La lettre juridique n°422 du 6 janvier 2011 : Droit des étrangers

[Doctrine] Chronique de droit des étrangers - Janvier 2011

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 20 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de droit des étrangers, rédigée par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Au sommaire de cette chronique, trois arrêts du Conseil d'Etat concernant à la fois le contentieux des opérations de naturalisation et celui des différentes procédures de reconduite à la frontière. Dans un arrêt du 1er décembre 2010, le juge déclare irrégulier un décret portant retrait de l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française en raison de l'absence de notification ou de publicité à l'enfant intéressé. Le deuxième arrêt, rendu le 3 décembre 2010, est relatif aux modes de preuves des décrets de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française. Ainsi, selon le Conseil d'Etat, les dispositions du décret n° 2009-1671 du 28 décembre 2009, sur l'expérimentation de la déconcentration des décisions individuelles relatives aux demandes d'acquisition de la nationalité française (N° Lexbase : L1300IGA), sont régulières même si elles suppriment le Journal officiel comme mode de preuve des décrets de naturalisation ou de réintégration. Cela répond à l'objectif d'intérêt général de lutte contre la fraude et n'a ni pour objet, ni pour effet de priver les bénéficiaires de leur capacité à prouver leur nationalité française. Dans le dernier arrêt, enfin, rendu le 24 novembre 2010, le Conseil d'Etat réaffirme l'indépendance de la procédure de reconduite à la frontière d'un étranger ayant fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission en application de la Convention de Schengen du 19 juin 1990 par rapport à la procédure de reconduite classique de droit commun. Le Conseil d'Etat applique, en effet, les dispositions de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations aux étrangers (N° Lexbase : L0420AIE), signalés à la différence des étrangers reconduit selon la procédure classique.
  • Les dispositions d'un décret portant retrait de l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française sont irrégulières en l'absence de notification ou de publicité à l'enfant intéressé (CE 2° et 7° s-s-r., 1er décembre 2010, n° 332663, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4461GM8)

L'enfant mineur, dont l'un des deux parents acquiert la nationalité française, devient français de plein droit s'il a la même résidence habituelle que ce parent, ou s'il réside alternativement avec ce parent dans le cas de séparation ou divorce (1). Cette règle n'est, cependant, applicable que si le nom de l'enfant est mentionné dans le décret ou dans la déclaration de nationalité. Cela a bien été le cas en l'espèce dans le décret du 24 janvier 2002 accordant la nationalité française à la mère. Mais toute décision administrative individuelle peut, pendant le délai de recours pour excès de pouvoir, faire l'objet d'une décision de retrait qui annule la décision précédente, et le retrait des décrets de naturalisation a été soumis par le législateur, dans ce domaine, à des règles spéciales.

Le décret de naturalisation peut, ainsi, être rapporté sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai d'un an à compter de sa publication au Journal officiel lorsque l'administration s'aperçoit que l'intéressé ne remplissait pas les conditions de recevabilité. Ce délai est porté à deux ans en cas de mensonge ou de fraude (2) et ces dispositions s'appliquent, également, au cas de retrait par décret, pour un enfant mineur, de l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française. Si le décret initial de naturalisation a été pris alors que les conditions légales n'étaient pas réunies, la loi reconnaît à l'Etat la possibilité de rapporter ce décret dans un délai d'un an. Il y a donc ouverture de deux cas de retrait : lorsque le requérant ne satisfait pas aux conditions légales, ou lorsque la décision a été obtenue par mensonge ou par fraude (3). Le bénéficiaire d'un décret de naturalisation est, ainsi, dans une situation de relative insécurité juridique pendant ce délai d'un an, dès lors que c'est l'administration qui apprécie, lorsque cela est nécessaire, le respect des conditions posées par la loi. En l'espèce, un décret du 26 mars 2003 a rapporté le premier décret, en ce qu'il faisait bénéficier l'enfant de l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française par sa mère, au motif qu'à la date du décret de naturalisation, elle ne résidait plus au domicile de sa mère, mais au Maroc.

Il y a là une hypothèse de situation objective de non-satisfaction des obligations légales par le requérant dans le délai d'un an. Il suffit que le requérant ne remplisse pas, ou, plus précisément, n'ait pas rempli à l'époque de la signature du décret de naturalisation, une des conditions de recevabilité de la demande de naturalisation. L'administration peut, ainsi, constater la perte ou l'absence de résidence en France au moment du décret de naturalisation (4). Elle peut aussi considérer que le requérant n'a pas fixé en France le centre de ses intérêts en raison du maintien du conjoint à l'étranger (5), ou parce qu'il a épousé une ressortissante étrangère résidant à l'étranger après le dépôt de sa demande de naturalisation sans l'avoir signalé (6). Le retrait s'opère, toutefois, sous le contrôle du juge qui a considéré, par exemple, que le fait de se marier avec un étranger devant un consul étranger aussitôt après sa naturalisation n'est pas en soi un défaut d'assimilation (7). De même, l'inexactitude de certaines déclarations n'est pas obligatoirement une preuve de mauvaise moralité (8).

Si l'article 27-2 du Code civil s'applique, également, au cas de retrait, pour un enfant mineur, de l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française, sont, par suite, applicables (9) à ce cas de retrait, les dispositions selon lesquelles doivent être notifiés à l'intéressé ou, le cas échéant, à son représentant légal en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, les motifs de droit et de fait justifiant qu'il ait perdu la qualité de français (10). En l'espèce, l'enfant intéressé n'a pas reçu notification des motifs justifiant la perte de la qualité de français et il n'est ni établi ni allégué qu'un avis informatif ait été, à défaut, publié. Dès lors, la requérante est fondée à en demander en conséquence l'annulation. Le décret du 26 mars 2003 est annulé en tant qu'il rapporte, pour l'enfant intéressé, l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française par sa mère en application du décret du 24 janvier 2002.

A l'évidence, la décision du juge témoigne encore du renforcement de l'exigence de motivation et du contrôle juridictionnel en la matière. Avant la loi précitée du 22 juillet 1993, il était admis que la naturalisation relevait du pouvoir discrétionnaire et qu'elle pouvait être accordée ou refusée ad nutum. Refus et ajournement n'avaient pas à être motivés, et il ne pouvait être question d'un contrôle des juridictions administratives sur ces décisions (11). Le Conseil d'Etat avait, toutefois, logiquement considéré que la juridiction administrative pouvait demander au ministre les motifs de sa décision (12).

L'article 27 du Code civil impose, aujourd'hui, la motivation de toute décision déclarant irrecevable, ajournant ou rejetant une demande de naturalisation. Il en va de même s'agissant de la réintégration par décret (13) et, désormais, pour un décret portant retrait de l'effet collectif attaché à l'acquisition de la nationalité française. Il semble que l'exigence de motivation jointe au développement du contrôle juridictionnel contribue, ainsi, de plus en plus à changer le visage de la naturalisation, même si le Conseil d'Etat affirme toujours que la nationalité est une faveur et non un droit.

  • Le retrait de la production de l'exemplaire du Journal officiel de publication comme mode de preuve d'un décret de naturalisation est régulier dans la mesure où il répond à l'objectif d'intérêt général de lutte contre la fraude (CE 2° et 7° s-s-r., 3 décembre 2010, n° 337058, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4474GMN)

On ne peut avoir une idée exacte d'un système juridique si l'on fait abstraction des règles et des modalités de la preuve. Le caractère institutionnel de la nationalité et l'autonomie, fût-elle seulement partielle, de ce droit, ont conduit logiquement à un régime particulier de preuve ayant rendu effectives la précision et la spécificité des solutions de fond. La nationalité française est soumise à un régime de preuve légale excluant les présomptions. Le système était, à l'origine, extrêmement rigide et conçu dans ses moindres détails pour éviter tout écart. Les circonstances ont conduit, par la suite, à l'assouplir dans une double direction : quant à l'objet de la preuve d'abord, soit à titre général, soit au profit de certaines catégories déterminées de personnes, par la reconnaissance, ensuite, d'une valeur probatoire permanente à certains documents administratifs dont la possession dispense dans la vie courante de recourir à tout propos à d'autres moyens de preuve.

Cet ensemble ne consacre pas pour autant du point de vue juridique, un retour à de simples présomptions : l'élément essentiel de cet assouplissement est, en effet, fourni par la possession d'état qui est un faisceau concordant dans l'espace et dans le temps de faits objectifs et de présomptions. Celle-ci peut constituer le fondement d'un droit à régularisation, ce qui implique, en droit, l'extranéité, mais elle peut aussi suppléer à titre provisionnel l'absence de preuve complète. C'est en jouant sur ces conditions que la rigueur de la preuve légale a été plus ou moins desserrée pour parvenir, en fonction des situations, à considérer, à une relative diversification des solutions qui complète celle des règles de fond.

C'est dans cette logique qu'à été rendue la décision du Conseil d'Etat en date du 3 décembre 2010 quant à la régularité des dispositions du décret n° 2009-1671 du 28 décembre 2009 (14). Ce décret vient modifier le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 (N° Lexbase : L3371IMS) afin de mettre en oeuvre la décision du comité de modernisation des politiques publiques du 12 décembre 2007 et de simplifier l'instruction des demandes d'acquisition de la nationalité française. Pour ce faire, il institue, à titre expérimental, une procédure de déconcentration de l'instruction et du pouvoir de décision, en la matière, au bénéfice du préfet territorialement compétent.

Avant l'entrée en vigueur de ce dispositif expérimental, le pouvoir de décision de l'autorité préfectorale en matière de naturalisation se limitait au prononcé du classement sans suite de la demande prévu aux articles 35 et 41 du décret du 30 décembre 1993, le préfet n'étant amené, pour le surplus, qu'à émettre un avis quant à la suite pouvant être donnée à la demande. En vertu de l'article 2 du décret du 28 décembre 2009, et dans les préfectures désignées par l'arrêté d'application du même jour (15), il appartient, désormais, au préfet auprès duquel la demande de naturalisation a été déposée non seulement de la classer sans suite si le dossier requis ne satisfait pas aux exigences réglementaires mais, également, de statuer sur celle-ci, soit en proposant d'accueillir la demande, soit en opposant une décision défavorable au postulant qui ne satisfait pas aux conditions légales pour être naturalisé, ou dont la naturalisation n'apparaît pas opportune. Le nouveau dispositif a permis de réduire les délais de traitement des demandes (16) et les écarts de taux d'acceptation entre les départements.

Le décret du 28 décembre 2009 ne déroge, s'agissant de la procédure de naturalisation, qu'aux dispositions du titre V du décret du 30 décembre 1993. La réglementation demeure donc inchangée tant en ce qui concerne les demandes tendant à obtenir l'autorisation de perdre la qualité de français visées au titre VI qu'en ce qui concerne la perte et la déchéance de la nationalité française, ainsi que le retrait des décrets de naturalisation ou de réintégration envisagés au titre VII dudit décret. Mais il met aussi en oeuvre un mode preuve particulier, distinct de celui applicable aux autres modes d'acquisition de la nationalité française, qui peut, en ce sens, constituer une rupture du principe d'égalité.

Il prévoit que la preuve d'un décret de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française résulte de la production d'une ampliation de ce décret et que, lorsque cette pièce ne peut pas être produite, il peut y être suppléé par la production de la copie intégrale de l'acte de naissance de l'intéressé, de l'extrait de cet acte ou du livret de famille, sur lesquels figure la mention du décret ou, à défaut, par la production d'une attestation ministérielle délivrée à la demande de l'intéressé, de son représentant légal ou des administrations publiques françaises (17).

Ce faisant, le décret du 28 décembre 2009 modifie le décret du 30 décembre 1999 qui prévoyait, au surplus, comme mode de preuve la publication au Journal officiel. Cette publication a longtemps été considérée comme une condition d'efficacité du décret : le décret demeurait donc privé d'effet s'il n'était pas publié, et l'intéressé qui décédait entre la signature et la publication de son décret de naturalisation devait être considéré comme n'ayant jamais été français (18). Le législateur a consacré une solution plus respectueuse du droit commun des actes administratifs en disposant que les décrets de naturalisation "prennent effet à la date de leur signature sans, toutefois, qu'il soit porté atteinte à la validité des actes passés par l'intéressé ni aux droits acquis par des tiers antérieurement à la publication du décret sur le fondement de l'extranéité de l'intéressé" (19). C'est dire que la non-publication du décret rend seulement celui-ci inopposable.

Le Conseil d'Etat, saisi du décret, considère que la suppression du Journal officiel comme mode de preuve a été motivée par la volonté de lutter contre la fraude, objectif d'intérêt général. Il incombe, par ailleurs, à l'administration d'adresser à toute personne naturalisée, dès la publication de son décret de naturalisation, un extrait de ce décret, ainsi qu'une copie des actes d'état civil portant mention de la naturalisation. La production des documents permet, selon le Conseil d'Etat, au bénéficiaire d'un décret de naturalisation d'apporter la preuve de sa nationalité française et d'accomplir l'ensemble des démarches administratives pour lesquelles la preuve du décret de naturalisation est requise. Ainsi, et dans ces conditions, la circonstance que le décret attaqué supprime la possibilité de prouver l'existence d'un décret de naturalisation par la production de l'exemplaire du Journal officiel dans lequel le décret de naturalisation a été publié n'a ni pour objet, ni pour effet, de priver les bénéficiaires du décret de naturalisation de leur capacité à prouver leur nationalité française. Les dispositions du décret attaqué ne sont donc pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

De même, le fait de supprimer les "parents et alliés" de la liste des destinataires de l'attestation ministérielle permettant de suppléer l'absence de preuve de l'acquisition de la nationalité n'est pas, selon le Conseil d'Etat, de nature à priver d'effet le droit des tiers se prévalant d'un lien de droit avec une personne naturalisée de prouver auprès des administrations la naturalisation de cette dernière. En effet, les parents et alliés peuvent, d'une part, se procurer une copie de l'ampliation du décret auprès de la personne naturalisée et, d'autre part, les administrations publiques françaises peuvent obtenir auprès des services du ministre chargé des Naturalisations l'attestation de l'existence d'un décret de naturalisation.

Le fait de prévoir un mode de preuve particulier, distinct de celui applicable aux autres modes d'acquisition de la nationalité française, ne constitue pas, ainsi, une rupture du principe d'égalité.

  • Extension du principe d'indépendance de la procédure administrative de reconduite des étrangers signalés par l'application des dispositions de la loi du 12 avril 2000 (CE référé, 24 novembre 2010, n° 344411, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4405GLQ)

Un étranger de nationalité marocaine séjournant irrégulièrement en France a fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière pris par le préfet des Alpes Maritimes sur le fondement de l'article L. 531-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5803G4P). Cet article prévoit que, lorsqu'un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne a fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission en vertu d'une décision exécutoire prise par l'un des autres Etats parties à la Convention de Schengen et qu'il se trouve irrégulièrement sur le territoire métropolitain, l'autorité administrative peut décider qu'il sera d'office reconduit à la frontière. Le préfet a décidé le même jour le maintien de l'intéressé dans les locaux du centre de rétention administrative de Nice. Le placement en rétention a été prolongé par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nice. La reconduite à la frontière et le placement en rétention ont été contestés devant le tribunal administratif de Nice, où le juge des référés a rejeté la demande.

La reconduite à la frontière de l'étranger signalé (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 513-3 N° Lexbase : L1306HP3) constitue une mesure spécifique, distincte des mesures de reconduite à la frontière de l'étranger de droit commun, décrites au titre 1er du Livre V du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce que réaffirme le Conseil d'Etat en l'espèce. C'est le législateur qui a entendu instituer une procédure de reconduite à la frontière distincte de celle des arrêtés de reconduite à la frontière classiques (20). Cette solution fait, depuis lors, l'objet d'une confirmation jurisprudentielle constante (21). L'une des conséquences les plus immédiates pour l'intéressé est la non-application de l'article L. 512-1 de ce code (N° Lexbase : L6590HWY), qui organise un sursis automatique de la décision de reconduite lorsque celle-ci fait l'objet d'un recours en annulation (22). Plus généralement, l'ensemble du régime contentieux spécial des reconduites à la frontière organisé par les articles L. 776-1 (N° Lexbase : L1339HPB) et R. 776-1 (N° Lexbase : L3257AL9) et suivants du Code de justice administrative est inapplicable aux reconduites des étrangers signalés (CJA, art. L. 776-1, précité). Le requérant pourra, ainsi, par exemple, bénéficier d'une formation collégiale de jugement (23) et des conclusions du Rapporteur public, à la différence du reconduit de droit commun, qui se verra appliquer le régime du juge unique sans conclusions de l'article R. 776-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5636ICQ).

Mais, à défaut de texte contraire, la reconduite à la frontière de l'étranger signalé doit, selon le Conseil d'Etat, respecter les contraintes de l'article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, relative à l'obligation de motivation (24) et de l'article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 qui reconnaît un droit à être entendu (25). En se bornant à mentionner le numéro de signalement sans indiquer quel Etat a procédé à ce signalement, l'arrêté, en l'espèce, méconnaît l'obligation de motivation et porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et de venir. Constituée par l'obligation faite à une personne de revenir contre sa volonté dans son pays d'origine, cette illégalité est renforcée par le refus d'entendre préalablement l'intéressé.

Le Conseil d'Etat étend, en l'espèce, le principe d'indépendance à la procédure administrative en faisant application aux reconduites d'étrangers signalés des dispositions de l'article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000. Ces derniers bénéficient donc du droit de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur leur demande, des observations orales avant l'intervention de la décision de reconduite, à la différence des étrangers reconduits selon la procédure du titre premier du livre V du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (26). En modifiant les dispositions relatives à la reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière, le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des arrêtés de reconduite. Par suite, les autres dispositions concernant, notamment, les relations entre l'administration et les usagers, qui font obligation aux administrations de l'Etat de mettre à même un intéressé de présenter des observations écrites avant de prendre à son encontre une décision motivée en vertu de la loi du 11 juillet 1979, ne sont pas applicables aux arrêtés de reconduite à la frontière classiques, alors même que ces arrêtés doivent être motivés en vertu de cette loi du 11 juillet 1979.

Le Conseil d'Etat aurait pu unifier, en l'espèce, le contentieux de la reconduite à la frontière, dont la complexité confine parfois au byzantinisme en traitant de la même manière tous les étrangers faisant l'objet d'une telle mesure, quels que soient les motifs qui la fondent, mais il a préféré confirmer et réaffirmer la volonté univoque du législateur d'instituer une mesure de reconduite autonome (27).

Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz


(1) C. civ., art. 22-1 (N° Lexbase : L8907G9R).
(2) C. civ., art. 21-27 (N° Lexbase : L8911DND).
(3) C. civ., art. 27-2 (N° Lexbase : L2660AB7). Un troisième cas, visant à sanctionner l'obtention de la naturalisation par l'entremise d'un tiers (C. nat., art. 113 N° Lexbase : L4495DY7 et 114 N° Lexbase : L4496DY8), a été supprimé par la loi n° 93-933 du 22 juillet 1993, réformant le droit de la nationalité (N° Lexbase : L0191IPR), JO, 23 juillet 1993, p. 10342.
(4) Voir, par exemple, CE Contentieux, 10 mars 1995, n° 139866 (N° Lexbase : A3076ANA), ou CE Contentieux, 13 mai 1996, n° 158830 (N° Lexbase : A9193ANS).
(5) Voir, par exemple, CE Contentieux, 13 mai 1996, n° 153207 (N° Lexbase : A9113ANT) ou CE Contentieux, 9 février 1998, n° 170270 (N° Lexbase : A6387ASD).
(6) CE, 21 mai 1997, n° 157516 (N° Lexbase : A9810ADP).
(7) CE, 27 janvier 1954, Rec. CE, p. 44.
(8) CE, 15 février 1957, Rec. CE, p. 107.
(9) En vertu de l'article 62 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993, relatif à la manifestation de volonté, aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française (N° Lexbase : L3371IMS), JO, 31 décembre 1993, p. 18559.
(10) Article 59 du décret n° 93-1362 précité. L'intéressé dispose d'un délai d'un mois à dater de la notification ou de la publication de l'avis au Journal officiel pour faire parvenir au ministre chargé des Naturalisations ses observations en défense.
(11) Voir, en ce sens, CE, 21 juillet 1992, affirmant que le postulant n'était pas recevable à discuter l'opportunité d'une telle décision, Rec., p. 647, ou CE Contentieux, 6 février 1995, n° 144464 (N° Lexbase : A2649ANG).
(12) CE Contentieux, 27 mai 1983, n° 45690 (N° Lexbase : A8066ALC), Rec. CE, p. 219, concl. Denoix de Saint-Marc, ou encore CE, 30 décembre 1996, n° 159992 et n°159993 (N° Lexbase : A2289APH).
(13) CE Contentieux, 19 mars 1993, Dembo (N° Lexbase : A8962AMU), Rec. CE, Tables, p. 769.
(14) Décret n° 2009-1671 du 28 décembre 2009, sur l'expérimentation de la déconcentration des décisions individuelles relatives aux demandes d'acquisition de la nationalité française (N° Lexbase : L1300IGA), JO, 30 décembre 2009, p. 22768 ; il modifie, notamment, le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993, relatif à la manifestation de volonté, aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française (N° Lexbase : L3371IMS).
(15) Les départements concernés par l'expérimentation ont d'abord été : les Bouches-du-Rhône ; l'Hérault ; l'Isère ; la Loire-Atlantique ; le Loiret ; la Moselle ; le Nord ; l'Oise ; l'Orne ; le Pas-de-Calais ; le Puy-de-Dôme ; les Hautes-Pyrénées ; les Pyrénées-Orientales ; le Rhône ; Paris ; la Seine-Maritime ; la Seine-et-Marne ; les Yvelines ; la Seine-Saint-Denis ; le Val-de-Marne et le Val-d'Oise. La réforme a été généralisée à l'ensemble du territoire français, y compris dans les Dom-Tom, à compter du 1er juillet 2010, par le décret n° 2010-725 du 29 juin 2010, relatif aux décisions de naturalisation et de réintégration dans la nationalité française (N° Lexbase : L6377IM7), JO, 30 juin 2010, p. 11820.
(16) Ils sont passés de 10 mois en 2009 à 4 mois en 2010 pour les dossiers rejetés. Pour les décisions de naturalisation, ils sont passés de 12 mois en 2009 à 5 mois en 2010.
(17) Article 4 du décret n° 2009-1671 du 28 décembre 2009, sur l'expérimentation de la déconcentration des décisions individuelles relatives aux demandes d'acquisition de la nationalité française (N° Lexbase : L1300IGA).
(18) Cass. civ., 16 juillet 1894, S. 1894, 1, p. 457, ou CA Paris, 2 mars 1938, Rev. crit. DIP, 1938, p. 232, note Batiffol.
(19) Article 51 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993, préc..
(20) CE avis, 22 mai 1996, n° 176895 (N° Lexbase : A9415ANZ), LPA, 1996, 28 octobre, n° 130, p. 13, note E. Aubin, AJDA, 1996, p. 703, concl. Denis-Linton.
(21) Voir, par exemple, CE, 21 mai 1997, n° 169563 (N° Lexbase : A9911ADG), ou CE Contentieux, 3 septembre 1997, n° 170757 (N° Lexbase : A7751ADG).
(22) CE avis, 22 mai 1996, n° 176895, préc..
(23) CE Contentieux, 30 juillet 1997, n° 169564 (N° Lexbase : A0960AEB).
(24) Loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public (N° Lexbase : L8803AG7), JO, 12 juillet 1979, p. 1711.
(25) Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (N° Lexbase : L0420AIE), JO, 13 avril 2000, p. 5646.
(26) CE Contentieux, 19 avril 1991, n° 120435 (N° Lexbase : A9896AQL), Rec. CE , p. 149, AJDA, 1991, p. 641, concl. A.-M. Leroy.
(27) Cf. Conclusions Denis-Linton, AJDA, 1996, p. 703, sous CE, avis, 22 mai 1996, n° 176895, préc..

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