La lettre juridique n°427 du 10 février 2011 : Conflit collectif

[Jurisprudence] De la licéité des arrêts de travail courts et répétés des grévistes

Réf. : Cass. soc., 25 janvier 2011, n° 09-69.030, FS-P+B (N° Lexbase : A8531GQZ)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 24 Février 2011


Il y avait très longtemps que la Chambre sociale de la Cour de cassation n'avait pas été amenée à se prononcer sur la licéité de mouvements de grève se traduisant par des débrayages courts et répétés du travail. Dans cet arrêt en date du 25 janvier 2011, la Haute juridiction confirme sa jurisprudence classique sur la licéité de principe de ces mouvements (I), et statue, également, sur la portée toute relative d'un accord de fin de conflit (II).
Résumé

Des arrêts de travail courts et répétés, quelque dommageables qu'ils soient pour la production, ne peuvent, en principe, être considérés comme un exercice illicite du droit de grève.

Un syndicat ne saurait voir sa responsabilité civile engagée par le seul fait qu'il a signé un précédent protocole d'accord de fin de conflit dans lequel était indiqué le caractère illicite de certains comportements qui se sont ultérieurement reproduits.

I - De la licéité des arrêts de travail courts et répétés

Problème. Au-delà de la définition juridique de la grève, définie comme "un arrêt collectif et concerté du travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles" (1), se profile une définition plus économique ; la grève peut alors apparaître comme le droit de tenter d'infliger à l'employeur les pertes économiques les plus lourdes possibles afin de le contraindre à satisfaire les revendications des grévistes.

Depuis toujours, certains employeurs ont tenté de faire juger que les conséquences économiques de la grève devaient nécessairement demeurer dans des proportions raisonnables, et que l'excès pourrait rendre celle-ci illicite.

La position de la Cour de cassation sur le sujet n'a pas varié depuis cinquante ans.

La licéité des grèves nuisibles économiquement. En principe, la gravité des conséquences économiques de la grève est indifférente à sa licéité, celle-ci devant se vérifier uniquement au regard des critères juridiques tenant à l'existence d'un véritable arrêt de travail, collectif, et à l'existence de revendications professionnelles. Dès lors, l'importance de l'impact économique de la grève n'est susceptible ni d'entraîner la disqualification du mouvement, ce qui placerait les salariés en dehors du régime protecteur issu de la loi du 11 février 1950, ni de caractériser une faute lourde susceptible d'entraîner une sanction disciplinaire, pouvant aller jusqu'au licenciement, et ce conformément aux dispositions de l'article L. 2511-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0237H9N) (2).

La sanction de la désorganisation intentionnelle de l'entreprise. Ce principe connaît toutefois une exception, lorsque les salariés provoquent intentionnellement la désorganisation de l'entreprise (3) ; dans cette hypothèse, la faute lourde pourra être caractérisée. Selon une formule de style, la grève doit entraîner une désorganisation de l'entreprise, et pas seulement de l'activité (4).

La Cour de cassation exige des juges du fond qu'ils caractérisent "en quoi la forme qu'avaient revêtue les arrêts de travail révélait une intention de nuire" ou établissent l'existence de fait "caractérisant la désorganisation de l'entreprise et une entrave à la liberté du travail", à défaut de quoi ils verront leur arrêt cassé, le fait de constater que le conflit "s'était d'abord déroulé normalement, avait par la suite dégénéré et pris la forme de débrayages répétés de courte durée, d'arrêts de travail brefs et inopinés, sans avertissement préalable, le but manifeste étant de désorganiser l'entreprise et de créer un dommage supérieur à celui que crée normalement et nécessairement toute cessation concertée de travail, et, d'autre part, que le mouvement s'était accompagné, au début du mois d'avril, d'une occupation des lieux de travail, notamment des locaux administratifs, au point que les non-grévistes en avaient été gênés se plaignant des difficultés qu'ils avaient à poursuivre leurs tâches", n'étant pas suffisant (5). La jurisprudence a pu ainsi sanctionner des micro-arrêts de travail (6), des grèves tournantes (7) mais aussi des grèves inopinées de courte durée et répétitives (8), à condition que la preuve d'une intention nuisible soit caractérisée (9).

Confirmation en l'espèce. C'est cette jurisprudence qui se trouve ici confirmée par l'arrêt en date du 25 janvier 2011.

Dans cette affaire, un conflit collectif du travail avait eu lieu au sein de la société compagnie de fabrication et de préfabrication du 3 au 5 janvier 2007 à l'appel du syndicat des travailleurs et ouvriers du Pacifique et de son président qui revendiquaient une modification et une amélioration de la classification des emplois et de la grille salariale. Estimant que ce conflit constituait une grève illicite, l'employeur avait saisi le tribunal pour obtenir la condamnation du syndicat et de son dirigeant à des dommages-intérêts en réparation de son préjudice.

La cour d'appel de Nouméa lui avait donné raison et avait justifié la solution par le fait que les arrêts de travail courts et répétés des machines les 3, 4 et 5 janvier 2007, sur instruction du syndicat des travailleurs et ouvriers du Pacifique et de son président, avaient entraîné une perte importante et anormale de production et que c'est à bon droit que les premiers juges avaient décidé que ce mouvement était une grève perlée illicite.

Cet arrêt est cassé pour violation de l'alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6815BHU), ensemble l'article 78 de l'ordonnance n° 85-1181 du 13 novembre 1985, relative aux principes directeurs du droit du travail et à l'organisation et au fonctionnement de l'inspection du travail et du tribunal du travail en Nouvelle-Calédonie (N° Lexbase : L6862BUP), devenu l'article Lp. 371-1 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie, la Cour de cassation affirmant pour l'occasion que "des arrêts de travail courts et répétés, quelque dommageables qu'ils soient pour la production, ne peuvent, en principe, être considérés comme un exercice illicite du droit de grève".

Une solution justifiée. La solution est parfaitement justifiée et, d'ailleurs, conforme à la jurisprudence constante de la Chambre, même si c'est, à notre connaissance, la première fois que la solution est affirmée de manière aussi claire dans un "chapeau".

C'est, en effet, au législateur qu'il appartient, conformément aux termes mêmes de l'alinéa 7 du Préambule de la Constitution de 1946, de réglementer l'exercice du droit de grève, et de limiter, le cas échéant et sous le contrôle du Conseil constitutionnel, les "pratiques" des acteurs, comme il a pu le faire dans les services publics en imposant un préavis ou en prohibant les grèves tournantes. Mais dans le secteur privé, aucune restriction de cette nature n'existe, et il n'appartient pas au juge d'en prendre l'initiative. Même courts et répétitifs, les arrêts de travail, en vue d'appuyer des revendications professionnelles, caractérisent bien l'exercice du droit de grève, et ne peuvent être qualifiés de "grève perlée", expression qu'il convient de réserver aux hypothèses où les salariés ne cessent pas le travail mais se contentent de le ralentir et donc de l'exécuter de manière défectueuse (10).

En revanche, certains comportements peuvent être qualifiés de faute lourde et justifier des sanctions, mais il convient alors de relever l'existence de circonstances particulières qui n'étaient nullement caractérisées en l'espèce.

II - De la portée des accords de fin de conflit

Utilité des accords de fin de conflit. Les accords de fin de conflit ont une double utilité puisqu'ils permettent aux acteurs de mettre noir sur blanc le point d'accord trouvé sur les revendications des grévistes et des syndicats, mais aussi de régler les éventuels différends qui seraient nés pendant le conflit et qui concerneraient le paiement des jours de grève, ou l'abandon d'éventuelles poursuites (11).

La Cour de cassation ne fait toutefois produire aux accords de fin de conflit qu'un effet très relatif, notamment lorsqu'il s'agit de faire rayonner les effets obligatoires de l'accord au-delà des parties signataires de l'accord ; c'est pourquoi la clause de l'accord qui stipule que les salariés abandonneront toutes les actions engagées antérieurement et relatives aux questions sur lesquelles les parties se sont entendues ne leur est logiquement pas opposable, seule une renonciation individuelle, constatée par exemple dans une transaction, pouvant produire cet effet (12).

L'espèce. Dans cette affaire, un accord de fin de conflit avait été conclu entre les mêmes protagonistes lors d'un précédent mouvement, accord qui "reconnaissait" le caractère illicite des ralentissements de cadence ou des arrêts impromptus de machines ayant pour effet de réduire la production. C'est sur la base de ce texte que la cour d'appel avait condamné le syndicat qui aurait ainsi violé son "engagement" ne pas procéder à de telles actions pour l'avenir.

L'arrêt est cassé, également, sur ce moyen, la Cour de cassation considérant que "l'article 4 du protocole d'accord du 16 octobre 2006 réglant les suites d'une grève survenue du 3 au 10 octobre 2006 ne faisait que reprendre l'analyse par l'employeur de tels agissements" et que la cour d'appel avait de ce fait dénaturé le document.

Une solution justifiée. Ici encore, la solution se justifie pleinement dans la mesure où cet accord ne comporterait pas ce que l'on pourrait qualifier de "clause de paix sociale" ou de renonciation à agir pour l'avenir, mais se contentait, comme l'avait relevé la Cour de cassation, de reprendre un simple point de vue de l'employeur. Ce faisant, la Cour ne nie pas qu'un tel accord puisse intervenir valablement, mais souligne simplement que tel n'était pas le cas ici.


(1) Cass. soc., 28 juin 1951, n° 51-01.661 (N° Lexbase : A7808BQA), Dr. soc., 1951, p. 523, note P. Durand, Cass. soc., 18 juin 1996, n° 92-44.497 (N° Lexbase : A2013AAS), Bull. info. C. cass. n° 439 du 1er novembre 1996, n° 1049 ; Cass. soc., 12 décembre 2000, n° 99-40.265 (N° Lexbase : A1778AIP), TPS, 2001, comm. 55.
(2) Cass. soc., 16 février 1989, n° 87-42.572 (N° Lexbase : A9091AAX), Bull. civ. V, n° 133 ; Cass. soc., 10 juillet 1991, n° 89-43.147 (N° Lexbase : A1693AAX), Dr. soc., 1991, p. 743 ; Cass. soc., 7 avril 1993, n° 91-16.834 (N° Lexbase : A6462ABX), Bull. civ. V, n° 111 ; Cass. soc., 5 juillet 1995, n° 93-20.402 (N° Lexbase : A2034AAL), Bull. civ. V, n° 232.
(3) Cass. soc., 10 juillet 1991, préc..
(4) Cass. soc., 7 avril 1993, préc..
(5) Cass. soc., 16 février 1989, préc..
(6) Cass. soc., 13 décembre 1962, n° 61-40.531 (N° Lexbase : A1487DQ7), Dr. soc., 1963, p. 226, obs. J. Savatier.
(7) Cass. soc., 4 octobre 1979, n° 78-40.271 (N° Lexbase : A3469AB4), Bull. civ. V, n° 679, p. 499 ; Cass. soc., 26 février 1974, Dr. soc., 1975, p. 450, obs. J. Savatier, 101 arrêts pendant 2 mois, jusqu'à 12 par jour ; Cass. soc., 7 avril 1976, n° 74-40.801 (N° Lexbase : A3458ABP), Jurisp. soc., 1976, n° 365, p. 297 : chaque équipe cessait le travail les deux premières heures de son tour, et ce pendant deux semaines.
(8) Cass. soc. 7 janvier 1988, n° 84-42.448 (N° Lexbase : A6251AAR); Bull. civ. V, n° 10, p. 6.
(9) Cass. soc. 25 février 1988, n° 85-43.293 (N° Lexbase : A1400AA4), Bull. civ. V, n° 133, p. 88.
(10) Cass. soc. 5 mars 1953, n° 53-01.392 (N° Lexbase : A1519CGD), D., 1954, p. 109, JCP 1953, II, 7553, note Delpech.
(11) C'est à Gérard Lyon-Caen que l'on doit la systématisation de cette fonction duale de l'accord de fin conflit, mi acte-transaction, mi acte-normatif ; G. Lyon-Caen, Le conflit du Parisien Libéré et le système français de règlement des conflits du travail, Dr. soc., 1977, p. 438 s.
(12) Cass. soc., 12 septembre 2007, n° 06-42.496, FS-P+B (N° Lexbase : A2199DY4), v. nos obs., Les limites du pouvoir normatif de la convention collective, Lexbase Hebdo n° 273 du 20 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N4690BCP).

Décision

Cass. soc., 25 janvier 2011, n° 09-69.030, FS-P+B (N° Lexbase : A8531GQZ)

Cassation, CA Nouméa, ch. civ., 30 avril 2009

Textes visés : alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6815BHU) ; article 78 de l'ordonnance n° 85-1181 du 13 novembre 1985, relative aux principes directeurs du droit du travail et à l'organisation et au fonctionnement de l'inspection du travail et du tribunal du travail en Nouvelle-Calédonie (N° Lexbase : L6862BUP) devenu l'article Lp. 371-1 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie

Mots-clés : grève, arrêts de travail, accord de fin de conflit

Liens base : (N° Lexbase : E2573ETH)

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