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par Thierry Lambert, Professeur à l'université Paul Cézanne Aix Marseille III
le 07 Octobre 2010
Par ordonnances rendues les 18 et 21 mai 2001, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a autorisé les agents de l'administration fiscale, en vertu des dispositions de l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L0920IES), à effectuer des visites et des saisies de documents dans des locaux et dépendances d'une société et de deux particuliers, en vue de rechercher la preuve de la fraude fiscale qui aurait été commise par la société anonyme Navitrans.
L'article L. 16 B précité dispose que l'ordonnance rendue par le juge doit préciser l'adresse des lieux à visiter, doit comporter le nom et la qualité du fonctionnaire habilité qui a sollicité et obtenu l'autorisation de procéder aux opérations de visite, et doit donner l'autorisation au fonctionnaire qui procède aux opérations de visite de recueillir sur place, des renseignements et justifications auprès de l'occupant des lieux ou de son représentant et, s'il est présent, du contribuable.
A suivre la Cour de cassation, l'ordonnance autorisant les opérations de visite et de saisie ne doit pas obligatoirement préciser la nature des investigations envisagées (Cass. com. 7 juin 1994, n° 92-20.610, Société Art et style d'Aquitaine et autres c/ Direction générale des impôts N° Lexbase : A3976ACA). En outre, le juge judiciaire n'a pas l'obligation de mentionner, dans l'ordonnance autorisant une visite domiciliaire et une saisie de documents par les agents de l'administration fiscale, les années correspondant aux exercices sur lesquels portent l'autorisation (Cass. com. 5 octobre 1999, n° 97-30.351, M. Michel Cloarec c/ Direction générale des impôts N° Lexbase : A8234AHG).
Par un arrêt important la Cour européenne des droits de l'Homme a conclu à la non-conformité du droit de visite et de saisie, prévu à l'article L. 16 B, avec les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) qui accorde à toute personne une voie de recours, c'est-à-dire le bénéfice d'un contrôle juridictionnel effectif, en vertu du principe au droit à un procès équitable (CEDH, 21 février 2008, n° 18497/03, Ravon et a. c/ France N° Lexbase : A9979D4D). Il a été jugé que l'encadrement judiciaire de la mise en oeuvre des visites n'était, à aucun moment, de nature à garantir l'accès à un tribunal au sens de la jurisprudence de la Cour.
Les conséquences de cette décision ont été tirées dans l'article 164 de la loi de modernisation de l'économie (loi n° 2008-776 du 4 août 2008 N° Lexbase : L7358IAR) qui a modifié l'article L. 16 B de façon à renforcer les droits de la défense du contribuable et à assurer la conformité de ce dispositif à la Convention européenne.
Au titre du renforcement des garanties accordées au contribuable, signalons le fait que les agents de l'administration fiscale doivent mentionner dans le procès-verbal relatant le déroulement de la visite que le contribuable a essayé de joindre son conseil ou l'a joint. Par ailleurs, mention est faite de l'arrivée du conseil au même procès-verbal, les observations de ce dernier étant consignées sur ce document. Dorénavant l'ordonnance du juge des libertés et de la détention peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel territorialement compétente, dans un délai non suspensif de quinze jours. Dans le même délai le premier président peut avoir à connaître des recours contre le déroulement des opérations de visites et de saisies (BOI 13 K-4-09 N° Lexbase : X6048AEQ).
Dans deux avis du 16 janvier 2009 (n° 2009-0098 et n° 2009-0118) la commission d'accès aux documents administratifs précise que l'ordonnance autorisant les opérations de visite et de saisie ainsi que les procès-verbaux afférents à ces mêmes opérations sont des documents qui, relevant de l'autorité judiciaire, ne peuvent être regardés comme des documents administratifs. En conséquence, la commission est incompétente pour se prononcer sur une demande tendant à la communication desdits documents.
En l'espèce, le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a statué, le 11 février 2009, sur les ordonnances rendues, les 18 et 21 mai 2001, par le juge des libertés et de la détention. Le premier président avait joint les recours, et conclu qu'il n'y avait pas lieu à annulation des opérations de visites et saisies.
On ne sait si la Cour de cassation se montre laxiste ou réaliste. En l'espèce, la Cour, dans son arrêt du 15 décembre 2009, valide le fait que les ordonnances, rendues et signées par le juge, puissent être "rédigées dans les mêmes termes que d'autres décisions visant les mêmes personnes et rendues par d'autres magistrats dans les limites de leur compétence". Autrement dit, il n'y a rien de suspect au copié-collé. Dans une autre affaire, elle fait crédit au premier juge en jugeant que le nombre de pièces produites ne peut, à lui seul, laisser présumer que le premier juge s'est trouvé dans l'impossibilité de les examiner et d'en déduire l'existence de présomptions de fraude fiscale (Cass. com., 2 février 2010, n° 09-13.795, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A2063ERT).
Dans l'affaire qui nous occupe, le procès-verbal a été réceptionné, ou remis, antérieurement à la loi du 4 août 2008, instaurant la procédure d'appel. Le recours peut être formé dans les mêmes cas et délais et selon les mêmes modalités que l'appel contre l'ordonnance ayant autorisé ces opérations. Dès lors, le premier président ne peut être saisi de la contestation des conditions dans lesquelles celles-ci ont été effectuées dans le cadre du recours spécifiquement prévu par la loi. En conséquence, les contribuables qui ont déclaré relever appel des ordonnances des 18 et 21 mai 2001, et non former un recours contre le déroulement de ces opérations, ne sont pas recevables à le critiquer.
Chacun sait que l'article L. 16 B du LPF est un article mal né. Malgré les retouches qui lui ont été apportées, ne doutons pas que la saga jurisprudentielle continuera dans les prochaines semaines.
II - Le caractère illégal d'un acte de poursuite ne le prive pas de son effet interruptif au regard de la prescription : CE 9° et 10°s-s-r., 30 décembre 2009, n° 308242, M. de Beaufort (N° Lexbase : A0332EQD)
Un commandement à payer illégal, faute d'exigibilité de la somme sur laquelle il portait, mais régulièrement notifié, est-il de nature à interrompre la prescription ? La combinaison des articles L. 274 (N° Lexbase : L3884ALG) et L. 281 (N° Lexbase : L8541AE3) du LPF doit être envisagée.
L'article L. 274 précité énonce que les comptables du trésor disposent d'un délai de quatre ans pour recouvrer les impositions, faute de quoi ils "sont déchus de tous droits et de toute action" contre les redevables. Toutefois, ce délai de quatre ans peut être interrompu par "tous actes comportant reconnaissance de la part des contribuables et par tous actes interruptifs de la prescription".
Sont, notamment, de nature à interrompre la prescription, le versement partiel d'un impôt, dont le recouvrement est poursuivi, effectué par un contribuable (CE 29 octobre 2001, n° 220567, Aveline N° Lexbase : A1762AXK, BDCF, 14, concl., Goulard), un commandement notifié au contribuable (CE Contentieux, 25 mai 1988, n° 64383 N° Lexbase : A6712APB, DF, 1990, comm. 385), la souscription par le contribuable d'un engagement de règlement de sa dette, qui vaut reconnaissance de cette dernière (CAA Paris, 26 septembre 1992, n° 697, DF, 1992, comm. 1082), l'acte de saisie-attribution signifié au tiers par l'huissier (CE Contentieux, 17 mars 1993, n° 93741, M. d'Errico N° Lexbase : A8707AMG) ou encore un avis à tiers détenteur portant sur un compte bancaire débiteur (CAA Lyon, 2ème ch., 20 juin 1996, n° 93LY00985, Ministre du Budget c/ Frezet, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0065AXP).
Pour sa part, la doctrine administrative précise que chaque acte de la procédure de saisie vente, tel que le procès-verbal de saisie, est interruptif de prescription. Le point de départ du nouveau délai de quatre ans se situe à la date d'établissement de l'acte par l'huissier (DB 12 C-6211 du 30 octobre 1999).
La demande de paiement faite sous la forme d'un avis de mise en recouvrement à l'un des redevables solidaires, ou au débiteur principal, interrompt la prescription contre tous les autres débiteurs solidaires (LPF, art. L. 275 N° Lexbase : L3942ALL).
L'article L. 281 du même livre énonce que des contestations relatives au recouvrement sont envisageables et qu'elles peuvent porter soit sur la régularité en la forme de l'acte, soit sur l'existence de l'obligation de payer. A noter qu'un contribuable n'est pas recevable à contester, à l'occasion d'un litige relatif au recouvrement, la procédure d'imposition et le bien-fondé de l'impôt (CE 7° et 8° s-s-r., 13 novembre 1974, n° 90511, Ministre des Finances c/ Société X. N° Lexbase : A9716B7Y, DF, 1975, comm. 163).
On considère généralement qu'une mise en demeure constitue le premier acte interruptif de la prescription à condition, toutefois, qu'elle vaille commandement et qu'elle soit suivie d'une saisie-vente dans le nouveau délai de prescription qu'elle ouvre (LPF, art. L. 258 N° Lexbase : L2972IAC et L. 261 N° Lexbase : L8472AEI).
Le principe ne se discute pas : le commandement à payer appartient aux actes interruptifs de prescription (CE Contentieux, 25 mai 1988, n° 64383, Gautier N° Lexbase : A6712APB, DF, 1990, comm. 385) s'il a été présenté à l'adresse du contribuable et que la notification en a été faite dans le délai de prescription de quatre ans, même si le contribuable ne l'a retiré qu'après ce délai (TA Grenoble, 20 février 1996, n° 93.2795, RJF, 1996, comm. 822). Le Conseil d'Etat a jugé qu'un commandement à payer, à condition qu'il soit régulier et précédé d'une lettre de rappel, constitue une cause d'interruption de prescription. Il n'est pas nécessaire qu'il soit suivi d'une saisie dans un certain délai (CE Contentieux, 11 mai 1994, n° 093770, M. Mischke N° Lexbase : A0762ASZ).
En l'espèce, le Conseil d'Etat, comme l'avait fait avant lui la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 3ème ch., 29 mai 2007, n° 06VE00469, M. Ghislain De Beaufort N° Lexbase : A2023DX9), a jugé qu'un commandement à payer illégal, faute d'exigibilité de la somme sur laquelle il portait, n'est pas de nature à priver cet acte, qui avait néanmoins été régulièrement notifié, de son effet interruptif de prescription. A suivre la Haute assemblée, "l'absence de bien-fondé d'un acte de poursuite dont l'administration revendique le caractère interruptif est sans incidence sur la manifestation de volonté de l'administration et, par suite, sur le caractère interruptif de prescription de cet acte". Le Conseil d'Etat accepte l'idée que l'on puisse reconnaître un acte de volonté de l'administration exprimé par un acte illégal.
III - Conséquences de l'annulation d'une procédure de redressement judiciaire sur une procédure fiscale en cours : CE 3° et 8° s-s-r., 25 novembre 2009, n° 299672, M. Bacquet (N° Lexbase : A1295EPN)
Monsieur B., notaire de son état, a fait l'objet d'un redressement fiscal qu'il a contesté en faisant une réclamation assortie d'une demande sursis de paiement. A l'issue d'une procédure de redressement judiciaire contre une société dont il avait été déclaré dirigeant de fait, le contribuable a été placé en redressement judiciaire à titre personnel. Cette procédure fut annulée.
La question est de savoir quelles sont les conséquences de l'annulation d'une procédure de redressement judiciaire sur une procédure fiscale en cours.
Il est un principe selon lequel un comptable des impôts peut exercer son droit de poursuite individuelle, si le liquidateur n'a pas entrepris la liquidation des biens grevés dans un délai de trois mois à compter du jugement qui ouvre, ou prononce, la liquidation judiciaire (LPF, art. L. 269 A N° Lexbase : L5868HI8). L'article L. 274 du LPF énonce que les comptables du Trésor doivent faire des diligences dans les quatre ans, à partir du jour de la mise en recouvrement du rôle, contre les contribuables retardataires, faute de quoi ils "perdent leur recours et sont déchus de tous droits et de toute action" contre ces redevables.
Le contribuable a saisi le tribunal administratif de Lille aux fins de se voir décharger de son obligation de payer les sommes portées sur les avis à tiers détenteur émis au motif que sa dette fiscale se trouvait éteinte depuis la mise en recouvrement des impositions en litige par l'effet de la prescription de l'action du comptable (LPF, art. L. 274). Le tribunal administratif, puis la cour administrative d'appel de Douai dans un arrêt du 3 octobre 2006, n'ont pas fait droit aux différentes demandes du contribuable (CAA Douai, 2ème ch., 3 octobre 2006, n° 05DA01151, M. Francis Bacquet N° Lexbase : A0094DSB).
Le Conseil d'Etat, dans sa décision du 25 novembre 2009, s'est prononcé sur la délicate question de la prescription et au fond.
Dans cette affaire, la question de la prescription et celle des actes interruptifs de prescription étaient de nature à soulever quelques difficultés. Le Conseil a retenu de l'instruction que les impositions ont été mises en recouvrement le 15 novembre 1985. La prescription a été interrompue par un avis à tiers détenteur, émis par la trésorerie et notifié au contribuable le 19 août 1987. Le 6 janvier 1988 le contribuable a formulé une demande de sursis de paiement, jointe à sa réclamation, ce qui a suspendu l'exigibilité de l'impôt. A la suite du rejet de la réclamation préalable le requérant a saisi le tribunal administratif. Le délai de l'action en recouvrement (LPF, art. L. 274) a été suspendu pendant l'instance devant le tribunal administratif et a recommencé à courir le 24 mars 1995, date de la notification du jugement rendu le 16 février de la même année. Le jugement du tribunal de commerce du 23 juin 1995, ouvrant la procédure de redressement judiciaire à titre personnel, a suspendu ce délai jusqu'à son annulation par la cour d'appel le 8 novembre 2001. En conséquence, les avis à tiers détenteur des 17, 22 et 24 juillet 2002 sont intervenus avant l'expiration du délai dont disposait le comptable pour poursuivre le recouvrement de sa créance.
Concernant le règlement au fond, le Conseil d'Etat a entendu répondre aux moyens soulevés en s'appuyant sur un certain nombre de principes.
D'une part, la Haute assemblée affirme un principe selon lequel l'annulation de la procédure de redressement judiciaire ne remet pas en cause le caractère interruptif du délai de la déclaration de créance au passif et, par suite, l'interruption de la prescription de recouvrement de l'impôt.
D'autre part, dans le cas où le jugement du tribunal de commerce prononçant l'ouverture du redressement judiciaire est annulé, cette annulation a pour effet de remettre le débiteur dans la situation existant au jour de ce jugement.
Enfin, l'administration est fondée à réclamer au débiteur le montant des intérêts moratoires qui avaient été calculés jusqu'à la date de ce jugement et dont le cours a finalement repris et, de procéder au décompte des ces intérêts à compter de la date de sa notification. Le contribuable n'est pas, par conséquent, fondé à se prévaloir des dispositions de l'article L. 621-48 du Code de commerce (N° Lexbase : L6900AIE) selon lequel : "le jugement d'ouverture du redressement judiciaire arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que tous intérêts de retard et majorations".
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