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N5096BR8
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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 03 Mars 2011
Philippe Clément : Il n'y avait dans ces dossiers aucun débat sur la qualification du temps de pause. Les différentes sociétés en cause reconnaissent expressément que le temps de pause n'était pas du temps de travail effectif et que les salariés n'étaient pas à la disposition de l'employeur pendant lesdites pauses. La Convention collective de branche du commerce de détail et de gros à caractère alimentaire ne fait pas état d'un forfait pause, mais prévoit qu'"une pause payée est attribuée à raison de 5 % du temps de travail effectif".
La Cour de cassation, dans ses arrêts du 15 février 2011, considère, pour la première fois, en cassant l'arrêt de la cour d'appel de Lyon (CA Lyon, 9ème ch., 1er juin 2010, n° 09/00192 N° Lexbase : A3089E3S) et en revoyant devant la cour d'appel de Dijon, que le critère qui doit être retenu pour répondre à la question qui lui a été soumise, est celui du temps de travail effectif.
Selon la Cour de cassation, un élément de salaire ne rémunérant pas un temps de travail effectif, ne peut pas être pris en considération pour apprécier le respect du Smic.
Tant la Chambre criminelle que la Chambre sociale de la Cour de cassation n'avaient pas, jusqu'à cette date, retenu le temps de travail effectif comme critère exclusif d'appréciation.
Ainsi, par exemple, des primes de treizième mois, de fin d'année, de vacances, qui, par nature, ne peuvent en aucun cas correspondre à du travail effectif, ont toujours été prises en compte dans l'assiette du Smic pour le mois au cours duquel elles étaient versées (2).
L'article D. 3231-6 du Code du travail (N° Lexbase : L9056H9B) est vidé de tout sens, si seule la rémunération du travail effectif est prise en considération dans l'appréciation du respect du SMIC. L'analyse textuelle de cet article permet, à mon sens, d'affirmer que, par nature, la rémunération à prendre en considération n'est pas constituée exclusivement du salaire correspondant au temps de travail effectif. En effet, une telle interprétation reviendrait à dire que le salaire ne pourrait en aucun cas être "complété" comme le prévoit l'alinéa 1er dudit article. Il n'y aurait donc à ce stade plus de place pour les notions de complément et de majoration de salaire.
Myriam Laguillon : Le temps de pause n'est pas, par nature, du temps de travail effectif. En effet, et comme le relève très légitimement la Cour de cassation, dans ses arrêts, les salariés concernés ne sont pas à la disposition de l'employeur pendant les pauses.
La question s'est posée de savoir si le fait que ces temps de pause étaient rémunérés par Carrefour permettait de les rattacher à une notion de temps de travail effectif. En réalité, cette question était d'ores et déjà tranchée par la Convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire dont relèvent les salariés de Carrefour. Ainsi, si l'article 5-4 de celle-ci précise qu'"une pause payée est attribuée à raison de 5 % du temps de travail effectif", l'article 5-5 tranche définitivement la question de savoir si le fait que ces pauses soient rémunérées par un forfait leur conférerait le caractère de temps de travail effectif. En effet, cet article indique très clairement que "la durée du travail [...] ne comprend donc pas l'ensemble des pauses (ou coupures), qu'elles soient ou non rémunérées, notamment celles fixées à l'article 5-4 ci-dessus".
En conséquence, il est incontestable que le forfait pause ne rémunère pas du travail effectif.
En outre, le fait que les partenaires sociaux aient décidé de rémunérer ce temps de pause ne lui enlève pas pour autant son caractère de temps de repos exclusif de tout travail effectif.
La disposition de la Convention collective concernée est une simple application de l'article L. 3122-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3950IBW) qui dispose que : "[...] même s'ils ne sont pas reconnus comme un temps de travail effectif, ces temps peuvent faire l'objet d'une rémunération prévue par une convention ou un accord collectif de travail ou par le contrat de travail".
Il résulte de ce qui précède que le forfait pause :
C'est très exactement en ce sens que s'est prononcée la Chambre criminelle de la Cour de cassation, en indiquant que "[...] les salariés n'étaient pas à la disposition de l'employeur pendant les pauses, et qu'il en résultait que la prime rémunérant celles-ci, non reconnues comme du temps de travail effectif, était exclu du salaire devant être comparait au SMIC [...]".
Lexbase : Le forfait a, cependant, été considéré comme un avantage supplémentaire, ne pouvant être inclus dans la rémunération. Cette solution n'était-elle pas logique au regard de la qualification juridique du temps de pause qui ne peut être assimilé à du temps de travail effectif ?
Myriam Laguillon : En réalité, il s'agit ici de la seconde interrogation relative au texte de l'article D. 3231-6 du Code du travail, selon lequel : "le salaire à prendre en considération est celui qui correspond à une heure de travail effectif, compte tenu des avantages en nature et des majorations diverses ayant le caractère de fait d'un complément de salaire".
Toute l'argumentation de Carrefour était d'indiquer que cet article devait être interprété comme permettant de considérer la pause rémunérée comme un "complément de salaire" à comptabiliser pour vérifier le respect du Smic. C'est d'ailleurs en ce sens que Carrefour critique les arrêts de la Chambre criminelle, considérant que ce serait la première fois que le temps de travail effectif serait retenu comme critère exclusif d'appréciation, et que, de ce fait, la Haute juridiction viderait soi-disant de tout sens l'article D. 3231-6 du Code du travail. Pour autant, ceci me semble inexact dans la mesure où le contenu de la notion "ayant le caractère de fait d'un complément de salaire" a été précisé au fil du temps par la jurisprudence sur le fondement du principe suivant.
La Cour de cassation retient la distinction entre les sommes versées en contrepartie ou à l'occasion du travail et qui sont à prendre en compte, et celles qui n'étant pas la contrepartie du travail fourni sont à exclure. C'est d'ailleurs pourquoi entrent, dans l'assiette du Smic, notamment, les primes de vacances ou de treizième mois, mais à la condition qu'elles aient la même périodicité que la paie (ce qui renvoie à la notion de contrepartie directement liée à l'exécution par le salarié de sa prestation de travail).
Le même raisonnement a conduit la Chambre sociale à exclure les primes qui ne rémunèrent pas directement le travail effectué, mais d'autres éléments, telle que l'ancienneté par exemple, ou encore les primes de résultat collectif.
Ainsi, la Cour de cassation s'attache à l'origine du versement de la prime, et c'est très exactement ce qu'a fait la Chambre criminelle dans ses arrêts du 15 février 2011. Elle rappelle systématiquement aux juges du fond qu'il leur appartient de rechercher si la prime est perçue en contre partie ou à l'occasion du travail, "ce qui est une condition nécessaire pour qu'elle soit prise en compte afin de vérifier si le Smic avait bien été versé".
Dans un arrêt du 2 juillet 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait déjà tranché dans ce sens là, dans une affaire relative au paiement des temps de pause et du non respect du Smic (Cass. soc., 2 juillet 2008, n° 06-45.987, F-D N° Lexbase : A4836D9Y).La position de la Cour de cassation ne souffrait alors aucune contestation, celle-ci indiquant très clairement que "[...] les pauses n'étaient pas considérées comme du temps de travail effectif, et que les primes de pause étaient payées sans contre partie d'un travail supplémentaire, a exactement décidé que le paiement des temps de pause ne doit pas être considéré comme un élément de salaire pour le calcul du salaire minimum conventionnel applicable aux salariés".
En l'espèce, la problématique visait le respect du salaire minimum conventionnel mais c'est le même raisonnement qui a été appliqué par la Chambre criminelle de la Cour de cassation pour le respect du Smic.
Cette solution est logique car le contraire conduirait à une incohérence consistant à exclure le forfait pause pour le calcul du salaire minimum conventionnel et non pour le Smic. Il résulte de ce qui précède que les arrêts de la Chambre criminelle s'inscrivent dans le mouvement jurisprudentiel initié par la Chambre sociale de la Cour de cassation depuis plusieurs années.
Philippe Clément : Toute cette problématique s'est développée, à la suite de la publication, le 5 juin 2007, d'une fiche de travail par la DGT intitulée "Les pauses conventionnelles rémunérées doivent-elles être intégrées dans l'assiette du Smic ?". Dans cette note, la DGT s'appuyait sur un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 1er février 1989 (Cass. soc., 1er février 1989 n° 86-15.766 N° Lexbase : A8636AA4) et affirmait : "pour la vérification du respect de l'assiette minimale des cotisations de sécurité sociale, la rémunération à comparer au salaire minimum de croissance doit être calculée sur la base du nombre d'heures de travail effectif, à l'exclusion des temps de pause".
A la lecture de cet arrêt et de celui de la chambre sociale de la cour d'appel de Nancy du 3 juin 1986, cassé par la Cour de cassation, il apparaît très clairement que la conclusion tirée par la DGT était erronée.
En effet, les juridictions traitent non pas des éléments de salaire à prendre en considération, mais exclusivement du dénominateur, à savoir le nombre d'heures de travail qu'il convenait de retenir, afin de réaliser la division et obtenir le taux horaire.
La Cour de cassation confirmait, sans ambiguïté, que pour calculer le taux horaire à comparer avec le salaire minimum de croissance, il convenait de ne retenir au niveau du dénominateur exclusivement le nombre d'heures de travail effectif. La Chambre sociale de la Cour de cassation n'affirmait absolument pas dans cette décision que la rémunération des temps de pause devait être exclue du numérateur !
Il est, à mon sens, impossible d'affirmer que la solution que vous évoquez est logique. Il m'apparaît qu'il est possible de soutenir que la rémunération non aléatoire et périodique de la pause (payée chaque mois en proportion de la durée de travail effectif) apparaît comme un élément de la contrepartie rémunératoire de la relation de travail et constitue dès lors un complément de salaire qui peut être intégré à l'assiette du salaire pour vérifier si le taux du Smic horaire est respecté.
Plusieurs cours d'appel, notamment Pau (CA Pau, 25 octobre 2010, n° 09/03263 N° Lexbase : A6741GCN et Montpellier (CA Montpellier, 6 octobre 2010, n° 09/08707 N° Lexbase : A9377GNM), ont retenu cette analyse en octobre 2010. De même, de nombreux conseils de prud'hommes et tribunaux de police, en novembre et décembre 2010, ont expressément considéré que la rémunération du temps de pause devait être prise en considération dans le cadre de l'appréciation du Smic.
Lexbase : Le forfait était prévu par une convention collective étendu. La solution dégagée par la Chambre criminelle aurait-elle été semblable si ce forfait était prévu dans le contrat de travail ?
Philippe Clément : La cour d'appel de Pau, dans son arrêt du 25 octobre 2010, retient une définition particulièrement précise de la notion de complément de salaire dans le cadre de l'appréciation du Smic : "ont une nature salariale caractérisant un complément de salaire, les sommes qui font l'objet d'un versement périodique, dont les modalités sont connues, qui sont la contrepartie nécessaire de la relation de travail, soit en ce qu'elles tiennent compte des conditions de travail générales ou des sujétions professionnelles générales, quand bien même elles ne seraient pas la contrepartie d'un travail effectif (telles que par exemple, la prime de treizième mois ou de fin d'année), soit en ce qu'elles sont relatives aux fonctions exercées par le salarié et ont pour cause le travail du salarié (par exemple la prime de rendement), sans être dépendante des qualités inhérentes à sa personne et sans dépendre de facteurs sur lesquels il n'aurait aucune influence (par exemple, la prime d'ancienneté ou de résultat collectif)".
Si l'on s'en tient à une lecture stricte des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 février 2011, il apparaîtrait que la rémunération de la pause, qu'elle soit prévue par une convention collective ou par le contrat de travail, ne pourrait en aucun cas rentrer dans le cadre de l'assiette de comparaison avec le Smic.
Ces décisions soulèvent à ce titre de nombreuses questions. Par exemple, que serait aujourd'hui un complément ou une majoration de salaire qui exigerait une contrepartie de travail effectif ?
Myriam Laguillon : Le texte des arrêts de la Chambre criminelle du 15 février 2011 pose l'exclusion de la pause rémunérée comme un principe fondamental d'ordre public.
Dès lors, il ne semble pas possible de pouvoir y déroger, que ce soit dans le cadre d'un accord collectif ou d'un contrat de travail.
Lexbase : Carrefour avait renoncé depuis 2009 à cette pratique mais sans effet rétroactif ? Cette solution était-elle donc attendue par la société ?
Philippe Clément : Au début de l'année 2009, Carrefour a souhaité renforcer le pouvoir d'achat de ses salariés et a mis en place de nouvelles modalités, en accord avec les partenaires sociaux. Cette décision ne remettait nullement en cause sa position sur la rémunération globale. A ce stade, il convient de relever, afin d'éviter toute ambiguïté, que le salaire minimum au sein du Groupe Carrefour est supérieur, sur douze mois, par exemple pour une hôtesse de caisse, de 18 % au Smic. A cela s'ajoutent bien évidemment l'intéressement, la participation, la complémentaire santé, la prévoyance et la remise sur achats...
Je ne pense pas que Carrefour pouvait s'attendre en 2009 à ce qui est aujourd'hui présenté comme un revirement de jurisprudence.
Myriam Laguillon : Effectivement, le groupe Carrefour conscient du caractère illicite de son système de rémunération a décidé par décision unilatérale du 20 novembre 2008 "d'assurer à chaque salarié, à compter du 1er janvier 2009, un salaire mensuel brut global, hors forfait pause, au niveau du Smic".
Il est bien évident que, ce faisant, Carrefour avait l'intention de limiter les actions qui se multipliaient aussi bien devant les juridictions pénales que devant les juridictions civiles, en cessant d'enfreindre la loi. Le discours consistant à dire que cette décision aurait été prise simplement pour "renforcer le pouvoir d'achat de ses salariés" n'a leurré personne, et encore moins les magistrats.
Il s'agissait simplement de mettre un terme à une pratique au titre de laquelle Carrefour savait qu'il allait être inévitablement sanctionné. Pour autant, Carrefour s'est bien gardé de rétablir les salariés dans leurs droits pour toutes les années précédentes, puisqu'il n'a en effet opéré aucun rappel de salaire.
Ceci justifie pleinement l'action des salariés devant le conseil de prud'hommes pour réclamer un rappel de salaire sur cinq ans, outre les dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait de la violation de la législation sur le Smic.
Lexbase : Quelles sont les incidences de cette solution sur les affaires portées actuellement devant les juridictions du fond ?
Myriam Laguillon : Des actions pénales sont en cours, et d'autres vont être intentées, dans la mesure où des procès-verbaux ont été dressés par les inspections du travail pour non-respect du Smic, qui rappelons-le est une infraction pénale.
Il est d'ailleurs, sur ce point, regrettable que les arrêts de la Chambre criminelle aient permis à Carrefour de ne pas s'acquitter de l'amende cumulée de 1,287 millions d'euros qui lui avait été infligée en première instance par le tribunal de police de Lyon, puis annulée en appel.
En effet, pour le faire, il aurait fallu que le Parquet se pourvoit en cassation, ce qui curieusement n'a pas été le cas...
Quoi qu'il en soit, il s'agit là d'une victoire incontestable reconnaissant la légitimité et le bien fondé de notre position.
Quant à la Chambre sociale, celle-ci devrait être amenée à se prononcer dans les prochains mois, et dans un sens identique à la Chambre criminelle, mettant ainsi fin à une bataille juridique qui aura duré quatre ans.
Philippe Clément : Le débat va se poursuivre devant les juridictions du fond et notamment, devant la cour d'appel de Dijon.
Il est impossible aujourd'hui d'affirmer que ce débat est clos sachant que, non seulement la Chambre sociale de la Cour de cassation et la Chambre criminelle ne partagent pas une analyse identique, d'une part, mais que de nombreuses juridictions du fond ont retenu une solution différente de celle de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, sur la base d'une interprétation stricte des dispositions légales et réglementaires, d'autre part. Ceci est d'autant plus vrai que le tribunal de police de Chambéry vient, dans un jugement du 24 février 2011, de relaxer la société Carrefour dans un dossier identique.
Enfin, le recours exclusif à la notion de contrepartie d'un temps de travail effectif pour déterminer les éléments à prendre en considération dans le cadre de l'assiette du Smic, risque de créer une confusion extrême et de nouveau une multitude de contentieux, au regard des pratiques et des dispositions conventionnelles, tous secteurs d'activité confondus.
(1) Cass. crim., deux arrêts, 15 février 2011, n° 10-87.019, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1733GXH) et 10-83.988, P+B+I (N° Lexbase : A1718GXW). Lire les obs. de S. Tournaux, Prime de pause et Smic : confirmation...et variation ?, Lexbase Hebdo n° 430 du 3 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N5103BRG).
(2) Sur l'intégration des primes de vacances et des primes de fin d'année. Cass. soc., 2 mars 1994, n° 89-45.881 (N° Lexbase : A0409ABR). Plus généralement, sur cette question, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E0877ETN).
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