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N3504BR9
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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix Marseille III
le 23 Mai 2011
Dans la présente affaire deux points méritent d'être retenus : le délai dont dispose l'administration pour déposer une requête devant la cour administrative d'appel et le fait que le président de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires puisse ou non siéger, dans la formation de jugement du litige.
Concernant le premier point relatif au délai ouvert à l'administration pour faire appel, rappelons que l'article R. 200-18 du LPF (N° Lexbase : L4995AEQ) ouvre un délai de recours devant les cours administratives d'appel de quatre mois pour l'administration et de deux mois pour le contribuable.
Le Conseil d'Etat a jugé, en l'espèce, que le délai spécial, au profit du ministre, n'est pas contraire au principe d'égalité, dès lors qu'il tient compte des nécessités particulières de l'administration qui la place dans une situation différente de celle des autres justiciables. Cette solution est conforme à sa jurisprudence (CE Contentieux, 2 juillet 1990, n° 48892 N° Lexbase : A4649AQA, Droit fiscal, 1990, comm. 1783, concl. Chahid-Nourai).
Nous pouvons esquisser un parallèle avec la Cour de cassation qui, le 17 septembre 2008 (Cass. crim., 17 septembre 2008, n° 08-80.598, F-P+F N° Lexbase : A5071EA3), a jugé que le fait qu'un procureur général dispose, dans un procès pénal, d'un délai plus long que celui accordé aux autres parties est incompatible avec le principe de l'égalité des armes prévu par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR).
Le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article R. 200-18 seraient contraires aux dispositions précitées de la Convention européenne qui n'a pas été soulevé devant les juges du fond, et qui n'est pas d'ordre public, n'est pas recevable au soutien d'un pourvoi en cassation (CE Contentieux, 16 janvier 1995, n° 112746 N° Lexbase : A1923ANK, RJF, 1995, 3, comm. 302). En outre, pour la Haute juridiction administrative, ce moyen est inopérant car ces stipulations ne peuvent être invoquées utilement dans un litige relatif à la contestation de la détermination de l'assiette d'un impôt direct, dès lors qu'elles ne visent que les procès portant sur les droits ou obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale (CE Contentieux, 29 septembre 2000, n° 198325 N° Lexbase : A0380AZ4, RJF, 2000, 12, comm. 1457).
Le point de départ du délai est constitué par la date de notification du jugement constatée par l'avis de réception postal de la lettre recommandée, ou de la notification par la voie administrative (CE Contentieux, 1er février 1995 N° Lexbase : A2632ANS, RJF, 1995, 3, comm. 393). Lorsqu'un jugement est notifié par lettre recommandée et que celle-ci n'a pu être remise à son destinataire, le délai d'appel ne commence à courir qu'à la date de retrait du pli, et non à la date de présentation (CE 9° s-s., 26 mars 2007, n° 286566 N° Lexbase : A8134DUS, Procédures, 2007, 6, comm. 155, note Pierre). En effet, l'arrêt précité prévoit que, dès lors que le retrait au bureau de poste de la lettre contenant la notification du jugement attaqué a été effectué avant l'expiration d'un délai de quinze jours suivant la présentation du pli, le délai d'appel ne commence à courir qu'à compter de la date de retrait. En outre, l'avis de mise en instance de ce pli, et les autres pièces produites par les requérants faisant apparaître qu'il a été retiré avant l'expiration du délai de quinze jours, peuvent être présentés utilement pour la première fois en cassation.
Concernant le second point, l'article R. 200-1 du LPF (N° Lexbase : L5879AEH) énonce pour principe qu'"un membre du tribunal ou de la cour ne peut siéger dans le jugement d'un litige portant sur une imposition dont il a eu à apprécier la base comme président de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires". La méconnaissance éventuelle de cette disposition a pour effet d'entraîner l'annulation du jugement (CE Contentieux, 4 mai 1973 N° Lexbase : A7234AYL, Droit fiscal, 1974, comm. 699, concl. Delmas-Marsalet).
Il a été jugé que, lorsque la commission départementale a été consultée à la demande d'une société sur le montant de son bénéfice imposable et que celle-ci s'est déclarée incompétente, au motif que le litige portait sur une question de droit, le magistrat qui présidait aux travaux de la commission pouvait, ultérieurement, donner son avis en tant que commissaire du Gouvernement (rapporteur public), lors d'une audience au cours de laquelle a été examiné le bien fondé du rappel d'impôt assigné à l'associé de la dite société, quand bien même ce rappel est directement issu de la procédure suivie à l'égard de la société (CAA Paris, 5ème ch., 13 janvier 2005, n° 01PA01999 N° Lexbase : A0147DHW, RJF, 2006, 7, 919 a). En revanche, un membre d'une juridiction administrative qui a publiquement exprimé son opinion sur un litige ne peut plus participer à la formation de jugement statuant sur le recours formé contre une décision juridictionnelle statuant sur le même litige (CE 3° et 8° s-s-r., 14 janvier 2008, n° 29431 N° Lexbase : A1111D4W, RJF, 2008, 4, comm. 499).
Enfin, le moyen tiré de l'irrégularité de la composition d'une juridiction étant d'ordre public, il peut être relevé d'office et peut être soulevé pour la première fois en cassation (CE 5° et 7° s-s-r., 30 juillet 2003, n° 248954 N° Lexbase : A2576C9B, Actualité juridique de droit administratif, 2003, note Markus).
Dans l'affaire qui nous occupe, le requérant soutient que la commission s'est bornée à décliner sa compétence, sans apprécier la base d'imposition, et, en conséquence, le président de la commission départementale pouvait fort bien siéger dans la formation de jugement du litige. Le Conseil d'Etat a considéré que le principe d'impartialité, applicable à toutes les juridictions, fait obstacle à ce que le président de la commission siège dans la formation de jugement. En outre, le Conseil rappelle qu'il appartient au juge de veiller à la régularité de la composition de la formation de jugement.
L'administration ne peut se prévaloir de cette irrégularité dès lors qu'elle en serait responsable.
La vérification d'une comptabilité informatisée repose sur la combinaison des articles L. 13 (N° Lexbase : L6794HWK) et L. 47 A (N° Lexbase : L5479H9S) du LPF.
L'article L. 13 du LPF fixe pour principe que, lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contrôle porte sur l'ensemble des informations, données et traitements informatiques qui concourent directement, ou indirectement, à la formation des résultats comptables ou fiscaux. Les investigations concernent, aussi, tout ce qui permet l'élaboration des déclarations tout comme la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements.
L'article L. 47 A du même livre, quant à lui, prévoit la possibilité pour l'administration de demander les fichiers informatiques à deux fins différentes. La première permet la consultation de la comptabilité à partir d'une copie des fichiers des écritures comptables tandis que la seconde est destinée à réaliser des traitements mettant en oeuvre des fichiers de nature différente. Le contribuable peut demander à effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification. Il peut, également, souhaiter que le contrôle ne soit pas effectué sur le matériel de l'entreprise.
Lorsqu'elle envisage de réaliser des traitements informatiques, l'administration doit indiquer par écrit la nature des investigations envisagées et le contribuable doit, de la même manière, formaliser son choix pour l'une des options de traitement.
Ces dispositions autorisent le contribuable qui le souhaite à répondre à son obligation de présentation des documents comptables (CGI, art. 54 N° Lexbase : L1575HLW) en remettant, sous forme dématérialisée, une copie du fichier des écritures comptables.
Le caractère probant d'une comptabilité informatisée s'apprécie à la fois au vu de certains critères propres à sa nature informatisée, telle la disponibilité des données élémentaires ou des traitements, mais aussi au regard des critères de droit commun applicables à toute comptabilité. Lorsque la gravité des manquements le justifie, l'administration peut mettre en oeuvre la procédure d'évaluation d'office (LPF, art. L. 74-2 N° Lexbase : L0640IH8). En pratique l'administration a la possibilité d'adjoindre au vérificateur un agent pouvant l'assister pour le contrôle du matériel informatisé utilisé par le contribuable (CE 3° et 8° s-s-r., 25 avril 2003, n° 236066 N° Lexbase : A7691BSN, RJF, 2003, 7, comm. 878).
L'administration se doit de respecter le débat oral et contradictoire. La communication des résultats informatiques implique que l'administration précise la nature des traitements informatiques dans la proposition de rectification (LPF, art. L. 57 N° Lexbase : L0638IH4) et communique, si le contribuable en fait la demande, les résultats des traitements sous forme dématérialisée. En pratique, aucun rehaussement ne pourra être proposé directement à partir de l'exploitation des informations issues des fichiers, sans que les incohérences ou omissions relevées n'aient été soumises au contribuable.
Dans le cadre du débat oral et contradictoire, l'administration se doit de rappeler au contribuable que le choix pour l'une des options offertes au II de l'article L. 47 A du LPF est conditionné par la réalisation dans un délai déterminé d'un commun accord entre l'administration et le contribuable. Un document est signé à cet effet par les parties et sert de point de départ à la prorogation éventuelle du délai de trois mois du contrôle sur place, dans le cas où la réalisation des traitements aboutirait à dépasser la durée normale du contrôle sur place.
En l'espèce, le Conseil d'Etat a jugé que, si l'administration souhaite faire des investigations sur le fonctionnement des systèmes informatisés utilisés par l'entreprise, elle peut aussi dans le cadre d'une vérification de comptabilité prendre copie des données issues de tels systèmes, y compris sur support informatique. L'objectif est de lui permettre de les consulter et de les analyser, à partir de ses propres outils, pour en examiner la cohérence avec les déclarations fiscales régulièrement souscrites par l'entreprise.
Dans cette affaire, la société avait remis un CD ROM au vérificateur qui lui en avait demandé communication (LPF, art. L. 13). Celui-ci ne comportait que des données constituées par les fichiers enregistrant les lignes d'information des appels téléphoniques passés sur le compte du principal client de la société et servant à établir les factures adressées à celui-ci. Ceci ne saurait constituer un traitement informatique d'informations concourant directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux de la société vérifiée, au sens de l'article L. 47 A du LPF. L'examen de ces informations ne relève pas des règles de procédure des vérifications de comptabilités informatisées (LPF, art. L. 47 A). Cette solution confirme la position, qui était inédite, du tribunal administratif de Strasbourg qui a eu à connaître de ce litige (TA Strasbourg, 2 juin 2005, n° 02-264, RJF, 2005, 12, comm. 1425).
Dans ces conditions le pourvoi de la société devant le Conseil d'Etat a été rejeté.
Ajoutons que depuis le 1er janvier 2008, l'article L. 47 A-I du LPF autorise l'administration, si le contribuable le souhaite, à consulter la comptabilité à partir d'une copie dématérialisée du fichier des écritures comptables. Cette option offerte à l'entreprise la dispense de présenter la comptabilité sous la forme papier.
Dans cette affaire, une SARL versait des redevances dues en contrepartie de l'exercice d'une activité concédée ce qui l'avait conduite à les comptabiliser en charge, alors qu'en réalité il s'agissait des éléments du prix d'achat de la clientèle et de la dénomination commerciale.
Par un contrat du 5 octobre 1993, une SARL S, exerçant une activité de grossiste et de détaillant en articles de sport sous une dénomination commerciale, a concédé, pour une durée indéterminée, à une SARL C créée le 1er octobre 1993, le droit d'utiliser le nom commercial de la première pour commercialiser en gros des vêtements et matériels nécessaires à la pratique du sport, moyennant le versement d'une redevance. A partir de 1998, la société C a cessé de verser cette redevance, et n'a plus comptabilisé de dette vis-à-vis de la société S qui, de son côté, n'a plus réclamé le paiement de cette redevance, alors même que le concessionnaire continuait d'exercer l'activité concédée.
L'administration avait requalifié le contrat, en tenant compte de la commune intention des parties, mise en lumière lors de son exécution. Pour ce faire elle ne s'était pas placée sur le terrain de l'abus de droit. Le Conseil d'Etat est fondé à contrôler la qualification juridique des faits donnée par l'administration, qui lui permet de mettre en oeuvre, implicitement, une procédure de répression des abus de droit (CE Contentieux, 13 octobre 1999, n° 188114 N° Lexbase : A5215AYS, RJF, 1999, 12, comm. 1503).
La Haute juridiction, dans cette affaire, ne retient pas "l'abus de droit rampant", en jugeant que la rectification était fondée sur la dissimulation qu'aurait effectuée la société de la portée véritable du contrat pour en déduire que l'administration invoquait implicitement, mais nécessairement, les dispositions de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L4668ICU).
Cette décision s'inscrit à la suite de la jurisprudence du Conseil d'Etat par laquelle il a jugé que l'administration ne peut être regardée comme ayant mis en oeuvre, même implicitement, la procédure de répression de l'abus de droit lorsqu'elle requalifie une activité civile en activité de marchands de biens sur le terrain des articles 34 (N° Lexbase : L1118HLY) et 35 (N° Lexbase : L1129HLE) du CGI (CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2008, n° 291039 N° Lexbase : A3124EBC, RJF, 2009, 2, comm. 197). L'administration ne se place pas, même implicitement, sur le terrain de l'abus de droit, dès lors que le vérificateur n'a ni explicitement, ni implicitement, remis en cause un contrat ou une convention légale (CAA Paris, 2ème ch., 27 janvier 1995, n° 93PA01184 N° Lexbase : A2220BI3, RJF, 1995, 5, comm. 633).
De la même manière, pour la Cour de cassation, le fait de contester la qualité de marchand de biens d'un contribuable, pour justifier de rehaussements, ne conduit pas nécessairement et implicitement à invoquer un abus de droit (Cass. com., 3 novembre 2004, n° 02-15.528, F-D N° Lexbase : A7570DDQ, RJF, 2005, 2, comm. 199).
Enfin, les juges du fonds ne peuvent pas déduire de la seule réponse du vérificateur aux observations du contribuable que l'administration invoque implicitement l'abus de droit (CE Contentieux,23 novembre 2001, n° 205132 N° Lexbase : A5996AXD, RJF, 2002, 2, comm. 196).
L'invocation implicite d'un abus de droit, sans en aviser le contribuable, rend la procédure de l'article L. 64 du LPF entachée d'irrégularités (CAA Marseille, 3ème ch., 5 juin 2006, n° 01MA00589 N° Lexbase : A6061DMG).
En conséquence, c'est à juste titre, à suivre le Conseil d'Etat, que l'administration fiscale a réintégré, dans le résultat des exercices non prescrits clos les 28 février 1998 et 1999 le montant des redevances déduites, au motif que celles-ci avaient pour contrepartie l'entrée d'un nouvel élément dans l'actif immobilisé et ne constituaient pas des charges déductibles. En effet, dans le cadre de ce montage visant l'utilisation d'un nom commercial, l'administration qui requalifie le contrat ne se place pas sur le terrain de l'abus de droit.
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