Réf. : CA Angers, 1ère ch., sect. B, 26 janvier 2011, n° 10/01339 (N° Lexbase : A1682GRQ)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
le 15 Février 2011
La recevabilité de l'action en contestation de l'arrêté d'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat, prévue par l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles (CASF) (N° Lexbase : L5365DKW), était subordonnée depuis le début de la procédure à la résolution de deux questions délicates : la computation du délai de trente jours prévus par le texte, d'une part, et l'existence d'un lien entre les demandeurs et l'enfant, d'autre part.
A. Le respect du délai pour agir
Point de départ. Sur la question discutée depuis le début de la procédure, du point de départ du délai pour agir de l'article L. 224-8 du CASF, la cour d'appel approuve le raisonnement du tribunal de grande instance d'Angers statuant au fond qui avait considéré que le délai court à partir de l'admission définitive de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat et non, comme l'avait admis le juge des référés, à partir de la notification de l'arrêté aux grands-parents. Cette solution est fort justement fondée sur la nécessité de fixer dans les plus brefs délais et de manière définitive le statut de l'enfant et particulièrement sa qualité d'enfant adoptable. La nécessité de fixer le point de départ du délai au jour de la décision est renforcée par l'impossibilité de déterminer par avance les personnes susceptibles d'intenter une action en contestation de l'arrêté admettant l'enfant en qualité de pupille de l'Etat. L'application de cette solution à l'espèce aurait conduit à considérer que, faute d'interruption, l'action était prescrite le 14 septembre 2009 ; or, l'action en contestation de l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat avait été intentée devant le tribunal de grande instance en janvier 2010.
Interruption du délai. Toutefois, la cour d'appel approuve également le tribunal d'avoir considéré que la procédure en référé, dont l'objet était de faire établir, par une expertise biologique, le lien des demandeurs avec l'enfant concerné par l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat, interrompait le délai (préfix) de prescription. La procédure en référé ayant été introduite avant même que l'arrêté d'admission soit définitif, le délai était donc clairement interrompu.
Durée de l'interruption. La cour d'appel précise qu'en vertu de l'article 2239 du Code civil (N° Lexbase : L7224IAS), relatif à la suspension d'une prescription par la décision du juge de faire droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, "le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée". En l'espèce, le délai de prescription de l'action recommençait à courir au jour de la remise du rapport d'expertise, soit le 24 décembre 2009, et l'action intentée par les grands-parents le 6 janvier 2010 était incontestablement recevable au regard du délai pour agir. L'analyse menée par la cour d'appel mérite d'être approuvée en ce qu'elle permet de respecter à la fois la sécurité juridique nécessaire à l'intérêt de l'enfant et l'ouverture de la procédure à des tiers concernés par le sort de celui-ci.
Délai raisonnable. Il n'en reste pas moins que l'on peut déplorer que le sort de la petite fille concernée ne soit réglé que plus de dix-huit mois après sa naissance, ce qui ne constitue pas à l'évidence un délai raisonnable ! Encore faudrait-il que l'arrêt ne fasse pas l'objet d'un pourvoi en cassation, qui allongerait encore la procédure. On est loin des exigences particulières de célérité posées par la Cour européenne des droits de l'Homme en matière de relations de l'enfant avec sa famille (4) et de son affirmation selon laquelle l'intérêt de l'enfant abandonné implique de trouver le plus rapidement possible une famille de substitution (5).
B. L'existence d'un lien entre les demandeurs et l'enfant
Qualité pour agir. Pour admettre la qualité des grands-parents pour agir en contestation de l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat, étape indispensable pour bloquer le processus d'adoption de la petite Héléna, la cour d'appel devait démontrer, en vertu de l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles, que les grands-parents avaient un lien avec l'enfant.
Tribunal de grande instance. Le tribunal de grande instance avait considéré, quant à lui, que l'expertise génétique ne pouvant, en vertu de l'article 16-11, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L8778G8M) être admise dans une action qui n'avait pas pour objet l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, ou encore l'obtention ou la suppression de subsides, la preuve du lien biologique entre les demandeurs et l'enfant était irrecevable. Il avait, en outre, précisé qu'en tout état de cause ce lien aurait été insuffisant pour satisfaire la condition posée par l'article L. 224-8 du CASF.
Vie familiale projetée. Si la cour d'appel approuve le raisonnement des juges de première instance quant à l'irrecevabilité de la preuve du lien biologique, elle va établir l'existence d'un lien d'une autre nature entre l'enfant et les demandeurs. Elle affirme, en effet, que l'article L. 224-8 du CASF "ne définit pas la nature du lien, et si l'on peut estimer qu'il doit s'agir d'un lien affectif, le texte ne le précise pas [...]. Il appartient donc aux juges du fond d'apprécier l'existence et la qualité d'un tel lien, en tenant compte de la situation, mais aussi de l'âge de l'enfant et ce même s'il n'a pas fait l'objet d'une garde de droit ou de fait". A partir du déroulement chronologique des faits, la cour, sans le formuler expressément, dégage ce que la Cour européenne des droits de l'Homme qualifie de "vie familiale projetée", c'est-à-dire la potentialité de développer des relations personnelles si les circonstances le permettent (6). Les juges angevins mettent, en effet, en évidence la volonté acharnée des grands-parents et particulièrement de la grand-mère, d'établir des contacts avec leur petite-fille, dès sa naissance, volonté qui s'est heurtée au refus constant des services du Conseil général. L'arrêt précise ainsi que "le Conseil général a tout mis en oeuvre pour éloigner Héléna de Mme X, alors qu'elle était à l'hôpital en la changeant de chambre, mais aussi lors de sa sortie pour aller dans un autre lieu, inconnu des tiers, mettant un terme à la possibilité pour eux de s'approcher de l'enfant". Cette volonté contrecarrée d'établir un lien avec un enfant, conjuguée à la parenté biologique que personne finalement ne conteste, constitue, à n'en pas douter, les éléments constitutifs d'une vie familiale au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (7). Ce raisonnement permet à la cour d'appel de conclure que "au-delà des difficultés rencontrées pour le construire, [la grand-mère] justifie de l'existence d'un lien affectif de fait avec l'enfant, répondant aux conditions posées par l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles". L'action des grands-parents étant donc recevable, ils franchissaient ainsi une nouvelle étape qui leur avait été interdite par le tribunal de grande instance.
II. Le bien-fondé de la demande des grands-parents biologiques
Intérêt de l'enfant. Selon l'article L. 224-8, alinéa 2, CASF (N° Lexbase : L5365DKW) "s'il juge cette demande conforme à l'intérêt de l'enfant, le tribunal confie sa garde au demandeur, à charge pour ce dernier de requérir l'organisation de la tutelle, ou lui délègue les droits de l'autorité parentale et prononce l'annulation de l'arrêté d'admission". La cour d'appel devait donc examiner si l'intérêt de l'enfant concerné en l'espèce était d'être confié à ses grands-parents biologiques alors même que sa mère avait, en l'abandonnant à l'issue d'un accouchement sous X, clairement manifesté son intention de couper les liens entre l'enfant et sa famille d'origine.
Pour déterminer si l'intérêt de l'enfant commande en l'espèce de la confier à ses grands-parents biologiques, la cour d'appel appréhende l'intérêt supérieur de l'enfant selon deux acceptions différentes : in abstracto puis in concreto.
A. L'appréciation in abstracto de l'intérêt de l'enfant
Conflit familial. La cour d'appel d'Angers considère que "la question à trancher n'est pas de savoir si la volonté des grands-parents doit supplanter celle des parents, mais de rechercher l'intérêt supérieur de l'enfant". En réalité, et même si la cour d'appel s'en défend, il s'agit bien de savoir si la volonté de la mère, davantage manifestée par sa remise de l'enfant à l'Aide sociale à l'enfance que par son accouchement dans le secret, de voir son enfant adopté par une autre famille que la sienne, peut être écartée par la volonté des grands-parents biologiques d'élever eux-mêmes l'enfant. Certes, il ne s'agit pas directement de résoudre un conflit entre la mère et les grands-parents, puisque le critère est celui de l'intérêt de l'enfant, mais tout de même de savoir si on peut envisager, au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant, de passer outre la volonté de la mère et de satisfaire la demande des grands parents.
Convention internationale des droits de l'enfant. Pour répondre à cette question par l'affirmative, la cour d'appel démontre que l'intérêt supérieur de l'enfant apprécié de manière abstraite, est de maintenir des liens avec sa famille d'origine. La cour rappelle, tout d'abord, le principe de la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant de l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL) et note qu'il est consacré par l'article L. 112-4 du CASF (N° Lexbase : L9000HWA). De manière plus étonnante, elle se fonde sur le droit de l'enfant de connaître ses parents et d'être élevé par eux de l'article 7-1 du même Traité, semblant ainsi entendre le terme de "parents" au sens large d'ascendants. Cette analyse est pour le moins surprenante, ce texte ayant jusqu'alors été plutôt interprété comme le droit de l'enfant de connaître et d'être élevé par ses père et mère !
Droit de connaître ses origines. La cour d'appel met également en avant le droit fondamental de l'enfant de connaître ses origines, qui, selon elle, permet de faire primer l'intérêt de l'enfant sur le droit de la mère de conserver l'anonymat comme le démontre la suppression de la fin de non-recevoir à l'action en établissement de la maternité liée à l'accouchement sous X par la loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009 (N° Lexbase : L5763ICG). Cette analyse est contestable dans la mesure où la cour confond la connaissance des origines, empêchée par le secret, maintenu en droit positif, sur l'identité de la mère dans le cadre de l'accouchement anonyme, et l'établissement de la filiation, qui a été, certes, admis par la loi de 2009 en cas d'accouchement anonyme, mais qui n'est possible que lorsque le secret a été levé notamment par la mère elle-même (8).
Maintien des liens familiaux. Pour parfaire sa démonstration, la cour d'appel évoque, enfin, certaines dispositions du droit français qui vont dans le sens d'un maintien des liens de l'enfant avec sa famille en cas de défaillance parentale, et notamment l'article 375-5 du Code civil (N° Lexbase : L8343HWW), selon lequel, lorsqu'un enfant est retiré à ses parents, on doit privilégier son placement auprès d'un autre membre de la famille. On peut toutefois se demander si la Cour de cassation, qui risque d'être saisie, ne pourrait pas contester l'affirmation générale selon laquelle le maintien des liens de l'enfant avec sa famille biologique est conforme avec son intérêt supérieur alors même que ses propres parents ont souhaité la rupture de ces liens en abandonnant l'enfant sans établir sa filiation.
B. L'appréciation in concreto de l'intérêt de l'enfant
Qualités parentales. Dans un second temps, la cour d'appel s'applique à démontrer que l'intérêt de l'enfant, apprécié cette fois de manière concrète, ne s'oppose pas, en l'espèce, à ce que la petite-fille soit confiée à ses grands-parents biologiques. Elle affirme, en effet, que "en l'espèce l'intérêt d'Héléna doit s'apprécier en considération des éléments de fait, sans pouvoir occulter la réalité biologique qui a établi que les époux X étaient les grands-parents de l'enfant". Elle note l'absence d'éléments permettant de remettre en cause les qualités parentales des demandeurs. Par ailleurs, si elle reconnaît que la prise en charge d'Héléna sera délicate, compte tenu des circonstances de sa naissance et de son abandon, elle constate que "rien ne permet de craindre que les époux X ne soient pas en mesure d'y répondre de manière la plus adaptée". L'argument du conflit entre les demandeurs et leur fille et de la profonde division de la famille, est même renversé, la cour d'appel considérant que la position ferme et sans ambiguïté des demandeurs vis-à-vis d'Héléna est un "gage de fiabilité et de confiance pour l'avenir". La cour d'appel va même plus loin en affirmant, non sans une certaine ironie, que les demandeurs seront "qualifiés pour affronter les questions légitimes que se pose tout enfant adopté sur ses origines et son rejet par sa mère ayant, dans les faits, une connaissance approfondie de la réalité" !
Volonté de la mère. A travers le raisonnement de la cour d'appel, apparaît l'idée, qui n'est sans doute pas totalement fausse, que l'opposition de la mère ne justifie pas à elle seule que l'enfant soit adopté par des étrangers plutôt que confié à ses grands-parents biologiques. La cour se montre d'ailleurs particulièrement sévère avec la mère biologique à qui elle dénie tout droit de donner son avis sur l'opportunité de confier l'enfant à ses grands-parents. Les magistrats du second degré se distinguent sur ce point nettement des juges de première instance qui avaient plutôt considéré que la volonté très claire de la mère de rompre les liens entre l'enfant et sa famille d'origine devait être respectée.
Tutelle. La situation familiale qui va résulter de la décision de la cour d'appel paraît pour le moins problématique pour l'enfant. L'enfant va faire l'objet d'une tutelle qui sera vraisemblablement exercée par ses grands-parents. Il n'aura, en revanche, pas de filiation à moins que les grands-parents biologiques l'adoptent ce qui est techniquement possible. Par ailleurs, en qualité de tuteurs d'Héléna, les grands-parents biologiques pourront intenter une action en établissement de la filiation maternelle de celle-ci, puisque, désormais, l'accouchement sous X n'est plus une fin de non-recevoir à cette action. Ils pourront ainsi devenir juridiquement les grands-parents de leur petite-fille de leur propre initiative alors qu'ils n'avaient pas, au départ, qualité pour agir dans le cadre des actions relatives à la filiation.
Aspects psychologiques. Sur le plan affectif et psychologique surtout, la situation de l'enfant risque d'être très inconfortable. Il va, en effet, être élevé par des personnes qui refusent de comprendre l'acte d'abandon de sa mère et dont l'attitude vise à tout prix à en gommer les conséquences. Les grands-parents ont déclaré espérer que leur comportement incitera leur fille à revenir vers son enfant ; ne risquent-ils pas d'entretenir chez ce dernier un espoir plus douloureux qu'utile ? Comment l'enfant pourra-t-il se construire alors que son quotidien lui rappellera en permanence l'abandon dont il a fait l'objet ? La décision de la cour d'appel d'Angers paraît être surtout fondée sur la douleur des grands-parents et sur l'attitude pour le moins contestable des services sociaux à leur égard. Compte tenu de la gravité des oppositions existant entre les membres de la famille biologique de l'enfant on peut légitimement se demander si l'intérêt d'Héléna ne résidait pas plutôt dans une adoption extra-familiale qui lui aurait permis de grandir protégée du conflit familial dont sa naissance et son abandon sont à l'origine. Le refus de confier l'enfant à ses grands-parents biologiques n'aurait pas été exclusif d'un maintien des liens, notamment sous forme d'un droit de visite comme le prévoit l'article L. 228-4 du CASF.
Enquête sociale. On regrettera que, dans cette affaire, la cour d'appel d'Angers ait refusé d'ordonner une enquête sociale ou une expertise psychologique comme le souhaitait les services du Conseil général. D'abord, les magistrats se privent ainsi de l'apport incontestable de l'examen de la situation par des professionnels de l'enfance, qu'il s'agisse de travailleurs sociaux ou de pédo-psychiatres pour la détermination de l'intérêt de l'enfant. Surtout, ce refus semble confirmer le fait que la cour d'appel s'est davantage fondée sur des considérations générales que sur l'appréciation précise et réelle de l'intérêt de l'enfant concerné par cette affaire.
Pourvoi en cassation. Il n'est toutefois pas certain que cette analyse trop générale et abstraite de l'intérêt de l'enfant constitue, le cas échéant (9), un motif de cassation. La Cour de cassation pourrait peut être se fonder sur une interprétation restrictive du lien avec l'enfant des demandeurs à l'annulation de l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat. La Haute cour a en effet pu, par le passé, se montrer relativement sévère avec les membres de la famille d'origine d'un enfant abandonné. Elle a, par exemple, considéré que la mère et la soeur du concubin de la mère -la mère et son concubin étant décédés- n'étaient pas titulaires du recours contre l'arrêté d'admission d'un enfant en qualité de pupille de l'Etat, dès lors qu'il n'existait pas de possession d'état de l'enfant à l'égard de leur fils et frère (10). Elle reconnaît cependant le pouvoir souverain des juges du fond pour déterminer l'intérêt de l'enfant d'être admis ou non en qualité de pupille de l'Etat, notamment dans une hypothèse où cette admission est contestée par ses grands-parents. En l'espèce, les juges avaient refusé d'annuler l'arrêté d'admission et rejeté le droit de visite que ceux-ci réclamaient subsidiairement au motif qu'il serait de nature à gêner le processus d'adoption de l'enfant (11).
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