La lettre juridique n°422 du 6 janvier 2011 : Éditorial

Lexique oenologique des lois de finances, cru 2010, à décanter dès 2011

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N0344BR8

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Chaque année, à la mi-novembre, c'est la récolte fiscale : des projets de loi de finances, de finances rectificative, de financement de la Sécurité sociale sont récoltés des bancs du Conseil des ministres. Le "matériel" est là, toujours le même (impôt, taxe, cotisation, taux, assiette, abattement, exonération...). Et, avec l'ensoleillement de l'année, on sait pour quel bouquet, il va être agencé ; si le collectif budgétaire de l'année sera savamment structuré et capiteux. Puis, c'est le temps de la vinification, voire de l'assemblage, à travers lequel nos parlementaires/vignerons, jusqu'à la Commission mixte paritaire, réunissent des mesures fiscales provenant de cépages politiques différents, pour composer le millésime final. Une fois que le Conseil constitutionnel a écarté la pourriture noble des lois nouvellement adoptées, il est temps de publier le collectif budgétaire, de l'embouteiller via le Journal officiel des 30 ou 31 décembre de l'année. Pas le temps d'attendre son apogée, le moment où il sera au mieux de sa forme aromatique, le collectif budgétaire est débouché dès l'année suivante et sa dégustation réserve, parfois, quelques surprises, même si l'on y décèle, tout de même, le soleil ou la pluie qui se sont abattues tout au long de l'année précédente dans les terroirs français. Une fois en bouche, c'est tout le langage fleuri de l'oenologie qui vous assaille.

Astringence : comment nos muqueuses ne se contracteraient-elles pas sous la force des tanins, jusqu'à avoir la sensation d'une langue râpeuse, avec l'instauration d'une taxe additionnelle à la taxe spéciale d'équipement destinée à financer le réseau du Grand Paris ; l'association d'un arôme moderne et profitable pour tous -le Grand Paris- à un arôme tanné, au parfum de vieux cuir budgétaire -une nouvelle taxe comme sanction/contrepartie de la valorisation foncière y afférente- ?

Bouquet : comment ne pas être étonné par la complexité olfactive de ce collectif budgétaire dont l'élaboration témoigne tant de la fibre sociale et de la rigueur budgétaire ? Où il est certain que les lois de finances résultent d'un savant dosage entre fiscalité taxatrice, fiscalité incitative, fiscalité correctrice et fiscalité réparatrice...

Chambré : comment ne pas s'apercevoir que le millésime budgétaire 2010 a été porté à température ambiante, qu'il est en phase avec la rigueur budgétaire mondiale, issue de la crise et des déficits abyssaux des Etats et des institutions de gestion de la Protection sociale ?

Chaptalisation : comment ne pas déceler ce sucre ajouté pour renforcer la sensation d'alcool de ce collectif budgétaire, naturellement peu enivrant ? Il en va ainsi de la réforme du plan d'épargne logement, comportant notamment, pour les PEL ouverts à compter du 1er mars 2011, une modification des conditions d'octroi de la prime d'épargne logement et de son montant, ainsi que de nouvelles règles de prélèvements sociaux et fiscaux des intérêts ; de la refonte complète de la fiscalité de l'urbanisme, afin de rassembler dans le Code de l'urbanisme des articles figurant dans différents codes et de créer un dispositif unique comprenant une taxe d'aménagement établie sur tous bâtiments et aménagements nécessitant une autorisation d'urbanisme et un versement pour sous-densité destiné à lutter contre l'étalement urbain ; de la réforme du régime fiscal des sociétés de personnes, allant dans le sens d'une plus grande transparence et se rapprochant des règles existant dans d'autres Etats ; de la création d'un régime de consolidation du paiement de la TVA entre entreprises appartenant à un même groupe permettant la réalisation de gains de trésorerie ; de la simplification du calcul du seuil du chiffre d'affaires par la suppression du prorata temporis, applicable aux auto-entrepreneurs pour le calcul de l'imposition sur les bénéfices et de la TVA, de l'amélioration des outils juridiques du contrôle fiscal dans le cadre de la lutte contre la fraude et l'économie souterraine en élargissant les pouvoirs d'enquête des agents fiscaux aux infractions connexes au délit de fraude et en renforçant le droit de communication de l'administration fiscale. Un ensemble de mesures visant à rendre ouvert, expressif, ce collectif essentiellement taxateur.

Concentré : comment ne pas être frappé par ce collectif qui a macéré plus longuement que de coutume au contact de la peau, des pépins... pour dégager toujours plus de tanin budgétaire : l'augmentation de la contribution sociale sur les stock-options (14 %) ; une majoration d'un point de la tranche d'imposition sur le revenu la plus élevée (40 %) qui s'applique aux foyers fiscaux déclarant plus de 69 783 euros annuels (cette majoration qui ne sera pas prise en compte dans le calcul du "bouclier fiscal") ; la suppression de l'avantage fiscal aux mariés, pacsés et divorcés de l'année ; la suppression de l'abattement de 15 % de cotisations sociales pour les particuliers-employeurs ; la suppression du crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunt immobilier ; la réduction d'ISF en cas d'investissement direct ou indirect dans une PME abaissé de 75 % à 50 % ; la baisse de 10 % de l'avantage fiscal tiré de plusieurs niches et plafonnement des réductions d'impôt à 18 000 euros et 6 % du revenu imposable ; la hausse de la taxation des revenus du capital (le prélèvement forfaitaire libératoire passe à 19 %) ; la hausse de la taxation des retraites chapeaux (les rentes comprises entre 500 et 1 000 euros par mois subiront une contribution sociale de 7 %, celles au-delà de 1 000 euros seront taxées à 14 %) ; ou encore la soumission à l'impôt sur le revenu des dommages et intérêts de plus d'un million d'euros.

Cordon : c'est un véritable paquet de bulles à la surface du verre qui nous a aveuglé durant ces dernières semaines, cachant l'essentiel et la complexité du bouquet de ce collectif. L'instauration d'une taxe sur la publicité en ligne, dite "taxe Google", de 1 % (reportée au dernier moment au 1er juillet 2011) et l'augmentation de la TVA sur les offres triple play (19,6 % pour la totalité de l'abonnement) auront accaparé les médias plus volontiers que la réforme de la cotisation sur la valeur ajoutée (le chiffre d'affaires consolidé d'une entreprise sera pris en compte pour calculer la cotisation afin d'éviter que les entreprises multiplient les filiales afin de passer sous le seuil de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires pour pouvoir bénéficier de dégrèvements), subtilité, au détriment du contribuable, bien plus taxatrice.

Fermé : ce collectif revêt bien peu d'arôme, seule une oxygénation pouvant lui faire prendre corps ; et ce n'est pas une réforme du barème du malus automobile, par l'abaissement de divers seuils d'application de malus et la création de deux nouvelles tranches de malus intermédiaires, qui le rendra "ouvert".

Frappé : servi entre 4° et 6°, en plein hiver continental, ce collectif manque de mou, de relief, de goût...

Lourd : trop liquoreuse, la réforme du crédit d'impôt recherche (l'avantage fiscal des entreprises qui investissent pour la première fois dans la recherche est réduit de 50 % à 40 % la première année, et de 40 % à 35 % la deuxième) manque de subtilité, d'équilibre et de vivacité pour continuer à encourager l'investissement dans la recherche, l'innovation dans les technologies sources du développement économique de demain.

Tertiaire : l'arôme développé avec le temps de révision de la valeur locative des locaux professionnels par la révision initiale de la base d'imposition des locaux commerciaux et professionnels sur les valeurs de marché et un dispositif de mise à jour permanente des évaluations selon les évolutions du marché devra faire son oeuvre...

Verticale : au final, si l'on dégustait les différents millésimes de ce collectif budgétaire, du plus jeune au plus ancien, on s'apercevrait qu'il revêt la robe, les couleurs, et les arômes de son temps. Celui de 2007 fut ensoleillé par le "paquet fiscal" visant à réinjecter des deniers dans l'économie réelle ; celui de 2008 amorça la crise tout en poursuivant l'incitation fiscale en faveur de l'environnement ; celui de 2009 consacra la fiscalité réparatrice des inégalités accentuées par la crise ; celui de 2010 laissera comme un goût amer : celui de payer l'addition d'un millésime en panne de croissance.

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