Réf. : Cass. civ. 1, 2 février 2010, n° 10-11.295, Mme Souad Bellil, veuve Ben Rehouma, F-P+B (N° Lexbase : A7926ERY)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
le 07 Octobre 2010
I - La désignation de la personne la mieux placée pour connaître les souhaits du défunt
Primauté de la volonté du défunt. La règle à suivre est rappelée par la Cour de cassation dans l'arrêt du 2 février 2010 : "il convenait de rechercher par tous moyens quelles avaient été les intentions du défunt en ce qui concerne l'organisation de ses funérailles et, à défaut, de désigner la personne la mieux qualifiée pour décider de leurs modalités". Tout le droit des funérailles est, en effet, fondé autour de la notion de "dernières volontés" dès lors que celles-ci ne sont pas contraires à l'ordre public et aux bonnes moeurs (2). Le choix des modalités de ses propres funérailles peut, en effet, être considéré comme relevant d'une liberté individuelle, même si la Cour européenne des droits de l'Homme a pu affirmer que cette liberté n'était pas à l'abri d'un certain pouvoir de réglementation de l'Etat au nom de la protection de l'ordre, de la morale et des droits d'autrui (3). L'article 3 de la loi du 15 novembre 1887 (N° Lexbase : L6047IG3) dispose que tout majeur peut régler les conditions de ses funérailles selon une volonté qui s'impose à ses proches. Le texte prévoit précisément que cette volonté peut être, notamment, exprimée par voie testamentaire.
Preuve de la volonté par tous moyens. A défaut de testament par lequel le défunt exprimerait ses volontés quant à l'organisation de ses funérailles, "il convient de rechercher quelle aurait été la volonté du défunt s'il s'était exprimé" (4). Dans un arrêt de 2005, la Cour de cassation affirme ainsi que "l'ordonnance qui retient exactement qu'il convenait de chercher par tous moyens quelles avaient été les intentions du défunt [...] constate d'abord qu'Amar B., s'il n'était pas pratiquant régulier, était de tradition musulmane, qu'il avait manifesté le voeu d'être inhumé et que rien ne permettait d'affirmer qu'il eut entendu rompre tous liens avec cette tradition" (Cass. civ. 1, 15 juin 2005, n° 05-15.839, FS-P+B N° Lexbase : A7668DIT). Il s'agit alors pour les proches en conflit à propos des modalités de funérailles du défunt d'établir quels étaient les souhaits de ce dernier sur ce point.
Volonté supposée du défunt exprimée par un proche. En réalité, dans la plupart des hypothèses qui donnent lieu à un contentieux judiciaire, il n'existe pas de preuves matérielles de volonté du défunt quant aux modalités de sa sépulture et le juge doit alors désigner, parmi les proches, celui dont il pense qu'il est le mieux à même de savoir ce que le défunt aurait souhaité (5). Ainsi, la cour d'appel de Limoges affirme-t-elle dans un arrêt du 25 août 2005 "qu'en l'absence de preuve matérielle de la volonté du défunt quant aux modalités de sa sépulture, il convient de rechercher quelles personnes étaient le mieux à même d'apprécier cette volonté et par conséquent de la faire connaître" (6). C'est donc bien en tant que "porte-parole" du défunt que cette personne doit être choisie et non en raison des arguments objectifs ou subjectifs qu'elle avance en faveur d'un type de sépulture (7). Ainsi, la cour d'appel de Paris considère-t-elle "que, indépendamment de la valeur des arguments invoqués par M. X en faveur de l'inhumation traditionnelle permettant de disposer d'un lieu de sépulture favorisant le travail de deuil, il convient de rechercher la volonté du défunt pour la faire primer" (8). Dans un arrêt du 12 juin 2001, la cour d'appel de Paris a cependant fait primer l'intérêt des jeunes enfants du défunt, sans rechercher véritablement quelle aurait pu être la volonté de ce dernier (9).
Lien avec le défunt. La personne désignée pour organiser les funérailles du défunt bénéficie donc d'une présomption de confiance de la part du juge qui considère qu'elle fera prévaloir la volonté supposée du défunt. En réalité, c'est bien la volonté de la personne désignée qui, dans la plupart des cas, présidera à l'organisation des obsèques... L'étude de la jurisprudence montre que les personnes désignées peuvent être très diverses. S'il s'agit, en principe, d'un membre de la famille du défunt, les amis ne sont pas exclus dès lors que leurs liens avec ce dernier permettent de supposer qu'ils feront de bons interprètes des dernières volontés qu'il aurait pu exprimer (10).
Conflits. Lorsque plusieurs personnes se prétendent chacune la mieux à même de déterminer la volonté supposée du défunt, "il appartient au juge de déterminer souverainement quels sont, parmi les proches du défunt, celui ou ceux que leurs rapports privilégiés d'intimité avec lui permettent de reconnaître comme les interprètes les plus qualifiés de sa volonté probable" (11). La tâche peut s'avérer délicate, surtout lorsque le défunt laisse plusieurs proches par le sang. "On comprend qu'il ne peut pas y avoir d'ordre successoral comme en matière patrimoniale. Il n'est pas question d'interroger en priorité les descendants puis les ascendants selon un ordre préétabli. Le juge dispose d'un pouvoir souverain d'appréciation" (12). Comme la solution de l'arrêt commenté le laisse entendre, le conjoint bénéficie cependant d'une certaine primauté.
II - La primauté du conjoint vivant avec le défunt
Le privilège de la veuve. Selon la Cour de cassation, "Mme Z, sa veuve, avec laquelle celui-ci a vécu pendant plus de trente et dont il a eu quatre enfants, était la plus qualifiée pour décider de l'organisation des obsèques, compte tenu de cette vie commune et des liens affectifs, non remis en cause, ayant uni ce couple". Cette primauté du conjoint survivant se retrouve dans plusieurs décisions antérieures. Ainsi, la cour d'appel de Paris n'a pas hésité, dans un arrêt du 5 mai 2009 (13), à affirmer que "le droit reconnaît traditionnellement une priorité au conjoint survivant sur les autres membres de la famille quant au choix du lieu de sépulture (14)". Cette primauté reposerait sur l'idée que le conjoint reste en principe l'interprète privilégié de la volonté du défunt (15).
Communauté de vie. Moins que la qualité de conjoint, c'est la vie commune qui justifie la primauté du veuf ou de la veuve en matière de choix de sépulture. L'intimité partagée avec le défunt le place en effet en meilleure position pour savoir ce que ce dernier aurait souhaité comme dernière demeure. Dans l'arrêt du 2 février 2010, la Cour de cassation insiste particulièrement sur cet aspect, soulignant le fait que la veuve a vécu plus de trente ans avec le défunt et les liens affectifs "non remis en cause" qui l'unissaient à lui. A l'inverse, plusieurs décisions ont écarté le conjoint comme meilleur interprète des volontés du défunt concernant les funérailles de ce dernier en raison de la séparation des époux. Ainsi le tribunal de Lille, dans une décision du 20 mai 2005 (16), considère que "le conjoint ne peut être qualifié d'interprète privilégié que dans la mesure où il existe une communauté de vie ; qu'en l'espèce, les époux B. étaient séparés et une procédure de divorce avait été engagée [...] que si les enfants, tous majeurs, n'habitaient plus avec leur père, ils étaient par les liens du sang les proches parents, dévolutaires naturels du choix de la sépulture" (17).
Allant plus loin, certaines juridictions, comme la cour d'appel de Paris (18), refusent de laisser le conjoint organiser les obsèques en cas de mésentente établie des époux. Comme l'affirme le Professeur Hauser, "tout est question d'espèce et au fond [le conjoint] ne bénéficie guère que d'une sorte de présomption d'autorité qui n'est justifiable [...] que s'il n'y a pas mésintelligence entre les conjoints. Il ne suffirait donc pas d'être conjoint pour être l'interprète privilégié des volontés du défunt, il faudrait encore être un conjoint heureux en ménage" (19).
Concubinage. Dès lors que la primauté accordée au veuf ou à la veuve pour organiser les obsèques de son conjoint est fondée sur la communauté de vie et les liens affectifs, aucune raison ne permet de refuser la même faveur au concubin ou au partenaire qui réunit les mêmes caractéristiques, "sous réserve de la démonstration de la stabilité des relations de concubinage ; et ce qui, désormais, sera en principe d'autant plus vrai en cas de conclusion d'un pacte civil de solidarité" (20). La jurisprudence s'est logiquement orientée en ce sens. La cour d'appel de Limoges a ainsi, par exemple, considéré dans une décision du 25 août 2005 (21), que la concubine du défunt, qui vivait avec lui depuis cinq ans, "apparaît comme ayant été la personne la plus proche du défunt au cours des dernières années" (22).
(1) P. Berchon, Rep. civ., V° Sépulture.
(2) X. Labbée, Le chemin du Paradis, D., 2005, p. 2431.
(3) CEDH, 17 janvier 2006, Req. 61564/00, Elli Poluhas Dödsbo c/ Suède (N° Lexbase : A3720DMQ).
(4) X. Labbée, La dévolution successorale des restes mortels, AJFamille, 2004, p. 123.
(5) TI Lille, ord., 20 mai 2005, n° 124/05 : "Attendu qu'à défaut de pouvoir déterminer clairement la volonté du défunt, il convient de rechercher la personne la plus qualifiée pour être l'interprète de cette volonté".
(6) CA Limoges, 1ère ch., 25 août 2005, n° 1174/05, M. Cédric B. c/ Mme Dominique B. épouse G. (N° Lexbase : A4855ECS).
(7) La cour d'appel de Toulouse, dans un arrêt du 26 juin 2000 (RG n° 1999/00180), a précisé que "la question du lieu d'inhumation en l'absence de volonté clairement exprimée par le défunt se pose de façon différente selon que l'enterrement n'a pas encore eu lieu, ou au contraire a déjà été célébré. Dans ce second cas, le principe général du respect d'une sépulture impose à ceux qui allèguent une violation des souhaits du défunt et qui sollicitent l'exhumation, de rapporter la preuve de ce que sa volonté n'aurait pas été respectée et qu'ils sont les mieux à même d'exprimer cette volonté".
(8) CA Paris, 12 avril 2002, RG n° 2002/60305.
(9) CA Paris, 1ère ch., sect. A, 5 mai 2009, n° 07/20251, Mme Josette P. c/ Mme Micheline M. (N° Lexbase : A1495EI9).
(10) Cass. civ. 1, 26 avril 1984, n° 83-11.117, Mme Madrière c/ Mlle Massin (N° Lexbase : A0764AAK), Bull. civ. I, n° 142, D., 1985, IR 18, obs. R. Lindon, JCP éd. G, 1984, IV, 212 ; CA Montpellier, 6 décembre 1982, Gaz. Pal., 1983, 2, Somm. 432 ; v. aussi CA Versailles, 24 avril 1979, Gaz. Pal., 1981, 1, Somm. 105.
(11) P. Berchon, art. préc..
(12) X. Labbée, art. préc..
(13) CA Paris, 1ère ch., sect. A, 5 mai 2009, préc..
(14) Dans le même sens : Cass. civ. 1, 31 mars 1981, n° 80-11761, Epoux Quenivet c/ Dame Quenivet (N° Lexbase : A6350CKE), Bull. civ. I, n° 114, JCP éd. G, 1981, IV, 224 ; CA Riom, 23 juin 1981 et CA Lyon, 18 novembre 1981, JCP éd. G,1983, II,19956, note Almaira
(15) En ce sens Malaurie et Aynès, Les personnes, n° 303.
(16) TI de Lille, 20 mai 2005, n° 124/05.
(17) Dans le même sens : Cass. civ. 1, 14 octobre 1970, n° 69-12083, Dame Bieu c/ Consorts Bieu (N° Lexbase : A4521CHW), D., 1971, 94 ; CA Paris, 10 juin 1980, Gaz. Pal. 1981, 1, Somm. 43 ; CA Lyon, 18 novembre 1981, JCP éd. G, 1983, II, 19956, note G. Almairac ; CA Dijon, 22 avril 1986, D., 1986, IR, 408 ; CA Nancy, 23 juillet 1998, Dr. fam., 1999, comm. 32, note B. Beignier ; CA Toulouse, 22 novembre 1999, JCP éd. G, 2000, IV, 1765 ; CA Toulouse, 4 septembre 2000, Dr. fam., 2001, comm. 9, note B. Beignier.
(18) CA Paris, 16 septembre 1993, RTDCiv., 1994, p. 76, obs. J. Hauser.
(19) J. Hauser, art. préc..
(20) P. Berchon, art. préc..
(21) Préc..
(22) Dans le même sens : Cass. civ. 1, 8 juillet 1986, n° 85-12.725, Mme Barnaud et autre c/ Mme Leclerc et autre (N° Lexbase : A5735AAN), Bull. civ. I, n° 205 ; CA Douai, 7 juillet 1998, JCP éd. G, 1998, II, 10173, note X. Labbée, Dr. fam., 1998, comm. 176, note B. Beignier ; CA Agen, 20 janvier 1999, JCP éd. G, 1999, II, 10159, note T. Garé, Dr. fam., 1999, comm. 55, note B. Beignier ; CA Versailles, 26 mars 1999, Dr. fam., 2001, comm. 9, note B. Beignier ; CA Reims, 1er février 2001, Dr. fam., 2001, comm. 114, note B. Beignier ; CA Bourges, 16 juin 2003, JCP éd. G, 2004, IV, 1834 ; CA Poitiers, 7 mars 2007, JCP éd. N, 2008, 1178, note D. Dutrieux.
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