La lettre juridique n°429 du 24 février 2011 : Libertés publiques

[Jurisprudence] De la liberté de dénoncer les effets nocifs d'un médicament... - Questions à Maître François Honnorat, Avocat associé, Cabinet Racine

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 26 Février 2011

Alors que le rapport administratif de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur le Mediator, remis le 15 janvier 2011 au ministre de la Santé, a confirmé l'ampleur du scandale de cette affaire, mettant en cause la responsabilité du système français de contrôle pharmaceutique, la cour d'appel de Rennes statuait quelques jours plus tard, le 25 janvier, sur la question de la censure du sous-titre du fameux ouvrage consacré au Mediator, qui avait été ordonnée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Brest le 7 juin 2010. Ce dernier avait estimé que la mention "Combien de morts" sur la couverture de l'ouvrage était constitutive, sur le fondement d'un dénigrement commercial, d'un dommage imminent pour les laboratoires ayant commercialisé le produit. Mais les seconds juges infirment la décision, considérant que "non seulement le titre dont le retrait a été ordonné ne constitue pas un trouble manifestement illicite ou de nature à causer un dommage imminent, mais a contribué à faire avancer un légitime débat sur la nocivité d'un médicament antérieurement mis sur le marché". Ils concluent que "l'association entre la prise du médicament et un nombre de décès à quantifier, en raison de la forme interrogative, ne constitu[ait] pas un acte de dénigrement commercial du produit" (CA Rennes, 1ère ch., sect. A, 25 janvier 2011, n° 10/04473 N° Lexbase : A0317GR8). Pour comprendre le sens de cette décision, Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître François Honnorat, Avocat associé du cabinet Racine, qui défendait le célèbre médecin auteur de l'ouvrage, et qui a accepté de répondre à nos questions.

Lexbase : La dernière partie des motifs de la décision s'attache à démontrer la pertinence de la question censurée en référé compte tenu des conclusions de l'étude de l'AFSAPS publiées en novembre 2010, soit après la décision du juge des référés du 7 juin 2010. La prise en compte de ces éléments n'est-elle pas contestable alors que la cour d'appel devait seulement "rechercher, si, au moment où le premier juge a statué, cette mention dénigrait le produit au nom duquel ce titre était associé" comme elle l'indique au début des motifs ?

François Honnorat : Notre contestation de l'ordonnance prononcée par le juge de Brest portait, notamment, sur le défaut de considération des dispositions de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4743AQQ) qui reconnaît à toute personne le droit à la liberté d'expression. Si ce droit comprend des limites, la Cour européenne rappelle que ces limites doivent être appréciées d'autant plus restrictivement que le débat porte sur un sujet d'intérêt général. L'appréciation des restrictions apportées à la liberté d'expression est particulièrement sévère lorsque le débat touche, en particulier, à la santé publique (CEDH, 7 novembre 2006, Req. 12697/03 N° Lexbase : A1924DS3).

La cour d'appel expose les motifs de sa décision après avoir rappelé la teneur des dispositions de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et il est clair que c'est dans cet esprit qu'elle a souhaité développer son analyse.

La cour insiste particulièrement sur les éléments du débat tels qu'ils étaient posés par le Comité scientifique de l'agence européenne du médicament dès le 18 mars 2010 et critique la communication des Laboratoires S. à l'adresse des professionnels de santé le 2 juin suivant dans la mesure où les Laboratoires persistaient à soutenir qu'aucun argument scientifique ne permettait d'établir un lien entre l'exposition au Benfluorex et la survenue de maladie des valves cardiaques, alors que ce lien était avéré. Elle déduit notamment de ces éléments, antérieurs à l'ordonnance prononcée le 7 juin 2010, la parfaite légitimité du débat initié par le titre de l'ouvrage attaqué.

Lexbase : Les seuls éléments connus à disposition du juge des référés le 7 juin 2010 étaient-ils suffisant pour admettre l'existence d'un trouble manifestement illicite ?

François Honnorat : Les Laboratoires S. fondaient leur demande de censure non pas sur le caractère diffamatoire du titre de l'ouvrage mais sur le dénigrement commercial qui résultait prétendument de ce titre. Ce faisant, le laboratoire pharmaceutique excluait une atteinte à sa considération professionnelle et avait choisi de placer le débat sur le terrain de l'atteinte à l'image du produit. Cette demande était un peu paradoxale à une date où la commercialisation de ce produit était suspendue par les autorités sanitaires françaises et où l'avis du comité scientifique de l'agence européenne du médicament ne laissait plus aucun doute sur la décision de la commission qui s'orientait vers un retrait définitif de cette spécialité pharmaceutique dangereuse. Les Laboratoires S. n'ont, d'ailleurs, contesté aucune de ces décisions provisoires ou définitives.

Il était assez paradoxal de critiquer une question relative à un produit retiré du marché. Le raisonnement suivi par le juge de Brest qui évoquait l'influence possible de cette question sur la décision de retrait définitif qui devait être prononcée quelques jours plus tard constituait tout au plus un dommage éventuel dont on sait qu'il ne peut pas fonder une mesure conservatoire qui plus est restrictive de la liberté d'expression.

Lexbase : Dans son arrêt, la cour d'appel de Rennes conclut que "non seulement, le titre dont le retrait a été ordonné ne constitue pas un trouble manifestement illicite ou de nature à causer un dommage imminent mais a contribué à faire avancer un légitime débat sur la nocivité d'un médicament antérieurement mis sur le marché". Comment analysez vous ces derniers termes ? Quelle est leur portée ?

François Honnorat : Cet attendu est particulièrement important car il présente un intérêt pour les "lanceurs d'alerte". Dans une société démocratique, on ne doit pas pouvoir censurer un débat légitime a fortiori lorsqu'il présente un intérêt pour la santé publique. Lorsque les procédures de contrôle par des autorités publiques sont défaillantes, comme elles l'ont été s'agissant du Mediator, des acteurs indépendants doivent pouvoir alerter l'opinion sans risque de censure injustifiée. Il n'est donc pas neutre dans cette affaire que la cour d'appel ait estimé devoir insister sur la légitimité du débat relatif à la nocivité d'un médicament antérieurement mis sur le marché.

Lexbase : L'arrêt rendu par la cour d'appel de Rennes, au-delà de l'importance qu'il revêt dans "l'affaire du Mediator", constitue-t-il une avancée jurisprudentielle en matière de dénigrement commercial ?

François Honnorat : A l'occasion des plaidoiries, nous avions demandé à la cour d'appel de marquer un point d'arrêt au recours abusif à cette construction prétorienne que constitue le dénigrement commercial et que certains opérateurs économique n'hésitent pas à détourner de sa finalité (garantir une certaine loyauté dans les rapports économiques) pour porter une atteinte injustifiée à la liberté d'expression. Le titre de l'ouvrage de librairie rédigé par le Docteur F. ne répondait pas à un objectif publicitaire. Il s'agit d'un témoignage sur les graves imperfections de notre système de pharmacovigilance. Accepter la décision du juge de Brest revenait à accepter que des opérateurs économiques viennent systématiquement contourner les rigueurs de la loi sur la presse chaque foi qu'il est question de leurs produits.

Les restrictions apportées à la liberté d'expression doivent répondre à des exigences encadrées par la loi et ne doivent pas abusivement se référer à une construction prétorienne comme c'est le cas du dénigrement commercial.

Lexbase : Au fond, la demande de censure présentée par le laboratoire n'a-t-elle pas constitué une erreur stratégique dans le cadre plus général de "l'affaire du Médiator" ?

François Honnorat : En demandant la censure de la question relative au nombre de morts qui pouvaient être attribués à la consommation de Mediator, les Laboratoires S. ont déclenché une polémique dont ils n'avaient pas suffisamment mesuré l'ampleur. Le titre censuré a été repris dans une tribune publiée par le député Gérard Bapt au mois d'août 2010. Une forte pression s'est exercée sur l'Afssaps pour que des études épidémiologiques répondent à cette question. La publication de leurs résultats est à l'origine d'une crise sans précédent et d'une grave perte de confiance dans le médicament et les instances qui président à l'évaluation de leur toxicité.

Nul ne sait quel aurait été le sens de l'histoire si la censure de cette question n'avait pas été demandée par les Laboratoires S..

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