La lettre juridique n°429 du 24 février 2011 : Éditorial

La "QPC" s'invite au Stade de France et joue à guichets... bientôt fermés ?

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N4951BRS

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


On efface tout et on recommence ! Page blanche ! Non, James O'Connor n'achevait pas un XV de France aux abois, après un triplé de Drew Mitchell servi par son arrière Kurtley Beale, pour la plus lourde défaite de l'équipe de France de rugby face aux australiens (59-16), ce 27 novembre 2010. Et, les Bleus ne s'inclinaient pas devant une équipe biélorusse (55ème au classement Fifa) : le 4-4-2 n'y faisant rien, en l'absence de meneur de jeu, en ce jour de septembre 2010. Mieux ! Bigard ne mettait par le paquet en humiliant, dès 2004, l'enceinte de La Victoire sanctuarisée de 1998 et Mylène Farmer épargnait les oreilles des séquanodionysiens de ses multiples récidives vocales. Il reste, alors, le désespoir de ces fans de hip hop campant sur les abords du stade, leurs billets de concert pour le 22 juin prochain en poche, le prunelle de leur oeil errant (désormais ?) dans le vide ; ou encore, l'angoisse de ses grands enfants avides de contes et légendes arthuriennes à la sauce "Robert Hossein", préférant les sons et lumières à la poésie de Chrétien de Troyes...

Ah ! Si seulement la décision rendue par le Conseil constitutionnel, le 11 février 2011, d'annuler la loi relative à la concession du Stade de France pouvait faire oublier les défaites et autres blessures à l'orgueil national subies dans ce stade, cénacle d'un mythe unique... Ce jour là, les Sages de la rue de Montpensier jugeaient non conforme à la Constitution la loi n° 96-1077 du 11 décembre 1996, relative au contrat de concession du Stade de France à Saint-Denis, qui par son article unique, validait le contrat de concession relatif à la réalisation du grand stade conclu le 29 avril 1995 entre l'Etat et un consortium (Vinci et Bouygues). Le requérant (Starlight) faisait grief à cette disposition de porter atteinte aux principes constitutionnels de la séparation des pouvoirs et du droit à un recours effectif.

Flash-back : en 1995, Edouard Balladur, Premier ministre, signait un contrat avec le consortium, chargé de financer, de construire puis d'exploiter le stade ; mais, un an plus tard, par un jugement du 2 juillet 1996, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du Premier ministre d'approuver et de signer le contrat portant concession de la conception, de la réalisation, du financement, de l'entretien et de l'exploitation du stade de France. Pour prononcer cette annulation, le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la considération que le contrat de concession n'avait pas respecté le règlement de la consultation selon lequel aucune subvention d'exploitation ne pourrait être envisagée en faveur du concessionnaire. Aussi, afin de lever toute insécurité juridique quant à la concession signée, Alain Juppé, nouveau Premier ministre, faisait voter une loi validant le contrat, et empêchant, ainsi, sa contestation... jusqu'à ce que la loi organique de 2008 instaure la question prioritaire de constitutionalité (QPC) et n'ouvre le champ de la contrariété de la loi au bloc de constitutionnalité. Réponse du berger à la bergère, la société requérante proposant la vente de billets en ligne, accusée, sous cape, de concurrence déloyale, contre-attaquait sur le terrain de la validité de la concession chargée d'exploiter le site.

Les Sages commencent, alors, par rappeler que, si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition de poursuivre un but d'intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée, que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions. En outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf si le but d'intérêt général visé est lui-même de valeur constitutionnelle. Enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie. Or, en l'espèce, l'article unique de la loi du 11 décembre 1996 contestée s'abstenait d'indiquer le motif précis de la validation du contrat de concession. Etant contraire à la Constitution, il est donc abrogé.

D'abord, tout cela pourrait passer comme anodin, si la "Loppsi II", votée définitivement par le Parlement, ne prévoyait pas la création d'un nouveau délit, celui d'offrir, de mettre en vente ou d'exposer en vue de la vente, sur un réseau de communication au public en ligne, des billets d'entrée ou des titres d'accès à une telle manifestation pour en tirer un bénéfice, sans autorisation du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation d'une manifestation sportive, culturelle ou commerciale... Le contrevenant écopant, dès lors d'une amende de 15 000 euros. Pas de producteur, d'organisateur ou de propriétaire des droits d'exploitation légalement reconnu et c'est le business plan de ce site de vente en ligne, jugé agressif sur un plan commercial, qui est sauvé des eaux du Styx. D'où l'on entrevoit que, si une QPC posée en termes trop généraux n'est pas recevable -la Chambre criminelle de la Cour de cassation nous le rappelant, encore, le 1er février 2011, au sujet des articles 114, alinéas 5 à 11 et 114-1 du Code de procédure pénale-, la QPC préventive se révèle être une arme redoutable à la faveur de qui sait la manier avec précision et dextérité (et une bonne formation continue "décret n° 2004-1386" !).

Ensuite, il n'en demeure pas moins que, la loi de validation déclarée inconstitutionnelle, la validité du contrat de concession est sous caution. Le jugement de 1996 a, en effet, considéré que l'un des mécanismes de compensation prévus par le contrat de concession en cas de circonstances imprévisibles et extérieures au contrat pouvait s'analyser comme un système de subventions instituées au profit du concessionnaire, même en l'absence de bouleversement de l'économie du contrat résultant d'événements imprévisibles et extérieurs aux parties, circonstance qui, dans le droit commun des concessions de service public, est de nature à justifier une indemnisation au profit du concessionnaire. Or, le versement de subventions d'exploitation étant exclu par le règlement de la consultation, le tribunal a considéré que les stipulations du contrat méconnaissaient sur ce point les prescriptions fixées par le règlement de la consultation et qu'en cela elles portaient atteinte au principe d'égal accès des candidats à l'octroi de la concession. Le tribunal a donc jugé que ces stipulations n'étant pas divisibles des autres stipulations du contrat, elles entachaient d'illégalité l'ensemble de la convention litigieuse et par voie de conséquence, la décision du Premier ministre de la signer. Le contrat entaché de nullité, sauf à publier rapidement, au Journal officiel, une loi de validation infaillible, il conviendrait, sans doute, d'établir le préjudice de tous les candidats à la concession, sur les 15 dernières années... Il ne resterait plus à l'équipe de France de football qu'à accomplir le miracle de 98', à chaque rencontre ; ou à "l'idole des jeunes" de revêtir, plus vite que de raison, son costume de rocker galvanisant les foules...

Le problème, c'est que les motifs de la loi du 11 décembre 1996 sont clairs et précis : lever, par une mesure de validation, l'insécurité juridique qui pouvait affecter ce contrat de concession et par là même mettre en cause la bonne préparation de l'organisation... de la coupe du monde de football par la France. L'effet que la qualité de l'organisation d'une telle manifestation a eu sur l'image internationale de la France justifiait pleinement que, dans le respect des principes constitutionnels (sic), tous les moyens juridiques soient réunis, notamment pour réaliser le grand stade de 80 000 places implanté à Saint-Denis. Autrement dit, la loi de validation revêtait clairement un intérêt général : la préparation de la coupe du monde de football de 1998, la sauvegarde du prestige international de la France à l'occasion de cette manifestation et le souci d'éviter le développement de contentieux d'une ampleur telle qu'ils auraient entraîné des risques considérables pour la réalisation de l'opération, notamment la suspension des travaux. Mais aujourd'hui, quel intérêt général une telle loi de validation défendrait-elle ? Quel impérieux motif de puissance public justifierait qu'une loi protège les intérêts du consortium chargé de l'exploitation du Stade de France ? D'où il convient d'être prudent quant à la rédaction de la future loi de validation du contrat de concession du Stade de France ou l'affaire pourrait bien tourner vinaigre pour le joyau de l'architecture sportive tricolore.

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