La lettre juridique n°430 du 3 mars 2011 : Contrats et obligations

[Questions à...] La lettre recommandée par voie électronique : un dispositif toujours inapplicable - Questions à Maître Isabelle Renard, Avocat associé, Cabinet Racine

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 03 Mars 2011

L'article 1369-8 du Code civil (N° Lexbase : L6359G9E), institué par l'ordonnance n° 2005-674 du 16 juin 2005, relative à l'accomplissement de certaines formalités contractuelles par voie électronique (N° Lexbase : L5423G9Q), autorise l'envoi d'une lettre recommandée relative à la conclusion ou à l'exécution d'un contrat par courrier électronique. L'application de ce texte était subordonnée à la publication d'un décret pris en Conseil d'Etat. C'est chose faite -près de six ans après-, avec la publication au Journal officiel du 4 février 2011, du décret n° 2011-144 du 2 février 2011, relatif à l'envoi d'une lettre recommandée par courrier électronique pour la conclusion ou l'exécution d'un contrat (N° Lexbase : L3476IPG). Ou presque... Le texte ne semble toujours pas répondre aux attentes des acteurs concernés, ce qui soulève un certain nombre de problèmes. Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître Isabelle Renard, avocat associé, cabinet Racine, qui a accepté de répondre à nos questions.

Lexbase : Tout d'abord, le dispositif réglementaire adopté permet-il de satisfaire à l'obligation de garantie de l'identité du destinataire ?

Isabelle Renard : L'article 1369-8 du Code civil prévoit, en effet, que le courrier recommandé électronique doit être acheminé par un tiers selon un procédé permettant, notamment, "de garantir l'identité du destinataire".

Avant tout, on peut s'interroger sur la signification des termes "garantir l'identité du destinataire" qui, selon moi, ne revêtent aucun sens, sachant que seul l'Etat peut garantir l'identité d'une personne, dans le cadre de son pouvoir régalien. Sans doute l'idée était-elle d'introduire, comme dans la lettre recommandée postale, une notion de vérification de l'identité du destinataire lors de la remise.

Pour assurer que, dans le cadre d'un courrier envoyé par voie électronique, la personne réceptionnant le courrier électronique corresponde bien au destinataire visé, on pourrait imaginer l'établissement d'une liste d'adresses email, qui serait l'équivalent de l'annuaire postal, et dans le cadre de laquelle on aurait vérifié préalablement l'identité des personnes associées à chaque adresse. Concrètement, il s'agirait d'une sorte d'annuaire régalien, c'est-à-dire recensant les emails "officiels" ; je ne sais si c'est très réaliste, mais l'idée est intéressante.

Dans la même idée, l'intégration d'une signature électronique dans la future carte d'identité permettrait d'assurer cette vérification de façon équivalente à celle du recommandé postal. En pratique, il sera difficile d'assurer avec le recommandé envoyé par voie électronique une vérification d'identité équivalente à celle du recommandé postal tant que la signature électronique ne sera pas largement répandue et banalisée, ce qui est loin d'être le cas.

Lexbase : Le texte distingue la situation du destinataire professionnel et non professionnel, ce dernier étant libre d'accepter ou de refuser, préalablement, la modalité du recommandé électronique, sans toutefois définir le "professionnel". Comment pensez-vous que cette notion doit être délimitée ?

Isabelle Renard : J'ai effectivement pu lire dans différents commentaires, que l'absence de définition du "professionnel" était une autre source de problèmes. Le professionnel est généralement entendu aujourd'hui comme "celui qui agit dans le cadre d'une activité professionnelle", et je ne suis pas persuadée que ce soit ce sujet qui provoque le plus de litige dans le cadre de la mise en oeuvre de ces dispositions.

Lexbase : S'agissant de la preuve de la date de réception du courrier électronique, quelles sont les carences du texte ?

Isabelle Renard : L'article 1369-8, alinéa 3, du Code civil prévoit que "lorsque l'apposition de la date d'expédition ou de réception résulte d'un procédé électronique, la fiabilité de celui-ci est présumée, jusqu'à preuve contraire, s'il satisfait à des exigences fixées par un décret en Conseil d'Etat".

Le décret publié le 4 février dernier ne prévoit rien concernant l'horodatage, ce qui constitue le véritable obstacle pour l'application du dispositif prévu par l'article 1369-8 du Code civil.

L'absence de présomption de fiabilité de la date de réception rend le dispositif prévu par l'article 1369-8 du Code civil sans intérêt en pratique pour les applications qui revêtent des enjeux importants liés à la date. Par exemple, en matière de copropriété, la date de réception du procès-verbal d'assemblée générale des copropriétaires est excessivement importante, puisqu'elle détermine l'application d'un délai de deux mois ou de dix ans pour s'opposer à la décision. On voit mal les grands syndics de copropriété prendre le risque de recourir au recommandé électronique si la date de réception du courrier ne dispose d'aucune présomption de fiabilité.

Lexbase : Quels sont les moyens d'action pour obtenir la publication de ce texte ?

Isabelle Renard : Le décret pris le 2 février 2011 est intervenu à la suite d'une décision du Conseil d'Etat en date du 22 octobre 2010, ayant fait injonction au Premier ministre de prendre, dans un délai de six mois, le décret en Conseil d'Etat nécessaire à l'application de l'article 1369-8 du Code civil (CE 1° et 6° s-s-r., 22 octobre 2010, n° 330216 N° Lexbase : A4536GCY). Le Haut conseil a, en effet, considéré que "si l'absence de mesures réglementaires ne fait pas obstacle à la faculté, prévue par l'article 1369-8 du Code civil, d'employer un procédé électronique afin d'envoyer un courrier recommandé avec accusé de réception relatif à un contrat, elle ne permet toutefois pas de satisfaire à la présomption instituée par le législateur ; qu'en dépit des difficultés techniques éventuellement rencontrées par l'administration dans l'élaboration des textes dont l'article précité prévoit l'intervention, son abstention à les prendre à la date de la décision attaquée s'[était] prolongée au-delà d'un délai raisonnable".

Dans la mesure où le décret en date du 2 février ne permet toujours pas de satisfaire à la présomption de fiabilité de la date de réception, si un second décret n'intervient pas avant l'expiration de ce délai de six mois, soit d'ici le mois d'avril, une nouvelle action devra être intentée afin de faire condamner l'Etat à prendre un deuxième décret. Mais si l'on devait en arriver là, soit deux actions devant le Conseil d'Etat pour obtenir la publication du texte, il me semble que ce ne serait pas glorieux pour un pays qui se targue d'être à l'heure de l'économie numérique !

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