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N4953BRU
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le 24 Février 2011
Par cet important arrêt, la Chambre commerciale de la Cour de cassation apporte une nouvelle précision sur le régime de l'action directe de l'article L. 132-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L5640AIQ).
Un expéditeur confie divers transports à un transporteur. Le transporteur sous-traite les opérations, les sous-traitants étant directement payés par l'expéditeur. Le transporteur, en liquidation, réclame paiement du prix des transports à l'expéditeur. La cour d'appel condamne ce dernier à payer (CA Nîmes, 2ème ch., 15 octobre 2009, n° 07/02912 N° Lexbase : A6205GPI). Sur pourvoi, l'expéditeur invoquait deux arguments : d'abord, qu'il est régulièrement libéré de sa dette à l'égard du transporteur principal par le paiement réalisé entre les mains de celui auquel a été effectivement sous-traité l'exécution du transport ; ensuite, que l'expéditeur ne doit garantie qu'au seul transporteur effectif, en sorte qu'il ne saurait être contraint à payer une seconde fois le prix du transport au transporteur principal alors qu'il s'est directement libéré entre les mains du transporteur effectif. En condamnant l'expéditeur à payer le transporteur sous-traiteur malgré ces arguments, la cour d'appel aurait violé l'article L. 132-8 Code de commerce. La Chambre commerciale ne fait pas droit à cette argumentation. Rejetant le pourvoi, elle approuve l'arrêt d'avoir retenu que "le paiement d'un transporteur sous-traitant par l'expéditeur ou le destinataire libère ces derniers de leur dette à l'égard de ce transporteur, en qualité de garants du paiement du fret au sens de l'article L. 132-8 du Code de commerce, mais pas de la dette contractuelle à l'égard du donneur d'ordre qui reste impayé".
La solution est claire : le paiement fait par l'expéditeur au sous-traitant ne le dispense pas de payer également le prix à son contractant direct.
L'article L. 132-8 du Code de commerce est un texte emblématique en matière de droit des transports. Issu de la loi dite "Gayssot" du 6 février 1998 (loi n° 98-69, tendant à améliorer l'exercice du transport routier de marchandises N° Lexbase : L4769GU8), il dispose que "la lettre de voiture forme un contrat entre l'expéditeur, le voiturier et le destinataire ou entre l'expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier. Le voiturier a ainsi une action directe en paiement de ses prestations à l'encontre de l'expéditeur et du destinataire, lesquels sont garants du paiement du prix du transport. Toute clause contraire est réputée non écrite". Le but du texte est ainsi d'instituer une action en paiement au profit du transporteur et à l'encontre de celui avec lequel il n'a pas conclu le contrat.
Le texte régit également les relations de sous-traitance, particulièrement fréquentes dans le domaine des transports. La jurisprudence a posé, sur le fondement de l'article L. 132-8 du Code de commerce, le principe d'une action directe du sous-traitant contre l'expéditeur : "le voiturier qui exécute, en qualité de substitué, l'expédition, a une action directe en paiement de ses prestations contre l'expéditeur, sauf si ce dernier à interdit à son cocontractant toute substitution" (Cass. com., 28 janvier 2004, n° 02-13.912, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0189DBM, Bull. civ. IV, n° 19 ; Cass. com., 26 novembre 2002, n° 01-01.056, FS-P+B N° Lexbase : A1215A4R, Bull. civ. IV, n° 181). La solution est certainement discutable. L'expéditeur, en effet, n'est pas partie au contrat conclu entre le transporteur principal et le sous-traitant. Dès lors, à suivre la lettre de l'article L. 132-8 du Code de commerce, il ne devrait pas subir l'action directe. La seule action qui devrait être possible serait celle fondée sur la loi du 31 décembre 1975 dont on sait qu'elle est applicable aux transports (C. transports, art. L. 1432-13 N° Lexbase : L8076ING). Quoi qu'il en soit, en payant directement les transporteurs sous-traitants, l'expéditeur ne faisait que se conformer à la jurisprudence.
La question était alors de savoir si ce paiement fait aux sous-traitants libérait l'expéditeur à l'égard du transporteur principal. Il serait, en effet, possible de soutenir qu'à défaut, l'expéditeur paierait deux fois pour la même prestation. De plus, on peut estimer que l'expéditeur s'est déjà acquitté du prix du transport, conformément à l'article L. 132-8 du Code de commerce, entre les mains des sous-traitants. Cependant, la position de la Cour de cassation est toute autre. Partageant l'opinion de la cour d'appel, elle estime que le paiement fait aux sous-traitants libère l'expéditeur de la dette qu'il a à leur égard, mais non de celle qu'il a vis à vis de son contractant. La solution, d'abord, est totalement justifiée au regard de l'article L. 132-8 du Code de commerce. A suivre le texte, l'expéditeur est garant du prix du transport envers le sous-traitant. C'est donc à l'égard de ce dernier que le paiement le libère. La solution repose surtout sur l'indépendance des contrats unissant l'expéditeur et le transporteur principal ainsi que le transporteur principal et le sous-traitant. Il y a là deux contrats distincts. Le paiement du prix par l'expéditeur au sous-traitant éteint la dette résultant du second contrat, mais celle issue du premier demeure. La Cour de cassation ne pouvait faire autrement que de respecter l'autonomie de chacune des conventions.
Il existe trois contrats permettant d'effectuer le transport de marchandises : le contrat de transport, le contrat de commission de transport et le contrat de location de véhicule avec conducteur. L'arrêt de la Chambre commerciale en date du 14 décembre 2010 permet de souligner les différences entre le contrat de transport et le contrat de location de véhicule.
Une société effectue divers transports pour le compte d'un expéditeur. Au cours de l'un d'entre eux, un véhicule se renverse, endommageant la marchandise. L'expéditeur assignait alors le voiturier en responsabilité. A titre reconventionnel, le transporteur réclamait le paiement du prix des transports. Il était débouté de cette demande par la cour d'appel. Sur pourvoi, l'arrêt est cassé, la cour d'appel n'ayant pas recherché si le voiturier avait, en qualité de transporteur, la maîtrise du déplacement de la chose.
Le contrat de transport se caractérise, en effet, par ce que le transporteur s'engage à déplacer une marchandise. L'obligation principale, caractéristique du contrat, est l'obligation de déplacement. Cette obligation s'exécute sous la maîtrise du transporteur. C'est lui, notamment, qui choisit librement l'itinéraire, qui décide de recourir ou non à la sous-traitance, etc..
En revanche, le contrat de location de véhicule avec conducteur se définit comme celui par lequel un loueur met un véhicule et son équipage à disposition d'un locataire. A la différence du contrat de transport, il n'a pas pour objet le déplacement d'une marchandise. La maîtrise du déplacement appartient au locataire, le loueur se contentant de respecter ses instructions. Ainsi, selon le contrat type de location d'un véhicule industriel avec conducteur pour le transport routier de marchandises (décret n° 2002-566 du 17 avril 2002, portant approbation du contrat type de location d'un véhicule industriel avec conducteur pour le transport routier de marchandises N° Lexbase : L4061IP4), il appartient au locataire de fixer les itinéraires, les points de chargement et de déchargement et les délais de livraison.
La cour d'appel aurait donc dû rechercher qui, en l'espèce, avait la maîtrise du déplacement. Si celle-ci revenait au voiturier, l'on était en présence d'un contrat de transport. En revanche, dans le cas contraire, il s'agissait d'un contrat de location.
La question présente de nombreux intérêts pratiques. Si, en ce qui concerne la détermination du prix du transport, la loi pose les mêmes règles en matière de contrat de transport et de location de véhicule (prohibition du transport à perte et indexation du prix du transport sur le coût du carburant), les régimes de responsabilité du transporteur et du loueur sont essentiellement différents. A la différence du transporteur, le loueur ne prend pas les marchandises en charge. Contrairement au transporteur, il n'est pas responsable de plein droit au cas où celles-ci subissent des avaries au cours du transport. Pour que le loueur soit responsable, il convient de prouver sa faute dans une opération de conduite. Les opérations de conduite sont limitativement énumérées par le contrat type comme étant : la conduite proprement dite du véhicule ; sa protection contre le vol dans des conditions normales de vigilance ; la préparation technique du véhicule ; la mise en oeuvre et la surveillance de ses éventuels équipements spéciaux (dispositifs de transport sous température dirigée, flexibles, clapets, compteurs et autres équipements des citernes, hayon élévateur, bras de manutention, etc.). Toutes les autres opérations sont des opérations de transport, qui demeurent de la responsabilité du locataire.
Les textes régissant les contrats ne sont pas non plus les mêmes. Ainsi, en l'espèce, l'assignation en responsabilité du voiturier avait lieu sur le fondement de la convention du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite "CMR" (N° Lexbase : L4084IPX). Si cette convention régit le contrat de transport, elle ne régit pas le contrat de location de véhicule avec conducteur.
Le contrat de transport est également régi par diverses dispositions du Code de commerce, en particulier les articles L. 133-1 (N° Lexbase : L5642AIS) à L. 133-8, relatifs, notamment, à la responsabilité du transporteur et à la prescription. En l'espèce, l'enjeu de la qualification du contrat était l'application de l'article L. 133-6 (N° Lexbase : L4810H9Z) établissant une prescription annale à l'égard de toute action découlant du contrat de transport. La cour d'appel et, implicitement, la Cour de cassation paraissent considérer que cette prescription ne s'applique pas au contrat de location de véhicule avec conducteur. Cette position peut se discuter. Allant au delà de la lettre du texte, la jurisprudence n'a pas hésité à étendre la prescription annale au contrat de commission de transport (Cass. com., 24 septembre 2003, n° 00-11.010, FS-P+B N° Lexbase : A6149C9M, Bull. civ. IV, n° 146). Il pourrait en aller de même du contrat de location, qui, comme le contrat de transport et de commission, vise à réaliser une opération de transport.
Cet arrêt, qui a largement bénéficié des feux de l'actualité, tranche un litige relatif à la responsabilité de la SNCF en cas de retard (1).
Un avocat devait plaider un dossier à Nîmes. Afin de se rendre à la gare de Lyon pour prendre sa correspondance, il prenait le train entre Melun et la gare, prévoyant une marge de 17 minutes. Le train partait cependant de Melun avec une demi-heure de retard, de sorte qu'à son arrivée à Paris, le train pour Nîmes était déjà parti. L'avocat assignait alors la SNCF en responsabilité. La cour d'appel, infirmant le jugement déféré, lui donne raison. Elle observe que la SNCF a l'obligation contractuelle d'amener les voyageurs à destination selon l'horaire prévu, conformément à l'impératif de ponctualité figurant dans son cahier des charges et condamne la SNCF à réparer l'intégralité du préjudice.
La solution adoptée par la cour est naturellement importante. Désormais, le seul retard à l'arrivée est de nature à entraîner la responsabilité du transporteur. La décision peut, néanmoins, être discutée. D'abord, le cahier des charges de la SNCF, sur lequel se fonde l'arrêt, ne paraît pas lui imposer une obligation de ponctualité aussi impérative. Son article 1er se limite à disposer que la SNCF a pour mission "d'exploiter les services ferroviaires sur le réseau ferré national dans les meilleures conditions de sécurité, d'accessibilité, de célérité, de confort et de ponctualité, compte tenu des moyens disponibles". On peut ne pas voir, dans cette pétition de principe, l'existence d'une obligation claire et déterminée s'imposant à la SNCF.
Par ailleurs, en principe, les délais contractuels ne sont qu'indicatifs. On pourrait soutenir que tel est le cas des délais indiqués par la SNCF. Toutefois, l'article 1146 du Code civil (N° Lexbase : L1246ABR) prévoit l'inutilité de la mise en demeure lorsque la chose devait être faite dans un certain temps que le débiteur a laissé passer. En ce cas, les délais deviennent impératifs. On pourrait alors considérer qu'il en va ainsi en l'espèce, où l'obligation devait être exécutée dans les délais convenus pour que le voyageur puisse obtenir sa correspondance. Par ailleurs, même dans le cas où les délais seraient indicatifs, il demeure que le transporteur est tenu d'effectuer le transport dans un délai raisonnable. Un retard de 30 minutes sur un trajet qui devait durer une demi-heure semble alors déraisonnable.
Pour s'exonérer la SNCF invoquait la faute de la victime, qui n'aurait pas prévu un délai suffisant pour prendre sa correspondance. En l'espèce, ce délai était de 17 minutes. L'argument est paradoxal. Il reproche à la victime de ne pas avoir anticipé les défaillances du transporteur. Très logiquement, la cour d'appel le repousse, estimant le délai suffisant. Il est possible de souligner que, dès lors que l'on met à charge du transporteur une obligation de ponctualité de résultat, le voyageur doit pouvoir compter sur les horaires qui lui sont communiqués.
Alors que le retard était imputable à une erreur d'aiguillage, la SNCF n'invoquait pas, en revanche, la force majeure. En effet, si une erreur d'aiguillage est bien irrésistible et semble bien imprévisible en ce qu'il n'est pas possible de l'anticiper pour y échapper, elle n'est pas extérieure à l'entreprise, dès lors que ce sont les propres préposés de la SNCF qui manoeuvrent l'aiguillage. Il pourrait en aller autrement si celui-ci était mis en oeuvre par le gestionnaire d'infrastructures.
Les faits s'étant déroulés en 2008, le Règlement n° 1371/2007 du 23 octobre 2007, sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires (N° Lexbase : L4837H3K), n'était pas encore applicable. Ce règlement, entré en vigueur en décembre 2009, prévoit un remboursement et une indemnisation forfaitaire en cas de retard supérieur à une heure. Ces dispositions ne paraissent cependant pas de nature à faire obstacle à la responsabilité du transporteur ferroviaire. Le Règlement précise bien, en effet, qu'il s'applique "sans préjudice du droit national octroyant aux voyageurs une plus grande indemnisation pour les dommages subis" (Règlement n° 1371/2007, art. 11). Il ne devrait donc pas porter atteinte à la responsabilité du transporteur pour retard.
Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole
(1) Cf. sur cet arrêt, L'obligation de ponctualité de la SNCF : mythe ou réalité ? - Questions à Maître Anne-Laure Archambault, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Mathieu & associés, Lexbase Hebdo n° 424 du 20 janvier 2011 - édition privée (N° Lexbase : N1607BRX).
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