La lettre juridique n°427 du 10 février 2011 : Communautaire

[Doctrine] Chronique de droit communautaire - février 2011

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N3512BRI

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 03 Novembre 2011

Ces dernières semaines, la Cour de justice de l'Union européenne est venue apporter d'intéressantes précisions sur les relations entre les collectivités publiques et leurs partenaires privés. Elle a, d'abord, estimé que ces collectivités n'ont pas toujours l'obligation de poursuivre le contrat de travail des personnels de leurs anciens concessionnaires (CJUE, 20 janvier 2011, aff. C-463/09 N° Lexbase : A1070GQP). Elle a, ensuite, précisé les conditions auxquelles peut être institué un régime d'autorisation pour les opérateurs de transport publics (CJUE, 22 décembre 2010, aff. C-338/09 N° Lexbase : A7103GNE). Enfin, elle rappelle que les sociétés d'économie mixte ne peuvent être un moyen d'échapper aux règles de l'Union relatives aux marchés publics (CJUE, 22 décembre 2010, aff. C-215/09 N° Lexbase : A7093GNZ). I - Les collectivités publiques n'ont pas toujours l'obligation de poursuivre le contrat de travail des personnels de leurs anciens concessionnaires (CJUE, 20 janvier 2011, aff. C-463/09 N° Lexbase : A1070GQP)

La Directive (CE) 2001/23 du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements (N° Lexbase : L8084AUX) (1), impose, en cas de changement dans la situation juridique de l'employeur, la continuité de la relation de travail l'unissant à ses salariés. Ce principe résultait, déjà, de la Directive (CE) 77/187 du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements (N° Lexbase : L4352GUQ) (2). Sans aucune ambiguïté, la Cour de justice avait jugé que les dispositions de la Directive (CE) "ne permettent [...] pas d'exclure du champ d'application de celle-ci le transfert d'une activité économique d'une personne morale de droit privé à une personne morale de droit public, en raison du seul fait que le cessionnaire de l'activité est un organisme de droit public" (3). Mais qu'en est-il en cas de transfert d'une entreprise de droit privé vers une collectivité publique ?

La présente affaire est particulièrement intéressante car la Cour de justice a donné une interprétation moins stricte du droit de l'Union européenne (A) que celle retenue auparavant par le Conseil d'Etat (B).

A - Les faits à l'origine de l'affaire étaient simples. La société Y est une entreprise privée à laquelle une commune espagnole avait, en 2003, confié par contrat le nettoyage des écoles et des locaux municipaux. La commune a, en 2007, résilié ce contrat. La société a informé son employé, Mme X, qu'elle était, à compter du 1er janvier 2008, intégrée au personnel de la commune, puisque ce dernier assurait désormais le nettoyage des locaux concernés. Celle-ci n'a, toutefois, pas considéré cette personne comme faisant désormais partie de son personnel et avait déjà procédé à des recrutements. L'employée a, alors, assigné la société Y et la commune pour licenciement abusif. La juridiction nationale a alors interrogé la Cour de justice pour savoir si une telle situation relevait de la Directive (CE) 2001/23.

Pour répondre à cette question, la Cour de justice souligne, tout d'abord, que les entités publiques ne se trouvent pas exclues du champ d'application de la Directive. En effet, selon l'article 1er de cette dernière, "la présente Directive est applicable à tout transfert d'entreprise, d'établissement ou de partie d'entreprise ou d'établissement à un autre employeur résultant d'une cession conventionnelle ou d'une fusion [...] est considéré comme transfert, au sens de la présente Directive, celui d'une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d'une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire". Toutefois, la Cour note qu'"il ressort d'une jurisprudence bien établie que la portée de ladite disposition ne peut être appréciée sur la seule base d'une interprétation textuelle. En raison des différences entre les versions linguistiques de cette Directive, ainsi que des divergences entre les législations nationales sur la notion de cession conventionnelle, la Cour a donné à cette notion une interprétation suffisamment souple pour répondre à l'objectif de ladite Directive qui est, ainsi qu'il découle de son troisième considérant, de protéger les salariés en cas de changement de chef d'entreprise" (4).

La Cour souligne qu'elle avait déjà eu à juger une affaire analogue dans laquelle une entreprise avait mis fin à un contrat de nettoyage avec une autre entreprise. Elle avait estimé que le fait que "l'activité de nettoyage ne constitue, pour l'entreprise qui a décidé de l'assurer désormais elle-même, qu'une activité accessoire sans rapport nécessaire avec son objet social ne saurait avoir pour effet d'exclure l'opération du champ d'application de la Directive (CE) 77/187" (5). Dans de telles hypothèses de résiliation d'un contrat de sous-traitance, le critère déterminant est donc celui du maintien de l'identité de l'entité économique au sens de l'article 1er, paragraphe 1, b) de la Directive (CE) 2001/23.

La Cour avait déjà jugé que "la notion d'entité renvoie, ainsi, à un ensemble organisé de personnes et d'éléments permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre [...] une telle entité, si elle doit être suffisamment structurée et autonome, ne comporte pas nécessairement d'éléments d'actifs, matériels ou immatériels, significatifs. En effet, dans certains secteurs économiques, comme le nettoyage, ces éléments sont souvent réduits à leur plus simple expression et l'activité repose essentiellement sur la main-d'oeuvre. Ainsi, un ensemble organisé de salariés qui sont spécialement et durablement affectés à une tâche commune peut, en l'absence d'autres facteurs de production, correspondre à une entité économique" (6). Elle reprend ici ce raisonnement et l'applique à l'espèce.

Ainsi, selon la Cour, "il ressort de la décision de renvoi que [la commune] a, aux fins d'exercer [elle-même] les activités de nettoyage de ses écoles et locaux, auparavant confiées à [la société], embauché un nouveau personnel, sans reprendre les travailleurs précédemment affectés à ces activités par [la société], non plus d'ailleurs qu'aucun des éléments d'actifs matériels ou immatériels de cette entreprise. Dans ces conditions, le seul élément établissant un lien entre les activités exercées par [la société] et celles reprises par [la commune] est constitué par l'objet de l'activité concernée, à savoir le nettoyage de locaux. Or, la seule circonstance que l'activité exercée par [la société] et celle exercée par [la commune] soient similaires, voire identiques, ne permet pas de conclure au maintien de l'identité d'une entité économique. En effet, une entité ne saurait être réduite à l'activité dont elle est chargée. Son identité ressort d'une pluralité indissociable d'éléments tels que le personnel qui la compose, son encadrement, l'organisation de son travail, ses méthodes d'exploitation ou encore, le cas échéant, les moyens d'exploitation à sa disposition [...] En particulier, l'identité d'une entité économique, telle que celle en cause dans l'affaire au principal, qui repose essentiellement sur la main-d'oeuvre, ne peut être maintenue si l'essentiel de ses effectifs n'est pas repris par le présumé cessionnaire" (7).

On peut, toutefois, être surpris par le caractère circulaire de ce raisonnement puisque, dans une telle situation, le principal critère permettant de savoir s'il y a lieu d'appliquer la Directive (CE) 2001/23 est la reprise, par le nouvel employeur, de l'essentiel des effectifs. L'Avocat général s'était montré, dans ses conclusions sur le présent arrêt, fort perplexe sur ce critère (8), mais la Cour n'a manifestement pas souhaité l'abandonner. Dans la mesure où l'objet de la Directive est justement d'assurer le maintien du personnel, pour de telles entreprises de services, le meilleur moyen de se soustraire à la Directive est donc de s'abstenir de reprendre un quelconque membre du personnel ! Autrement dit, l'application de la Directive est dépendante de la volonté du nouvel employeur. Il y a là une étrange conception de l'ordre public social qui ne semble pas être celle du Conseil d'Etat.

B - Dans un arrêt du 22 octobre 2004 (9), le Conseil d'Etat avait appliqué les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), devenu L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y), dans l'hypothèse où "l'activité d'une entité économique employant des salariés de droit privé est reprise par une personne publique gérant un service public administratif ". On rappellera que, selon cet article, "[...] s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise". Cet article constitue la transposition de la Directive (CE) 2001/23 du 12 mars 2001.

Mais la principale difficulté qu'avait dû résoudre le Conseil d'Etat concernait la situation juridique du salarié postérieurement au transfert. Tout d'abord, il est bien évident que l'article L. 122-12 ne peut ouvrir un droit à titularisation dans la fonction publique. Le principe du recrutement par concours demeure. Très prudemment, la juridiction administrative avait donc estimé que la personne publique avait le choix entre proposer un contrat de droit privé ou un contrat de droit public (10). Cette alternative laissée aux personnes publiques n'était certes guère satisfaisante (11), mais "on peut penser, et c'est en filigrane dans l'arrêt, que la Haute juridiction administrative n'a pas voulu combler le vide juridique créé par l'extension de la notion de transfert d'entreprise opérée par le juge communautaire, laissant cela au législateur" (12). Le choix du contrat de droit privé, c'est-à-dire du contrat de travail à durée indéterminée, portait atteinte à la jurisprudence "Berkani" (13) et, de manière plus générale, à l'article 3 du statut général de la fonction publique (loi n° 83-634, du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires N° Lexbase : L5225AHY), selon lequel les emplois permanents de la fonction publique ne peuvent être occupés que par des titulaires. On aurait, ainsi, vu se développer des salariés soumis au Code du travail dans les services publics administratifs.

Le choix du contrat de droit public n'était guère plus satisfaisant. Car ce contrat de droit public devait reprendre alors les clauses substantielles de l'ancien contrat de droit privé mais dans la limite, conformément à la jurisprudence communautaire, "où des dispositions législatives ou réglementaires, n'y font pas obstacle". Dès lors, les salariés concernés pouvaient voir en pratique leur situation juridique très sensiblement modifiée. En raison du principe posé par l'article 3 du statut, les contrats des agents de droit public ne peuvent, en général, être que des contrats à durée déterminée. Aussi, leur refus d'accepter de telles modifications "implique leur licenciement par la personne publique, aux conditions prévues par le droit du travail". La Cour de justice a, en effet, estimé que la Directive (CE) 77/187 n'est qu'une Directive d'harmonisation partielle qui, en cas de transfert à une entité de droit public, n'empêche pas l'application du droit national. La seule garantie offerte aux salariés était donc le licenciement, ce changement de la qualification du contrat de travail devant être considéré comme une modification substantielle au détriment du travailleur au sens de la Directive (14).

Le législateur avait donc entendu l'appel de la juridiction administrative ("en l'absence de dispositions législatives spécifiques"). L'article 20 de la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA), dispose donc que, "lorsque l'activité d'une entité économique employant des salariés de droit privé est, par transfert de cette entité, reprise par une personne publique dans le cadre d'un service public administratif, il appartient à cette personne publique de proposer à ces salariés un contrat de droit public, à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires" (15). Le droit français est, ainsi, non seulement plus protecteur des droits des salariés que l'interprétation de la Cour de justice, mais également, par son caractère systématique, n'implique aucune incertitude pour les différents acteurs.

II - Les monopoles de transports urbains à l'épreuve du marché intérieur (CJUE, 22 décembre 2010, aff. C-338/09 N° Lexbase : A7103GNE)

En l'espèce, la société X a demandé auprès du président du Land de Vienne l'octroi d'une autorisation pour l'exploitation d'une ligne de transport de personnes par autobus dans la circonscription de la ville de Vienne. Sur la quasi-totalité de l'itinéraire, une ligne de transport de personnes par autobus est exploitée par une autre société, sur le fondement d'une concession. La demande a été rejetée par l'autorité administrative compétente, pour deux motifs. D'une part, cette société serait établie dans un autre Etat membre et n'aurait pas de siège, ni d'établissement permanent d'exploitation sur le territoire autrichien, contrairement aux dispositions de la législation autrichienne. D'autre part, l'entreprise, qui exploite actuellement une ligne de transport de personnes par autobus sur le même itinéraire, a été, conformément à la réglementation, consultée, et a souligné que cette ligne ne pourrait plus être exploitée dans des conditions soutenables d'un point de vue économique en cas d'octroi de la concession sollicitée. La Cour de justice s'est donc prononcée sur ces deux points.

A - Pour apprécier la compatibilité avec le droit de l'Union de la condition du droit autrichien selon laquelle la société X devrait disposer d'un siège ou d'un établissement permanent en Autriche, la Cour devait d'abord préciser le cadre du juridique applicable à l'espèce. En effet, la libre circulation des services dans le domaine des transports est régie non pas par la disposition de l'article 56 TFUE (N° Lexbase : L2705IPU), qui concerne, en général, la libre prestation des services, mais par les dispositions spécifiques du Traité relatives aux transports. Or la situation ne relève en aucune manière de la législation adoptée sur le fondement de l'article 71, paragraphe 1, CE (devenu l'article 91 TFUE N° Lexbase : L2744IPC), aux fins de libéraliser les services de transport. C'est donc au regard des règles relatives à la liberté d'établissement que doit être examinée la question.

Pour la Cour de justice, l'obligation de disposer d'un siège ou d'un établissement sur le territoire n'est pas, en tant que telle, une entrave puisqu'il n'existe, à cet égard, aucune difficulté pour les opérateurs des autres Etats membres de créer des agences sur le territoire autrichien. Dès lors, la principale difficulté était la date de l'exigence de cette condition, c'est-à-dire avant même l'octroi de l'autorisation. L'approche de la Cour est parfaitement réaliste. Elle estime, en effet, qu'"exiger d'un opérateur économique, établi dans un autre Etat membre et désireux d'obtenir une autorisation d'exploitation d'une ligne régulière de transport de personnes par autobus dans l'Etat membre d'accueil, de disposer d'un siège ou d'un autre établissement sur le territoire de ce dernier Etat avant même que l'exploitation de cette ligne ne lui soit concédée, comporte un effet dissuasif. En effet, un opérateur économique normalement prudent ne serait pas disposé à procéder à des investissements, éventuellement importants, dans l'incertitude complète quant à l'obtention d'une telle autorisation" (16). En outre, cette exigence ne peut être justifiée par la nécessité d'assurer l'égalité des conditions de concurrence ou par la garantie du droit social. A cette fin, la Cour de justice prend soin de préciser qu'"une exigence d'établissement sur le territoire autrichien n'est pas contraire aux règles du droit de l'Union lorsqu'elle est appliquée après l'octroi de l'autorisation d'exploitation et avant que l'entrepreneur n'entame l'exploitation de la ligne" (17).

B - Pour répondre à la deuxième question, la Cour précise d'emblée que les lignes d'autobus en cause ont une vocation principalement touristique ; dès lors, les obligations qui leur sont imposées ne constituent pas des obligations de service public au sens de la réglementation de l'Union (18). Son raisonnement n'est donc pas transposable aux transports qui constituent des services publics au sens du droit de l'Union.

La Cour rappelle, ensuite, logiquement qu'une autorisation est, en soi, une restriction à la liberté d'établissement, puisqu'elle tend à limiter le nombre des prestataires de services. Reste donc à déterminer si elle peut être justifiée. La Cour admet que l'exploitation de lignes d'autobus touristiques peut répondre à "un objectif d'intérêt général, tel que la promotion du tourisme, la politique de sécurité routière à travers la canalisation du trafic à des fins touristiques par des itinéraires déterminés, ou encore la protection de l'environnement à travers l'offre d'un mode de transport collectif en tant qu'alternative à des moyens de transport individuel" (19). Mais elle considère, en revanche, que "l'objectif de garantir la rentabilité d'une ligne d'autobus concurrente, en tant que motif de nature purement économique, ne peut, conformément à la jurisprudence constante, constituer une raison impérieuse d'intérêt général de nature à justifier une restriction à une liberté fondamentale garantie par le Traité" (20). Bien que l'arrêt ne soit guère limpide sur ce point, il est possible d'en déduire qu'un régime d'autorisation est susceptible d'être justifié par le premier motif.

Il convenait donc ensuite d'examiner s'il était proportionné. La Cour rappelle "qu'un régime d'autorisation administrative préalable ne saurait légitimer un comportement discrétionnaire de la part des autorités nationales, de nature à priver les dispositions de l'Union, notamment celles relatives à une liberté fondamentale telle que celle en cause au principal, de leur effet utile. Aussi, pour qu'un régime d'autorisation préalable soit justifié alors même qu'il déroge à une telle liberté fondamentale, il doit être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l'avance, qui assurent qu'il soit propre à encadrer suffisamment l'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités nationales" (21). Dès lors, la réglementation autrichienne ne pouvait pas passer le test de proportionnalité avec succès car l'administration nationale se fonde sur les seules allégations de l'entreprise concurrente déjà titulaire d'une autorisation. Une nouvelle fois, la Cour de justice démontre sa capacité à éradiquer des réglementations nationales dont la rationalité apparaît douteuse.

III - Sociétés d'économie mixte et droit des marchés publics (CJUE, 22 décembre 2010, aff. C-215/09 N° Lexbase : A7093GNZ)

Comme le démontre cette affaire, les montages contractuels des collectivités publiques ne sont pas toujours faciles à appréhender par le droit de l'Union. Le conseil municipal d'une ville finlandaise avait décidé, avec un partenaire privé, de créer une entreprise commune dont le capital serait réparti à parts égales entre les deux partenaires et la gestion conjointe. L'activité de l'entreprise commune devait consister à fournir des prestations de services de santé et de bien être au travail. Pour une période transitoire de quatre ans, ils ont pris l'engagement d'acquérir, auprès de l'entreprise commune, les services de santé dont ils doivent, en tant qu'employeurs, faire bénéficier leurs employés, conformément à la réglementation nationale. Etait-il possible pour la commune d'échapper à l'application de la Directive (CE) 2004/18 du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU) ? (22).

La Cour de justice note, dans un premier temps, que la commune est bien un pouvoir adjudicateur au sens de la Directive (CE) 2004/18, et que les services que lui fournit l'entreprise commune sont d'une valeur supérieure au seuil d'application de cette même Directive. Elle rappelle ensuite les conditions d'application de sa jurisprudence "in house", qui ne sont manifestement pas ici réunies. Toutefois, la constitution, par un pouvoir adjudicateur et un opérateur économique privé, d'une entreprise commune ne relève pas du champ d'application de la directive du 31 mars 2004. Mais, pour la Cour, il est indispensable de s'assurer qu'une opération en capital ne dissimule pas, en réalité, l'attribution à un partenaire privé de contrats pouvant être qualifiés de marchés publics ou de concessions. En outre, le fait qu'une entité privée et une entité adjudicatrice coopèrent dans le cadre d'une entité à capital mixte ne peut justifier le non-respect des dispositions relatives aux marchés publics lors de l'attribution d'un tel marché à cette entité privée ou à l'entité à capital mixte.

Pour un tel contrat "mixte", il faut alors s'assurer que ses différents volets forment un tout indivisible afin d'être qualifié au regard des règles applicables au volet qui en constitue l'objet principal (23). Dès lors, en l'espèce, il convenait d'examiner si le volet "services de santé" était détachable du contrat. Au soutien de l'indivisibilité du contrat, la commune estimait, d'abord, que l'entreprise commune avait embauché des employés municipaux et, qu'ainsi, leur situation serait garantie par l'engagement pris d'acquérir des services auprès de l'entreprise commune. Pour la Cour, cette garantie des employés transférés pouvait être stipulée dans le cahier des charges d'un marché. Le second argument selon lequel, grâce à ce montage, "l'entreprise commune débutera ses activités dans des conditions favorables" était particulièrement maladroit. La Cour ne manque pas de rappeller que "l'attribution d'un marché public à une entreprise d'économie mixte sans mise en concurrence porterait atteinte à l'objectif de concurrence libre et non faussée et au principe d'égalité de traitement, dans la mesure où une telle procédure offrirait à une entreprise privée présente dans le capital de cette entreprise un avantage par rapport à ses concurrents" (24). La commune ne démontre pas, non plus, que l'achat des services à l'entreprise commune pendant la période transitoire faisait partie d'un apport en nature de la municipalité à cette entreprise commune. Le caractère temporaire même de la fourniture de services vient, enfin, corroborer la détachabilité de ce volet du reste du contrat. Il y avait donc lieu de respecter les prescriptions de la Directive (CE) 2004/18. Cette affaire témoigne, une nouvelle fois, que les pouvoirs publics, comme leurs partenaires, ne doivent pas avoir l'illusion que leur inventivité en matière de montage contractuel ne leur permet pas nécessairement d'échapper aux règles de l'Union en matière de marchés publics.

Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) JOCE, n° L 082 du 22 mars 2001, p. 16.
(2) JOCE, n° L 61 du 5 mars 1977, p. 26.
(3) CJCE, 26 septembre 2000, aff. C-175/99 (N° Lexbase : A7227AH7), Rec,. p. I-7755, spéc. n° 33.
(4) Point n° 29.
(5) CJCE, 10 décembre 1998, aff. jointes C-127/96, C-229/96 et C-74/97 (N° Lexbase : A7231AHB), point n° 33.
(6) CJCE, 10 décembre 1998, aff. jointes C-127/96, C-229/96 et C-74/97, précitées, points n° 26 et n° 27.
(7) CJCE, 10 décembre 1998, aff. jointes C-127/96, C-229/96 et C-74/97, précitées, point n° 40 et n° 41.
(8) Voir les conclusions présentées le 26 octobre 2010.
(9) CE Contentieux, 22 octobre 2004, n° 245154 (N° Lexbase : A6266DDG).
(10) Le Tribunal des conflits a, pour sa part, jugé que les dispositions de l'article L. 122-12, interprétées à la lumière du droit communautaire "n'ont pas pour effet de transformer la nature juridique des contrats de travail en cause, qui demeurent des contrats de droit privé tant que le nouvel employeur public n'a pas placé les salariés dans un régime de droit public" (T. confl., 19 janvier 2004, n° 3393 N° Lexbase : A3824DDY).
(11) Cf. M.-C. de Montecler, Questions sur un arrêt surprenant, AJDA, 2004, p. 2241.
(12) J.-L. Rey, note sous CE Contentieux, 22 octobre 2004, n° 245154, précité, Droit ouvrier, 2005, p. 78, spéc. p. 81.
(13) T. confl., 25 mars 1996, n° 03000 (N° Lexbase : A2712ATM).
(14) CJCE, 26 septembre 2000, aff. C-175/99, précitée.
(15) Voir, désormais, à l'article L. 1224-3 du Code du travail (N° Lexbase : L6255IEE).
(16) Point n° 37.
(17) Point n° 40.
(18) Règlement (CE) n° 1191/69 du 26 juin 1969, relatif à l'action des Etats membres en matière d'obligations inhérentes à la notion de service public dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (N° Lexbase : L1729DYP), JOCE, n° L 156 du 28 juin 1969, p. 1.
(19) Point n° 50.
(20) Point n° 51.
(21) Point n° 53.
(22) JOCE, n° L 134 du 30 avril 2004, p. 114.
(23) CJUE, 6 mai 2010, aff. jointes C-145/08 et C-149/08 (N° Lexbase : A9807EW7).
(24) Point n° 21.

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