseurs syndicaux et à des poursuites pénales s'il manque à son obligation de secret professionnel [qui ne vise que les seuls procédés de fabrication] ou à son obligation de discrétion.
Et c'est en conclusion de ce rappel purement descriptif des règles légales, au demeurant très différentes dans leurs termes et leur sens, que le Conseil constitutionnel livre son motif décisoire : "il en résulte que sont assurées aux parties, qu'elles soient représentées par un avocat ou par un défenseur syndical, des garanties équivalentes quant au respect des droits de la défense et de l'équilibre des droits des parties".
L'affirmation que le Conseil constitutionnel s'est affranchi de toute motivation comparative concernant le secret professionnel de l'avocat et l'obligation de discrétion du défenseur syndical pourrait susciter le doute. C'est pourquoi il apparaît nécessaire de citer in extenso les attendus portant les numéros 20, 21 et 22 de la décision du 7 avril 2017 qui font immédiatement suite au préambule des motifs (portant le n° 19) cité ci-dessus.
"En premier lieu, l'article 66 5 de la loi du 31 décembre 1971 mentionnée ci-dessus prévoit que l'avocat est soumis au secret professionnel en toutes matières, que ce soit dans le domaine du Conseil ou dans celui de la défense. Cette obligation s'étend aux consultations adressées par un avocat à son client, aux correspondances échangées avec ce dernier ou avec un autre confrère, excepté celles qui porte la mention "officielle", ainsi qu'aux notes d'entretien et à toutes les pièces du dossier. [...] En second lieu, d'une part, le défenseur syndical exerce des fonctions d'assistance ou de représentation devant les conseils de prud'hommes et les cours d'appel en matière prud'homale. Les dispositions contestées le soumettent à une obligation de secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication. Elles lui imposent également une obligation de discrétion à l'égard des informations ayant un caractère confidentiel et présentées comme telles par la personne qu'il assiste ou représente ou par la partie adverse dans le cadre d'une négociation. D'autre part, tout manquement du défenseur syndical à ses obligations de secret professionnel et de discrétion peut entraîner sa radiation de la liste des défenseurs syndicaux par l'autorité administrative. En outre, l'article 226-13 du Code pénal (N° Lexbase : L5524AIG) punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par son état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire".
Il adviendra nécessairement un cas d'espèce dans lequel, par exemple, des correspondances, notes d'entretien, consultations, correspondances échangées avec le client ou avec l'avocat de la partie adverse, seront saisies à l'occasion d'une perquisition ou d'une visite domiciliaire au lieu d'exercice d'un défenseur syndical.
Il adviendra nécessairement des litiges tenant au fait qu'un défenseur syndical fera état dans une procédure de lettres reçues de l'avocat de la partie adverse, considérant qu'elle ne s'inscrivent pas dans le cadre d'une négociation et qu'ainsi elles n'entrent pas dans le champ d'application de l'obligation de discrétion.
Quelles seront les compétences respectives du Bâtonnier et de l'autorité administrative, et celles du juge, pour résoudre ces conflits ?
Le rôle de l'arbitre est difficile quand les joueurs jouent le même jeu, mais avec des règles différentes.
Il est peu probable que la décision du Conseil constitutionnel du 7 avril 2017 aidera le, ou les, arbitres.
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