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N5102BRE
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
D'abord, un Etat membre peut, dans certaines conditions, interdire la retransmission exclusive de l'ensemble des matchs du championnat du monde ou d'Europe de football sur une télévision payante, en vue d'assurer la possibilité pour son public de suivre ces évènements sur une télévision à accès libre. En effet, lorsque ces compétitions sont, dans leur intégralité, d'une importance majeure pour la société, cette restriction de la liberté de prestation des services et d'établissement est justifiée par le droit à l'information et par la nécessité d'assurer un large accès du public aux retransmissions télévisées de ces événements. L'analyse des juges communautaires est empreinte d'un froid réalisme quant à la place du football dans les sociétés occidentales et européennes en particulier. Est-il utile de rappeler qu'avec les jeux olympiques, les coupes du monde ou européenne de football sont les évènements quasi-planétaires les plus suivis par l'humanité. Quelques 40 milliards de téléspectateurs cumulés pour la coupe du monde de football de 1998, près de 43 milliards pour celle de 2002 ; et le nombre va, bien entendu, croissant. Par conséquent, l'administration de la preuve de l'intérêt général que constitue la retransmission des matchs de football des compétitions internationales les plus prestigieuses est assez aisée. Quant à l'importance majeure de ces évènements sportifs, elle est démontrée, chaque jour, par l'engouement des cinq continents pour le sport en lui-même -le football est le sport regroupant le plus de licenciés au monde-, et par l'impact économique et social du "ballon rond" dans la promotion de l'image d'un pays -l'Afrique du Sud pour ce qui est de la dernière coupe du monde en date-, de son savoir faire -l'élaboration des infrastructures modernes fut un enjeu majeur pour la France à la veille de sa coupe du monde de 1998-, de l'intégration sociale -de la France "black-blanc-beur", aux favelas de Rio-. Et, c'est bien parce que le football est aussi répandu que la religion sur terre, que le Politique, administrateur de la cité, ne pouvait que se préoccuper de la manière dont les masses pouvaient avoir accès à ce spectacle hautement populaire, à cet autre opium des peuples. Aussi, lorsque l'Union européenne valide la législation de plusieurs Etats membres qui, pour deux d'entre eux (l'Allemagne et la Grande Bretagne), sont deux grandes Nations du football, et pour le dernier (la Belgique) est à la recherche d'un divertissement populaire capable de reléguer sa crise gouvernementale sans précédent au second plan, elle permet l'ouverture de la retransmission des matchs d'importance au plus grand nombre de spectateurs, et les technocrates européens, si souvent taxés d'éloignement, se rapprochent, à cette occasion, significativement des peuples ainsi administrés.
Ensuite, ces décisions du 17 février 2011 marquent, certainement, une nouvelle étape de tension entre les instances du football et les chaînes de télévision. Cette tension est inhérente au couple footballo-télévisuel, tant, à vrai dire, les relations ne furent que rarement au beau fixe. Ernest Chamond ne s'était pas trompé, lorsqu'en 1927, il prévoyait que le football serait le plus grand spectacle télévisé -rappelons que la télévision n'est véritablement née qu'en 1932-. Et, si la première retransmission sportive n'est pas un match de football, mais les jeux olympiques de Berlin, en 1936, de triste mémoire, le ballon rond a immédiatement emboîté le pas en novembre 1936, par une rencontre Allemagne-Italie. Et, tant que Wembley regroupait 100 000 spectateurs, pour une finale de FA challenge cup, contre 10 000 téléspectateurs, en 1938, la question des droits de retransmission n'était pas vraiment à l'ordre du jour. Ce n'est qu'au milieu des années 50 que les clubs prennent alors conscience de l'attrait des téléspectateurs pour le football et y voient, dans un premier temps, une concurrence à la billetterie des stades. Résultat impensable de nos jours : les stades sont fermés aux caméras, les chaînes de télévisions font le blocus de l'information footballistique, jusqu'à ce que les chaînes de télévision acceptent... de dédommager les clubs. Et, le système, avec des hauts et des bas, perdurera jusqu'au début des années 80 et l'apparition... des télévisions payantes. Ces chaînes ont à leur tête des dirigeants qui comprennent que pour engranger rapidement des abonnés, il leur faut une plus-value télévisuelle d'importance et fédérative : le football réunit ses attraits, alors que, dans le même temps, les clubs sont à la recherche de financements de plus en plus importants, dans une course effrénée à l'acquisition des meilleurs joueurs mondiaux. Il s'agissait, dès lors, pour les chaînes payantes d'emporter les droits de retransmission, si possible exclusifs, des plus belles compétitions, des meilleurs championnats. Et, si en 1990, les droits télévisuels de la coupe du monde s'élèvent à 90 millions de francs suisses, ceux de 2006 se sont élevés à 1,5 milliards de francs suisses (la FIFA, organisme collecteur, étant basée à Zurich). En brisant les ailes de l'exclusivité de la retransmission des matchs des plus importantes compétitions, l'Union européenne autorise les Etats membres à assurer un "service public" de l'accès au football à leurs populations, et pourrait bien tempérer l'envolée progressive du montant des droits. En effet, quelle chaîne de télévision payante ferait de la surenchère pour acquérir des droits de retransmission non exclusifs, au risque que les matchs soient suivis majoritairement sur une chaîne en accès libre -à l'exemple de la finale de la coupe du monde de 1998, vue par 21 millions de téléspectateurs sur TF1 et 3 millions sur Canal+- ? A l'heure où la principale chaîne payante française promet, déjà, une baisse de son offre pour l'acquisition des droits de retransmission, certes du championnat français, la dernière jurisprudence européenne donne ainsi de l'eau à son moulin...
Enfin, la deuxième salve ne devrait pas tarder à être tirée : la Cour de justice pourrait bien interdire l'exclusivité de la retransmission des matchs dans un pays et autoriser, en l'espèce, cette tenancière d'un pub anglais à proposer, à ses habitués de la pinte, de regarder le championnat anglais via une chaîne de télévision... grecque. En effet, les ligues de football ont pris l'habitude de ne pas céder les droits de retransmission au même tarif suivant la nationalité des chaînes de télévision se portant acquéreuses -l'intérêt des téléspectateurs et les annonceurs publicitaires n'étant évidemment pas homogène-. Il s'ensuit, naturellement, un coût, pour le spectateur final des chaînes de télévision ainsi avantagées, moindre. Et, à l'heure de la télévision par satellite, il est étonnant que les instances footballistiques et les chaînes de télévision n'aient pas pris le problème en amont. La réponse de l'Union européenne, au nom de la libre prestation de service, pourrait bien être cinglante et entraîner, progressivement, l'effondrement du business si savamment orchestré par les fédérations sportives. Une baisse des droits de retransmission devrait, également, découler d'une telle atteinte à l'exclusivité de la retransmission des matchs dans un pays.
Reste, alors, à la FIFA, à l'UEFA comme à chaque fédération nationale de repenser le financement et de tempérer les dépenses des clubs à l'horizon d'une baisse structurelle du montant de la redistribution des droits cédés. Et, c'est toute une économie qu'il convient de restructurer à l'approche de nouveaux médias intéressés, eux aussi, par le ballon rond. Dernièrement, on apprenait ainsi que Youtube, filiale de Google, pourrait bien retransmettre, en direct, des matchs de football, après s'être essayé, avec succès, au cricket. Or, la fixation du montant des droits afférents pourrait s'avérer être casse tête pour les protagonistes, sans référent aucun concernant les recettes publicitaires susceptibles d'être engrangées pour amortir l'opération. Par ailleurs, à l'heure du streaming, la diffusion gratuite de vidéos sans possibilité d'enregistrement, "l'industrie" du football pourrait bien être confrontée aux mêmes affres que l'industrie du disque et celle du cinéma... En septembre 1957, Matt Busby résumait la situation en réclamant pour ses joueurs les mêmes égards qu'ont les vedettes de cinéma : "Les footballeurs doivent être payé sur leur valeur. Pas de rétribution, pas de télévision". Et, la boucle serait ainsi bouclée, mais pas dans sens que le célèbre entraîneur de Manchester United l'avait imaginé...
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