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par Grégory Singer, Journaliste juridique
le 17 Janvier 2011
François Axisa : Le barreau de Toulouse va prochainement franchir le cap des 1 200 avocats après l'inscription de la nouvelle promotion. Nous sommes, à cet égard, légèrement devant le barreau de Bordeaux. 55 % de femmes le composent (ces dernières étant très présentes dans les nouvelles promotions). Ce taux est un peu au-dessus de la moyenne nationale.
Le barreau ne compte pas un grand nombre de grosses structures, de nombreux confrères fonctionnant selon des formules d'association de personnes. Nous sommes un barreau plutôt jeune, avec une moyenne d'âge de moins de 40 ans, ce phénomène s'étant enclenché avant 2005. Beaucoup de confrères exercent une activité généraliste, plutôt du droit civil, dans le domaine des affaires familiales, et du "petit" pénal ; peu se spécialisent. Nous constatons, d'ailleurs, globalement une diminution des spécialisations. Le droit du travail est, cependant, la matière la plus représentée. Nous dénombrons, également, un accroissement du droit public, sans forcément opter pour une spécialité. Une grande partie du barreau travaille dans le conseil (fiscal, droit des sociétés) avec quelques cabinets bien structurés.
Lexbase : Maître Axisa, quel bilan tirez-vous de votre mandat ? Quels ont été les chantiers menés tout au long de ces deux années ?
François Axisa : Nous avons eu la possibilité d'acquérir des locaux au sein même de l'actuelle maison de l'avocat, nous permettant d'agrandir la structure de l'Ordre de 600 m². Il était indispensable de nous étendre puisqu'il nous manquait des espaces de réunion et de travail. Le nombre d'avocats a crû beaucoup plus vite que la taille de nos locaux.
En juillet 2010, la décision du barreau a été prise de s'engager dans le chantier du Réseau Privé Virtuel des Avocats (RPVA) car c'est en un ! L'Ordre a déployé des efforts afin de convaincre les confrères de l'intérêt et de l'utilité de ce nouveau moyen de communication avec les juridictions. Nous ne sommes pas, seulement, face à un nouveau mode de travail avec ces dernières, mais face à un nouveau degré d'équipement pour les cabinets, intéressant tous les avocats, notamment, par le biais de connexions avec des services publics afin de faciliter l'efficacité et la sécurité dans les communications avec nos clients. Il faudra du temps, dans la mesure où le CNB doit encore délivrer toutes les clés et les certifications et les juridictions être complètement équipées. Il y a aussi une révolution culturelle pour les Palais de justice qui n'est pas encore conduite. Ce virage, nous l'avons pris, il est derrière nous.
Nous avons, également, progressé en matière de communication par internet. Avec le Bâtonnier Saint-Geniest, nous avons travaillé sur le nouveau site internet de l'Ordre. Nous avons privilégié la communication par voie électronique (efficacité, coût). Nous mettons à la disposition des confrères de la documentation en ligne, notamment pour ceux exerçant des permanences, par exemple en matière de droit des étrangers, qui peuvent à toute heure accéder aux fonds nécessaires pour défendre leurs clients.
Lexbase : Maître Saint-Geniest, quelles sont les priorités pour le barreau que vous souhaitez mettre en oeuvre durant votre mandat ?
Pascal Saint-Geniest : Les chantiers ne manqueront pas. Je vais travailler dans la continuité de l'action du Bâtonnier Axisa, notamment dans la poursuite des travaux de l'Ordre.
Une première proposition de mon programme a déjà été approuvée par le conseil de l'Ordre : est, ainsi, mis en place un nouveau mode de fixation des cotisations payées par les avocats à l'Ordre en fonction de leur revenu et non plus de leur ancienneté.
La réforme de la procédure pénale, ou du moins, de la garde à vue (1) va poser des difficultés pratiques considérables, il faudra repenser le mode des permanences. La garde à vue devient, pour moi, la première étape du procès pénal avec toutes les exigences d'équité et d'égalité des armes que cela impose. L'extension du barreau de Toulouse avec la fusion du barreau de Saint-Gaudens va, également, entraîner des conséquences pour l'organisation des permanences de garde à vue.
Le barreau de Toulouse doit rappeler constamment l'attachement de tous les avocats, quelle que soit leur activité, à la défense des libertés. J'ai donc dans ce souci, l'intention de créer un Observatoire des libertés.
Améliorer la communication avec les avocats fait, également, partie de mes priorités, notamment par la modernisation de notre bulletin. Par ailleurs, nous allons favoriser l'arrivée des jeunes avocats en les dotant d'un "référant", d'un "tuteur", c'est-à-dire les associer à un membre du conseil de l'Ordre désigné de manière aléatoire et qui sera leur interlocuteur privilégié lorsqu'ils se poseront une question sur leur activité professionnelle.
Il faut, également, diversifier nos activités en trouvant celles dans lesquelles les avocats sont peu présents et ainsi les inviter à faire preuve de curiosité. Il s'agit, notamment, de l'avocat fiduciaire, l'avocat correspondant informatique et liberté, et l'avocat agent immobilier, l'avocat agent sportif ou d'artiste. Les évolutions de l'acte d'avocat sont souhaitables (2), et je pense que le Parlement va, enfin, l'intégrer dans notre droit positif. Restera alors à lui donner, au-delà du concept juridique, un contenu pratique, nous ne manquerons pas encore sur ce sujet, d'un certain nombre d'idées. Je vais travailler sur une refonte complète du règlement intérieur, qui sera un travail de longue haleine, pour l'adapter à ces nouvelles formes d'exercice.
Lexbase : Le Conseil national des barreaux, le 18 novembre 2010, a rejeté, faute d'accord, le projet de création d'un statut d'avocat en entreprise. De son côté le Bâtonnier de Paris, Jean Castelain a appelé de ses voeux, lors de la rentrée du jeune barreau, le 26 novembre, à réouvrir ce débat. Quelle est votre position sur ce point ?
Pascal Saint-Geniest : Je suis convaincu par ce projet. Cela serait, probablement, une révolution psychologique. A titre d'exemple, même si ce n'est pas le mien, je préférerais que le directeur juridique de Total ne soit pas un avocat allemand mais un avocat français. Dans une région comme Toulouse, il y a beaucoup de grandes entreprises, de juristes d'entreprise et nous devons favoriser les relations entre ces derniers et les avocats. Peut-être que le meilleur moyen de les accentuer serait de faire de ces juristes, des avocats. Cependant, des questions pratiques (organisation, secret) vont se poser.
François Axisa : Il y a quelque chose de diabolique dans cette question. Le titre d'avocat recouvre à la fois un degré d'excellence juridique d'un professionnel du droit accompli (nous connaissons le cursus, le parcours universitaire, leur spécialité) mais, également, une institution portant des valeurs historiques, une certaine idée de la justice. Même si la dernière proposition est pour l'instant bloquée, il y a certainement une piste de réflexion qu'on ne peut ignorer, il serait "suicidaire" de classer cette question. Elle doit être reprise sous un angle pratique, celui de l'entreprise, et il faut essayer d'apprécier ce qui peut nécessiter la présence d'un avocat. Il y a un défi indiscutable pour la profession. Si nous passons à côté de cette évolution, nous pourrions rester les hommes et les femmes du contentieux et laisser la fonction de conseil en entreprise à une autre profession. C'est un chantier à reprendre avec calme et lucidité et davantage de données économiques, notamment des études d'impact.
A titre personnel, j'étais plutôt réticent mais il faut être raisonnable, nous avons la responsabilité des avocats de demain. Il est inconcevable que nous restions, totalement, étranger à l'entreprise. Il y aura peut-être une révolution copernicienne avec la création d'un autre métier d'avocat, un métier différent qui appellera des sujétions différentes.
Lexbase : L'interprofessionnalité et la grande profession d'avocat demeurent encore au coeur des débats. Que pense le barreau de Toulouse de ces questions ?
François Axisa : Les avocats étaient très favorables à la grande profession d'avocat. Nous ne sommes pas corporatistes face aux experts comptables ou aux notaires. Le métier d'avocat est une profession ouverte, où les gens sont habitués à travailler en concurrence directe, à entretenir des connaissances juridiques. Le métier d'avocat peut être la matrice d'une grande profession du droit. Il ne serait pas illogique que les notaires rejoignent notre profession.
Pascal Saint-Geniest : Avec l'immodestie de la jeunesse, lorsqu'on me demandait pourquoi choisir l'exercice du métier d'avocat, je répondais que s'il y a de bons notaires, on parle seulement de grands avocats. Plus sérieusement, votre question amène à parler de deux sujets. Tout d'abord, l'interprofessionnalité avec des activités qui ne sont pas forcément juridiques. Il me semble que, dans cette législature, nous aurons un texte qui permettra aux avocats de travailler, avec un certain nombre de garde-fous indispensables, avec des professions complémentaires, correspondant à des demandes de certains clients. Il est très important de donner des moyens techniques aux avocats, mais de ne jamais leur imposer un mode d'exercice.
Sur la question des professions juridiques, je partage le sentiment du Bâtonnier Axisa. Nous sommes une profession plus nombreuse, habituée à travailler dans la concurrence à la différence du métier de notaire. Nous n'avons pas de volonté hégémonique à l'égard des professions juridiques. Cette question va se poser à nouveau, même si le rapport "Darrois" l'a pour l'instant enterrée. Réussissons déjà l'interprofessionnalité !
Lexbase : A l'instar de nombreux barreaux, Toulouse est, également, touché par certaines difficultés dans le fonctionnement de l'aide juridictionnelle. Que préconisez-vous ?
François Axisa : Nous faisons partis des grands barreaux très concernés par ce problème. Toulouse, par sa population très diversifiée, ne peut être considérée comme une ville riche et nous avons ainsi un taux d'aide juridictionnelle assez important. Il y a une sensibilité plus grande sur ce sujet. Sans vouloir refaire l'histoire de ce système mais afin d'éviter les raccourcis quelque peu réducteurs, une grande et bonne réforme a eu lieu en 1991 (3), marquée par le transfert d'une charge de la justice sur le barreau, le traitement du paiement de l'aide juridictionnelle. Nous sommes passés d'une situation où un avocat venant d'achever sa mission était payé un ou deux ans plus tard, à des délais nettement plus courts de l'ordre de quatre à cinq semaines. Ensuite, cette réforme avait instauré une grille en créant des cas spécifiques (médiation, transaction). Le système aurait pu tenir avec un peu d'intelligence et de courage mais, il fut anéanti réforme après réforme.
Aujourd'hui, au-delà d'une question budgétaire, nous sommes face à un problème de nature politique : quelle justice voulons-nous pour notre pays ? Quelle place pour les justiciables n'ayant pas les moyens financiers nécessaires pour se défendre ? Des annonces de réforme sont faites sur des systèmes de remplacement mais rien ne vient pour l'instant. Nous avons le sentiment que le Gouvernement souhaiterait s'orienter sur un système à deux volets ; une dotation de l'Etat pour le pénal tandis que, pour le civil, les fonds viendraient d'ailleurs (protection juridique, fonds national). Rien n'est tranché. Or, lorsqu'il faut organiser des permanences le samedi, le dimanche, les Ordres des avocats mettent en place des systèmes avec des bénévoles sur les propres fonds. Notre serment d'avocat nous commande de défendre tout justiciable. La défense effective fait partie des libertés fondamentales européennes. Rester dans cette situation ne serait pas raisonnable, nous nous attendons à nombre de blocage pour 2011 (grève, mouvement de protestations).
Pascal Saint-Geniest : Aucune corporation professionnelle n'accepterait le même traitement que les avocats. Est-il toujours révolutionnaire de dire au troisième millénaire que "les hommes naissent libres et égaux en droits" (4). Qui pourtant aujourd'hui peut prétendre que cela soit le cas ? Le seul moyen pour y parvenir repose sur la conscience professionnelle et les exigences morales des avocats de ce pays. Nous ne pouvons continuer dans cette situation. Les frais d'aide juridictionnelle augmentent, ce qui n'est pas le fait des avocats mais des évolutions législatives. Chacun a droit à un procès équitable et il n'y a pas de procès équitable sans défense effective et forte. Le Gouvernement fait semblant de ne pas comprendre, il ne doit pas s'étonner si on assiste à un blocage complet du système pénal. Ce ne sont pas des menaces, mais il faut comprendre que nous parlons de choses extrêmement concrètes, importantes qui touchent à l'essence même du fonctionnement de notre vie sociale. Les Bâtonniers sont parfaitement conscients de leur responsabilité. Loin de nous l'intention de pousser à la révolte, qui n'est pas une solution, mais simplement nous avons la volonté de réfléchir ensemble et de manière constructive.
François Axisa : Sur ce sujet, la profession s'est réunie en Etats généraux à Lille dans lesquels sont sorties de nombreuses propositions y compris sur les modes de fonctionnement (5). Nous sommes demandeur de discussions.
Pascal Saint-Geniest : Nous aurons une unité absolue de l'ensemble des barreaux et des avocats sur ce sujet.
Lexbase : Enfin, quels sont les grands rendez-vous proposés par le barreau de Toulouse pour l'année à venir ?
Pascal Saint-Geniest : Le barreau de Toulouse s'associera encore cette année à de nombreuses manifestations universitaires. Il va, également, participer aux rencontres dites de la "Bidassoa" avec la présence de représentants de différentes juridictions espagnoles sur le thème "Droit et sport". Nous continuerons à organiser des manifestations qui nous sont propres avec, par exemple, la visite déjà programmée d'Henri Leclerc ou encore un projet de colloque sur la question prioritaire de constitutionalité d'une forme un peu originale et très pratique.
François Axisa : Nous avons à coeur avec le Bâtonnier Saint-Geniest de faire venir des personnes ayant eu un parcours un peu extraordinaire, des visions un peu différente de notre profession, comme, par exemple, Monsieur Robert Badinter, pour échanger avec les avocats, surtout les jeunes, sur ce qu'est notre métier, qui, malgré des difficultés, reste porteur d'une véritable passion. Par ailleurs, nous allons aider l'Université dans la mise en place de diplômes internationaux (Etats-Unis, Espagne).
Pascal Saint-Geniest : Dans le courant 2010, nous avons été associés à un colloque sur la recodification du Code du travail, sur la crise et le droit. Avec l'Ordre des médecins, nous allons, prochainement, échanger sur le fléau du stress au travail, qui touche, également, les professionnels libéraux. Les avocats toulousains organisent cette année les assises nationales des avocats des enfants.
La rentrée du Barreau de Toulouse programmée pour le mois de septembre 2011 reste le moment fort de l'année pour nos confrères et pour nos invités français et étrangers.
L'Ordre va, enfin, développer son activité internationale caractérisée par la présence à Toulouse de nombreux avocats étrangers. Je vais prochainement consulter les avocats toulousains afin de connaître leurs connaissances linguistiques et pour mettre ces compétences à la disposition des justiciables.
(1) Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (N° Lexbase : A4551E7P), et lire les obs. de R. Ollard, Coup de tonnerre sur la procédure pénale : le Conseil constitutionnel déclare non conformes à la Constitution les dispositions relatives à la garde de vue de droit commun, Lexbase Hebdo n° 410 du 27 septembre 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N0999BQ3) ; Cass. crim., 19 octobre 2010, trois arrêts, n° 10-82.306, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0916GCW), n° 10-82.902, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0917GCX) et n° 10-85.051, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0918GCY), et lire les obs. de R. Ollard, Le régime juridique de la garde à vue est déclaré contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme... mais n'en doit pas moins être appliqué, Lexbase Hebdo n° 52 du 9 novembre 2010 - édition professions (N° Lexbase : N5636BQS).
(2) Sur cette question, v. not., Modernisation des professions judiciaires ou juridiques : état des lieux pour la profession d'avocat, Lexbase Hebdo, n° 57 du 16 décembre 2010 - édition professions (N° Lexbase : N8417BQS) et l'analyse de D. Bakouche, Le contreseing de l'avocat, Lexbase Hebdo n° 42 du 2 septembre 2010 - édition professions (N° Lexbase : N7000BPX).
(3) Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 (N° Lexbase : L8607BBE).
(4) DDHC, art. 1er (N° Lexbase : L1365A9G).
(5) V. not., Aide juridictionnelle : genèse d'un système qui a trouvé ses limites, Lexbase Hebdo n° 38 du 1er juillet 2010 - édition professions (N° Lexbase : N6273BPZ) et Conclusion des Etats généraux sur l'aide juridictionnelle, Lexbase Hebdo n° 38 du 1er juillet 2010 - édition professions (N° Lexbase : N6157BPQ).
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