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N3625BRP
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 18 Février 2011
Simon Williamson : Au titre de ses pouvoirs de police générale, le maire est l'intervenant principal de l'action publique en cas de chute de neige et de présence de verglas sur la voirie communale, ou traversant sa commune. Il lui incombe, en effet, de prendre toutes mesures nécessaires afin d'assurer la commodité du passage sur les voies publiques. Cette obligation d'agir n'est donc pas absolue et dépend de l'importance et de la nature de la circulation publique sur les voies, ainsi que des fonctions de desserte de celles-ci (CAA Bordeaux, 2ème ch., 6 juin 2006, n° 03BX01278 N° Lexbase : A4097DQS ; CAA Nancy, 1ère ch., 27 mai 1993, n° 92NC00602 N° Lexbase : A8696BG8 ; voir aussi, QE n° 26212 de M. Alain Suguenot, JOAN du 1er juillet 2008, p. 5569, réponse publ. 21 avril 2009, p. 3859 N° Lexbase : L3806IPN).
Un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy a clairement énoncé en ce sens que "le déneigement ne fait pas partie des obligations d'entretien normal des voies publiques incombant aux collectivités propriétaires desdites voies [...] par suite, quel que soit le statut juridique de [la voie en cause], le requérant ne peut utilement invoquer un défaut d'entretien normal de cette voie pour mettre en cause la responsabilité de la commune à raison d'un refus de son maire de faire régulièrement procéder au déneigement de ladite voie" (CAA Nancy, 1ère ch., 15 octobre 1992, n° 91NC00797, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5175A88, Recueil, p. 703 et 798). Le maire peut donc, "à condition de respecter le principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques et sous le contrôle du juge administratif [...] ne pas procéder au déneigement de l'ensemble des voies de l'agglomération" (QE n° 106410 de Mme Zimmermann Marie-Jo, JOAN du 10 octobre 2006, p. 10516, réponse publ. 10 avril 2007, p. 3590 N° Lexbase : L3803IPK).
Il a, ainsi, été jugé qu'en refusant de déneiger un chemin forestier desservant une seule habitation isolée, le maire n'a pas, compte tenu de la circulation réduite sur ce chemin, commis d'erreur manifeste d'appréciation (CAA Nancy, 1ère ch., 15 octobre 1992, n° 91NC00797, précité). S'agissant des trottoirs, il résulte d'une jurisprudence bien établie que le maire à la possibilité de prescrire aux riverains des voies publiques l'obligation de balayer le trottoir situé devant leur habitation (CE Contentieux, 15 octobre 1980, n° 16199 N° Lexbase : A9213AI3, Rec. p. 624), ce qui inclut le déneigement des trottoirs (QE n° 71103 de M. Jean-Louis Gagnaire, JOAN du 9 février 2010, p. 1289, réponse publ. 10 août 2010, p. 8860 N° Lexbase : L3808IPQ).
En cas de négligence avérée, le propriétaire commet une faute qui engage sa responsabilité sur le fondement des articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) du Code civil (Cass. civ. 2, 19 juin 1980, n° 78-16.360, publié N° Lexbase : A1513CIU). Lorsque les chutes de neige revêtent un caractère exceptionnel, le droit de la sécurité civile se substitue aux prérogatives traditionnelles des communes. La loi n° 2004-811 du 13 août 2004, de modernisation de la sécurité civile (N° Lexbase : L0837GT8), investit, en effet, les maires et les préfets de pouvoirs étendus en situation de crise (voir, notamment, son article 16).
Ainsi, la direction des opérations de secours repose, en principe, sur le maire au titre des articles L. 2211-1 (N° Lexbase : L8581HWQ) et L. 2212-2 (N° Lexbase : L8582HWR) du Code général des collectivités territoriales qui lui confient respectivement, le soin de concourir "par son pouvoir de police à l'exercice des missions de sécurité publique" et "[...] de faire cesser les accidents et fléaux, tels que les incendies, les inondations, les éboulements de terre, les pollutions diverses [...] de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure".
Sur le fondement de ces dispositions, il incombe au maire de diriger les secours et de rendre compte de son action au préfet. Ce dernier doit prendre la direction des opérations de secours, lorsque la gravité de l'évènement tend à dépasser les capacités locales d'intervention et exige le déclenchement d'un plan "ORSEC", en pratique, un plan "neige et verglas". Les réflexions engagées par les pouvoirs publics à la suite de la situation de paralysie des infrastructures routières d'Ile-de-France causées le 8 décembre 2010 par de fortes chutes de neige ont mis en lumière l'importance de cette planification dans la gestion de ces risques.
Précisément, à l'issue d'une table ronde réunissant les représentants des services de l'Etat, des acteurs publics, des gestionnaires d'infrastructures, des opérateurs et des fédérations professionnelles, les ministres concernés ont annoncé, le 10 janvier 2011, l'adoption de dix mesures d'amélioration des dispositifs existant. Cette réflexion a été menée par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et développée dans un rapport mis en ligne le même jour sur le site du ministère chargé de l'Ecologie et des Transports (1).
Cette étude dresse le bilan de cette planification, en mettant en évidence que sa mise en oeuvre en Ile-de-France avait déjà été fortement éprouvée lors des chutes de neiges de janvier 2003 qui avaient paralysé des milliers d'automobilistes sur les autoroutes A10 et A11 dans les départements de l'Essonne et des Yvelines (2). Le CGEDD y souligne que, depuis, "des progrès importants ont été accomplis" et relève la "qualité des documents de planification [examinés], tout particulièrement du plan neige et verglas [d'Ile-de-France]" (3). C'est pourquoi le CGEDD ne propose pas l'institution de nouveaux dispositifs de planification, à l'exception de l'"élaboration à l'échelle départementale, d'un plan des itinéraires prioritaires (voies départementales et communales) utilisables par les secours ou les transports en commun" (4).
Les auteurs du rapport préconisent la recherche d'une mise en oeuvre effective de cette planification, notamment par l'amélioration de la formation des services administratifs concernés, le renforcement des moyens techniques et financiers qui leurs sont alloués et l'amélioration de l'information des usagers de la route (ibid. et s.). S'il convient de saluer cette recherche d'une meilleure efficacité des dispositifs de prévention des risques naturels à droit constant, on peut, toutefois, regretter que le cadre juridique de cette évolution ne soit pas clairement identifié, et, notamment, son articulation avec le plan communal de sauvegarde (PCS). En effet, cet outil qui doit être institué obligatoirement par les communes dotées d'un plan de prévention des risques naturels ou d'un plan particulier d'intervention, a vocation à organiser et coordonner la prévention et la maîtrise des risques naturels -et technologiques- sur leur territoire (loi n° 2004-811 du 24 août 2004, de modernisation de la sécurité civile, art. 13).
Lexbase : Quel est le régime de recours aux services de personnes privées ou publiques pour assurer la mission de prévention et de maîtrise des risques naturels ?
Simon Williamson : L'article 10 de la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999, d'orientation agricole (N° Lexbase : L1178AR3), permet aux communes et aux départements de faire appel aux exploitants agricoles pour déneiger les voies qui relèvent de leur compétence. Le ministre de l'Intérieur a pu préciser que "cette disposition prévoit que les agriculteurs apportent leur concours au moyen de leur véhicule équipé d'une lame de déneigement appartenant à ces collectivités. Cette participation doit présenter un caractère accessoire dans l'activité de l'exploitant agricole. Par cette intervention, rémunérée ou non, l'agriculteur concourt à une mission d'intérêt général résultant soit d'une réquisition, soit d'une simple demande ou d'une collaboration spontanée en cas d'urgence" (QE n° 1206 de M. François Cornut-Gentille, JOAN du 24 juillet 2007, p. 4974, réponse publ. 3 juin 2008, p. 4687 N° Lexbase : L3804IPL). Sollicitées par les collectivités en charge de la voirie, des personnes privées ou publiques sont, également, susceptibles d'intervenir en ce domaine dans un cadre conventionnel soumis à des obligations de publicité et de mise en concurrence.
Les conditions de leur intervention ont été fixées par le ministre de l'Intérieur (QE n° 24527 de M. Gérard Bailly, JO Sénat du 28 septembre 2006, p. 2469, réponse publ. 15 mars 2007, p. 589 N° Lexbase : L3805IPM) et concernent :
- les directions départementales de l'équipement, "lorsqu'elles ont gardé les moyens nécessaires au déneigement des routes nationales, et dès lors qu'elles respectent les principes de transparence afférents à la détermination du prix énoncé par l'avis du Conseil d'Etat du 8 novembre 2000" (CE Avis, 8 novembre 2000, n° 222208 N° Lexbase : A5990B7Y) ;
- les services techniques du conseil général si "les opérations de viabilité hivernale des routes communales constituent [...] le prolongement accessoire de sa compétence gestion du réseau routier départemental [et à la condition qu'il mette] en place une comptabilité séparée pour les opérations de déneigement des routes communales, qui constitue une activité commerciale accessoire" (ibid.) ;
- les prestataires privés dans le cadre d'un marché public, ce type de contrat étant obligatoire, s'agissant de la voirie départementale, dès lors qu'en l'absence de toute disposition autorisant la perception par une collectivité publique de redevances sur l'utilisation de ces voies, un contrat confiant à une entreprise leur déneigement et leur salage ne peut donner lieu à une délégation de service public (CAA Lyon, 2ème ch., 22 mai 1997, n° 96LY02600, publié au Recueil Lebon N° Lexbase : A2485BG7, Rec. p. 560). Les remboursements et les rémunérations versées par les communes ou leurs groupements aux exploitants assurant les prestations de déneigement des voies publiques sont, à cet égard, éligibles au taux réduit de la TVA à 5,5 % (loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008, de finances pour 2009, art. 32 N° Lexbase : L3783IC4 ; CGI, art. 279 K N° Lexbase : L0686IP4).
Lexbase : Dans quelles conditions la responsabilité des communes peut-elle être engagée ?
Simon Williamson : La responsabilité des communes pour les dommages causés par la présence de plaques de verglas et de neige sur les voies publiques se rattache soit à la responsabilité pour défaut d'entretien normal, soit à la responsabilité pour carence des pouvoirs de police du maire. La théorie dite de la "responsabilité pour défaut d'entretien normal" s'applique à un dommage causé par un ouvrage ou un travail public à un usager (celui qui fait un usage normal et effectif d'un ouvrage public).
Elle repose sur la base d'une responsabilité pour faute présumée de service : l'usager qui s'estime victime d'un accident imputable à un défaut d'entretien d'un ouvrage public (ou à un défaut d'aménagement) doit uniquement rapporter la preuve de son dommage et d'un lien de causalité entre celui-ci et l'ouvrage en cause. L'administration ne peut s'exonérer que si elle prouve l'absence d'un défaut d'entretien normal (c'est-à-dire l'accomplissement de toutes les diligences nécessaires à son entretien), l'existence d'un cas de force majeure ou la faute de la victime.
L'entretien normal est retenu lorsque l'administration ne pouvait pas connaître ou prévoir le danger et qu'elle n'avait donc pas pu prendre les mesures nécessaires pour remédier au désordre, malgré la surveillance régulière de la voie en cause. Le caractère prévisible (la conscience du danger par la victime et sa connaissance par l'utilisation régulière ou non de la voie) et visible de la défectuosité suffit à caractériser la faute de la victime qui aurait dû se prémunir contre les risques inhérents à l'usage d'un ouvrage. Les victimes ont intérêt à choisir prioritairement le terrain de la responsabilité pour défaut d'entretien normal pour des raisons tenant à la procédure, à l'absence de délai et aux règles favorables d'administration de la preuve.
Dans un arrêt publié au recueil Lebon, la cour administrative d'appel de Nancy a clairement énoncé le principe selon lequel les usagers d'une voie enneigée ne pouvaient utilement invoquer ce régime de responsabilité pour mettre en cause une commune (CAA Nancy, 1ère ch., 15 octobre 1992, n° 91NC00797, précité). Des décisions plus récentes des cours de Lyon et de Marseille semblent, toutefois, s'inscrire en contradiction avec cette solution.
En tout état de cause, les requérants peuvent se situer sur le terrain de la responsabilité pour carence des pouvoirs de police (s'agissant d'un accident causé par la présence d'un plaque de verglas sur une route départementale dans la traversée de la ville, voir, CE 5° et 3 ° s-s-r., 26 janvier 1977, n° 96970 N° Lexbase : A7606B89, Rec., p. 956). Le dommage dont ils s'estiment victimes ne sera plus appréhendé sous l'angle d'un défaut d'aménagement et d'entretien de la voie publique, mais sur le fondement de la carence fautive de l'autorité à avoir exercé ses pouvoirs de police.
Lexbase : Quelles conclusions peut-on tirer de l'analyse de la jurisprudence rendue en cette matière ?
Simon Williamson : Cette analyse montre que le juge retient fréquemment l'existence d'une faute d'imprudence commise par l'usager de la voirie qui tend à exonérer partiellement, voire intégralement l'administration de sa responsabilité. Il a, ainsi, été jugé que la présence de verglas à l'origine d'un accident automobile constitue un danger auquel un usager de la voie publique doit normalement s'attendre d'autant plus que la victime empruntait régulièrement cette voie pour se rendre sur son lieu de travail. Dans ces conditions, même si cette voie, qui permettait l'accès à une autoroute, n'avait pas été sablée et que la présence de verglas n'avait pas été signalée, ces faits ne peuvent être regardés comme un défaut d'entretien normal de la voie publique (CAA Douai, 1ère ch., 25 septembre 2003, n° 02DA00268 N° Lexbase : A7097C9Q).
La responsabilité de l'administration a, en revanche, été retenue du fait de la présence à 13 heures d'une plaque de verglas de 35 mètres de long située dans une courbe d'une voie exposée à l'ombre et au vent. L'accident qui s'y est produit révèle un défaut d'entretien normal de la voierie départementale même si le service de météorologie avait signalé des gelées nocturnes et des chutes de pluie et de neige (CAA Nancy, 3ème ch., 2 octobre 1997, n° 94NC01621 et n° 94NC01635 N° Lexbase : A4622BGB ).
(1) CGEDD, Retour d'expérience à la suite de l'épisode neigeux survenu le 8 décembre 2010 en Ile-de-France - Réseau routier et transports collectifs, Réseau routier et transports collectifs, 2011.
(2) F. Perriez et F. Lepingle, Rapport sur la prévention et le traitement des difficultés de circulation liées aux intempéries (neige et verglas en janvier 2003), Doc fr., 2003.
(3) CGEDD, Rapport précité, p. 17.
(4) CGEDD, Rapport précité, p. 20.
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