La lettre juridique n°686 du 2 février 2017 : Notaires

[Jurisprudence] Le devoir de conseil du notaire confronté à l'attitude de ses clients

Réf. : Cass. civ. 1, 11 janvier 2017, n° 15-22.776, FS-P+B (N° Lexbase : A0844S8R)

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par Vivien Streiff, Notaire Associé

le 02 Février 2017

L'arrêt rendu le 11 janvier 2017 vient, s'il en était besoin, rappeler que la fonction de notaire n'est pas réductible à sa mission statutaire d'authentification. Un notaire a reçu un acte de vente relatif à un bien immobilier situé sur le territoire d'une commune qui avait fait l'objet d'un arrêté interministériel portant reconnaissance à l'état de catastrophe naturelle, consécutivement à deux épisodes de sécheresse. Personnellement informé de l'existence de ce risque, le vendeur n'a, semble-t-il, pas cru devoir le confesser à l'acquéreur et au notaire. Mais alors que l'immeuble vendu subira ensuite d'importants dommages, l'acquéreur, parvenant à rapporter la preuve de l'attitude fautive du vendeur, obtient que ce dernier soit déchu de son droit à se prévaloir du bénéfice de la clause de non-garantie des vices cachés ainsi que sa condamnation à la réparation du préjudice subi. C'est alors que le vendeur assigne le notaire en garantie pour manquement à ses devoirs de sécurité et de conseil. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le notaire contre l'arrêt d'appel en approuvant les juges du fond d'avoir retenu la responsabilité de ce dernier. Cette décision illustre parfaitement l'étendue de l'obligation de conseil à laquelle est tenu le notaire (I) et dont il ne peut se soustraire motif pris du comportement des parties à l'acte (II). I - Le notaire tenu à un devoir de vigilance absolue

A - Le devoir de conseil consubstantiel à la mission d'authentification

Conférer l'authenticité, accompagnée de son cortège de vertus, n'est pas qu'un privilège pour le notaire. Cette mission l'astreint en contrepartie à un double devoir : le respect dû aux conditions qui président à la réception d'un acte authentique, qui trouve son indissociable prolongement dans l'obligation de conseil (1). Si l'une et l'autre de ces obligations poursuivent un même but, celui d'accorder une foi inébranlable dans l'acte auquel concourt le notaire en sa qualité de détenteur d'une parcelle de l'autorité publique, elles se distinguent par leur source. Alors que la mission d'authentification est précisément réglementée (2), le devoir de conseil obéit à une définition forgée par une jurisprudence dont les contours non précisément consignés dans la loi ne cessent d'évoluer. Cette circonstance n'a rien de surprenant pour peu que l'on s'intéresse à la nature particulière de la responsabilité notariale ; et force est de constater que cette responsabilité se fonde moins sur les relations particulières que le notaire noue avec chacun de ses clients que sur sa qualité d'officier public (3).

Investi d'une mission d'origine légale, le notaire ne doit pas se borner à une simple transcription de la convention des parties (4), y compris lorsqu'il se contente de rédiger une convention sous seing privé (5), sous peine d'engager sa responsabilité délictuelle (6). Il doit, ainsi que le rappelle ici la Cour de cassation, s'assurer tant de la validité que de l'efficacité des actes qu'il dresse (7). En d'autres termes, le notaire doit à la fois garantir que l'acte n'est affecté d'aucune cause de nullité (8) et, à supposer que cette condition soit remplie, qu'il produira ses effets conformément aux prévisions des parties (9). En l'espèce, abstraction faite du comportement fautif du vendeur sur lequel nous reviendrons, il est reproché au praticien de ne pas avoir assuré l'indispensable efficacité de son acte. Or, cet acte s'est avéré inefficace tant à l'égard de l'acquéreur, devenu propriétaire d'un immeuble affecté d'un vice, que du vendeur, tenu à indemniser ce préjudice en dépit de la stipulation d'une clause de non-garantie des vices cachés, neutralisée par la suite. De ce point de vue, l'arrêt commenté ne présente pas vraiment d'originalité. C'est dans le cadre de l'exercice de sa mission de rédacteur d'un acte de vente se rattachant plus largement à sa mission de service public, que le notaire doit faire montre d'une particulière vigilance à peine d'engager sa responsabilité fonctionnelle (10).

B - Le devoir d'investigation consubstantiel à la mission de conseil

Les juges sont amenés à porter une appréciation fondée sur le comportement que devrait adopter un officier public en pareille circonstance. On en déduit qu'il appartient de facto au notaire, dont la responsabilité est engagée, de prouver qu'il a tout mis en oeuvre pour parvenir au but que la loi assigne à un professionnel hautement qualifié et méfiant (11). Or, les faits ici rapportés ne plaidaient pas en sa faveur : l'état de catastrophe naturelle ne pouvait en effet être ignoré par suite de la publication de l'arrêté interministériel l'ayant constaté et dont la presse locale s'est par ailleurs fait l'écho. S'est adjoint à cette circonstance le fait que le notaire avait son étude à quelques kilomètres seulement de la commune de situation de l'immeuble vendu. C'est dire que ce faisceau de circonstances suffit à présumer qu'il était sinon censé, du moins en mesure de connaître l'existence du vice affectant l'immeuble. Il convient, toutefois, de ne pas donner à cette solution une portée excessive. S'il est exigé du notaire qu'il se montre objectivement curieux en ne se contentant pas des simples vérifications usuelles, rien ne l'oblige à enquêter au-delà des informations qui ne donnent lieu à aucune publicité (12).

II - La faute des parties à l'acte n'exonère pas le notaire de sa responsabilité

A - Le notaire confronté aux déclarations des parties

L'extrême sévérité de la décision vient essentiellement du fait que la faute intentionnelle de l'une des parties au contrat n'exonère pas le notaire des devoirs attachés à sa fonction, y compris à l'égard de la partie fautive (13). En l'occurrence, il est moins reproché au notaire d'avoir omis d'informer le vendeur de l'existence d'un arrêté de catastrophe naturelle, au demeurant connu et dissimulé par ce dernier, que des conséquences de ce défaut d'information sur l'efficacité de l'acte. C'est dire que le notaire doit s'intéresser au sort de l'acte auquel il prête son concours au point de l'amener, au gré des circonstances, à enquêter par-delà les dires des parties, en particulier lorsque l'information est accessible (14). On admettra que si ce défaut avait été révélé à l'acquéreur, ce dernier aurait pu décider soit de renoncer à son acquisition, soit d'y consentir en connaissance de cause. Dans ce dernier cas, l'acte aurait effectivement produit l'effet attendu par le vendeur : la pleine efficacité de la clause de non-garantie des vices cachés. La sévérité dont fait preuve la Cour de cassation peut encore s'expliquer par l'interdiction qui est faite au notaire, en vertu de l'article 3.2.3 du Règlement national du notariat (N° Lexbase : L7328LCE), de prêter son ministère "pour l'élaboration de conventions contraires à la loi, frauduleuses ou qu'il sait inefficaces ou inutiles...". Les recherches qu'il entreprend doivent ainsi plus fondamentalement lui permettre de se positionner au regard de son obligation d'instrumenter.

L'inobservation par le notaire de son devoir de conseil ne peut, cependant, aboutir à laisser à sa charge l'intégralité de la réparation lorsque la victime a elle-même commis une faute qui a concouru à l'apparition de son propre préjudice. C'est ainsi que la cour d'appel a logiquement condamné le notaire à ne garantir que partiellement les vendeurs (CA Nîmes, 7 mai 2015, n° 13/04184 N° Lexbase : A6657NHZ). Sur ce dernier point, et bien qu'il ne s'agisse pas là de l'apport essentiel de cette décision, la Cour de cassation censure cependant sans surprise l'arrêt d'appel, les juges du fond ayant omis d'inviter les parties à s'expliquer sur le moyen tiré de la perte de chance.

Le notaire aurait-il pu tenter de s'exonérer de sa responsabilité en faisant préalablement signer une décharge réglant les conséquences de l'attitude dolosive de l'une des parties à l'acte ? Tout laisse à penser que cette précaution n'avait pas davantage de chance de prospérer. La nature délictuelle de la responsabilité notariale ne permet pas de modeler, fut-ce en accord avec les parties, les contours du champ des investigations menées par le notaire. C'est à l'aune de cette mission, qu'il n'est pas en son pouvoir de modifier, que l'on mesure mieux ce qui distingue l'action de l'officier public de celle des autres professionnels du droit (15). Ces derniers ont, en effet, la possibilité de définir précisément d'un commun accord avec leurs clients les prestations attendues là où la mission de service public dévolue au notaire implique une action illimitée de sa part. La conséquence n'est pas négligeable : le notaire n'a pas la possibilité de stipuler une clause limitative de responsabilité (16). Comment pourrait-il d'ailleurs en aller autrement pour qui refuse le concept d'une vérité relative qui aboutirait à une authenticité à géométrie variable. Les notaires savent que le procédé visant à faire signer par leurs clients un document aux termes duquel ceux-ci se déclarent parfaitement informés d'une difficulté particulière ne leur permet de se prémunir d'une action en responsabilité que dans l'hypothèse où l'interpellation qui y est consignée est suffisamment précise (17). Du reste, il ne s'agit pas du procédé idoine permettant au notaire de prouver que le client a été mis en mesure d'apprécier l'exacte portée de l'acte qu'il signe. Encore lui fallait-il en l'espèce, selon la Cour de cassation, mentionner l'existence de cet arrêté dans l'acte ou l'y annexer (18). S'il ne faut pas se méprendre sur la portée que la Cour de cassation entend ici donner à cette condition, qu'elle n'a certainement pas entendu ériger en règle de fond, on rappellera l'utilité de la mention ou de l'annexion sur le plan probatoire. Cette précaution permet en effet de conférer à ce qui est personnellement constaté ou accompli par l'officier public la force probante attachée à l'acte authentique (19). Au fond nul n'aurait pu dans cette affaire reprocher au notaire -sous réserve qu'il ait pris soin d'observer cette précaution- d'avoir reçu un acte relatif à un immeuble qui, s'il présentait des vices alors révélés, n'en demeurait pas moins dans le commerce juridique.

B - La responsabilité du notaire à l'aune de la réforme du droit des contrats

Il ne faut pas négliger les conséquences que l'entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats pourrait produire sur la responsabilité notariale (20). Deux exemples permettront d'en prendre la mesure.

- Selon le nouvel article 1112-1 du Code civil (N° Lexbase : L0598KZ8) "celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant". Cet alourdissement de l'obligation d'information qui pèse sur le vendeur aura nécessairement des répercussions sur le devoir du conseil du notaire. Ce dernier aura à l'avenir, davantage encore que par le passé, à coeur de s'enquérir des buts poursuivis par les parties au contrat pour mieux adapter ses investigations au cas par cas. Appréciée à l'aune de l'obligation de transparence renforcée à laquelle est désormais tenue le vendeur, la solution retenue par l'arrêt ici commenté amènera le notaire à renforcer sa vigilance.

- La solution donnée au conflit opposant deux acquéreurs successifs d'un même immeuble qu'ils ont acquis d'un auteur commun est désormais donnée à l'article 1198, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L0906KZL). Il résulte de cette disposition que celui qui, le premier, publiera son titre d'acquisition au fichier immobilier sera préféré "même si son droit est postérieur, à condition qu'il soit de bonne foi". Cette règle vient en contradiction avec la position adoptée en dernier lieu par la Cour de cassation selon laquelle la priorité absolue était donnée à celui des deux acquéreurs qui obtenait la publication de son titre en premier et ce, indépendamment de son comportement (21). C'est dire que le notaire appelé à instrumenter cette seconde vente menacée d'inefficacité en raison du comportement de son client devra plus qu'avant (22) s'interroger sur son obligation d'instrumenter.


(1) Cass. civ., 3 août 1858, S., 1859, 2, 550.
(2) Ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945, relative au statut du notariat, art. 1er (N° Lexbase : L7944BBT) ; décret n°71-941 du 26 novembre 1971, relatif aux actes établis par les notaires (N° Lexbase : L8530HBK), modifié par le décret n° 2005-973 du 10 août 2005 (N° Lexbase : L2859HBI).
(3) V. par ex. : Cass. civ. 1, 5 janvier 1968, JCP éd. N, 1968, II, 15404.
(4) Cass. civ., 2 avril 1872, DP, 1872, 1, p. 363.
(5) CA Paris, 23 avril 1982, D., 1982, p. 536, note J.-L. Aubert.
(6) Cass. civ., 21 juillet 1921, D. 1925, I, p. 29. La responsabilité du notaire peut exceptionnellement être de nature contractuelle lorsqu'il accomplit une mission particulière de type gestion de patrimoine : V. JCl. civil code, art. 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) à 1386, fasc. 420-40.
(7) Déjà en ce sens v. notamment : Cass. civ., 11 octobre 1966, DS, 1967, p. 209 ; JCP éd. N, 1966, II, 14703.
(8) C'est ainsi que le notaire s'assurera notamment de l'identité et de la capacité des parties.
(9) Il a cependant été jugé que le devoir de conseil du notaire ne peut plus s'exercer lorsque la convention était déjà parfaite au moment où il est intervenu : Cass. civ. 1, 28 novembre 1995, n° 93-17.473 (N° Lexbase : A7925AB7), Bull. civ. I, n° 437.
(10) V. par ex pour la restitution par l'administration fiscale d'un trop-perçu de droits que le notaire a remis à l'une seule des trois cohéritières : Cass. civ. 1, 2 juillet 2014, n° 13-19.798, F-D (N° Lexbase : A2750MTZ).
(11) Cette preuve peut résulter "de toute circonstance ou document établissant que le client a été averti des risques inhérents à l'acte", v. en ce sens : Cass. civ. 1, 3 février 1998, n° 96-13.201 (N° Lexbase : A2233ACP), Bull. civ. I, n° 44.
(12) Pour un cas où il n'a pu être reproché à un notaire de ne pas avoir vérifié la conformité d'un commerce avec des prescriptions administratives non publiées : Cass. civ. 1, 22 septembre 2016, n° 15-20.071, F-D (N° Lexbase : A9979R3Y).
(13) Déjà en ce sens : Cass. civ. 1, 3 mars 1998, n° 95-20.637 (N° Lexbase : A2026ACZ), Bull. civ. I, n° 92.
(14) Y compris si les parties lui demandent d'agir dans la précipitation : Cass. civ. 1, 7 mars 1995, n° 93-14.436 (N° Lexbase : A9963CNC).
(15) Pour la responsabilité contractuelle de l'avocat : CA Reims, 3 décembre 2007, n° 07/00397 (N° Lexbase : A5934G8B).
(16) Le notaire ne peut pas davantage arguer de l'absence de recours contre les autres débiteurs pour échapper à la mise en oeuvre de sa responsabilité : CA Rouen, 5 octobre 2011, n° 10/04421 (N° Lexbase : A3613H7X), ni de l'absence de recours contre un tiers : Cass. civ. 1, 25 novembre 2015, n° 14-26.245, F-P+B+I (N° Lexbase : A7765NXU), JCP éd. N, 2015, n° 50, act. 1181.
(17) Cass. civ. 1, 3 février 1998, préc. supra note 11.
(18) Pour le cas du défaut d'annexion d'un rapport relatif à une installation d'assainissement : CA Pau, 17 avril 2013, n° 13/1649 (N° Lexbase : A3095KCM).
(19) C. civ., art. 1371 (N° Lexbase : L1029KZ7).
(20) Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (N° Lexbase : L4857KYK), JO du 11 février 2016.
(21) Cass. civ. 3, 10 février 2010, n° 08-21.656, FS-P+B (N° Lexbase : A0403ESQ) ; S. Lamiaux, "Conflit entre acquéreurs successifs d'un même immeuble. Retour au purisme de la publicité foncière ?" : JCP éd. N, 2010, n° 13, 1146.
(22) Jusqu'ici conscient de l'existence d'une première promesse de vente le notaire s'exonérait de sa responsabilité en régularisant une vente au profit du bénéficiaire d'une seconde promesse de vente : Cass. civ. 1, 20 décembre 2012, n° 11-19.682, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1693IZQ), JCP éd. N, 2013, n° 8, 1035, note Y. Dagorne-Labbe. V. à ce sujet : V. Streiff et C. Pommmier, Gestion des conflits entre acquéreurs successifs et publicité, la réforme du droit des contrats, JCP éd. N, 2016, n° 21, 1170.

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