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N5124BR9
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 03 Mars 2011
Didier Reins : Il faut distinguer deux situations bien différentes, à savoir : lorsque le conducteur vient de commettre l'infraction ; et lorsqu'il est informé du retrait d'un certain nombre de points sur son permis de conduire. Lorsque le conducteur commet une infraction, il en est avisé par les forces de police ou de gendarmerie, soit au moment même de la commission de cette infraction lorsqu'il est interpellé sur place, soit quelques jours plus tard lorsqu'il a été flashé par radar et qu'il reçoit l'avis de contravention à son domicile. Dans l'un ou l'autre cas, les forces de police ou de gendarmerie doivent respecter à la lettre les dispositions de l'article L. 223-3 du Code de la route (N° Lexbase : L2660DKQ) qui leur impose d'informer l'automobiliste du nombre maximum de points qui peut être retiré pour chaque type d'infraction, et de l'existence d'un traitement automatisé des points auquel l'automobiliste peut accéder pour vérifier le nombre de points qui lui reste sur son permis de conduire. Le retrait de points sera opéré quelques semaines ou mois plus tard, selon les préfectures, et l'automobiliste devra en être avisé selon trois modes distincts.
- premier mode (le plus classique) : chaque fois qu'un automobiliste perd un ou plusieurs points, le ministère de l'Intérieur lui écrit par lettre simple pour l'en informer. On appelle cela le "formulaire 48".
- deuxième mode : lorsque l'automobiliste a perdu plus de la moitié de ses points, que ce soit en une ou plusieurs fois, le ministère de l'Intérieur lui écrit en recommandé avec accusé de réception pour l'en informer. Il est évident qu'à ce stade, l'automobiliste a tout intérêt à réagir et à effectuer un stage de reconstitution de points qui lui permettra de rajouter quatre points supplémentaires sur son permis de conduire.
- troisième mode (le plus sévère) : lorsque l'automobiliste a perdu la totalité de ses points, le ministère de l'Intérieur lui écrit en recommandé avec accusé de réception pour l'informer de l'invalidation de son permis de conduire et l'inviter à restituer celui-ci auprès des services de la préfecture dans un délai de 10 jours. A ce moment-là, l'automobiliste n'a plus le droit de conduire pour quelque motif que ce soit. On appelle cela le "formulaire 48SI"
La légalité d'un retrait de points est conditionnée par ces éléments d'information qui doivent être apportés à l'automobiliste préalablement, c'est-à-dire avant que le ministre ne prononce ledit retrait de points. Si l'automobiliste n'a pas reçu ces informations préalablement au retrait de points, ou si l'administration n'est pas en mesure de prouver qu'il lui a apporté cette information de manière certaine, alors le retrait de points sera illégal et l'automobiliste pourra demander au tribunal administratif d'ordonner au ministre de l'Intérieur de lui restituer les points illégalement retirés.
Lexbase : Comment l'administration peut-elle prouver qu'elle a bien apporté au conducteur flashé l'information préalable obligatoire ? Quelle est la position de la jurisprudence sur ce point ?
Didier Reins : Lorsqu'un automobiliste se fait flasher, il reçoit quelques jours plus tard un avis de contravention dans sa boîte aux lettres. Ces avis de contravention sont des formulaires types qui contiennent en général les informations préalables obligatoires prévues par le Code de la route. En revanche, il arrive fréquemment que ces avis de contravention ne parviennent pas au domicile du conducteur (lorsque celui-ci a déménagé, par exemple) et que ce dernier ne les règle donc pas. Dans ce cas, l'administration majorera ces amendes à l'aide d'un autre formulaire type et procédera très souvent au recouvrement de l'amende majorée par le biais d'un avis à tiers détenteur qui est une procédure spécifique utilisée par le Trésor public pour le recouvrement de certaines taxes.
Or, il faut savoir que le recouvrement des amendes par le biais de l'avis à tiers détenteur est totalement illégal. Pour autant, les formulaires utilisés par l'administration pour majorer des amendes et recourir au recouvrement forcé de leur montant ne contiennent jamais les informations préalables requises par le Code de la route. Dans ces conditions, le recouvrement de l'amende majorée, qu'il résulte d'un paiement volontaire du conducteur ou d'un recouvrement forcé, et suivi d'un retrait de points, sera entaché d'illégalité car le ministre de l'Intérieur ne pourra pas prouver qu'il a apporté au conducteur les informations préalables requises. En effet, rien n'indique que le conducteur a bel et bien reçu l'avis de contravention envoyé quelques jours après la commission de l'infraction. Par ailleurs, l'administration ne pourra contester le fait que les autres formulaires utilisés pour la majoration des amendes et leur recouvrement forcé ne contiennent pas les informations requises par le Code de la route.
De manière générale, celle-ci est souvent incapable de démontrer qu'elle a apporté au conducteur les informations préalables imposées par la loi. Or, il pèse sur le ministre de l'Intérieur une charge essentielle qui est celle de la preuve : cela signifie que si celui-ci ne peut pas prouver de manière irréfutable que ses services ont respecté à la lettre les dispositions du Code de la route, il sera considéré comme n'ayant pas respecté la procédure de retrait de points. La jurisprudence est très ferme et n'hésite pas à annuler les retraits de points prononcés. Ainsi, dans une décision du 19 janvier 2010 (1), la cour administrative d'appel de Marseille énonce que "M. X soutient que les informations prévues par les dispositions des articles L. 223-3 et R. 223-3 (N° Lexbase : L2072IBD) [...] du Code de la route, figurant au verso de la quittance de paiement, ne lui ont été accessibles qu'après le règlement de l'amende à l'agent verbalisateur [...] l'intéressé doit, ainsi, être regardé comme ayant été placé dans l'impossibilité de faire le choix, en connaissance de cause, d'acquitter ou non l'amende forfaitaire [...] [il] n'a pas bénéficié de l'information préalable exigée par les dispositions précitées du Code de la route alors qu'une telle information présente un caractère substantiel". En outre, dans un arrêt rendu le 18 juin 2009 (2), les juges versaillais soulignent que "la circonstance que M. X a réglé l'amende forfaitaire ne saurait suffire à établir qu'il a effectivement reçu lesdites informations préalablement au règlement de l'amende [...] par suite, la décision de retrait de quatre points du capital de points du permis de conduire de M. X est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière et encourt, pour ce motif, l'annulation".
Lexbase : Un arrêt rendu le 22 juin 2010 par la cour administrative d'appel de Bordeaux (3) semble défavorable aux autorités publiques. Pouvez-vous nous détailler le contenu et la portée de cette décision ?
Didier Reins : En fait, cette décision s'intègre dans un corps jurisprudentiel beaucoup plus large qui impose à l'administration, d'une part, de respecter à la lettre le Code de la route lorsqu'elle procède à un retrait de points, et, d'autre part, de se ménager des éléments probatoires irréfutables pour pouvoir apporter au juge administratif la preuve qu'elle a bien informé le conducteur de l'ensemble de ses droits avant de lui retirer ses points. La motivation de cette décision est, d'ailleurs, sans ambiguïté : "[...] pour les infractions constatées par radar automatique les 11 octobre 2005, 9 novembre 2005, 18 janvier 2006 et 12 février 2006, le ministre de l'Intérieur a produit la copie des avis de contravention adressés à Mlle X et des attestations établies par la trésorerie du contrôle automatisé de Rennes certifiant le recouvrement des amendes forfaitaires majorées [...] toutefois, ces documents ne permettent pas de regarder l'administration comme apportant la preuve que Mlle X ait reçu l'information prévue par les dispositions précitées [...]"
Il n'existe pas de doctrine unique qui permettrait de dire la même chose ou de développer le même argument à chaque fois que des points sont retirés du permis de conduire d'un conducteur. Mais l'esprit de la jurisprudence reste le même : avant de se voir retirer des points, le conducteur doit être informé des conséquences de ces retraits afin de pouvoir appréhender en toute connaissance de cause la situation exacte de son permis de conduire et d'envisager de passer un stage de reconstitution de points. En conséquence, il faut, pour chaque infraction, analyser les circonstances dans lesquelles celle-ci s'est produite, et principalement les modalités selon lesquelles le conducteur a été informé de la constitution de l'infraction. En effet, les choses ne se passent pas de la même façon selon que le conducteur est arrêté sur place ou selon qu'il reçoive quelques jours plus tard un avis de contravention.
Après avoir analysé ces circonstances, il faut mettre celles-ci en avant pour démontrer qu'elles n'ont pas permis aux forces de police ou de gendarmerie d'apporter au conducteur les informations préalables requises, ou que les formulaires types envoyés par l'administration à ce dernier ne contenaient pas les mentions obligatoires. La cour administrative d'appel de Bordeaux est, comme tous les autres tribunaux administratifs et toutes les autres cours administratives d'appel, ainsi que le Conseil d'Etat, très exigeante envers l'administration dont elle est le principal censeur, et lui rappelle donc constamment les obligations légales qui pèsent sur elle, ainsi que la charge de la preuve qu'elle doit supporter.
Lexbase : En l'état actuel du droit, comment peut répliquer efficacement l'administration en cas de contestation d'un excès de vitesse enregistré par un radar ?
Didier Reins : Il faut là aussi distinguer entre deux situations très différentes : soit l'automobiliste conteste l'existence même de l'excès de vitesse, soit il conteste avoir conduit le véhicule à propos duquel une infraction a été relevée. Si l'automobiliste conteste l'existence même de l'excès de vitesse, il faut savoir que cette question fait l'objet d'un débat très vif devant les tribunaux judiciaires, dans la mesure où il a été démontré que les radars utilisés pour enregistrer la vitesse d'un conducteur sont souvent défaillants ou mal positionnés. En effet, ces radars doivent faire l'objet de contrôles fréquents pour vérifier leur efficacité.
Par ailleurs, la loi réglemente de manière très précise la façon dont ces radars doivent être positionnés le long de la route en respectant certains angles de calcul. Là encore, l'administration doit être en mesure de rapporter la preuve qu'elle a satisfait à l'ensemble de ses obligations en la matière. Tout est fonction des circonstances, mais l'automobiliste a le libre choix des armes en matière de preuve : il peut donc rapporter la preuve de son innocence par tout moyen, ce qui lui laisse une assez grande liberté. Si l'automobiliste conteste avoir été au volant de son véhicule lorsque l'infraction a été relevée, cela signifie donc qu'une autre personne conduisait ce véhicule à ce moment-là. Contrairement à une affirmation trop souvent entendue, l'automobiliste n'a aucune obligation de dénonciation : il n'est donc pas tenu de donner l'identité de la personne qui conduisait son véhicule au moment où l'infraction a été commise. Il appartient donc au titulaire de la carte grise de demander la photographie du véhicule lorsque celui-ci a été flashé.
A partir de là, soit le véhicule est photographié par l'avant et, dans ce cas, on voit très bien qui conduisait ce véhicule. A moins d'être méconnaissable si la photo est floue, et si le conducteur se reconnaît, l'administration pourra en tirer avantage et procéder au retrait des points. Soit le véhicule est photographié par l'arrière et, par définition, il est impossible de savoir qui le conduisait. Comme le propriétaire du véhicule n'a pas l'obligation de dénoncer la personne à qui il avait prêté son véhicule, il appartient à l'administration de donner l'identité du conducteur au moment où l'infraction a été commise, ce qui sera impossible. Dans ce cas, le propriétaire du véhicule sera tenu au paiement de l'amende, en sa qualité de titulaire de la carte grise, mais il ne perdra pas ses points car ceux-ci ne peuvent être retirés qu'à l'encontre d'un conducteur clairement identifié. Là encore, et très souvent, l'administration se heurte à un problème de preuve qui la conduit à renoncer à retirer des points ou à se voir ordonnée de restituer les points illégalement retirés lorsque le juge est saisi de cette question.
Lexbase : Quelles évolutions juridiques pourraient permettre de trouver un juste équilibre entre défense de la sécurité routière et protection des droits de l'automobiliste ?
Didier Reins : Tout d'abord, il faut rappeler que la sécurité routière est un impératif pour chacun et que les règles qui visent à la garantir sont donc légitimes. Notre arsenal législatif souffre aujourd'hui d'un problème évident qui résulte d'un manque de communication entre l'administration et le justiciable. Très souvent, ce dernier n'est pas informé des retraits de points opérés sur son permis de conduire, et cela d'autant plus que les conducteurs n'informent jamais la préfecture de leur changement de résidence. La mauvaise surprise arrive alors comme une douche froide : le conducteur apprend que son permis de conduire a été invalidé au motif qu'il a perdu la totalité de ses points, alors que si d'autres efforts avaient été faits pour l'informer de l'état de son permis de conduire, celui-ci aurait pu, d'une part, adopter certaines règles de prudence jusque-là non observées et, d'autre part, participer à des stages de sensibilisation aux règles de la sécurité routière permettant de récupérer un nombre de quatre points.
Si l'administration voulait être irréprochable, elle enverrait tous ces courriers en lettre recommandée avec accusé de réception, et principalement les "formulaires 48". Mais cela aurait, bien évidemment, un impact très lourd sur le budget de l'Etat qui ne peut supporter un tel coût. Dans ces conditions, et dans la mesure où l'Etat est autorisé à envoyer les "formulaires 48" en lettre simple, il ne pourra jamais satisfaire à la charge probatoire qui pèse sur lui. En réalité, le système de défalcation des points est très mal calibré dans la mesure où il s'abat principalement sur des conducteurs pris en infraction au moment même où ils se rendent à leur travail, et cela pour de petits excès de vitesse. C'est d'ailleurs comme cela que la majorité des points se perdent en France.
Il conviendrait, alors, d'envisager un autre système où des points seraient retirés uniquement pour les infractions les plus graves mais où la réitération des infractions entraînerait une majoration de l'amende de façon exponentielle. Il s'agit là de l'unique moyen de faire réfléchir les automobilistes en visant ce qui touche le plus au coeur les contribuables, à savoir le volet financier. Si le montant des amendes était augmenté de façon exponentielle en fonction du nombre d'infractions commises par l'automobiliste, ce qui suppose, d'ailleurs, un traitement individualisé de la sanction qui n'existe pas à l'heure actuelle, nous assisterions à un regain de prudence de la part de tous les conducteurs.
Rappelons, en effet, que la perte du permis de conduire n'empêche pas bon nombre des automobilistes de rouler malgré tout, ce qui entraîne bien d'autres problèmes. La recherche d'un équilibre entre sécurité routière et droits de l'automobiliste est donc un exercice particulièrement périlleux. Pour autant, la perte d'un point pour un petit dépassement de vitesse n'a jamais incité les conducteurs à lever le pied. Il s'agit là d'une réalité que même les statistiques plus ou moins arrangées ne parviennent pas à renverser. L'évolution juridique que l'on nous annonce actuellement ne favorisera certainement pas cet équilibre, car si l'Etat songe à augmenter le montant des amendes, il n'envisage, cependant, pas de réformer le système des retraits de points. Cela est tellement vrai que l'on nous annonce plusieurs milliers de radars supplémentaires pour l'année 2012.
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