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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var
le 22 Novembre 2011
Parce que la machine constitutionnelle ne pouvait être mise en branle que par le pouvoir politique, par une saisine a priori entre le vote et la promulgation d'une loi, l'impression générale qui se dégageait, chez les privatises français, était que le droit constitutionnel ne devait être que l'affaire des publicistes. Ne sont-ce d'ailleurs pas eux qui l'enseignent à l'Université ?
Au cours de l'année 2010, les privatistes se sont pourtant intéressés de plus près à la norme constitutionnelle, grâce à l'instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, rapidement dénommée, en abrégé, QPC. Le plaideur peut, grâce à cette question prioritaire de constitutionnalité, discuter de la conformité à la constitution de telle ou telle norme, qui s'applique à lui, au cours d'un procès. Si le tribunal de l'ordre judiciaire est convaincu, il peut saisir la Cour de cassation, laquelle étudiera alors trois points : l'application de la norme discutée au litige, la nouveauté de la discussion de la norme au plan constitutionnel et, point le plus délicat, le caractère sérieux de la discussion de constitutionnalité de la norme. Si ces trois conditions sont, aux yeux de la juridiction suprême, réunies, elle transmet la question au Conseil constitutionnel, qui statue alors sur la conformité ou non de la norme discutée au regard de la Constitution.
Cette technique se rapproche sensiblement de la question préjudicielle, puisqu'elle conditionne l'issue du litige, à la différence près, ce qui n'est pas négligeable, que la discussion de la norme constitutionnelle doit s'insérer dans le cours du litige, sans le retarder, les parties devant échanger pièces et conclusions, avant même qu'il ne soit statué sur le sort de la question prioritaire de constitutionnalité.
En l'espèce, une personne, professionnel libéral, placée en liquidation judiciaire avait soulevé une question prioritaire de constitutionnalité à propos de l'impossibilité pour elle, qui résultait de la jurisprudence de la deuxième chambre civile, ainsi que de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, de bénéficier de la remise des majorations, intérêts et pénalités de retard des cotisations sociales impayées au jour de l'ouverture de sa procédure collective, alors que les agriculteurs, commerçants et artisans bénéficient, pour leur part, de cette même remise en cas d'ouverture d'une procédure collective. Etait donc en cause le principe d'égalité devant la loi garanti par les articles 1er (N° Lexbase : L1365A9G) et 6 (N° Lexbase : L1370A9M) de la Déclaration des droits de l'Homme et des citoyens de 1789.
En effet, le sixième alinéa de l'article L. 243-5 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7530HBI), dans sa rédaction issue de l'article 165 de la loi du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT), prévoit que "en cas de procédure de sauvegarde de redressement ou de liquidation judiciaires, les pénalités, majorations de retard et frais de poursuites dus par le redevable à la date du jugement d'ouverture sont remis". Le premier alinéa de l'article L. 243-5 du Code de la Sécurité sociale s'applique aux artisans, aux commerçants et aux personnes morales de droit privé non commerçantes. Ce texte ne vise pas les professionnels libéraux.
Logiquement, la jurisprudence appelée à statuer sur la question a dû en tirer la conséquence qui s'imposait. Puisque, l'article L. 243-5 du Code de la Sécurité sociale ne vise que les sommes dues par les commerçants, les artisans et les personnes morales de droit privé, le texte ne concerne donc pas les personnes physiques exerçant une profession indépendante, autres que les commerçants et artisans, qui étaient venues grossir les rangs des personnes éligibles aux procédures collectives, depuis la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005. La solution a été posée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation pour un médecin (1) ou encore un masseur-kinésithérapeute (2). La Chambre commerciale de la Cour de cassation, pour sa part, a identiquement statué à propos un infirmier libéral (3). La cour d'appel de Paris a posé la même règle pour un avocat (4) ou un orthophoniste (5).
Seule cette interprétation était possible. En effet, le texte était restrictif de droits, pour le créancier, puisqu'il aboutissait à une partie de sa créance. Comme tel, il ne pouvait donc recevoir qu'une interprétation stricte, prohibant au contraire le jeu d'une interprétation par analogie.
Il y a là, a priori, un oubli du législateur, ainsi que cela a été relevé en doctrine (6), car on ne comprend pas pourquoi tous les professionnels libéraux ne tireraient pas de l'ouverture d'une procédure collective les mêmes avantages que tout professionnel indépendant. L'auteur de ces lignes se souvient des propos particulièrement convaincus que lui avait tenus un de ses amis, mandataire judiciaire du Nord de la France, engagé dans ce combat pour obtenir la remise des pénalités de retard pour tel masseur-kinésithérapeute ou tel autre infirmier libéral.
La question prioritaire de constitutionnalité sur ce point n'est donc guère étonnante. Et l'on perçoit bien que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, à laquelle la question prioritaire de constitutionnalité avait été adressée, ait pu considérer la question comme sérieuse, pour mériter sa transmission au Conseil constitutionnel (Cass. QPC, 16 décembre 2010, n° 10-15.679, FS-D N° Lexbase : A4106GNE).
C'est donc sans surprise que le Conseil constitutionnel va accueillir cette question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil a, d'abord, rappelé l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 : "la loi [...] doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse". Le Conseil constitutionnel va, ensuite, rappeler que "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit".
Or, la différence de traitement qui existe entre les commerçants et artisans, d'une part, et les professionnels libéraux, d'autre part, au regard de la question de la remise, par le seul effet du jugement d'ouverture d'une procédure collective, des intérêts, pénalités et majorations de retard dus au titre de cotisations sociales impayées, n'a pas de justification. Il s'agit clairement d'un oubli du législateur. Logiquement, le Conseil constitutionnel relève que, "en étendant l'application des procédures collectives à l'ensemble des membres des professions libérales par la loi du 26 juillet 2005, le législateur a entendu leur permettre de bénéficier d'un régime de traitement des dettes en cas de difficultés financières, par suite les dispositions précitées des premier et sixième alinéas de l'article L. 243-5 ne sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant la loi, être interprété comme excluant les membres des professions libérales exerçant à titre individuel du bénéfice de la remise de plein droit des pénalités, majorations de retard et frais de poursuites dus aux organismes de Sécurité sociale".
La cause est entendue. A compter de la publication au Journal officiel de la décision du Conseil constitutionnel, qui considère, au demeurant, comme conforme à la Constitution, les alinéas 1er et 6 de l'article L. 243-5 du Code de la Sécurité sociale, il est fait interdiction aux juridictions de traiter différemment les débiteurs, au regard de la question de la remise de plein droit des intérêts, pénalités et majorations de retard dus sur des cotisations sociales impayées, au jour du jugement d'ouverture. Tous ces débiteurs doivent bénéficier de la même règle, à savoir la remise de plein droit de ces pénalités, majorations et intérêts de retard, en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires, sauf le cas de fraude.
On rappellera que cette uniformité s'applique identiquement à la matière fiscale, puisque, pour sa part, l'article 1756, I du Code général des impôts (N° Lexbase : L6650IMA) prévoit la même remise de plein droit des intérêts, pénalités et majorations de retard dus sur les impôts visés au texte, non payés au jour du jugement d'ouverture d'une procédure collective.
Il n'échappera toutefois pas, à l'interprète, que l'article L. 243-5 du Code de la Sécurité sociale ne concerne que les cotisations dues à des organismes de Sécurité sociale. Tel n'est pas le cas d'une caisse de congés payés (7).
La présente décision du Conseil constitutionnel qui, au fond du droit, ne peut être qu'approuvée, démontre aussi toute la fragilité de notre système juridique, du fait de la possibilité, une fois la loi votée et promulguée, d'être remise en cause. Comme cela a été fort bien dit lors des derniers Entretiens de la Sauvegarde (8) par notre collègue François-Xavier Lucas, tout le livre VI du Code de commerce pourrait être remis en cause dans la mesure où il renferme, et par principe, des dispositions contraires au droit commun, qui constituent autant de sacrifices des droits des uns ou des autres. Mais, comme le rappelle le Conseil constitutionnel, "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général". Or, les restrictions contenues dans le livre VI du Code de commerce sont, le plus souvent, sous-tendues par des raisons d'intérêt général. La solution est évidente lorsque la procédure est une sauvegarde ou un redressement judiciaire et qu'il est question de sauver une entreprise et, par devers elle, des emplois. La solution l'est, en revanche, beaucoup moins, lorsqu'il n'est question que de liquider le patrimoine du débiteur, parfois en prenant aux uns pour redistribuer aux autres. Est-il vraiment alors question d'intérêt général ?
Le praticien avisé saura que si les bons codes sont nécessaires, ils ne sont plus suffisants. Il lui faudra vérifier si les textes y contenus sont toujours, au plan constitutionnel, d'actualité. Peut-être, faudra-t-il assurer de manière récurrente, aux praticiens, des mises à jour pour les informer, d'une saison de code à l'autre, des normes déclarées non constitutionnelles et devant, comme telles, quitter le paysage du droit positif ?
Il faut également faire l'aveu que l'enseignant universitaire doit désormais trembler, s'il est réputé enseigner le droit positif. A l'heure où il s'exprime devant ses étudiants, peut-être la norme étudiée a-t-elle été déclarée non constitutionnelle. Il est alors en train de se transformer en historien du droit, lui cet affreux positiviste, sans le savoir.
Pour l'anecdote, l'auteur de ces lignes avait reçu, grâce aux soins attentifs des Editions Lexbase, le matin même du 11 février 2011, la décision du Conseil constitutionnel, portant cette même date. Or, il se trouve que, l'après-midi, évoquant devant ses étudiants de Master première année, lors d'un cours de droit des entreprises en difficulté, la question de l'élaboration du plan, il avait besoin, pour expliquer la portée de la question de la consultation des créanciers sur les délais et remises, de préciser que la consultation n'avait pas de portée, pour les remises de plein droit des pénalités, majorations et intérêts de retard en matière fiscale et sociale, sauf, s'agissant de ces dernières, pour les professionnels libéraux. Heureusement, grâce à la diligence de Lexbase, il avait été alerté, in extremis, et avait réussi ainsi à éviter de faire de l'histoire du droit...
Peut-être, faudra t-il, au rythme des QPC, réserver une heure à la fin de chaque enseignement semestriel, pour revoir le cours à l'aune de telle ou telle disposition déclarée non constitutionnelle ?
Merci la QPC, c'est meilleur qu'un grand bol d'Ovomaltine ou de What else, pour nous tenir aussi éveillé.
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
La déclaration de créance est l'acte procédural par lequel le créancier antérieur, et depuis la loi de sauvegarde, le créancier postérieur non éligible au traitement préférentiel, manifeste son intention d'obtenir, dans le cadre de la procédure collective, le paiement de ce qui lui est dû par le débiteur (9). Même si la solution mérite encore d'être discutée (10), la jurisprudence -et notamment l'Assemblée plénière (11) aujourd'hui- considère que la déclaration de créance équivaut à une demande en justice (12). De cette analyse découlent certaines conséquences dont celle tenant à ce que la déclaration de créance, si elle n'est pas effectuée par le créancier lui-même, doit l'être par une personne ayant le pouvoir pour le représenter en justice. L'absence de pouvoir constitue, au regard de l'article 117 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1403H4Q), une irrégularité de fond engendrant la nullité de la déclaration de créance. Cette irrégularité peut être relevée -même d'office par le juge- en tout état de la procédure, sans que le plaideur ait à justifier d'un grief (13).
Cette question du pouvoir ne doit pas être appréhendée exactement de la même façon selon que celui qui déclare la créance d'autrui est ou non son préposé. Certes, les dispositions de l'article L. 622-24, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L3455ICX) se bornent à indiquer que "la déclaration des créances peut être faite par le créancier ou par tout préposé ou mandataire de son choix". Cependant, le soin que le législateur a pris de viser, lorsque la déclaration n'est pas effectuée par le créancier lui-même, le préposé ou le mandataire, met en évidence que ces deux cas de figure doivent être distingués quant à leur régime. Ainsi, au fil des décisions qu'elle a rendues, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a clairement fait le départ, au regard de la question du pouvoir en matière de déclaration de créances, selon que cet acte procédural est effectué par un préposé ou par un mandataire.
Lorsque la déclaration de créances est effectuée par un préposé de la personne morale créancière, il n'est pas exigé du préposé qu'il soit titulaire d'un mandat spécial. Un pouvoir de représentation interne (14), lequel n'a pas à être spécial, suffit. Il s'agira le plus souvent d'une délégation (15) générale conférant au préposé le pouvoir de déclarer les créances. La preuve de l'existence de ce pouvoir, dont il n'est pas exigé qu'il ait date certaine (16), peut être rapportée jusqu'au jour où le juge statue, c'est-à-dire, au plus tard lorsque l'affaire est entendue devant la cour d'appel (17).
Lorsque la déclaration de créances est effectuée par un tiers par rapport au créancier, ce tiers, s'il n'est pas avocat, doit être titulaire d'un mandat spécial (ou mandat ad litem) qui doit donc être délivré affaire par affaire. A l'image du pouvoir général du préposé, ce pouvoir spécial n'a pas à avoir date certaine (18). Il ressortait d'une jurisprudence constante de la Chambre commerciale de la Cour de cassation que le mandat spécial devait impérativement être produit dans le délai de déclaration de la créance (19). Cette solution est aujourd'hui clairement abandonnée au regard de la position adoptée par l'Assemblée plénière dans un arrêt rendu le 4 février 2011 et appelé à la plus large diffusion (arrêt P+B+R+I).
En l'espèce, quatre établissements de crédit s'étaient groupés afin d'accorder un contrat de crédit-bail à un crédit-preneur qui devait ultérieurement faire l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire. Le chef de file avait déclaré la créance des quatre établissements de ce pool bancaire sans joindre les mandats spéciaux en vertu desquels la déclaration de créances était faite au nom des autres entités. Ces pouvoirs n'avaient été fournis au liquidateur qu'après l'expiration du délai de déclaration de créances.
La cour d'appel de Caen (CA Caen, 4 décembre 2003) avait confirmé l'ordonnance du juge-commissaire ayant déclaré régulières les déclarations de créances effectuées par le chef de file et admis, en conséquence, les créances déclarées. Cet arrêt a été cassé le 3 octobre 2006 par la Chambre commerciale (Cass. com., 3 octobre 2006, n° 04-11.024, F-D N° Lexbase : A7643DRI) qui avait renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris. Par arrêt du 26 février 2009 (CA Paris, 3ème ch., sect. B, 26 février 2009, n° 07/03215 N° Lexbase : A5957EDY), cette dernière avait résisté et statué dans le même sens que la cour d'appel de Caen. C'est dans ces circonstances que, sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, la Chambre commerciale (Cass. com., 8 juin 2010, n° 09-14.619, F-D N° Lexbase : A0973E3G) a décidé le renvoi de l'affaire devant l'Assemblée plénière laquelle, dans un attendu de principe, considère que "la déclaration des créances équivaut à une demande en justice ; que la personne qui déclare la créance d'un tiers doit, si elle n'est pas avocat, être munie d'un pouvoir spécial, donné par écrit, avant l'expiration du délai de déclaration des créances ; qu'en cas de contestation, il peut en être justifié jusqu'au jour où le juge statue".
Avant toute chose, soulignons d'abord qu'au regard d'un arrêt rendu le 11 juin 2003 par la Chambre commerciale, le crédit-bailleur chef du pool aurait pu être dispensé de justifier d'un pouvoir. L'article 815-2 du Code civil (N° Lexbase : L9931HN7) autorise le coïndivisaire à prendre des mesures nécessaires à la conservation des biens indivis. Cette solution avait permis à un crédit-bailleur de déclarer valablement la "créance de l'indivision" existant entre plusieurs sociétés de crédit-bail propriétaires d'un matériel financé en commun (20). Cette position nous paraissait cependant critiquable dans la mesure où la déclaration de créances n'a pas pour objet de tendre à la conservation du bien indivis mais seulement à la préservation du droit personnel de créance distinct du droit réel de propriété. Quoi qu'il en soit, il est heureux que la présente espèce ait été soumise à l'appréciation de l'Assemblée plénière afin qu'une solution de principe soit fermement posée, d'une part, en matière de date à laquelle le pouvoir spécial doit exister (I) et, d'autre part, quant au moment de la justification de l'existence du pouvoir (I).
I - S'il n'existe pas au jour de la déclaration de créance, le pouvoir spécial doit exister avant l'expiration du délai de déclaration de créances. Ainsi que le rappelle l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, "la personne qui détient la créance d'un tiers doit, s'il n'est pas avocat, être muni d'un pouvoir spécial, donné par écrit". Ce pouvoir doit-il nécessairement exister au jour de la déclaration de créances ? L'Assemblée plénière répond à cette question par la négative en jugeant que ce pouvoir doit être donné "avant l'expiration du délai de déclaration des créances". Cette précision, qui est conforme à la position adoptée par la Chambre commerciale (21) est parfaitement justifiée au regard des règles de procédure civile. L'article 121 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1412H43) précise que "dans les cas où elle est susceptible d'être couverte, la nullité [pour irrégularité de fond, par exemple pour défaut de pouvoir] ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue". Il est cependant de jurisprudence constante que l'irrégularité de fond ne peut plus être couverte après l'expiration du délai de l'action, par exemple du délai de forclusion pour agir en revendication (22). Ainsi, le défaut de pouvoir au jour de la déclaration de créance constitue une irrégularité qui peut être couverte dès lors que le pouvoir est conféré au déclarant avant l'expiration du délai de déclaration de créances. Cette solution, posée en matière de pouvoir conféré au mandataire spécial devrait, logiquement, être étendue à l'hypothèse du pouvoir du préposé titulaire d'une délégation générale.
II - La preuve de l'existence du pouvoir peut être rapportée jusqu'au jour où le juge statue. Rompant, sur ce second point, avec la jurisprudence constante de la Chambre commerciale (23), l'Assemblée plénière de la Cour de cassation considère qu'il n'est pas nécessaire de justifier de l'existence du pouvoir spécial à l'intérieur du délai de déclaration de créances mais qu'il peut en être justifié jusqu'au jour où le juge statue. Il faut entendre par là jusqu'à ce que le juge du fond statue, c'est-à-dire non seulement le juge-commissaire, mais également la cour d'appel statuant sur le recours formé à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire. Cette solution, qui était celle adoptée en matière de justification du pouvoir du préposé pour déclarer les créances, est ainsi étendue à l'hypothèse de la déclaration effectuée par un mandataire muni d'un pouvoir spécial.
Ce revirement jurisprudentiel doit être salué à plusieurs titres.
La solution retenue doit, d'abord, être approuvée dans la mesure où l'exigence de la justification du pouvoir spécial dans le délai de déclaration de créances ne résultait d'aucun texte. En effet, on cherchera en vain une telle exigence dans le Code de procédure civile ou dans le Code de commerce.
L'article 117 du Code de procédure civile ne s'intéresse qu'à la question de l'existence du pouvoir et non à celle de la date de sa justification. Il énonce simplement que constitue une "irrégularité de fond affectant la validité de l'acte : [...] le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice".
Alors que la Chambre commerciale considérait que l'existence du pouvoir spécial devait être justifiée au plus tard avant l'expiration du délai de déclaration de créance, l'Assemblée plénière préfère prendre une position radicalement différente, en parfaite adéquation avec celle de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation d'où il ressort que s'il est nécessaire que le pouvoir spécial ait été conféré à l'intérieur du délai du recours -ou de l'action-, il n'est, en revanche, pas nécessaire qu'il en soit justifié dans ce délai (24).
Force est, en outre, de constater qu'au rang des éléments devant être contenus dans la déclaration de créance, mentionnés aux articles L. 622-25 (N° Lexbase : L3745HBC) et R. 622-23 (N° Lexbase : L0895HZ8) du Code de commerce, ne figure pas l'adjonction à la déclaration de créance de la justification du pouvoir du mandataire. L'article R. 622-23 in fine précise qu'"à tout moment, le mandataire judiciaire peut demander la production de documents qui n'auraient pas été joints" à la déclaration de créances. Ainsi, si la justification du pouvoir de la personne qui déclare la créance pour un tiers n'a pas été apportée dans la déclaration de créances ou n'a pas été transmise à l'intérieur du délai de déclaration de créances, il appartient au mandataire judiciaire de demander la production de cette justification. Il sera alors encore temps, pour le créancier, de fournir la justification du pouvoir jusqu'à ce que le juge statue, observation faite que le courrier contenant simplement une demande de pièces ne s'analyse pas en un courrier de contestation de créances (25). En conséquence, le défaut de réponse du créancier dans le délai de trente jours n'entraînera pas impossibilité pour ce dernier de former appel à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire qui serait conforme à la proposition du mandataire judiciaire.
La position adoptée par l'Assemblée plénière vient mettre fin à une inexplicable différence de traitement, en termes de délais de justification du pouvoir, selon que la déclaration était faite par un tiers muni d'un pouvoir spécial ou par un préposé titulaire d'un pouvoir général. Désormais, sont parfaitement unifiées les solutions relatives au moment de la justification de l'existence du pouvoir du préposé et du mandataire spécial. Cela n'est pas pour déplaire au créancier mandant car lui est ainsi grande ouverte la porte de la régularisation puisqu'il importe peu que les pouvoirs écrits sous seing privé n'aient pas date certaine, dès lors qu'ils ne sont pas argués de faux...
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon
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