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N4691BN3
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 07 Octobre 2010
Après que Pierre Lenoir, venu représenter Jean Castelain, Bâtonnier de Paris, ait rappelé l'importance qu'attachait l'Ordre à ce sujet, le modérateur des débats, Michel Rouger, président de l'institut Présaje, a laissé aux deux auteurs le soin de présenter leur ouvrage en introduction de la manifestation.
Ceux-ci ont fait le constat d'une crise de l'identité des personnes physiques et morales depuis l'avènement d'internet. Comment chacun perçoit-il son identité numérique ? Cette perception est-elle juste ? Le citoyen mesure-t-il les conséquences de sa présence sur le web sur sa vie présente et future ? Autant de questions transversales auxquelles l'ouvrage tente de répondre, en abordant successivement les thèmes de la biométrie (le corps-identité), des technologies de la communication (les identités connectées ou le camouflage d'une identité réelle derrière une identité virtuelle) et de l'archivage électronique (l'identité mémorisée). Animé par une ambition pédagogique, l'objectif affiché de Guillaume Desgens-Pasanau et Eric Freyssinet tendait à favoriser une prise de conscience de chacun sur ces nouveaux enjeux.
Régulièrement, les données personnelles sont appréhendées sous un nouvel angle. La loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8794AGS), reflétait la peur des citoyens vis-à-vis de l'Etat et de l'administration. Le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 (N° Lexbase : L0844HDM), à l'origine de la réforme de la loi, tendait à protéger les personnes physiques contre ceux qui les approchaient à des fins commerciales. Aujourd'hui, à l'heure du web 2.0 (dit web "participatif"), l'enjeu (de taille) est de nous protéger contre nous même : nous livrons de nombreuses informations sur notre intimité sur des blogs et des réseaux sociaux, sans même y être contraints.
Ce constat est préoccupant pour diverses raisons tenant, tant à l'individu, qu'au professionnel qu'il est ou qui l'emploie. D'une part, nos données personnelles sont systématiquement collectées, conservées et utilisées. D'autre part, la responsabilité de l'entreprise et les préjudices sont multiples : responsabilité pénale, administrative, préjudice d'image etc.. La prévention en amont et la réaction en aval sont, quant à elles, très difficiles à mettre en place.
Le travail de sensibilisation est, donc impératif, et, fort heureusement, la prise de conscience est globale et intervient dans les "plus hautes sphères" : les initiatives parlementaires se multiplient, la jurisprudence se réveille, le G29 rend des avis sur l'avenir de la vie privée, etc.. Et, aujourd'hui, deux dispositifs ont fait leurs preuves : la technologie du privacy by design (approche selon laquelle la confidentialité et la conformité à la protection des données sont conçues au sein même des systèmes d'exploitation et sont, donc, garanties dès l'origine) et le correspondant informatique et libertés.
Christiane Féral-Schuhl a attiré l'attention de la salle sur deux constats essentiels, dont nous n'avons, pourtant, pas pleinement conscience, lorsque nous surfons et participons sur le web :
- "internet a une mémoire d'éléphant" et se souviendra de tout, en tout temps ; et
- la toile dissémine toutes les informations au niveau international.
La restitution à l'infini de certaines informations peut interdire, en pratique, de changer de comportement. Certains faits deviennent, alors, d'une certaine façon, imprescriptibles. Et de citer la, désormais célèbre, réplique de Barack Obama sur le premier conseil à donner pour être président des USA : "étudiants, attention à ce que vous postez sur le net". Le message de la spécialiste des NTIC n'était pas différent : Confrères, attention à ce que vous communiquez. Gardez présent à l'esprit que retirer des informations de la toile peut, bien des fois (surtout, lorsque l'opérateur concerné par la conservation des données n'a pas de représentation en Europe), relever de la mission impossible. Pour exemple, un compte Facebook ne disparaît jamais, mais est seulement mis en stand by.
L'intervenante, pour connaître de ces difficultés dans le cadre des dossiers qu'elle traite quotidiennement et des drames humains que l'imprescriptibilité du net engendre, se dit convaincue par la nécessité d'instaurer un droit à l'oubli sur le net, débat qui fait rage actuellement.
Très justement, l'avocate souligne la schizophrénie dont nous faisons tous preuve en matière de sécurité et de nouvelles technologies. D'un côté, nous refusons une surveillance à l'extrême et de l'autre, nous reprochons toute lacune en cas de survenance d'un préjudice. La peur de l'Etat inquisiteur cèdera, alors, la place à l'attente d'un Etat protecteur. La matière est, donc, complexe, ceci, à tous les niveaux. Du point de vue juridique, la particularité d'internet est qu'il impose de repenser tous les fondamentaux du droit.
Alors, faut-il éduquer, responsabiliser ou légiférer ? La réponse est loin d'être évidente. En témoignent les nombreux rebondissements de la saga "Hadopi".
Ce même constat de complexité à apporter une réponse adéquate a été fait par Jean-Luc Girot, qui rappelle que l'accès à internet et le droit d'être informé sont des droits constitutionnels. Mais, les données du problème ont changé et notre dispositif a vieilli. La liberté d'aller et venir sur le net pose un problème majeur : celui de ne pas perdre le "double de nos clefs" ; de ne pas se faire usurper notre identité, dans un contexte où la collecte des données personnelles est omniprésente et réalisée par de nombreux acteurs.
Hervé Schauer s'est, quant à lui, montré moins inquiet sur ces différents sujets, bien qu'il ait admis que de vrais problèmes existent, tels ceux de l'usurpation d'identité et de la sécurité des fichiers contenant les données personnelles connectées. Eu égard aux enjeux en cause, il regrette le vide juridique sur ces problématiques, en particulier en France, mais reconnaît la difficulté de réglementer la matière.
Jean-Marie Cotteret, professeur émérite de l'Université Paris-Sorbonne, a choisi de conclure sur le droit à l'oubli, qui, dans une société démocratique, revêtirait plus opportunément la qualification de "droit au pardon". En attendant qu'un tel droit soit reconnu (le contraire n'étant pas envisageable), il appartient à chacun de se montrer très prudent et de "publier" en toute connaissance de cause et, surtout, en toute conscience des conséquences.
(1) L'identité à l'ère du numérique, Guillaume Desgens-Pasanau et Eric Freyssinet, Dalloz, coll. Présaje, août 2009.
(2) Lire Communication des avocats sur internet - Questions à Christiane Féral-Shuhl, associée du cabinet Féral-Schuhl / Sainte-Marie et Présidente de l'Association pour le développement de l'informatique juridique (ADIJ), Lexbase Hebdo n° 21 du 5 février 2010 - édition professions (N° Lexbase : N4687BNW).
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