Réf. : CA Colmar, 7ème ch., 10 janvier 2011, n° 09/00102 (N° Lexbase : A1649GRI)
Lecture: 5 min
N3623BRM
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Louis Ducellier, avocat associé, D2 Avocats
le 18 Février 2011
En résumé, c'est moins le nombre de dossiers personnels qui compte pour la Cour de cassation, que les moyens qui ont été mis à la disposition du collaborateur libéral pour pouvoir la développer.
Vers un assouplissement de la requalification du contrat libéral en contrat de travail
Dans l'affaire dont est issue l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 10 janvier 2011, si la notion du caractère dérisoire de la clientèle du collaborateur libéral est, en l'espèce, mise également en avant, il semble que "les moyens matériels mis à disposition par son cabinet à son collaborateur afin qu'il puisse développer sa clientèle personnelle" soient appréciés d'une manière beaucoup plus stricte.
En effet, en première instance, le Bâtonnier refusait de requalifier le contrat libéral en contrat de travail, en se fondant notamment sur la motivation issue de l'arrêt du 14 mai 2009 précité, au motif que même en nombre limité, le collaborateur avait eu la possibilité d'avoir des dossiers personnels.
En l'espèce, c'est exactement sur cette analyse que s'est fondé le cabinet d'avocats intimé en expliquant à la cour d'appel que son ancien collaborateur libéral avait eu la possibilité, en raison des moyens matériels mis à sa disposition, de développer sa clientèle personnelle et que si ce dernier ne l'avait pas fait ce n'est finalement qu'en raison de son souhait de ne pas la développer davantage.
Contre toute attente, l'arrêt de la cour d'appel de Colmar semble s'opposer au raisonnement du Bâtonnier et requalifie cette relation de travail en contrat de travail en balayant d'un revers de la main la notion, pourtant ancrée depuis près de deux ans par la Cour de cassation, "de l'existence de moyens matériels mis à la disposition du collaborateur libéral pour pouvoir développer sa clientèle personnelle".
En l'espèce, si la cour d'appel de Colmar utilise comme critère de requalification, le nombre dérisoire de dossiers personnels du collaborateur, elle va au-delà en précisant que le nombre de dossiers compte moins que le chiffre d'affaires engendré par lesdits dossiers personnels, considérant ce dernier comme dérisoire, au regard de la différence des sommes déclarées au titre de son revenu par rapport à la somme des honoraires rétrocédés par son cabinet.
Par ailleurs, la cour d'appel de Colmar prend également en compte différents témoignages lesquels confirmaient que l'amplitude horaire très importante du collaborateur passée au développement des clients de son cabinet ainsi que l'attitude hostile des associés du cabinet concernant le développement d'une clientèle personnelle, permettaient de conclure que le collaborateur n'avait finalement pas la possibilité de développer une réelle clientèle personnelle.
Plus encore, cet arrêt prend en compte la manière dont était rigoureusement encadrée la prise des congés par les collaborateurs afin d'en tirer un indice de plus du lien de subordination du collaborateur libéral à l'égard de son cabinet.
En conclusion, cet arrêt semble assouplir des critères de requalification du contrat de collaboration libéral en contrat de travail.
Conséquences financières immédiates pour les cabinets d'avocats
Au regard d'un nombre important de témoignages de confrères collaborateurs libéraux au sein de cabinets d'avocats de tailles et de cultures différentes concernant l'organisation et l'amplitude horaire passée par semaine à la gestion des clients de leurs cabinets d'avocats respectifs, ainsi qu'à l'attitude souvent hostile de leur cabinet au développement d'une clientèle personnelle, il n'est pas impossible de penser que ce type d'arrêt, s'il venait à être confirmé par la Haute cour, faciliterait considérablement la requalification d'un contrat de collaboration libérale en contrat de travail, et effraye bon nombre de structures d'exercice qui globalement rentreraient "dans les clous" d'une requalification quasi automatique.
Finalement, le seul fait que le cabinet d'avocats mette à la disposition de son collaborateur, une salle de réunion, une assistante, un téléphone et un ordinateur et que le collaborateur ait quelques dossiers personnels ne suffirait plus à éviter une éventuelle requalification.
Cet arrêt ne pose-t-il pas les bases d'une action en requalification de masse des contrats de collaborations libérales en contrats de travail, dont le coût induit pour les cabinets d'avocats risquerait de devenir rapidement astronomique ?
Conséquences pratiques à moyen et long termes
Se pose également la question de l'organisation et de la rentabilité d'un cabinet d'avocats, notamment au regard de la tarification suggérée de la rétrocession d'honoraires par l'Union des jeunes avocats (UJA), à savoir 3 400/3 800 euros pour des avocats de première et deuxième année.
En terme d'organisation des cabinets, pour éviter cette éventuelle requalification de masse, ne faudrait-t-il pas faire appel à un conseil en organisation afin d'éviter de tomber dans le travers du collaborateur étant dans l'impossibilité de développer une clientèle personnelle en raison du nombre de dossiers donné à traiter pour le compte de son cabinet, sans même que son propre cabinet ne s'en aperçoive ?
Au delà, se pose la question de la rentabilité de l'avocat collaborateur libéral, qui classiquement est considéré comme étant rentable pour un cabinet à partir du moment où il rapporte à son cabinet un ratio de 3 à 4 fois le montant de sa rétrocession d'honoraires perçue.
En effet, au regard de la tarification syndicale pratiquée sur la place de Paris, il paraît évident que pour être rentable, un avocat collaborateur libéral doit travailler de manière très importante pour le compte des clients de son cabinet, réduisant d'autant le temps disponible pour développer sa propre clientèle.
Finalement, les problèmes posés par cet arrêt de la cour d'appel de Colmar semblent aller bien au delà de la simple requalification du contrat de collaboration libérale en contrat de travail, en nous permettant de s'interroger sur le statut même de l'avocat collaborateur libéral dans un système dont la tarification syndicale suggérée du montant de la rétrocession d'honoraires, impose une rentabilité du collaborateur engendrant de manière quasi systématique la requalification de son pseudo statut libéral en contrat de travail.
(1) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12.966, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9766EGS) et les obs. de G. Auzero, Requalification d'un contrat de collaboration libérale en contrat de travail : l'importance de la clientèle personnelle, Lexbase Hebdo n° 353 du 4 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6304BKP).
(2) V., notamment, loi n° 2005-882 du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises, art. 18 (N° Lexbase : L7582HEK) ; décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat, art. 129 (N° Lexbase : L8168AID) ; loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 7, préc..
(3) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12.966, FS-P+B+R+I, préc. et obs. préc..
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:413623