La lettre juridique n°385 du 4 mars 2010 : Environnement

[Questions à...] Après l'échec du sommet de Copenhague sur le climat et la censure constitutionnelle de la contribution carbone - Questions à Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS et à l'Ecole Polytechnique

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[Questions à...] Après l'échec du sommet de Copenhague sur le climat et la censure constitutionnelle de la contribution carbone - Questions à Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS et à l'Ecole Polytechnique. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212506-questions-a-apres-lechec-du-sommet-de-copenhague-sur-le-climat-et-la-censure-constitutionnelle-de-la
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 07 Octobre 2010

Le cabinet d'avocats Savin-Martinet organisait, le jeudi 11 février 2010 au Cercle de l'Union Interalliée, un petit déjeuner autour de la thématique "L'après-Copenhague : constat d'espoir ou de désespoir ?". En effet, du 7 au 18 décembre 2009, la capitale danoise a accueilli le sommet de l'ONU sur le changement climatique, durant lequel les dirigeants du monde entier ont tenté de se rassembler autour d'un projet politique pour donner suite au Protocole de Kyoto qui expire fin 2012. Si la réalité du bouleversement climatique fait aujourd'hui consensus au sein de la communauté scientifique, puisque le quatrième rapport du Groupe intergouvernemental d'experts sur le climat (GIEC) pointe les émissions de gaz à effet de serre, principalement dues à l'utilisation croissante d'énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) et à la déforestation, comme principales responsables de ce phénomène, l'impression qui se dégage à la suite de ce sommet est celle d'une relative impuissance politique entre, d'un côté, une Europe vertueuse mais pesant peu sur la scène internationale du fait de son manque d'intégration politique, et, de l'autre, des pays en développement qui ne semblent pas prêts à sacrifier leur développement économique sur l'autel de préoccupations jugées encore secondaires. Pour faire le point sur ces enjeux, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré le principal conférencier de cette réunion matinale, Monsieur Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS et à l'Ecole Polytechnique, qui a récemment présidé l'atelier n° 1 de la Conférence d'experts sur la contribution climat-énergie placée sous la présidence de l'ancien Premier ministre Michel Rocard.

Lexbase : Comment analysez-vous l'échec du sommet de Copenhague, qui se voulait la "réunion de la dernière chance" ?

Olivier Godard : Parler d'échec, c'est situer l'événement par rapport aux vives attentes et aux efforts intenses consentis qui, les unes et les autres, s'inscrivaient dans une direction précise, celle d'une coordination internationale de plus en plus forte et "juridiquement contraignante" sur un périmètre de plus en plus étendu devant englober, de façon ultime, l'ensemble de la communauté internationale. A Copenhague c'est l'idéal, surtout européen, d'un quasi-gouvernement mondial de la protection du climat qui s'est fracassé. Il n'a pas laissé la place à rien, mais à une coordination faible restaurant en sa majesté le principe de souveraineté des grandes puissances et, par la force des choses, la domination des vues des pays les plus émetteurs en gaz à effet de serre (GES) sur les règles du jeu.

Copenhague l'a mis en scène devant les caméras du monde entier : les européens, qui se prenaient pour les leaders historiques naturels du combat pour le climat et pour sa gouvernance mondiale, se sont vu signifier avec netteté que d'autres reprenaient les choses en main à leur manière. Ces autres, réunissant puissances dominantes d'aujourd'hui et de demain, ont élaboré entre eux un modus vivendi pompeusement appelé "accord de Copenhague" qui a l'immense avantage, à leurs yeux, de ne pas préempter leurs politiques domestiques et de ne pas les lier à un pouvoir supranational. Ils n'ont laissé aux européens maintenus hors du coup qu'une seule option, comme les grandes puissances avaient coutume de le faire avec les "petits" Etats : signer sur le papier là où on le leur disait.

Copenhague, c'est à la fois l'échec du leadership européen et l'échec d'une conception forte, empreinte de supranationalité, de la coordination internationale pour la protection de biens collectifs planétaires. C'est aussi la fin du rêve de certains économistes de voir s'installer un marché mondial du carbone. Paradoxalement, un tel marché n'était envisageable que dans le scénario d'une coordination forte avec des règles et des limites d'émissions contraignantes. Des marchés du carbone resteront possibles à l'échelle des pays ou de régions, comme l'Europe, mais, dans la mesure où ils reflèteront des ambitions et des contraintes hétérogènes, ils ne pourront pas être couplés : si l'Europe se donne un prix directeur de 30 euros la tonne et que les Etats-Unis ne veulent pas d'objectifs trop contraignants qui les amèneraient au-delà de 10 dollars, ces derniers ne voudront pas coupler leurs système avec celui des européens. Il restera peut-être un élément commun aux différentes initiatives régionales : les mécanismes de projets comme le mécanisme de développement propre actuel. Les ensembles régionaux pourront être en compétition pour la récupération de crédits offsets tirés de projets réalisés dans les pays en développement.

Depuis décembre 2009, la recherche des responsables et des coupables a commencé. L'on a incriminé les errements et insuffisances de la présidence danoise et mis en cause la quasi-absence des allemands. L'on a dénoncé l'incapacité des 27 à parler d'une seule voix et à intervenir à temps dans la négociation, tant ils étaient absorbés par leur propre coordination. L'on a condamné les initiatives parallèles d'autopromotion de la France en grand organisateur de la réconciliation internationale. Rien de cela ne va à l'essentiel. L'essentiel est que le jeu international est nécessairement dominé par ceux qui tiennent les cartes en main. S'agissant d'un problème de pollution planétaire, ce sont les plus gros pollueurs actuels et futurs qui détiennent ces cartes. S'agissant d'un problème touchant la géopolitique, ce sont les grandes puissances énergétiques qui sont maîtres du jeu. Les vraies grandes puissances sont des acteurs clés de ces deux parties. Il se trouve qu'elles n'accordent pas la priorité au problème climatique et sont très peu désireuses de se lier par des règles internationales, considérées comme des atteintes à la souveraineté de leurs politiques intérieures.

L'Europe se veut plus vertueuse que les autres et l'est objectivement : elle ne représente plus qu'environ 10 % des émissions mondiales de GES et a établi, dès 2005, via la Directive (CE) 2003/87 du 13 octobre 2003 (N° Lexbase : L5687DL9), un système européen d'échange de quotas d'émission de GES, alors même que le Protocole de Kyoto n'était toujours pas entré en vigueur. Ce système "vise à inciter tout participant audit système à émettre une quantité de gaz à effet de serre inférieure aux quotas qui lui ont été initialement octroyés afin d'en céder le surplus à un autre participant ayant produit une quantité d'émissions supérieure aux quotas alloués" (cf. CJCE, 16 décembre 2008, aff. C-127/07, Société Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. c/ Premier ministre N° Lexbase : A8256EBE).

Cependant, tout en étant démunie de réserves énergétiques, l'Europe des 27 ne détient, pour sa part, aucune des cartes clés de ces deux jeux : elle pèse objectivement de moins en moins. Il n'est donc pas étonnant qu'elle soit à peine mieux traitée que les petites îles du Pacifique. Son erreur est de ne pas avoir tenu compte de l'évolution de ce rapport de forces depuis la Conférence des Nations-Unies sur l'environnement et le développement qui s'est tenue à Rio de Janeiro en 1992, et d'avoir voulu se donner un rôle qui peut, certes convenir à l'image qu'elle veut se donner d'elle-même, mais pas à celui que les autres pays veulent lui concéder.

Ce qui s'était passé à Kyoto aurait déjà dû lui mettre la puce à l'oreille. L'on n'avait abouti à un accord sur ce Protocole en 1997 uniquement parce que l'Europe avait in fine accepté de renoncer à tout ce qu'elle avait inconsidérément mis en avant comme conditions contraignantes sur les "politiques et mesures" coordonnées qu'elle voulait imposer, sur les "mécanismes de flexibilité" dont elle ne voulait pas -ne s'agissait-il pas "d'échappatoires" ?- et sur les dispositifs de contrôles. Mieux, elle a consenti, au dernier moment, à adopter l'architecture des propositions américaines qui reposait sur l'idée du cap and trade. Que, par la suite, ce soit l'Union européenne qui devienne la pionnière militante du marché du carbone et que les américains se soient finalement refusés à ratifier Kyoto après avoir totalement imposé leurs vues sur l'architecture du Protocole, ne fait que renforcer l'ironie de la situation. Un vrai "leader" gagne sur ses idées et sur ses propositions, pas en les abandonnant pour prendre celles de l'adversaire au moment ultime...

Parce que la réunion de Copenhague devait être l'aboutissement de la "dernière chance", après la relance faite péniblement à Bali deux ans auparavant, et au terme d'un travail intense de tous les experts et négociateurs, et qu'elle a manifesté avec fracas l'échec de cette tentative, l'on doit prendre la mesure intellectuelle de l'évènement : il s'agit d'une bifurcation majeure par rapport à tout ce qui a été entrepris depuis Rio en 1992, et Kyoto en 1997. Contrairement à ce que disent certains responsables européens, il ne s'agit pas là d'un retard de quelques mois sur la voie antérieurement tracée, qui verrait la signature à Mexico en décembre 2010 de ce qui était attendu à Copenhague en décembre 2009. Il faut repenser la coordination internationale dans le cadre d'un régime de faible coordination d'initiatives nationales ou régionales prises, pour l'essentiel, en fonction des agendas nationaux ou régionaux dominés par le pilotage de la croissance, la gestion de l'endettement et des financements, et la géopolitique de l'énergie. Les opinions publiques et les responsables politiques de chaque pays, de chaque région, comme l'Europe, sont, ainsi, mis devant leurs responsabilités qu'ils ont, désormais, à apprécier et à prendre sans miser sur un accord international dans lequel leur action serait, à la fois, fondue et confortée.

Une coordination faible et des choix dominés par les agendas nationaux, cela signifie, également, que le seuil des 2 degrés de réchauffement à ne pas franchir, mentionné par ledit accord de Copenhague comme l'objectif supposé être poursuivi, n'est, désormais, qu'un leurre à destination des opinions publiques. La totalisation des annonces de réduction des émissions transmises par les Gouvernements fin janvier pour l'horizon 2020 ne laisse guère de doutes. Les objectifs déclarés, qui n'engagent aucunement ces derniers, sont à peu près inférieurs de moitié aux réductions à opérer pour avoir, effectivement, 50 % de chances de ne pas franchir le seuil des 2 degrés. Il est donc sage de dire, désormais, à tous les responsables dont les actions engagent une parcelle du long terme : vous devez préparer le pays, les régions, les secteurs, les territoires à un monde dont la température moyenne aura augmenté de 4 degrés d'ici 2100, car c'est dorénavant un scénario très plausible.

Il va falloir élaborer un nouveau cadre d'interprétation de la question climatique. Les pays ayant en commun l'humanisme occidental, qui mettent souvent en avant un combat pour des valeurs universelles, vont se trouver confrontés à une alternative majeure entre une réduction de la problématique à une realpolitik de l'énergie, et la détermination d'une politique assise sur un fondement moral de responsabilité pour l'avenir climatique de l'Humanité et de solidarité avec ceux qui vont être les victimes des changements en cours et à venir du climat, et, en particulier, avec la pointe avancée de ces victimes qui se présenteront en masse aux frontières de l'Europe comme des autres pays moins frappés par le climat. Allons-nous accueillir ces réfugiés climatiques avec des canonnières ou les parquer dans des camps dont ils ne pourront sortir ? Comment parviendrons-nous à leur faire une place chez nous, alors que nous sommes déjà confrontés, sans faire preuve de générosité particulière, au spectacle de ces migrants illégaux venus d'Afrique ou d'ailleurs qui tentent leur chance sans désemparer en dépit des mesures de répression et de reconduite que nous prenons à leur encontre ?

Lexbase : Le marché de quotas de CO2, tel qu'il vient d'être profondément remanié par la Directive 2009/29 (CE) du 23 avril 2009 (N° Lexbase : L3136IEU), est-il un instrument efficient pour réduire les gaz à effet de serre ?

Olivier Godard : Aux yeux des économistes, la régulation d'un problème passe soit par les quantités, soit par les prix, et, au total, c'est l'équilibre prix-quantités qui importe pour l'efficacité économique de la régulation au service d'un objectif environnemental. Dans un cas, c'est par la taxation que l'autorité administrative introduit un prix pour une externalité de manière à infléchir les usages et atteindre un objectif défini en quantités. Dans l'autre cas, l'autorité publique fixe les quantités, mais prévoit les conditions d'un échange qui, si le marché fonctionne correctement, permettra l'apparition d'un prix directeur qui jouera un rôle équivalent à celui de la taxe. Au niveau de l'analyse la plus abstraite des mécanismes, il n'y a donc pas lieu d'ouvrir une querelle de principe contre le marché européen du carbone. Le problème n'est pas de principe, mais d'application.

Du fait du fonctionnement institutionnel particulier de l'Union européenne, qui n'est pas un Etat fédéral, les règles initiales pour la période 2005-2007, et encore pour la période 2008-2012, ne sont pas les meilleures : on a laissé chaque Etat définir lui-même les plafonds d'émissions à imposer aux secteurs industriels concernés, ce qui revenait à mettre ces Etats en concurrence de générosité vis-à-vis, chacun, de ses industriels. La seule règle était que les limites de la quantité totale de quotas à allouer soient respectées (TPICE, 1er octobre 2007, aff. T-27/07, US Steel Koice c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A5641ESQ). Quel Gouvernement ne chercherait pas à avantager l'industrie nationale dans un tel jeu ? À l'exception du Royaume-Uni, cette manière de faire a abouti à une surallocation générale de quotas qui a provoqué, lorsque les entreprises s'en sont aperçues, un effondrement des cours en avril 2006.

Par ailleurs, l'idée d'une allocation gratuite pour les nouvelles installations ou les extensions de capacités, motivée par le même jeu de concurrence entre Etats pour attirer l'investissement chez soi, était, également, économiquement aberrante, puisque cela revenait à renoncer à réorienter, en fonction de la nouvelle économie du carbone, les investissements dans de nouvelles capacités de production, donc à prolonger les bases productives de la croissance des émissions de GES pour plusieurs décennies ! L'allocation gratuite aux installations existantes peut se défendre à titre transitoire, mais quid des nouveaux investissements ? La solution trouvée pour limiter ce contre-signal, c'est-à-dire imposer des normes techniques sur les nouvelles installations, n'a fait que renouer avec le dirigisme technologique auquel on voulait mettre fin par la création du marché de quotas, et n'a pas empêché, par exemple, l'installation de nouvelles centrales thermiques au charbon non équipées de capture et de séquestration du carbone.

Il y avait d'autres défauts dans les règles -comme l'horizon trop court de prévisibilité donné aux opérateurs industriels- et l'expérience a révélé d'autres imperfections : assez grande volatilité des cours -mais pas plus grande que celle du pétrole-, fraude à la TVA pour un montant élevé -4 milliards d'euros !-, insuffisante sécurité de l'accès aux registres électroniques...

L'on escomptait des règles plus saines à partir de 2013, notamment du fait d'un passage progressif à la mise aux enchères. Toutefois, cette bonne idée va être, en partie, mise à mal par l'étendue du régime dérogatoire prévu pour les secteurs ou sous-secteurs industriels réputés "exposés" à un risque de "fuite de carbone" du fait d'une perte de compétitivité au regard de concurrents étrangers. Ce sont près de 80 % des émissions industrielles du périmètre de l'Emission Trading Scheme (ETS) (système d'échanges de quotas d'émission de CO2) -cela ne concerne pas la production d'électricité, source d'environ 50 % des émissions européennes incluses dans l'ETS, qui sera soumise aux enchères à 100 % dès 2013, avec quelques exceptions pour les pays au réseau électrique non intégré à un réseau européen (la Pologne)- qui vont bénéficier du statut dérogatoire reposant sur le maintien de la gratuité à 100 % pour les émissions correspondant à un benchmark technologique déterminé à partir des émissions les 10 % les plus efficaces dans chaque secteur. Or, maintenir l'allocation gratuite n'est pas un moyen efficace pour neutraliser la perte de compétitivité de produits, même si cela préserve la santé financière des entreprises, santé dont elles auront le loisir de faire profiter d'autres pays à travers leurs investissements.

La solution efficace pour, à la fois préserver l'intégrité environnementale et économique de la politique climatique européenne, compromise par le jeu du commerce international qui permet aux consommateurs de bénéficier des prix internationaux qui n'intègrent pas la valeur du carbone, et une saine compétitivité de l'industrie européenne, serait l'introduction d'un dispositif d'ajustement aux frontières de l'Union européenne pouvant prendre la forme d'une taxe aux frontières ou de l'obligation des importateurs de se procurer des quotas sur le marché, que l'on appelle "l'inclusion carbone". Pour des raisons idéologiques, cette solution qui est économiquement fondée et juridiquement admissible, même au regard des règles de l'OMC, n'a actuellement la faveur d'aucun pays européen sauf la France, seul pays à défendre officiellement la mise en oeuvre de cette solution pourtant mentionnée comme une option dans la Directive d'avril 2009 réformant l'ETS.

Lexbase : Dans ce contexte, comment se situe la mise en place pour le moins chaotique de la contribution carbone en France ?

Olivier Godard : L'on peut rappeler, tout d'abord, que la contribution carbone devait s'insérer à l'intérieur d'un ensemble normatif européen dénommé paquet "climat-énergie" composé :

- du Règlement (CE) n° 443/2009 du 23 avril 2009, établissant des normes de performance en matière d'émissions pour les voitures particulières neuves dans le cadre de l'approche intégrée de la Communauté visant à réduire les émissions de CO2 des véhicules légers (N° Lexbase : L3134IES) ;
- des Directives (CE) du 23 avril 2009, 2009/28, relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables (N° Lexbase : L3135IET), 2009/29, modifiant la Directive 2003/87/CE afin d'améliorer et d'étendre le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (N° Lexbase : L3136IEU), 2009/30 modifiant la Directive 98/70/CE en ce qui concerne les spécifications relatives à l'essence, au carburant diesel et aux gazoles, ainsi que l'introduction d'un mécanisme permettant de surveiller et de réduire les émissions de gaz à effet de serre (N° Lexbase : L3137IEW), 2009/31 relative au stockage géologique du dioxyde de carbone (N° Lexbase : L3138IEX), 2009/33 relative à la promotion de véhicules de transport routier propres et économes en énergie (N° Lexbase : L1679IEW) ;
- et de la Décision (CE) n° 406/2009 du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009, relative à l'effort à fournir par les Etats membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu'en 2020 (N° Lexbase : L6054IGC).

D'une certaine manière, l'on a affaire à un télescopage, comme entre deux trains en sens inverse sur une même voie, mais avec des conséquences tout de même moins dommageables. Ce n'est pas qu'on soit dans l'impossibilité de chercher à combiner approche par les quantités et approche par les prix. En cas d'incertitude marquée sur les coûts de réduction des émissions de GES, une telle combinaison peut être la plus efficace économiquement, en plafonnant, par exemple, par une taxe libératoire -à la différence d'une pénalité non libératoire- le coût maximal qui sera demandé aux opérateurs industriels pour réduire leurs émissions d'une tonne supplémentaire. Ou bien en séparant nettement les secteurs soumis à un instrument et ceux soumis à l'autre en fonction de propriétés objectives. Tout cela exige, cependant, d'être pensé de façon intégrée dans la conception retenue au départ, et non pas ajouté en cours de route.

D'un point de vue économique, l'approche initiale du Gouvernement français se défendait : il y avait l'ETS pour les activités productives très fortement émettrices car très consommatrices d'énergie, mais il n'y avait pas d'incitation économique particulière pour les "émissions diffuses". La politique était donc jusqu'alors bancale. La France ne pouvait pas étendre, à elle seule, l'ETS aux secteurs diffus et ces émissions diffuses se prêtent moins bien à une approche de marché. En termes techniques, les coûts de transaction seraient élevés si chaque habitant devait intervenir sur le marché du carbone pour se procurer des quotas à hauteur de sa consommation d'essence ou de fuel pour se chauffer. L'alternative consistant à réserver les quotas aux quelques grands opérateurs énergétiques contrôlant l'entrée du carbone dans l'économie -ce qu'on appelle l'approche amont- reviendrait à faire une confiance aveugle à des entreprises oligopolistiques pour gérer de façon optimale dans l'intérêt national la transmission du signal prix jusqu'au consommateur final.

La tradition française dans le domaine de l'énergie a été celle d'une fiscalité gérée par l'Etat et contrôlée démocratiquement. Le principe de la taxe carbone se justifiait donc pour réguler les émissions diffuses. Du fait de cette division des territoires d'application, la coexistence des deux systèmes pouvait se défendre, en dépit de quelques frottements sur les bords et en dépit du fait que deux signaux-prix différents étaient donnés à l'économie française, sans que les différences entre ces deux signaux soient, pour le moment, économiquement justifiées. Le Gouvernement a, d'ailleurs, choisi un taux de contribution carbone relativement proche du prix de marché du carbone, mais très éloigné de celui que recommandait les commissions d'experts qui s'étaient penchées sur le sujet à la demande du Gouvernement (Commission Quinet en 2008, et Conférence d'experts présidée par Michel Rocard en 2009), ce qui traduit le fait que l'ambition des objectifs assignés à la France par le "paquet climat-énergie" est inférieure à l'ambition que la France s'est donnée pour elle-même dans sa législation (cf. loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006, relative au secteur de l'énergie, N° Lexbase : L6723HT8 et loi n° 2009-967 du 3 août 2009, de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement N° Lexbase : L6063IEB), en se référant à une division par 4 de ses émissions d'ici 2050 et à une réduction moyenne de 3 % par an.

La décision du Conseil constitutionnel de fin décembre 2009 (Cons. const., décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009 N° Lexbase : A9026EPY) a mis fin à ce schéma de division du travail en censurant le projet gouvernemental. C'est l'ampleur des exemptions concédées, en particulier l'exemption totale visant les émissions des installations industrielles soumises au système européen des quotas, qui est à l'origine de cette censure. Deux motifs généraux sont mis en avant, comme en 2000 pour la censure du projet du Gouvernement Jospin d'étendre la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) aux consommations intermédiaires d'énergie : inadéquation des moyens aux objectifs, et rupture manifeste de l'égalité devant les charges publiques. C'est qu'en France, une taxe conçue pour infléchir les comportements et non pour collecter de la ressource fiscale est, néanmoins, considérée en droit administratif comme un "impôt", et donc soumise aux exigences générales de toute imposition. C'est inadapté, mais c'est ainsi : il ne nous a pas été possible de faire inclure dans la Charte de l'environnement, issue de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 (N° Lexbase : L0268G8G), et dont la valeur constitutionnelle a été consacrée par le Conseil d'Etat en 2008 (CE Contentieux, 3 octobre 2008, n° 297931, Commune d'Annecy N° Lexbase : A5992EA8 et lire N° Lexbase : N4739BHY), un article spécifique attribuant un statut particulier aux instruments économiques des politiques environnementales, qu'il s'agisse de taxes incitatives ou de marché de permis.

Le Gouvernement et le Parlement sont donc invités à reprendre leur copie de façon à soumettre les émissions industrielles à la contribution carbone, quitte à ce que ce soit fait avec des taux et des mécanismes de compensation particuliers pour tenir compte des enjeux de compétitivité dont le Conseil constitutionnel reconnaît la légitimité. Contrairement à plusieurs collègues économistes qui ont dénoncé la dégradation de l'efficacité économique qui résulterait de la soumission des entreprises à un double système, dans lequel le monde industriel voit en s'étouffant de colère une "double peine", il me paraît possible de trouver une solution intelligente pour articuler contribution carbone et participation au marché de quotas, de façon à ce que les décisions économiques soient prises en fonction d'un signal-prix unique, en l'occurrence celui de la contribution carbone française qui est supposée être en phase avec les objectifs que la France s'est donnés.

Sans rentrer dans la technique, je propose de mettre en place un dispositif de taxation comportant deux composantes : a) un prélèvement de base qui serait le même, par unité de valeur ajoutée, pour toutes les installations qui se situeraient à la moyenne des émissions de leur secteur, afin de prendre en compte, au nom de l'équité, les contraintes technologiques propres à chaque secteur d'activité ; b) une modulation, à l'intérieur de chaque secteur, afin que l'opération soit blanche pour l'installation se situant à la moyenne de son secteur, pénalisante pour les "gros émetteurs" et bénéficiaire pour les "vertueux", comme dans un dispositif de bonus-malus. Cette modulation serait donc assise sur l'intensité en émissions de la valeur ajoutée de chaque secteur. Afin d'éviter de trop importants transferts entre installations d'un même secteur, un coefficient de modération de ces transferts serait prévu. L'ensemble du dispositif serait assis sur des données objectives et connues : la valeur ajoutée et les émissions, ce qui coupe court à un jeu de lobbying sans fin de la part des entreprises, chacune voulant faire valoir ses circonstances particulières. Le tout délivrerait le signal économique à la marge qui complèterait le signal donné par le prix de marché du quota pour s'élever à la hauteur du taux de la contribution carbone, 17 euros dans le projet initial du Gouvernement. Il n'y aurait donc, au final, qu'une seule peine, calibrée sur la contribution carbone. Certes, cela correspond à un niveau plus élevé que le niveau courant du prix de marché du carbone. Mais ce dernier est fluctuant. La contribution carbone aurait l'avantage de satisfaire une revendication constante des entreprises industrielles : disposer d'un repère économique stable et prévisible pour organiser rationnellement leurs investissements et leurs évolutions technologiques. Il n'est pas aberrant qu'ils payent un peu plus cher pour ce signal stable et prévisible. Il reste aux pouvoirs publics français à s'arranger pour s'engager sur une trajectoire d'évolution du taux de la contribution carbone afin de garantir la prévisibilité effective de cette contribution.

L'on a vu une initiative des sénateurs Keller, Arthuis et Marini en faveur d'une autre approche consistant non à étendre l'application de la contribution carbone aux entreprises industrielles, mais à profiter de la possibilité de modifier les règles du plan national d'affectation des quotas en réintroduisant une part de mise aux enchères des quotas, plafonnée jusqu'en 2012 par les règles européennes à 10 %, solution que la France avait écarté jusqu'alors au profit d'une allocation gratuite à 100 %. Cette solution préserve l'unicité du signal prix, mais en choisissant celui du marché du carbone, et non celui de la contribution climat, ce qui pose problème pour les conditions de concurrence intranationale, en particulier pour les matériaux de construction dont certains seraient soumis à la contribution carbone (le bois) et d'autres (l'acier, le ciment) au marché du carbone. Elle me paraît surtout incertaine du point de vue constitutionnel. Pas plus que la vente de lots de bois sur pied par l'ONF ou la vente de licences de téléphonie mobile, la vente de quotas d'émissions de CO2 ne saurait être assimilée à un impôt, à la différence de la contribution carbone. Le Conseil constitutionnel pourrait donc à nouveau constater l'étendue de l'exemption intégrée à un nouveau dispositif d'imposition, en contradiction avec les objectifs assignés à cette imposition.

Lexbase : La création d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, afin de préserver l'intégrité environnementale des politiques de l'UE, est-elle réaliste ?

Olivier Godard : Si l'on souhaite mettre en oeuvre ce mécanisme pour les matériaux de base, et non pas pour tout produit importé, il est assez aisé de déterminer comment s'y prendre. Il ne s'agirait pas de chercher à recueillir de l'information sur les émissions effectives que la production d'acier ou de ciment importé aurait occasionné, mais d'adopter une convention selon laquelle ces importations seraient réputées avoir été produites selon un certain benchmark. Ce dernier pourrait être le niveau moyen des émissions pour des productions équivalentes en Europe, ou, de façon plus favorable aux importations, le même benchmark que celui utilisé par la Commission pour l'allocation gratuite, à savoir les émissions unitaires moyennes des 10 % les plus efficaces, à charge pour les importateurs de prouver que les émissions effectives étaient inférieures au benchmark choisi. Il conviendrait, de façon symétrique, de restituer des quotas aux entreprises européennes en proportion de leurs exportations hors Europe. Là aussi, la restitution se ferait non en fonction des émissions réelles mais en fonction de celles d'un benchmark, de façon à maintenir l'incitation à réduire les émissions.

Ceci étant, il n'est sans doute pas réaliste de penser qu'avec un nouveau Parlement nettement plus à droite que le précédent et une Commission dominée par des responsables ayant en commun une idéologie véhiculant une vision anti-protectionniste, un tel dispositif puisse être adopté dans les cinq prochaines années. Une fois de plus, l'Europe est renvoyée à ses contradictions et à son impuissance à mettre en place des dispositifs correspondant aux objectifs du développement durable qu'elle dit poursuivre : concilier efficacité économique, équité sociale et protection de l'environnement.

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