La lettre juridique n°427 du 10 février 2011 : Filiation

[Questions à...] Accouchement sous X : de l'anonymat aux feux de l'actualité médiatique - Questions à Lauren Berrué, Avocat au barreau d'Angers

Lecture: 4 min

N3553BRZ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Questions à...] Accouchement sous X : de l'anonymat aux feux de l'actualité médiatique - Questions à Lauren Berrué, Avocat au barreau d'Angers. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3900455-questions-a-accouchement-sous-x-de-lanonymat-aux-feux-de-lactualite-mediatique-questions-a-b-lauren-
Copier

par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 15 Février 2011

Par un arrêt très médiatisé du 26 janvier 2011, la cour d'appel d'Angers a annulé l'arrêté qui faisait d'une petite fille née sous X une pupille de l'Etat et a confié l'enfant à ses grands-parents biologiques (CA Angers, 1ère ch., sect. B, 26 janvier 2011, n° 10/01339 N° Lexbase : A1682GRQ). Hasard du calendrier, cette décision, qui marque une première en France, a été rendue le lendemain de la remise, au Premier ministre, d'un rapport parlementaire, le rapport "Barèges", qui propose de modifier la procédure et d'instaurer "un accouchement dans la discrétion" à l'issue duquel les mères biologiques laisseraient des éléments d'identité pour que l'enfant adopté puisse les retrouver à sa majorité. Pour essayer de comprendre la solution rendue par les juges angevins (1), Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître Lauren Berrué, qui défendait les grands-parents dans cette affaire, et qui a accepté de répondre à nos questions. Lexbase : Tout d'abord, s'agissant de la recevabilité de la demande et, plus particulièrement, de la qualité à agir des grands-parents, les juges se sont fondés sur l'existence d'un lien de fait, et non d'un lien de droit, alors que la parenté était établie par analyse génétique. Le raisonnement suivi est subtil ; vous semble-t-il justifié ?

Lauren Berrué : La cour d'appel d'Angers a écarté l'expertise réalisée au motif qu'il s'agissait en réalité d'une expertise génétique (et non un examen comparé des sangs) qui n'était pas autorisée hors les cas énoncés par l'article 16-11 du Code civil (N° Lexbase : L8778G8M). Ce qui est conforme à la lettre du texte même si aujourd'hui, il ne se réalise plus, en pratique, d'examen comparé des sangs.

L'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5365DKW) dispose que le recours contre l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat peut être exercé par toute personne justifiant d'un lien de droit ou de fait avec l'enfant et qui demande à en assumer la charge.

Seul un lien de fait pouvait être établi (le lien de droit étant exclu par la rupture de la filiation découlant de l'accouchement sous X). La cour a considéré qu'il l'était par les nombreuses visites de la grand-mère ainsi que par ses démarches et celles de leur avocat. Compte tenu des circonstances (présence en néonatalogie, opposition de l'assistante sociale) les grands-parents justifient d'un lien "affectif de fait avec l'enfant".

Ce raisonnement me semble justifié dans la mesure où le rapport d'expertise est rejeté en vertu de la lettre de l'article 16-11 du Code civil.

Lexbase : Sur le fond, la demande de prise en charge de l'enfant par ses grands-parents biologiques a été accueillie à l'aune du principe de l'intérêt supérieur de l'enfant, lequel, selon les juges, "prime sur la faculté pour la mère de conserver l'anonymat et par voie de conséquence sur son choix de couper l'enfant de sa famille". La formulation retenue par les juges annonce-t-elle, selon vous, le début de la fin de l'accouchement sous X ?

Lauren Berrué : L'arrêt du 26 janvier 2011 n'annonce pas, selon moi, la fin de l'accouchement sous X, mais il ouvre une brèche. En vertu des éléments d'un dossier, le seul accouchement dans le secret ne permet plus à lui seul de rejeter les recours exercés par des personnes ayant un lien de fait avec l'enfant. Il sera désormais possible de rapporter la preuve de ce lien et que soit examiné le bien-fondé de la demande.

Les éléments de l'affaire permettaient de s'interroger sur l'opportunité de faire prévaloir le secret de l'accouchement face à l'intérêt d'une petite fille de connaître ses origines et d'être élevée par sa famille.

Mais si la mère n'avait pas fait connaître sa situation, son accouchement et sa fille à sa famille, le recours des grands-parents aurait sans doute été plus incertain.

Il faut aussi indiquer que le recours a été exercé très rapidement et en tout cas, avant que l'enfant ne soit placée en vue de son adoption.

Lexbase : Quelles sont les règles encadrant le secret des origines ? Quelles circonstances peuvent expliquer que les juges aient admis de lever ce secret ?

Lauren Berrué : L'article 326 du Code civil (N° Lexbase : L8828G9T) dispose que "lors de l'accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservée".

En l'espèce, les règles ont été respectées. L'acte de naissance de la petite fille ne porte pas l'identité de la mère de naissance. La filiation maternelle n'est pas établie.

Les juges angevins n'ont levé aucun secret, ils ont annulé l'arrêté d'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat et ont confié la garde de l'enfant à ses grands-parents.

Le secret est lié à l'identité de la mère que les institutions s'engagent à ne pas divulguer. La loi ne peut empêcher que, par d'autres moyens, l'enfant n'ait connaissance de l'identité de sa mère. D'ailleurs, l'action en recherche de maternité est désormais permise à l'enfant né sous X.

Ce ne sont pas les magistrats qui ont levé le secret mais la mère elle-même.

Lexbase : Etes-vous favorable au dispositif de l'accouchement protégé, tel que préconisé dans le rapport "Barèges" sur l'accouchement sous X, remis tout récemment au premier ministre ?

Lauren Berrué : Dans son rapport, Madame Barèges préconise notamment de remplacer l'anonymat par "l'accouchement dans la discrétion", qui implique que la mère donne systématiquement son identité dont la confidentialité sera garantie. Ainsi, l'enfant, à sa majorité, pourrait apprendre l'identité de sa mère biologique, à condition d'en faire la demande auprès du Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP).

Les conditions actuelles de saisine du CNAOP prévoient que la demande d'accès à l'identité de sa mère peut être présentée par le majeur lui-même ou par le mineur en âge de discernement avec l'accord de ses représentants légaux (C. act. soc. fam., art. L. 147-2 N° Lexbase : L9011HWN).

Le rapport "Barèges" ne change donc pas la situation des enfants nés sous X. La mère demeure maître de la communication des informations transmises. L'âge de la consultation par l'enfant est quant à lui reculé à 18 ans.

Je ne vois pas d'avancée significative dans les propositions faites par Madame Barèges.


(1) Lire également, Adeline Gouttenoire, Grands-parents envers et contre tout, Lexbase Hebdo n° 427 du 10 février 2011 - édition privée (N° Lexbase : N3549BRU).

newsid:413553