Réf. : Cons. const., décision n° 2010-92 QPC, du 28 janvier 2011 (N° Lexbase : A7409GQH)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
le 24 Février 2011
Les arguments des requérantes étaient déjà contenus dans l'arrêt de la Cour de cassation transmettant la question prioritaire de constitutionnalité, et ont déjà fait l'objet de nos observations (3). Comme on pouvait le prédire, le Conseil constitutionnel considère que l'exigence de différence de sexe ne porte atteinte ni à la liberté individuelle, ni à la liberté matrimoniale.
A. L'exigence de différence de sexe dans le mariage ne porte pas atteinte à la liberté individuelle
A l'argument des requérants selon lequel les articles 144 et 75 du Code civil sont contraires, dans leur application, aux dispositions de l'article 66 de la Constitution de 1958 (N° Lexbase : L0895AHM), en ce qu'ils interdisent au juge judiciaire d'autoriser à des personnes de même sexe de contracter mariage, le Conseil constitutionnel répond que "l'article 66 de la Constitution prohibe la détention arbitraire et confie à l'autorité judiciaire, dans les conditions prévues par la loi, la protection de la liberté individuelle ; que la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle, résulte des articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H) et 4 (N° Lexbase : L1368A9K) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ; que les dispositions contestées n'affectent pas la liberté individuelle". Autrement dit, la liberté du mariage relève de la liberté personnelle et non de la liberté individuelle ce qui implique que le juge judiciaire ne saurait être compétent pour assurer sa protection.
Ce grief reposait sur une conception de la liberté individuelle que le Conseil constitutionnel a écartée depuis la deuxième moitié des années 1990. A partir de 1999, il est, en effet, revenu à une conception plus étroite de la liberté individuelle, réduite pour l'essentiel à la sûreté (4) et en a tiré des conséquences plus exigeantes quant à la réserve de compétence du juge judiciaire. Dès lors qu'il fondait la liberté du mariage dans le champ de la liberté personnelle, protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, il était logique qu'il n'admette pas la compétence du juge judiciaire pour en assurer la protection constitutionnelle.
B. L'exigence de différence de sexe dans le mariage ne porte pas atteinte à la liberté matrimoniale
De manière assez prévisible, le Conseil constitutionnel déclare également mal fondée l'analyse qui consistait à prétendre que le fait de subordonner le mariage à une différence de sexe porterait atteinte à la liberté constitutionnellement garantie du mariage. Il considère tout à fait logiquement que "la liberté du mariage ne restreint pas la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC) pour fixer les conditions du mariage dès lors que, dans l'exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel". C'est dire que la différence de sexe relève de la définition même du mariage pour laquelle le législateur est seul compétent en vertu des dispositions mêmes de la Constitution. La seule limite de cette compétence réside dans le respect des exigences constitutionnelles, le mariage ne pouvant être subordonné à une exigence qui, en elle-même, porterait atteinte à une garantie constitutionnelle. Il ne serait ainsi pas admissible que le mariage ne soit accessible qu'aux nationaux ou qu'aux personnes qui se réclament d'une certaine religion. Tel n'est pas le cas lorsque le mariage est réservé à deux personnes de sexe différent.
Comme le suggère le Conseil constitutionnel, le législateur pourrait cependant modifier la définition du mariage qui résulte aujourd'hui des textes du Code civil. Il lui est, en effet, à "tout moment loisible [...], statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel". Très clairement, le Conseil constitutionnel rappelle qu'il ne dispose quant à lui d'aucun "pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement", sa compétence se limitant seulement "à se prononcer sur la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit". Le Conseil constitutionnel refuse légitimement de sortir du rôle que lui a conféré la Constitution et incite le législateur à assumer ses responsabilités pour ce qui est de la définition du mariage.
II. Les arguments ajoutés par les associations intervenantes
Les associations qui sont intervenues dans la cause devant le Conseil constitutionnel ont invoqué deux arguments supplémentaires qui n'ont pas davantage convaincu les juges de la rue de Montpensier.
A. La différence de sexe dans le mariage ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie familiale
Le Conseil a consacré la valeur constitutionnelle du "droit de mener une vie familiale normale" dans sa décision du 13 août 1993 (5) sur le fondement du dixième alinéa du Préambule de 1946. A l'argument selon lequel l'impossibilité pour un couple de même sexe d'accéder au mariage porterait atteinte au droit au respect de sa vie familiale, le Conseil constitutionnel répond que "le dernier alinéa de l'article 75 et l'article 144 du Code civil ne font pas obstacle à la liberté des couples de même sexe de vivre en concubinage dans les conditions définies par l'article 515-8 de ce code (N° Lexbase : L8525HWN) ou de bénéficier du cadre juridique du pacte civil de solidarité régi par ses articles 515-1 (N° Lexbase : L8514HWA) et suivants ; que le droit de mener une vie familiale normale n'implique pas le droit de se marier pour les couples de même sexe ; que, par suite, les dispositions critiquées ne portent pas atteinte au droit de mener une vie familiale normale".
Même si elle ne permet pas au raisonnement des associations intervenantes de prospérer, la réponse du Conseil marque en elle-même une évolution certaine de la prise en compte du couple homosexuel. L'analyse du juge constitutionnel sous entend en effet, à l'évidence, que le couple homosexuel est bien constitutif d'une "vie familiale", ce qui est totalement nouveau. La même idée avait certes déjà été affirmée dans la décision sur la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'adoption de l'enfant du conjoint, le Conseil ayant considéré qu'il y avait une vie familiale entre l'enfant concerné et la concubine de sa mère. Mais en admettant l'existence d'une vie familiale entre deux personnes de même sexe, indépendamment d'une relation avec un enfant, le Conseil constitutionnel franchit une étape supplémentaire. Ce faisant, elle emboîte le pas à la Cour européenne qui, dans l'arrêt du 24 juin 2010 (6), cité d'ailleurs dans le dossier documentaire du Conseil constitutionnel accompagnant la décision, a admis pour la première fois clairement (7) qu'une relation entre deux personnes de même sexe peut être qualifiée de vie familiale. La Cour européenne se fonde sur l'évolution, dans de nombreux Etats européens, des attitudes sociales envers les couples du même sexe et la reconnaissance légale accordée aux couples homosexuels dans un nombre important d'Etats membres.
Le Conseil constitutionnel considère, cependant, que le droit de mener une vie familiale normale n'implique pas le droit pour les couples homosexuels de se marier. Il justifie cette affirmation par la possibilité offerte à ces couples par le droit français de bénéficier du cadre juridique du concubinage ou du pacte civil de solidarité. Le juge constitutionnel semble alors se montrer -une fois n'est pas coutume- plus progressiste que le juge européen en ce qu'il semble admettre que le droit de mener une vie familiale normale implique le droit pour les couples de même sexe de bénéficier d'un statut légal, alors que la Cour européenne, dans l'arrêt du 24 juin 2010, semble leur avoir dénié ce même droit. Elle a, en effet, considéré la reconnaissance d'une vie familiale au bénéfice des couples de même sexe n'impliquait pas l'obligation positive pour les Etats de leur offrir un statut légal. La Cour européenne constate que si un consensus européen se fait jour quant à la reconnaissance des couples de même sexe, celle-ci n'est pas encore prévue dans une majorité des Etats et en a déduit qu'on ne peut reprocher à l'Etat autrichien de ne pas avoir adopté plus rapidement la loi sur le concubinage officiel au bénéficie des couples homosexuels.
B. La différence de sexe dans le mariage ne porte pas atteinte au principe d'égalité
Le Conseil constitutionnel a, enfin, rejeté l'argument récurrent de l'égalité par un raisonnement que l'on retrouve désormais systématiquement à propos des couples homosexuels et qui est difficilement réfutable.
Le Conseil, comme il l'a fait dans sa décision (préc.) relative à l'adoption de l'enfant du conjoint, considère que les couples de même sexe ne sont pas dans la même situation que les couples de sexe différent. A partir de cette analyse -dont on pourrait considérer que, s'agissant d'un couple sans enfant, elle est contestable- il a beau jeu de rappeler que "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit", ce qui lui permet de conclure "qu'en maintenant le principe selon lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d'un homme et d'une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille". Une fois encore, de manière tout à fait légitime, le Conseil constitutionnel refuse de se mêler d'un débat qui ne relève pas de sa compétence et laisse au législateur la responsabilité de ses choix.
Pour l'instant en tout cas, le mariage reste "hétérotextuel"...
(1) Cass. civ. 1, 13 mars 2007, n° 05-16.627, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6575DU3).
(2) Cons. const., décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 (N° Lexbase : A9923GAR), A. Gouttenoire et Ch. Radé, L'adoption de l'enfant du concubin devant le Conseil constitutionnel, JCP éd. G, 2010, p. 1145.
(3) Nos obs., Mariage homosexuel : en route pour le Conseil constitutionnel !, Lexbase Hebdo n° 418 du 25 novembre 2010 - édition privée (N° Lexbase : N6910BQY).
(4) J-Cl. Libertés, Fasc. 220, n° 70.
(5) Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France (N° Lexbase : A8285ACT).
(6) JCP éd. G, 2010, n° 41, 1013, obs. H. Fulchiron ; RTDCiv., 2010, p. 738, obs. J.-P. Marguénaud.
(7) Après un sous-entendu dans l'arrêt du 2 mars 2010 (CEDH, 2 mars 2010, Req. 13102/02).
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