Réf. : Cass. civ. 3, 26 mai 2016, n° 15-12.750, F-D (N° Lexbase : A0183RR9) ; CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 20 mai 2016, n° 14/09332 (N° Lexbase : A1340RQP)
Lecture: 12 min
N3158BWU
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"
le 09 Juin 2016
Solution
L'action introduite par le bailleur, avant la mise en redressement judiciaire du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure ne peut, dès lors qu'elle n'a donné lieu à aucune décision passée en force de chose jugée, être poursuivie après ce jugement. Les effets attachés au principe de l'interdiction des poursuites individuelles doivent être, au besoin, relevés d'office.
Faits
En l'espèce, des locaux à usage commercial avaient été donnés à bail. Après avoir délivré, le 15 mars 2011, au locataire, un commandement, visant la clause résolutoire, de payer un arriéré de loyers, le bailleur l'a assigné en constatation de la résiliation du bail, expulsion, paiement des loyers dus et fixation de l'indemnité d'occupation. Par jugement (au fond) du 19 septembre 2012, le tribunal de grande instance a, notamment, constaté la résiliation du bail et ordonné l'expulsion du locataire. Ce dernier a interjeté appel du jugement et, postérieurement mais avant que la cour d'appel ne statue, le tribunal de commerce a prononcé son redressement judiciaire. La cour d'appel, dans un arrêt du 2 décembre 2014 (1), a confirmé le jugement de première instance en ce qu'il avait constaté la résiliation du bail et ordonné l'expulsion. Le locataire s'est pourvu en cassation. Au regard de la jurisprudence, la solution encourait inéluctablement la cassation.
Observations
La clause résolutoire, ou clause de résiliation, est une clause qui prévoit qu'en cas d'inexécution par l'une des parties à un contrat de ses obligations, ce dernier sera résilié de plein droit. Compte tenu de la gravité de la sanction, qui contredit la protection qu'a entendu accorder le législateur à l'exploitant d'un fonds de commerce, l'article L. 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L5769AII) en a largement tempéré les effets. Cette limitation des effets de la clause résolutoire et les solutions jurisprudentielles dégagées sur ce point ont conduit la Cour de cassation à estimer que cette résiliation n'avait plus rien d'amiable (2).
L'article L. 145-41 du Code de commerce prévoit, d'une part, que la clause prévoyant la résiliation de plein droit ne peut produire effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux, commandement qui doit mentionner, à peine de nullité, ce délai. Il offre, d'autre part, au juge saisi d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues aux articles 1244-1 (N° Lexbase : L1358ABW), 1244-2 (N° Lexbase : L1359ABX) et 1244-3 (N° Lexbase : L1360ABY) du Code civil, en accordant des délais, la faculté de suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation.
L'article L. 145-41 du Code de commerce prévoit une limite à cette faculté judiciaire de suspendre les effets de la clause résolutoire : la résiliation ne doit pas avoir été constatée ou prononcée par une "décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée".
La question s'est posée des effets de l'ouverture d'une procédure collective du locataire postérieurement à l'acquisition d'une clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers.
Il a été jugé, de manière constante, que si à la date du jugement d'ouverture, la résiliation en vertu d'une clause résolutoire pour non-paiement de loyers antérieurs à ce jugement n'était pas constatée par une décision ayant "force de chose jugée", la résiliation ne pouvait plus être poursuivie (3). La solution se fonde notamment sur la règle de l'interruption et de la suspension des poursuites entraînées par l'ouverture d'une procédure collective (C. com., art. L. 622-21 N° Lexbase : L3452ICT) et sur les dispositions de l'article de l'article L. 145-41 du Code de commerce qui subordonnent la résiliation définitive du bail à une décision de justice ayant "acquis autorité de la chose jugée", puisque jusqu'à la survenance d'une telle décision, la suspension des effets de la clause peut être ordonnée (4).
L'arrêt rapporté, rendu au visa de l'article L. 622-21, I, du Code de commerce rappelle cette solution.
A l'instar des précédentes décisions rendues sur ce point, l'arrêt du 26 mai 2016 vise l'absence de "décision passée en force de chose jugée" et non, comme l'article L. 145-41 du Code de commerce l'envisage, de "décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée".
Les deux notions sont différentes : un jugement a autorité de la chose jugée relativement à la contestation tranchée dès son prononcé (C. proc. civ., art. 480 N° Lexbase : L6594H7D) (5), tandis qu'il a force de chose jugée s'il n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution ou, s'il est susceptible d'un tel recours, à l'expiration du délai de recours si ce dernier n'a pas été exercé dans les délais (C. proc. civ., art. 500 N° Lexbase : L6617H79).
L'arrêt rapporté rappelle également que le juge est tenu de relever, au besoin d'office, les effets attachés au principe de l'interdiction des poursuites individuelles (6).
Solution
Doit être réputée non écrite la clause d'indexation qui prévoit que la première indexation interviendra moins d'un an après la date d'effet du bail, alors qu'elle stipule que la période de variation de l'indice à prendre en compte pour l'indexation est de une année.
Faits
En l'espèce, un bail signé 25 juin 1998 à effet au 1er juillet 1998 stipulait une clause d'indexation du loyer libellée comme suit : "il est expressément convenu qu'en application des dispositions de l'article 28 du décret du 30 septembre 1953, le loyer sera modifié annuellement de plein droit et sans aucune formalité le 1er janvier de chaque année proportionnellement aux variations de l'Indice national du coût de la construction publié par l'INSEE ; la première révision prendra effet le 1er Janvier 1999 et ensuite chaque année à la même date.
L'indice de référence sera celui du 4ème trimestre 1997 soit 1068.
C'est donc la variation constatée d'une année sur l'autre de l'indice de ce même trimestre qui sera retenue pour le calcul de l'indexation de loyer.
En cas de retard dans la publication de l'indice, le loyer pourra être calculé par provision en fonction du dernier indice publié".
Les parties avaient renouvelé le bail par acte du 29 juin 2007, moyennant un loyer porté à la somme annuelle en principal de 70 250,16 euros étaient convenues que les clauses et conditions du bail précédent non modifiées par des dispositions nouvelles conserveraient leur plein effet et en particulier la clause d'indexation figurant dans le bail expiré.
Le locataire, estimant que la clause d'indexation était irrégulière au regard des dispositions de l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5471ICM), a assigné le bailleur pour voir juger non écrite la clause d'indexation et obtenir le remboursement des loyers indûment versés à ce titre.
Observations
L'article L. 112-1, alinéa 2, du Code monétaire et financier dispose que "est réputée non écrite toute clause d'un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d'une période de variation de l'indice supérieure à la durée s'écoulant entre chaque révision".
Cette prohibition d'une période de variation de l'indice supérieure à celle s'écoulant entre les révisions, malgré son ancienneté (elle résulte de l'article 10 de la loi n° 77-1457 du 29 décembre 1977, relative à diverses dispositions en matière de prix) a donné récemment lieu à un abondant contentieux ayant abouti à plusieurs décisions de la Cour de cassation qui en précisent les contours.
La Haute cour a ainsi jugé que la clause d'indexation à indice de base fixe n'était pas, sur le principe, irrégulière (7) si l'application d'un indice de référence fixe n'a pas conduit lors des indexations successives à une distorsion entre l'intervalle de variation indiciaire et la durée s'écoulant entre deux révisions (8), distorsion qui peut se produire, par exemple, en cas de modification du loyer en cours de bail sans modification de la clause d'indexation (9).
La Cour de cassation a également précisé que la clause d'indexation, qui exclut la réciprocité de la variation et stipule que le loyer ne peut être révisé qu'à la hausse, est nulle (10).
Dans l'arrêt rapporté, la question était posée de savoir si la clause d'indexation qui conduit, lors de la première indexation seulement, à la prise en compte d'une période de variation de l'indice supérieure à la durée qui s'est écoulée entre la date d'effet du bail et la date de la première indexation, tombait dans le champ de cette interdiction.
En l'espèce, le bail avait pris effet au 1er juillet 1998 et il prévoyait une indexation de plein droit (bien que la référence aux dispositions de l'article 28 du décret du 30 septembre 1953, devenu l'article L. 145-38 du Code de commerce N° Lexbase : L5034I3T, fût maladroite puisque ce texte concerne la révision triennale qui ne doit pas être confondue avec une indexation conventionnelle) au 1er janvier de chaque année.
La première indexation devait donc intervenir le 1er janvier 1999, ce que la clause prévoyait du reste expressément en visant cette date pour la "première révision".
La clause d'indexation visait également un indice de référence (4ème trimestre 1997) et imposait de retenir "la variation constatée d'une année sur l'autre de l'indice de ce même trimestre [...] pour le calcul de l'indexation de loyer".
En conséquence, la période de variation de l'indice prévue (un an) était supérieure à la durée qui s'est écoulée entre l'application du loyer initial et la première indexation (six mois).
Toutefois, pour les indexations postérieures, les prescriptions de l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier devraient a priori être respectées puisque la durée s'écoulant entre chaque révision (chaque 1er janvier) est égale à la période de variation de l'indice que la clause d'indexation a prévu (période de variation de un an). La cour d'appel relève d'ailleurs que les indexations ultérieures (mais pour une raison qui n'est pas expliquée, seulement à compter du 1er janvier 2005), période de révision et période de variation de l'indice ont coïncidé.
La "distorsion" lors de la première indexation seulement était-elle de nature à entraîner l'irrégularité de la clause ? La réponse n'apparaît pas nécessairement évidente au regard de la lettre de l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier qui interdit "la prise en compte d'une période de variation de l'indice supérieure à la durée s'écoulant entre chaque révision". Or, à l'occasion de la première indexation, le loyer n'a pas été préalablement révisé par le jeu de la clause d'indexation puisqu'il s'agit du loyer initialement convenu.
La cour d'appel de Paris a considéré qu'une telle clause était cependant irrégulière dès lors qu'elle créée une distorsion prohibée entre la période de variation de l'indice et la durée s'écoulant entre chaque révision (11). En réalité, l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier n'interdit pas toute distorsion et n'impose pas en conséquence une coïncidence parfaite entre période de révision et période de variation de l'indice, seule la distorsion induite par une période de variation de l'indice supérieure à celle de la révision étant proscrite.
Cette décision est également intéressante en ce qu'elle a infirmé le jugement objet de l'appel qui avait pratiqué un "dépeçage" de la clause d'indexation (12). Le juge de première instance avait en effet distingué le principe de l'indexation, considéré conforme aux dispositions de Code monétaire et financier, et les modalités de la première indexation, jugées non conformes à ces dispositions.
La cour d'appel de Versailles avait consacré une approche similaire en maintenant l'application d'une clause d'indexation tout en éradiquant la seule stipulation qui limitait ses effets à la hausse jugée contraire aux dispositions du Code monétaire et financier (13).
Dans l'arrêt rapporté, la cour d'appel de Paris ne semble pas rejeter sur le principe la possibilité de maintenir une clause d'indexation en éradiquant les seules stipulations irrégulières de cette clause. Elle précise en effet que "la clause telle qu'elle était libellée formait un tout indivisible" et que les parties étaient convenues que "cette clause constituait une clause essentielle et déterminante de leur engagement sans opérer de distinction entre les différentes propositions". La Cour de cassation a retenu une approche similaire. Dans l'arrêt du 25 février 2016 condamnant les clauses d'indexation à la hausse, elle avait en effet également approuvé la cour d'appel d'avoir réputé une telle clause non écrite dans son entier, en considération du "caractère essentiel de l'exclusion d'un ajustement à la baisse du loyer à la soumission du loyer à l'indexation" (14).
(1) CA Lyon, 2 décembre2014, n° 13/03482 (N° Lexbase : A6890M4X).
(2) Rapport annuel de la Cour de cassation 2006, page 339.
(3) V., not., Cass. com., 12 juin 1990, n° 88-19.808, publié (N° Lexbase : A4395ACR), Bull. civ. IV, n° 172, D., 1990, jur., p. 450, note F. Derrida ; Cass. civ. 3, 9 janvier 2008, n° 06-21.499, FS-P+B (N° Lexbase : A2696D3A), Bull. civ. III, n° 1, Rev. loyers 2008/885, n° 714, note Ch.-H. Gallet, AJDI, 2008, p. 288, note M.-P. Dumont-Lefrand, Loyers et copr., 2008, comm. n° 83, note Ph.-H. Brault ; Cass. com., 28 octobre 2008, n° 07-17.662 (N° Lexbase : A0621EBM), Bull. civ. IV, n° 184, nos obs. Lexbase, éd. priv., 2008, n° 328 (N° Lexbase : N7648BHQ), Rev. loyers, 2009/893, n° 888, note C.-H. Gallet, Gaz. Pal., 6 et 7 février 2009, p. 32, note C.-E. Brault, Loyers et copr., 2008, comm. n° 280, note P.-H. Brault ; Cass. com., 2 octobre 2012, n° 11-21.529, F-D (N° Lexbase : A9712ITU).
(4) V., sur le plein effet d'une clause résolutoire d'un crédit-bail immobilier acquise avant le jugement d'ouverture dès lors qu'"aucun texte n'autorise la suspension des effets d'une clause résolutoire d'un contrat de crédit-bail immobilier" : Cass. com., 8 avril 2015, n° 14-11.129, F-D (N° Lexbase : A5190NGC), Rev. proc. coll., 2015, n° 4, p. 49, note F. Macorig-Venier.
(5) Sur la question de l'autorité de chose jugée des ordonnances de référé constatant l'acquisition d'une clause résolutoire, v. Cass. civ. 3, 15 octobre 2008, n° 07-16.725, FS-P+B (N° Lexbase : A8054EAK), Bull. civ. III, n° 152 ; nos obs., Lexbase, éd. privée, 2008, n° 324 (N° Lexbase : N4986BH7) ; Rev. loyers, 892/2008, n° 868, note C.-H. Gallet ; Gaz. Pal., 6 et 7 février 2009, p. 6, note C.-E. Brault ; Loyers et copr., 2008, comm. n° 279, note E. Chavance.
(6) V. également en ce sens, Cass. civ. 3, 18 septembre 2012, n° 11-19.571, F-D (N° Lexbase : A2449ITU)
(7) Cass. civ. 3, 16 octobre 2013, n° 12-16.335, FS-P+B (N° Lexbase : A0870KNK), Rev. loyers, 2013/942, n° 1692, note M.-O Vaissié et H. Chaoui.
(8) Cass. civ. 3, 11 décembre 2013, n° 12-22.616, FS-P+B (N° Lexbase : A3495KRU), Bull. civ. III, n° 159 ; nos obs., Lexbase, éd. aff., 2013, n° 363 (N° Lexbase : N9990BT8) ; Rev. loyers, 2014/943, n° 1718, note M.-O Vaissié et H. Chaoui ; AJDI, 2014, p. 1, note J.-P. Blatter. Voir également Cass. civ. 3, 3 décembre 2014, n° 13-25.034, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0655M7E), Rev. loyers 2015/953, n° 1962, note de B. de Lacger ; Loyers et copr., 2014, comm. n° 13, note E. Chavance.
(9) Cass. civ. 3, 25 février 2016, n° 14-28.165, FS-P+B (N° Lexbase : A4429QDE).
(10) Cass. civ. 3, 25 février 2016, n° 14-28.165, FS-P+B, préc., Rev. Loyers, 2016/966, n° 2318, nos obs..
(11) V. également, en ce sens, CA Versailles, 20 octobre 2015, n° 15/00545 (N° Lexbase : A6871NTN) et TGI Paris, 18ème ch., 10 mars 2016, n° 14/13510 (N° Lexbase : A8365RLE), bien que dans cette dernière décision, le tribunal ait également relevé que la distorsion se retrouvait à chaque indexation.
(12) V. également, refusant de "corriger" partiellement la clause d'indexation CA Chambéry, 3 mai 2016, n° 14/01670 (N° Lexbase : A8879RMS) et CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 20 janvier 2016, n° 13/21626 (N° Lexbase : A2179N4H).
(13) CA Versailles, 10 mars 2015, n° 13/08116 (N° Lexbase : A0193NDI).
(14) Cass. civ. 3, 25 février 2016, n° 14-28.165, préc..
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453158