La lettre juridique n°422 du 6 janvier 2011 : Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Janvier 2011

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[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Janvier 2011. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3554928-chronique-chronique-en-droit-des-assurances-dirigee-par-b-veronique-nicolas-professeur-b-avec-b-seba
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le 31 Janvier 2011

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au premier plan de cette chronique, on retrouve un arrêt rendu le 17 novembre 2010 par la première chambre civile de la Cour de cassation, qui se prononce sur la qualification juridique, au regard des régimes matrimoniaux, des capitaux issus d'une assurance invalidité (Cass. civ. 1, 17 novembre 2010, n° 09.72.316, FS-P+B+I). C'est ensuite un arrêt en date du 15 décembre 2010, rendu par la même chambre civile, portant sur les conséquences entre co-indivisaires de la mise en oeuvre d'une assurance perte d'emploi pour l'un d'eux, qui a retenu l'attention des auteurs (Cass. civ. 1, 15 décembre 2010, n° 09-16.693, F-P+B+I). A l'honneur, également, un arrêt, inédit, rendu par la deuxième chambre civile le 9 décembre 2010, qui fixe une jurisprudence stricte relative au respect des conditions de garantie en matière d'assurance vol (Cass. civ. 2, 9 décembre 2010, n° 09-71.669, F-D). Enfin, cette chronique revient sur le problème des fausses déclarations avec un arrêt de la deuxième chambre civile en date du 16 décembre 2010 (Cass. civ. 2, 16 décembre 2010, n° 10-10.859, FS-P+B).
  • Qualification juridique des capitaux issus d'une assurance invalidité : biens propres ou non ? (Cass. civ. 1, 17 novembre 2010, n° 09.72.316, FS-P+B+I N° Lexbase : A5473GIK)

Le droit des assurances de groupe est à l'honneur ce mois-ci, même s'il pourrait l'être tant d'autres fois. Encore que ce ne soit pas le régime spécifique de ces contrats d'assurances, exposé aux articles L. 141-1 (N° Lexbase : L2643HWS) et suivants du Code des assurances, qui est au coeur de la présente affaire. Ce sont plutôt les interactions entre le droit des assurances et de la famille qui, en l'espèce, nous intéressent. Ces dernières ne constituent certes pas une découverte récente (1) ; mais une nouvelle preuve qu'elles ont encore de beaux jours devant elles. En témoigne, donc, cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 17 novembre 2010, rendu à la suite du versement d'une somme d'argent provenant d'un contrat d'assurance de groupe souscrit par un employeur, au profit de ses salariés, en cas notamment d'invalidité permanente ou partielle.

Qu'importent les conditions précises dans lesquelles l'un de ces employés a bénéficié de cette manne. Peu importe aussi que l'homme marié, victime de ce risque, ait fait le choix d'utiliser les sommes acquises pour financer l'achat d'un appartement, au lieu d'en faire usage pour soulager une éventuelle souffrance physique, acquérir un appareillage idoine ou payer les soins d'une tierce personne. Le Code des assurances ignore l'affectation à tel ou tel usage des rentes ou des capitaux versés par l'assureur. Et si, dans certains contrats d'assurance de dommages, les assureurs peuvent souhaiter voir cette liberté évoluer, dans le cadre de telles assurances de personnes, la règle contraire heurterait plusieurs principes fondamentaux dont la simple évocation apparaît incongrue.

Lors de son divorce et du partage de la communauté, cet homme revendique une partie du capital qu'il avait donc investi dans l'achat d'un appartement pour le couple. Il allègue le caractère propre des sommes reçues, et réclame qu'il soit tenu compte de ces sommes dans le calcul de la communauté et donc de la part lui revenant. La cour d'appel ne fait pas droit à ses prétentions estimant que le capital versé -et donc son montant- l'avait été eu égard à plusieurs critères dont ses salaires et sa situation de famille, c'est-à-dire sans doute l'existence d'un conjoint ou d'enfants du couple (CA Versailles, 1ère ch., 1ère sect., 15 octobre 2009). Nul élément ne permet de douter de la véracité du propos, d'autant qu'il n'est pas rare que des assurances de ce type, au lieu du versement d'un capital en cas de décès connu dès la souscription du contrat, prévoient souvent, en cas d'invalidité, le règlement de sommes calculées en fonction de divers paramètres, à commencer par le plus évident : le taux d'invalidité.

Ce que la cour d'appel refuse donc d'admettre, au-delà de ces premières considérations, c'est le caractère forfaitaire qui caractérise les assurances de personnes. Tout au contraire, elle sous-entend que ces contrats là s'apparentent, au moins pour partie, aux assurances de dommages dont la caractéristique tient à la détermination des indemnités dues par l'assureur en fonction de l'ampleur du dommage subi. Mutatis mutandis, les juges du fond ont donc estimé que l'assureur avait indemnisé son assuré, en quelque sorte, pour l'altération de son état physique due à une atteinte s'étant traduite par une invalidité, sans doute partielle. Si l'on peut comprendre le raisonnement, suivant une certaine logique, il demeure, sur le plan juridique, à la limite du hors-sujet. D'ailleurs, la Cour de cassation casse pour motifs inopérants.

Notre Haute juridiction énonce, de manière presque lapidaire -tant la solution lui apparaît acquise- que "le capital issue d'une assurance garantissant le risque d'invalidité a, en réparant une atteinte à l'intégrité physique de la personne, un caractère personnel, de sorte qu'il constitue un bien propre par nature". La Cour de cassation demeure fidèle à sa conception initiale tendant à voir dans l'assurance invalidité une assurance de personnes et non une assurance de dommages. Quoique l'on pense de la solution, elle a le mérite de la clarté et de la simplicité. Il sera certes toujours possible de considérer que, dans tel ou tel contrat d'assurance invalidité, la part d'éléments non prédéterminés, mais ajustés -si l'on ose dire- en fonction de l'ampleur du préjudice subi, l'emporte sur les critères spécifiques aux assurances de personnes traditionnelles ou classiques. Toutefois, raisonner en fonction de la proportion de tel ou tel aspect constitue toujours une source d'incertitudes et d'hésitations dès lors qu'une sorte d'équilibre est constatée.

Le raisonnement de la Cour de cassation -encore une fois, un peu autocratique- repose sur l'idée que les souffrances subies par la personne guident non pas la classification du contrat d'assurance, mais sa nature juridique au regard du droit commun et notamment du droit commun de la famille. Parce que c'est l'individu qui a souffert dans sa chair, ce qu'il recueille représente un bien propre "par nature". En d'autres termes, il en est ainsi, et cela ne se discute pas, semble nous asséner, ou presque, la Cour de cassation, non sans rappeler la méthode employée lors du débat sur la qualification juridique de certaines assurances vie, tranché par les quatre arrêts en date du 23 novembre 2004 (2).

Pourtant, il est indubitable que les sommes versées par l'assureur, dans de telles circonstances, dépendent du degré de souffrance et de préjudice subis par la victime ; par conséquent, elles semblent relever davantage de la catégorie des assurances de dommages. Toutefois, il convient de reconnaître que cette summa divisio entre assurances de dommages et assurances de personnes ne présente plus la dichotomie d'antan ; la césure n'est plus aussi profonde que lors de l'élaboration de la loi du 13 juillet 1930. D'essence doctrinale à la lecture des rares éléments d'information issus de la loi du 13 juillet 1930, elle n'a jamais été officiellement consacrée. Plus encore, le développement de nouveaux contrats d'assurance au cours de ces dernières décennies a marqué son caractère parfois obsolète, ou tout au moins insuffisant. Notre Haute juridiction pouvait, donc, maintenir les produits des contrats d'assurance invalidité au sein des assurances de personnes.

Mais surtout, la qualification d'assurance de personnes, si elle a une incidence évidente sur celle des biens ainsi acquis par un individu, demeure autonome par rapport à la question fondamentale posée, en l'espèce, relative à la nature juridique des biens considérés. Or, là, aucune hésitation n'était permise, en raison de l'article 1404 du Code civil (N° Lexbase : L1535ABH) considérant comme étant des biens propres notamment "les actions en réparation d'un dommage corporel". Et si d'aucuns soutenaient que le terme d'action s'entend d'un point de vue judiciaire et non d'un acte juridique préventif, tel un contrat d'assurance invalidité, l'article ajoute encore "tous les droits exclusivement attachés à la personne". Encore une fois, la cour d'appel ne devait pas confondre cet aspect civil avec la qualification du droit des assurances.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen

  • Conséquences entre co-indivisaires de la mise en oeuvre d'une assurance perte d'emploi pour l'un d'eux (Cass. civ. 1, 15 décembre 2010, n° 09-16.693, F-P+B+I N° Lexbase : A1860GN9)

Les contentieux les plus intéressants naissent et portent souvent sur des actes de la vie courante ne présentant qu'une originalité relative. D'une situation classique, sans particularisme apparent, ayant déjà concerné de nombreuses personnes, un détail -ou tout au moins ce qui apparaît en être un- vient bouleverser cette quiétude ordinaire. L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 15 décembre 2010 s'inscrit dans cette catégorie. Relatif à une assurance perte d'emploi -dont on sait depuis le milieu des années 1980 la place qu'elles occupent dans la vie des individus voulant acquérir un bien immobilier-, il concerne deux personnes, un homme et une femme -sans que l'on dispose de plus de précisions sur la nature des liens les unissant- indivises sur un immeuble, chacune à 50 %, et qui avaient sollicité un emprunt pour acquérir, au moins pour partie, ce bien.

On se souvient que les assurances perte d'emploi -souvent juxtaposées à une assurance décès-invalidité- sont depuis lors proposées, voire fortement suggérées, par les organismes de crédit, à leurs clients emprunteurs, pour garantir le prêt effectué. Ne devant pas être confondues avec ce que la pratique nomme, à tort ou avec imprécision, l'assurance chômage gérée par des deniers publics, l'assurance "perte d'emploi" consiste, pour des sociétés d'assurance privées donc, à prendre en charge, moyennant le paiement de primes, les remboursements mensuels des clients d'organismes bancaires ayant, par ailleurs, sollicité un tel emprunt. Outre que ce type de contrat suppose de bénéficier d'un contrat de travail à durée indéterminée, il contient souvent un délai dit de carence pour éviter les fraudes auxquelles chacun peut songer. Offrant une protection limitée dans le temps, douze à dix-huit mois en moyenne selon les contrats, ceux-ci supposent que l'assureur accepte de se substituer à son adhérent le temps que ce dernier retrouve un emploi.

Assurance de groupe reposant sur une prétendue stipulation pour autrui -en réalité souvent deux voire un contrat pour autrui comprenant lui-même une stipulation pour autrui-, l'assurance perte d'emploi a connu un développement soutenu. Peu importe en l'espèce. Ce qui intéresse le présent arrêt s'entend de la conjonction des règles de l'indivision de droit commun et du droit spécial des assurances. Avant même d'envisager la suprématie éventuelle de l'un sur l'autre -éternelle interrogation depuis ces dernières années d'accentuation de l'autonomie du droit des assurances-, encore convient-il de comprendre l'origine de la difficulté. Dans le cas présent, le contrat d'assurance ne comportait qu'un seul assuré, l'homme, garanti à 100 %. Rien de surprenant a priori, mis à part le constat que l'emprunt réalisé par les deux co-indivisaires pour financer leur achat avait été souscrit de manière solidaire.

A la suite d'un sinistre, l'assuré demande que ces sommes soient portées sur le compte de l'indivision. La cour d'appel ne l'entend pas ainsi (CA Paris, 2ème ch., sect. B, 13 décembre 2007, n° 06/08025 N° Lexbase : A8563D3K). Elle raisonne sur le fondement de la stipulation pour autrui et s'attache à un seul aspect : la qualité de tiers bénéficiaire du contrat d'assurance perte d'emploi, qui s'entend de la banque prêteuse et non de l'assuré. Sans doute cette assertion n'est-elle pas inexacte, quoi que l'on puisse en penser par ailleurs, eu égard à une jurisprudence désormais acquise. La Cour de cassation a, en effet, pu considérer que le premier bénéficiaire du contrat d'assurance s'entend de l'organisme prêteur de deniers. Or, la Cour de cassation censure la cour d'appel. Comme dans l'arrêt précédent, c'est encore en raison de motifs inopérants qu'elle casse l'arrêt pour violation de la loi.

Notre Haute juridiction s'attache, elle, aux seules relations contractuelles suscitant une interrogation concernant les relations unissant les deux co-indivisaires et, s'appuyant sur l'article 1213 du Code civil (N° Lexbase : L1315ABC), et en déduit que le versement du capital d'assurance avait pour effet d'éteindre la dette de contribution du co-indivisaire. Cette décision arrête l'attention et peut susciter la critique. Sans doute, en pratique, le paiement des mensualités dues par l'emprunteur engendre-t-il, en quelque sorte, deux bénéficiaires : l'organisme prêteur qui continue ainsi à être réglé des remboursements mensuels de l'emprunt qu'il a accordé, et, l'emprunteur, lui-même, qui est allégé de sa dette. Néanmoins, la jurisprudence antérieure, sans le dire toujours de manière claire et précise, considère l'organisme prêteur comme le véritable tiers bénéficiaire.

En précisant que tel ne serait pas le cas, "sauf convention contraire", la Cour de cassation semble rendre une décision évolutive par rapport à des décisions antérieures, même dans un autre contexte. L'arrêt ne présentant pas les apparences d'un arrêt de principe, même si sa portée ne saurait être limitée en raison notamment de la cassation appliquée, son rôle futur doit être envisagé avec précaution d'autant qu'il est rendu dans le cas particulier d'une co-indivision. Sur le fond, le changement recueillerait notre approbation. En effet, lorsque le même contrat d'adhésion comprenant une assurance en cas de décès et une assurance invalidité contient une clause bénéficiaire désignant un proche de l'assuré comme tiers bénéficiaire, il s'avère difficile de leur expliquer, ensuite, que la réalité est autre, sous prétexte que les sommes versées par l'assureur le furent sur le compte bancaire de l'assuré, et que la banque a donc pu se rembourser dès l'instant de leur règlement.

Nul doute surtout que si cette interprétation devait être confirmée, même sur le fondement de l'article 1121 du Code civil (N° Lexbase : L1209ABE) relatif à la stipulation pour autrui, elle contraindrait les organismes de crédit à faire apparaître, de manière plus explicite, ce rôle supplémentaire qu'ils jouent, outre celui de souscripteur du contrat d'assurance ou contrat "cadre" dans ce type d'espèce, offrant ainsi une meilleure compréhension du mécanisme des assurances de groupe par les clients et futurs assurés non juristes et spécialistes de droit des assurances pour lesquels ces "montages" apparaissent quelque peu abscons.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen

  • Du strict respect des conditions de garantie en matière d'assurance vol : la jurisprudence de la Cour de cassation est fixée (Cass. civ. 2, 9 décembre 2010, n° 09-71.669, F-D N° Lexbase : A9191GMD)

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le fait que cette décision du 9 décembre 2010 ne soit pas destinée au Bulletin nous semble un élément important. Il traduit que, dans l'esprit de la Cour de cassation, la question au coeur de l'arrêt, le respect des exigences posées à titre de condition de garantie, est désormais réglée et ne mérite plus d'être particulièrement mise en valeur.

En effet, dans un passé récent cette question a été l'objet d'analyses divergentes de la part de la Cour de cassation, discutées dans cette chronique (3).

Le doute a été instillé par un grand arrêt du droit des assurances en date du 10 mars 2004 (4), rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation au double visa des articles 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG) et, surtout, 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR). Elle y posait un principe nouveau selon lequel "la preuve du sinistre, qui est libre, ne peut être limitée par le contrat". Dans cette espèce, la convention litigieuse "prévoyait que l'assuré établisse, outre des détériorations liées à une pénétration dans l'habitacle par effraction, le forcement de la direction ou de son antivol et la modification des branchements électriques ayant permis le démarrage du véhicule". Les juges du fond avaient raisonné fort classiquement en jugeant "que si les circonstances du vol envisagées par la police sont du domaine du fait juridique dont par principe la preuve est libre, la garantie n'est due, en cas de recours à des techniques plus affinées d'appréhension frauduleuse, que lorsque ces modes opératoires causent des détériorations matérielles figurant au nombre des indices exigés par la police". Ce raisonnement avait été censuré pour atteinte aux principes probatoires.

L'arrêt pouvait semer le doute sur le respect des conditions de garanties, si celles-ci, ravalées au rang d'indices probatoires, pouvaient être "balayées" par un principe, supérieur, de liberté de la preuve du sinistre.

Toutefois, par un arrêt postérieur, la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 14 juin 2007, n° 06-15.670, F-P+B N° Lexbase : A7956DWL) a rappelé à l'exigence des conditions de garantie, alors que la cour d'appel de Paris avait, dans cette espèce, pris le parti d'une lecture extensive de l'arrêt précité du 10 mars 2004 en qualifiant les conditions de garantie "d'indices prédéterminés et cumulatifs" attentatoires au principe de liberté de la preuve du sinistre. La censure prononcée par les Hauts magistrats de la deuxième chambre civile au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), pour dénaturation du contrat par les juges du fond, confortait la qualification de condition de garantie et l'exigence de leur respect. Nous avions, alors, approuvé en soulignant que les conditions insérées dans les polices ne doivent pas être considérées comme de simples indices du sinistre mais, plus fondamentalement, comme de véritables critères de l'objet garanti.

Par l'arrêt rapporté du 9 décembre 2010, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation confirme sa jurisprudence. Alors que le contrat d'assurance litigieux prévoit des conditions de couverture du vol du véhicule (forcement de la direction et de la serrure, du contact électrique, de la batterie, des fils électriques), la Cour de cassation rappelle la licéité des conditions de garantie "claires, précises, voire, comme en l'espèce, cumulatives [dont] il appartient à l'assuré d'établir" qu'elles sont réunies. Tel n'étant pas le cas (l'expertise n'ayant révélé aucune trace d'effraction du véhicule), l'absence de garantie est légitime.

Du principe de liberté de la preuve du sinistre et de l'article 6 CESDH, il n'est plus question. Le respect des conditions cumulatives de couverture d'un "vol qualifié" est désormais défendu sans faille. La Cour de cassation semble ainsi apporter sa contribution à la lutte contre la fraude en matière d'assurance.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)

  • Modalités d'appréciation du risque : l'article L. 113-2 du Code des assurances n'impose pas la rédaction d'un questionnaire d'évaluation écrit (Cass. civ. 2, 16 décembre 2010, n° 10-10.859, FS-P+B N° Lexbase : A2727GNC)

L'actualité de la jurisprudence rendue par la Cour de cassation au mois de décembre 2010 atteste de la vitalité du contentieux des fausses déclarations, intentionnelles ou non, conduisant aux sanctions des articles L. 113-8 (N° Lexbase : L0064AAM) ou L. 113-9 (N° Lexbase : L0065AAN) du Code des assurances (cf., notamment, Cass. civ. 2, 9 décembre 2010, n° 09-17.471, FS-D N° Lexbase : A9082GMC ; Cass. civ. 3, 15 décembre 2010, n° 09-14.411, FS-D N° Lexbase : A2421GNY).

Les juges doivent apprécier et comparer la réalité de la situation de l'assuré aux éléments par lui déclarés lors de la souscription du risque.

Dans ce contexte, l'importance du questionnaire d'évaluation du risque visé à l'article L 113-2-2° du Code des assurances (N° Lexbase : L0061AAI) est primordiale. Cet article définit l'obligation pour l'assuré de "répondre exactement aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l'assureur les risques qu'il prend en charge".

Cette obligation de déclaration de bonne foi qui pèse sur l'assuré repose, en amont, sur l'élaboration par l'assureur d'un questionnaire.

Il a déjà été souligné, dans cette chronique, combien un questionnaire incomplet ou imprécis se retourne contre l'assureur, qui ne peut invoquer une fausse déclaration de la part de l'assuré qui n'aurait pas eu à répondre à une question que l'assureur ne lui a pas posée (5).

A fortiori l'absence de questionnaire est-elle préjudiciable à l'assureur. La Cour de cassation (Cass. crim., 18 septembre 2007, n° 06-84.807 N° Lexbase : A7171GNW) a ainsi déduit que : "faute de produire un questionnaire sur les circonstances de nature à faire apprécier l'objet du risque pris en charge, auquel M. Y était tenu de répondre avant la conclusion du contrat, l'assureur, dont le mandataire a manifestement négligé de confronter les affirmations du souscripteur de la police aux mentions de la carte grise, n'apporte pas la preuve d'une fausse déclaration intentionnelle faite de mauvaise foi par l'assuré".

Toutefois, la jurisprudence n'entend pas limiter l'appréciation des déclarations de l'assuré au seul questionnaire. Un arrêt du 19 février 2009 (6) a mis en lumière que l'absence de questionnaire n'est pas un talisman que l'assuré pourrait brandir pour échapper à toute sanction. Dans cette espèce où l'assuré soutenait n'avoir eu à remplir aucun questionnaire, la Cour de cassation rejette son moyen au motif que "si les dispositions de l'article L. 113-2-2° du Code des assurances imposent à l'assuré d'informer l'assureur des circonstances de nature à lui faire apprécier le risque qu'il prend en charge, lorsque lui sont posées des questions, le juge peut prendre en compte, pour apprécier l'existence d'une fausse déclaration intentionnelle prévue à l'article L. 113-8 du même code, les déclarations faites par l'assuré de sa propre initiative, lors de la conclusion du contrat d'assurance".

Une telle décision invite à considérer le questionnaire comme l'un des moyens, mais pas le seul, pour établir les conditions de déclaration du risque. Cette solution est fidèle à la lettre même de l'article L. 113-2-2° du Code des assurances, qui emploie l'adverbe "notamment".

L'arrêt du 16 décembre 2010, destiné au Bulletin, vient ajouter du crédit à cette idée en posant que, outre le formulaire de déclaration du risque, "le juge peut prendre en compte, pour apprécier l'existence d'une fausse déclaration intentionnelle prévue à l'article L. 113-8 du même code, les déclarations faites par l'assuré à sa seule initiative ou à l'occasion d'un échange téléphonique ayant abouti à la conclusion du contrat".

En l'espèce, l'assuré a vainement contesté la recevabilité d'un questionnaire oral, par téléphone. La Cour de cassation rejette cette objection au motif que "l'article L. 113-2 du Code des assurances prévoit la collecte d'informations mais n'impose pas la rédaction d'un écrit".

Sans doute la conclusion orale d'un contrat pose-t-elle, classiquement, des problèmes de preuve. Le contrat d'assurance, de nature consensuelle (7), n'y échappera pas. Sans doute l'article L. 112-3 du Code des assurances (N° Lexbase : L9858HET) exige-t-il que le contrat d'assurance soit rédigé par écrit, mais il s'agit là d'une simple exigence probatoire et non ad validitatem.

Aussi, si les échanges précontractuels ont lieu par oral, ils doivent être repris et intégrés à la police d'assurance. L'écrit vient alors fixer les éléments déclarés.

Tel était le cas dans l'espèce examinée, les conditions particulières de la police ayant repris les éléments oraux, tels "profession... fonctionnaire ; mode de garage habituel de nuit... box fermé ou garage ; n'a pas été assuré en tant que conducteur habituel pour un véhicule au cours des 36 derniers mois". En réalité, l'assuré n'avait ni cette profession, ni garage pour son véhicule.

La Cour retient "qu'à la réception des conditions particulières [l'assuré] se devait de vérifier ces informations et d'aviser son assureur des erreurs ou omissions qu'il avait constatées ; que tel n'est pas le cas puisque le contrat a été retourné signé le 21 novembre 2003 ; que la preuve du caractère intentionnel des fausses déclarations est démontrée".

La démonstration est impeccable. Les déclarations orales étant reprises dans la police d'assurance, l'assuré a tout loisir d'en vérifier l'exactitude. L'arrêt invite l'assuré à ne pas signer hâtivement la police sans la lire. Quand, comme en l'espèce, l'écart entre la réalité de la situation de l'assuré et ses déclarations est si manifeste que la fausseté est incontestable, l'envoi de la police lui permettra un repentir. S'il la retourne sans modifier ses déclarations initiales, la sanction doit logiquement s'appliquer.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) H. Leroy, L'assurance et le droit pécuniaire de la famille, LGDJ, 1985 ; L. Mayaux, Les relations entre le droit des assurances et le droit de la famille : questions d'actualité, RGAT, 1994, p. 423.
(2) Cass. mixte, 23 novembre 2004, quatre arrêts, n° 03-13.673 (N° Lexbase : A0919DER) ; n° 01-13.592 (N° Lexbase : A0225DE3) ; n° 02-11.352 (N° Lexbase : A0235DEG) ; et n° 02-17.507 (N° Lexbase : A0265DEK), Bull. n° 4, p. 9 et s., L. Aynès, Des arrêts politiques, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 11 ; F. Leduc et Ph. Pierre, Assurance-placement : une qualification déplacée, RCA, février 2005, n° 3, p. 7 ; R. Libchaber, Rép. Défr., 2005, n° 07/05, chro. 38142, p. 607 ; A. M. Ribeyre, Assurance-vie : le débat se déplace de l'aléa vers la prime excessive, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 10. Voir dans le sens contraire : B. Beignier, D. 2005, p. 1905 ; H. Lécuyer, Promesses jurisprudentielles de longue vie à l'assurance-vie, J. Cl. Droit de la famille, mars 2005, chro. n° 6, p. 11 ; L. Mayaux, RGDA, 2005, n° 1.
(3) Cf. nos obs., Conditions de garantie du risque : la deuxième chambre civile précise sa jurisprudence en privilégiant le respect du contrat plutôt que les principes probatoires, note sous Cass. civ. 2, 14 juin 2007, n° 06-15.670, F-P+B (N° Lexbase : A7956DWL), in Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 271 du 6 septembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N2437BCA).
(4) Cass. civ. 2, 10 mars 2004, n° 03-10.154, F-P+B (N° Lexbase : A4966DBK), Bull. civ. II, n° 101, p. 86 ; RTDCiv, 2005, p. 133, obs. J. Mestre et B. Fages ; RGDA, 2004, p. 562 et 644, obs. J. Kullmann ; Resp. civ. et ass., 2004, étude n° 20, obs. D. Noguero.
(5) Cf. V. Nicolas, Pas de pitié pour l'assureur n'ayant pas élaboré un questionnaire complet et précis, note sous Cass. civ. 2, 15 février 2007, n° 05-20.865, FS-P+B (N° Lexbase : A2138DUQ), in Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 251 du 4 mars 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N2992BA3).
(6) Cf. V. Nicolas, L'appréciation des déclarations de l'assuré ne se limite pas au questionnaire, note sous Cass. civ. 2, 19 février 2009, n° 07-21.655, FS-P+B (N° Lexbase : A3948EDL), in Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 349 du 7 mai 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0563BK3).
(7) Là-dessus, cf. nos obs., La défense de la nature consensuelle du contrat d'assurance, note sous Cass. civ. 2, 14 juin 2007, n° 06-15.955, F-P+B (N° Lexbase : A7969DW3), in Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 267 du 5 juillet 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N7630BB9).

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