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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 18 Février 2011
Mais, pour cette réforme, le Président de la République n'aura pas sacrifié au rite de la "commissionnite". En effet, point de Commission ad hoc, avec à sa tête une personnalité de l'opposition, pour réformer la fiscalité française, juste un "groupe de travail" pour une mini réforme de la fiscalité du patrimoine. Et, cette absence de Commission, qui n'est pas oubli, est somme toute parfaitement logique, puisque le fond de l'affaire n'est pas technique, mais politique, au sens wébérien du terme.
Une réforme de la fiscalité n'est en rien comparable à celle de la procédure civile (aboutie), à celle de la procédure pénale (en cours), ou à celle des obligations (dans les tiroirs) : le postulat n'est pas technique. Une assiette, un taux, une procédure de recouvrement et de contrôle constituent l'assise de tout régime fiscal. Et, l'articulation de ces régimes fiscaux structure la fiscalité française, son impact sur l'économie et son efficacité sociale. Le postulat -et non l'axiome car il est démontrable- est politique en ce que, avant une déclinaison à travers des impôts, des taxes ou toutes contributions imaginables, il s'agit de déterminer, ni plus, ni moins, qu'un choix de société ancrée dans monde globalisé.
Taxer les revenus ou taxer le patrimoine, taxer l'acquisition du patrimoine ou taxer sa conservation, taxer la transmission entre vifs du patrimoine ou taxer sa transmission à cause de mort.... Tel est l'enjeu fondamental de l'impôt du XXIème siècle : choisir entre ces différentes taxations, quand la France, à la pression fiscale parmi les plus élevées du monde, refuse de choisir, et donc de renoncer, imposant plus de quatre fois un même revenu (sa perception, son remploi, la conservation de son remploi, la transmission de son remploi, et ainsi de suite).
"C'est un travers de notre démocratie de courir aveuglément aux réformes. On demande une réforme... et elle n'est pas plus tôt votée qu'on s'en détourne, qu'on court à une autre" (Aristide Briand).
Aussi, encore faut-il concevoir ce choix de taxation à l'aune des grands principes républicains que sont la liberté (d'entreprendre et de capitaliser), l'égalité (accorder les mêmes chances d'élévation sociale à chacun) et la fraternité (la vocation redistributive de l'impôt). Or, taxer le patrimoine, si c'est dans le but de promouvoir l'égalité, voire l'égalitarisme, c'est restreindre la liberté de capitaliser les fruits du travail ; et si taxer les revenus, c'est assurément satisfaire au principe d'égalité sans écorner la liberté d'entreprendre et de capitaliser, c'est sacrifier la fraternité sur l'autel de la fiscalité. C'est pourquoi le savant dosage entre ces trois maximes ornant les frontons des édifices publics commandent à l'impôt.
Aussi, engager une réforme de la fiscalité, fut-elle celle du patrimoine qui, au demeurant, n'est pas des moindres et hautement chargée symboliquement, n'est pas une mince affaire, sauf à faire l'impasse sur une redéfinition du pacte républicain et, par conséquent, à hypothéquer sa légitimité et son efficacité. Et, cette redéfinition n'a qu'un socle : l'élection présidentielle. Seule l'élection suprême revêt une légitimité pourfendant toute contrariété partisane, tout lobbying fleurant le conflit d'intérêts. Seule l'élection présidentielle peut proposer une redéfinition du pacte républicain et la pondération qu'il convient d'opérer entre les maximes de la République pour déterminer leur traduction fiscale. Tout le reste, au final, relève de la "cuisine fiscale", de ces montages flirtant entre l'habilité fiscale et l'abus de droit.
Les surdoués de la fiscalité ont de beaux jours devant eux, car il s'agira toujours, pour chacun, de payer, si ce n'est la juste imposition, la plus minorée qui soit ; mais, personne ne gagne à l'imbroglio fiscal tel qu'il résulte, aujourd'hui, d'une absence de choix politique clair et structurellement ramifié. L'alternance explique, sans doute, l'absence de ligne fiscale cohérente (l'histoire de l'IGF/ISF/"bouclier fiscal" en est un exemple topique). Mais, elle a également laissé le champ libre à une technocratie fiscale qui, pour répondre à toutes les exigences à la fois, a complexifié la matière fiscale jusqu'à son paroxysme.
"Nous parlerons contre les lois insensées jusqu'à ce qu'on les réforme et en attendant, nous nous y soumettrons aveuglément" (Diderot).
Une lueur d'espoir : la fin de l'autonomie du droit fiscal, qui emprunte désormais, de plus en plus, au droit civil, au droit des affaires et au droit social pour définir l'assiette taxable, signant la fin d'une fiscalité aux oeillères préjudiciables pour l'économie. Il ne peut y avoir deux définitions d'un même concept selon la branche à laquelle il se rapporte, dans un même ordre juridique. Si bien que cette incursion du droit privé, dans la conceptualisation et l'élaboration du droit fiscal moderne, ne peut être que de bon augure pour l'adaptation nécessaire de ce dernier aux canons économiques et budgétaires du XXIème siècle.
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