Réf. : Loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011, relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle (N° Lexbase : L2793IP7)
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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique, Université Toulouse 1 Capitole
le 15 Février 2011
Le texte renferme également des moyens destinés à contrôler des nominations, parmi lesquels figure la nullité de celles contraires aux principes énoncés et la suspension temporaire des jetons de présence.
L'essentiel du dispositif du texte qui concerne 2 000 sociétés anonymes (SA) et en commandite par actions (SCA), ne sera pas applicable avant 2017 pour les sociétés cotées et 2020 pour les autres. En vertu du principe de l'application immédiate de la loi, quelques dispositions mineures sont entrées en vigueur au lendemain de la publication de celle-ci (8).
Signalons que dans la foulée de la proposition de loi "Copé-Zimmermann" dont ils se sont grandement inspirés, l'AFEP et le MEDEF ont modifié leur code de gouvernement d'entreprise des sociétés cotées (cf. l'intégration, dans le code de gouvernement d'entreprise des sociétés cotées, de la recommandation relative à la représentation des femmes au sein des conseils) pour fixer les règles d'équilibre entre les femmes et les hommes dans les conseils d'administration et de surveillance (9). Ils recommandent que chaque conseil parvienne à un pourcentage d'au moins 20 % de femmes dans le délai de trois ans et de 40 % dans le délai de six ans, et le maintienne par la suite. Ces délais courent à dater du 19 avril 2010 ou à compter de l'admission des titres de la société aux négociations sur un marché réglementé, si elle intervient après cette date.
Toujours est-il que la loi du 27 janvier 2011 pose le principe d'une parité entre les femmes et les hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance (I), dont l'inobservation est sanctionnée par la nullité (II).
Dans l'attente d'une mise en oeuvre effective de cette disposition, ces conseils doivent délibérer chaque année sur la politique de la société en matière d'égalité professionnelle et salariale (10). Cette obligation vaut pour toute SA et SCA, cotée ou non, peu importe leur taille.
I - L'obligation de respect d'une parité entre femmes et hommes
La situation actuelle. Les statistiques révèlent une présence ou une participation peu importante des femmes aux postes de direction ou dans les instances dirigeantes des sociétés. Ainsi en France, il n'y aurait que 17,2 % de femmes dirigeantes et 10 % dans les conseils d'administration des sociétés du CAC 40 (11). Ce pourcentage, déjà faible, diminue encore quand il s'agit des conseils d'administration des cinq cents premières entreprises françaises ; il ne s'élève qu'à 8 %. Cette situation tiendrait à la fois à un manque d'attrait pour les femmes pour les attributions directoriales, à leur recherche d'un équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale et à leur propre choix d'orientation (12).
La situation tranche notablement avec celle rencontrée en Norvège où la loi impose depuis 2006 la présence d'au moins 40 % de femmes au sein des instances de gouvernance des entreprises. S'inspirant de cette situation, l'exposé des motifs de la proposition de loi déposée le 3 décembre 2009 par Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmermann a mis en exergue le dynamisme et le facteur de richesse que la mixité a apporté à ces instances. Ce constat sert également d'exemple à la Belgique qui envisage, à son tour, de légiférer sur cette question avec l'objectif que les conseils d'administration comportent au moins 30 % de femmes.
Le principe de mixité. Le nouveau texte issu de la loi du 27 janvier 2011 assigne que la composition des conseils d'administration et de surveillance de toute société anonyme ou société en commandite par actions soit une représentation équilibrée des femmes et des hommes (13). En outre, il dispose que dans les sociétés dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé, le rapport du président sur le contrôle interne fasse état de l'application du principe de représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein de ces conseils (14).
Les modalités de la mixité. La proposition de loi prévoyait déjà que les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, parviennent à un chiffre minimal de 40 % des membres des conseils d'administration et de surveillance de chaque sexe dans le délai de six ans. Elle a révisé ses ambitions à la baisse car le texte de départ envisageait une exacte parité dans le délai de cinq ans.
Ainsi, un conseil d'administration ou de surveillance comportant huit membres pourra être composé de cinq femmes ou hommes et de trois hommes ou femmes. S'il comporte neuf membres, il y aura cinq femmes ou hommes et quatre hommes ou femmes. En présence de dix membres, il s'agira de six femmes ou hommes et de quatre hommes ou femmes.
En application de l'article 5, I, alinéa 1er, de la nouvelle loi, à l'issue de la première assemblée générale ordinaire tenue après 1er janvier 2017, la proportion des membres de chaque sexe des conseils ne pourra se situer au-dessous de 40 % dans les SA et SCA dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé. Cette obligation de proportion s'appliquera également au terme de la plus prochaine assemblée ayant à statuer sur des nominations, dans les sociétés qui, pour le troisième exercice consécutif, d'une part, emploient un nombre moyen d'au moins 500 salariés permanents, d'autre part, réalisent un chiffre d'affaire d'au moins 50 millions d'euros net ou présentent un total de bilan supérieur ou égal à cette somme (15). La disposition entrera en vigueur à dater du 1er janvier de la sixième année suivant l'année de publication de la loi, à savoir le 1er janvier 2017.
Désormais, dans ces différentes sociétés, les conseils comportant huit personnes au plus, l'écart entre le nombre de leurs membres de chaque sexe ne peut dépasser le chiffre de deux (16).
Ces différentes règles n'entrant en vigueur que six ans après la promulgation de la loi, celle-ci instaure des étapes intermédiaires, notamment celle de trois ans après la promulgation durant laquelle la proportion des membres des conseils d'administration et de surveillance ne peut être inférieure à 20 %. En outre, quand dans le délai de six mois à partir de la promulgation, l'un des sexes n'est pas représenté à ces conseils, au moins un représentant de ce sexe doit être nommé dès le premier renouvellement de l'un des mandats de membre intervenant à compter de la promulgation. Cela concerne environ 180 femmes nommées avant janvier 2014, afin de parvenir à 40 % en 2017.
Ces différentes mesures concernant le pourcentage de 40 % et l'écart maximal de deux entre le nombre des membres des conseils de chaque sexe s'appliquent également aux sociétés relevant du secteur public, à partir du deuxième renouvellement dudit conseil suivant la publication (17).
Dans l'appréciation de ladite proportion de 40 %, il conviendra de prendre en considération les représentants permanents des personnes morales membres du conseil d'administration ou de surveillance (18), mais non les membres de ces conseils élus par les salariés (19). Quand plusieurs membres des conseils des SA ou SCA sont élus par les salariés, la liste des candidats devra être alternativement composée d'un candidat de chaque sexe. Sur chaque liste, l'écart entre le nombre des candidats de chaque sexe ne pourra être supérieur à un (20).
La période transitoire. En vue de parvenir à une composition paritaire des conseils, le législateur a instauré une période transitoire au cours de laquelle les administrateurs eux-mêmes vont appliquer la mesure exigeant une représentation minimale de chaque sexe en leur sein. Ainsi, lorsqu'à la date de publication de la loi, l'un des deux sexes n'est point du tout représenté au sein d'un des conseils d'une société dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, au moins un représentant de ce sexe doit être nommé lors de la plus prochaine assemblée générale ordinaire ayant à statuer sur la nomination de membres de ces conseils (21). Au sein de ces sociétés, la proportion de ces membres ne pourra chuter sous la barre de 20 %, à l'issue de la première assemblée générale ordinaire qui suivra le 1er janvier 2014 (22).
Pour apprécier si cette proportion de 20 % est respectée, il faudra tenir compte du représentant permanent d'une personne morale membre du conseil d'administration ou de surveillance.
Pareilles mesures transitoires s'appliqueront également aux sociétés relevant du secteur public, plus précisément les établissements publics et les entreprises visés aux articles 5 et 6 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 (23).
II - La sanction du non-respect de la parité entre femmes et hommes
La nullité de plein droit. La nouvelle loi ne prescrit pas de sanction financière en cas d'inobservation de la parité entre les femmes et les hommes (24). Néanmoins, assez curieusement, elle édicte la nullité comme sanction. En effet, cette option va à contre-courant de la tendance actuelle et générale à bannir la nullité au profit d'une annulabilité.
Ainsi, à l'origine, l'article L. 235-2-1 (N° Lexbase : L1393HIG), introduit dans le Code de commerce par la loi de sécurité financière n° 2003-706 du 1er août 2003 (N° Lexbase : L3556BLB), prévoyait la nullité des délibérations ne répondant pas aux dispositions régissant les droits de vote relatifs aux actions. Les critiques dont ce texte a fait l'objet ont amené le législateur à le réviser par l'article 23 de la loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 (N° Lexbase : L9533HHK), dont la nouvelle rédaction énonce simplement que les délibérations litigieuses "peuvent être annulées", écartant ainsi la nullité de plein droit.
De la même manière, au départ, l'article L. 225-149-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L9343GUL), provenant de ladite loi de sécurité financière, rendait nulle de plein droit les décisions portant atteinte aux dispositions relatives à l'émission de valeurs mobilières. L'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 (N° Lexbase : L5052DZ7, art. 21) a institué dans ce code l'article L. 225-149-3 (N° Lexbase : L1418HID) qui, au gré de la nature et de l'importance de la règle méconnue, mêle désormais nullité, annulabilité et injonction de faire.
La nullité en période transitoire. S'agissant de la parité entre femmes et hommes, objet de notre propos, en période transitoire, le législateur prévoit que toute nomination intervenue en violation du texte en vigueur est frappée de nullité. Cette sanction n'entraîne pas la nullité des délibérations des conseils, sauf celles auxquelles ont participé le ou les membres du conseil dont la nomination est irrégulière (25).
Sans vouloir faire renaître le débat antérieur, il est permis de se demander si la sanction de la nullité est bien appropriée. Surgit alors la difficulté de faire la distinction entre les nominations et délibérations valables et celles qui méritent d'être touchées par la nullité. Elle soulève le risque évident d'erreur dans cette recherche, ce qui pourrait entraîner une série de nullités, sans exclure celle inévitable de replacer les choses dans la situation initiale et d'ordonner aux intéressés de restituer les rémunérations et les avantages perçus.
Si le conseil ne prend pas soin de procéder aux nominations requises ou de convoquer l'assemblée générale des actionnaires afin de remédier à l'irrégularité de sa composition, tout intéressé peut solliciter en justice la désignation d'un mandataire chargé de convoquer l'assemblée à cette fin. Si la proportion du nombre des membres de chaque sexe tombe en dessous de 40 %, le conseil doit procéder à des nominations à titre provisoire dans le délai de six mois à compter du jour où cette proportion n'est plus respectée, à l'instar de la vacance par décès ou démission d'un poste de membre de conseil d'administration ou de surveillance (26).
La nullité après la période transitoire. En période post transitoire de pleine application de la loi, la sanction prescrite est également la nullité. C'est particulièrement le cas si le conseil d'administration néglige de procéder aux nominations requises ou de convoquer l'assemblée afin de remédier à l'irrégularité. Ainsi, sont nulles les nominations qui ne respectent pas la proportion minimale de 40 % de membres des conseils de chaque sexe, sans que soient exposées à la nullité les délibérations de ces organes auxquelles a pris part le membre du conseil ou, le cas échéant, le représentant permanent irrégulièrement désigné (27).
De surcroît, le versement des jetons de présence sera suspendu. Il ne pourra être rétabli, avec paiement d'arriéré non versé, qu'après la régularisation de la composition du conseil (28). Le rapport de gestion devra faire état de la suspension et du rétablissement des jetons de présence (29).
Toute difficulté ne disparaît pas pour autant. Si, à la suite de la nullité des nominations, le nombre des membres tombait au-dessous du minimum statutaire, ou pire, au-dessous du minimum légal, le conseil ne serait plus régulièrement composé. Il ne pourrait alors valablement délibérer, au point que l'on se trouverait à nouveau confronté au risque de nullités en série malgré l'affirmation d'une absence de contamination des délibérations par la nullité (30).
Eu égard aux dangers que présente la nullité de plein droit, n'aurait-il pas mieux valu instaurer une simple possibilité d'annulation ou une injonction de faire abandonnée à la libre appréciation du juge, malgré quelques réserves émises par la doctrine au sujet de l'injonction (31) ? Nous sommes enclins à le penser.
(1) Journal officiel du 28 janvier 2011.
(2) F.-X. Lucas, La "modernitude" s'invite dans les conseils d'administration, Bull. Joly Sociétés, 2009, p. 945 ; Ph. Reigné, Les femmes et les conseils d'administration, JCP éd. E, 2010, n° 3, 1048, et la réponse de F.-X. Lucas, Femmes... Je vous aime..., JCP éd. E, 2010, n° 7, 1170 ; F. Rome, Lignes de fiel, D., 2010, p. 249 ; V. Martineau-Bourgninaud, L'obligation de mixité dans les conseils d'administration et de surveillance, D., 2010, p. 599, qui qualifie la proposition de loi d'inopportune et d'opportuniste.
(3) F.-X. Lucas, Femmes... Je vous aime..., JCP éd. E, 2010, n° 7, 1170, spéc. n° 5 et note 6.
(4) A. Astaix, D., Actualité, 18 janvier 2011 ; BRDA, 2/2010, n° 3.
(5) A. Astaix : D., Actualité, 25 janvier et 3 novembre 2010.
(6) B. Dondero, Le sexe des administrateurs, blog Dalloz, 10 décembre 2010.
(7) Loi n° 2011-103, art. 7.
(8) C. civ., art. 1er, al. 1er (N° Lexbase : L3088DYZ).
(9) Communiqué de presse AFEP-MEDEF du 20 avril 2010 ; BRDA, 8/2010, n° 5.
(10) C. com., art. L. 225-37-1 (N° Lexbase : L2853IPD), L. 225-82-1 (N° Lexbase : L2854IPE) et L. 226-9-1 (N° Lexbase : L2855IPG), dans leur rédaction issue de la loi n° 2011-103 (art. 8, I).
(11) A. Astaix, D. Actualité, 25 janvier 2010.
(12) V. Martineau-Bourgninaud, art. préc., n° 11, note 2.
(13) C. com., art. L. 225-17, al. 2 (N° Lexbase : L3630IP7), L. 225-69, al. 2 (N° Lexbase : L3635IPC) et L. 226-4, al. 2 (N° Lexbase : L2857IPI), dans leur rédaction issue de la loi n° 2011-103 (art. 1er , I, art. 2, II et art. 4, I).
(14) C. com., art. L. 225-37, al. 6 (N° Lexbase : L3625IPX) et L. 225-68, al. 7 (N° Lexbase : L3636IPD), modifiés pour les SA et, sur renvoi de l'article L. 226-10-1, al. 1er (N° Lexbase : L1873IE4), pour les SCA.
(15) Loi n° 2011-103, art. 5, I, al. 2.
(16) C. com., art. L. 225-18-1 (N° Lexbase : L3594IPS), L. 225-69-1 (N° Lexbase : L3595IPT) et L. 226-4-1 (N° Lexbase : L2852IPC), dans leur rédaction issue de la loi n° 2011-103 (art. 1er, II, art. 2, III et art. 4, II).
(17) Loi n° 2011-103, art. 6, I et II.
(18) C. com., art. L. 225-20, al. 2 (N° Lexbase : L3629IP4) et L. 225-76, al. 2 (N° Lexbase : L3634IPB), dans leur rédaction issue de la loi n° 2011-103 (art. 1er, III et art. 2, IV).
(19) C. com., art. L. 225-27, al. 2 (N° Lexbase : L3627IPZ) et L. 225-79, al. 3 (N° Lexbase : L3632IP9).
(20) C. com., art. L. 225-28, al. 6 (N° Lexbase : L3626IPY administrateurs) dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-103 (art. 1er, VI) et L. 225-80 (N° Lexbase : L5951AIA renvoyant à C. com., art. L. 225-28 pour les membres du conseil de surveillance).
(21) Loi n° 2011-103, art. 5, II, al. 2.
(22) Loi n° 2011-103, art. 5, II, al. 1er.
(23) Loi n° 2011-103, art. 6, III, al. 1er.
(24) J.-F. Barbiéri, Parité sexuelle obligatoire dans la composition des conseils : le problème des sanctions, Bull. Joly Sociétés, 2010, p. 508.
(25) Loi n° 2011-103, art. 5, II, al. 4.
(26) C. com., art. L. 225-24, al. 4 (N° Lexbase : L3628IP3) et L. 225-78, al. 4 (N° Lexbase : L3633IPA), dans leur rédaction issue de la loi n° 2011-103 (1er, IV et art. 2, V).
(27) C. com., art. L. 225-18-1, L. 225-69-1 et L. 226-4-1, al. 2, dans leur rédaction issue de la loi n° 2011-103 (art. 1er, II, art. 2, III et art. 4, II).
(28) C. com., art. L. 225-45, al. 2 (N° Lexbase : L3624IPW) et L. 225-83, al. 2 (N° Lexbase : L3631IP8), dans leur rédaction issue de la loi n° 2011-103 (art. 1er, VIII et art. 2, VII).
(29) C. com., art. L. 225-102-1, al. 3 (N° Lexbase : L3637IPE), dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-103 (art. 3).
(30) C. com., art. L. 225-18-1, L. 225-69-1 et L. 226-4-1, al. 2, dans leur rédaction issue de la loi n° 2011-103 (art. 1er, II, art. 2, III et art. 4, II).
(31) E. Jeuland et F. Manin, Les incertitudes du référé injonction de faire en droit des sociétés, Rev. sociétés, 2004, p. 1.
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