La lettre juridique n°385 du 4 mars 2010 : Éditorial

Conflit de funérailles : épouse versus belle-mère - qui est la plus qualifiée pour décider de l'organisation des obsèques ?

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

le 27 Mars 2014


La mort est un événement difficile à appréhender, les funérailles aussi. Longtemps gouverné par le droit canonique, le droit des funérailles a été fortement influencé par la tradition chrétienne et ses rites propres. Il a pourtant largement évolué depuis la fin du XIXème siècle. La loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles est, en effet, intervenue pour permettre aux défunts d'être inhumés non plus obligatoirement selon des rites religieux mais de manière civile. La sécularisation à l'oeuvre sous la IIIème République a donc donné à un individu athée ou agnostique la possibilité de ne pas se faire inhumer selon des rites qu'il n'aurait pas choisis de son vivant. La liberté de conscience s'en est trouvée renforcée jusque dans la mort. La même loi dispose en son article 3, toujours en vigueur à ce jour, que tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, a le droit de régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture. Lorsque les conditions des funérailles n'ont pas été expressément formulées, il importe donc de déterminer quelle est la personne la plus apte à connaître les volontés du défunt quant à l'organisation de ses obsèques. Les textes ne sont, dans ce domaine, d'aucun secours puisque s'il est fréquemment fait référence dans le Code général des collectivités territoriales à "la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles", aucune définition légale ou réglementaire n'est donnée de cette personne.

L'instruction générale relative à l'état civil du 11 mai 1999 rappelle, à propos de la définition de la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, que lorsqu'aucun écrit n'est laissé par le défunt, ce sont les membres de la famille qui sont présumés être chargés de pourvoir aux funérailles. Et il appartient au juge civil, seul compétent en la matière, de décider quel membre de la famille ou quel héritier est, suivant les circonstances, le plus qualifié pour l'interprétation et l'exécution de la volonté présumée du défunt. En vertu d'une jurisprudence constante, le conjoint survivant bénéficie d'une sorte de priorité pour régler les conditions de la sépulture du défunt même sur les autres membres de la famille. Ce droit n'est cependant ni exclusif, ni absolu. Des circonstances particulières peuvent faire écarter le droit du conjoint survivant. La Cour de cassation considère qu'à défaut d'ordre de préférence légal, il convient de rechercher les éléments permettant de déterminer qui apparaît comme le meilleur interprète des volontés du défunt.

L'autre innovation non négligeable, en matière de funérailles, est la possibilité, par la loi de 1887, de recourir à la crémation. Ainsi, depuis les années 1990, l'incinération est de plus en plus pratiquée. Alors qu'en 1980, cette technique n'était utilisée que pour 0,9 % des obsèques, en 2008 le taux de crémation approchait 28 %. Certaines religions, comme l'islam notamment, ou encore le judaïsme, y restent toutefois définitivement opposées.

Alors quelle position adopter lorsque le défunt n'a pas laissé d'instruction quant à ses funérailles et qu'un litige apparaît, entre les membres de sa famille, sur le rite funéraire à pratiquer ?

Telle était la question posée à la Cour de cassation dans un arrêt en date du 2 février dernier. Dans cette affaire un conflit était né entre une veuve et sa belle-mère sur le mode d'inhumation du mari, et fils, décédé. Alors que la seconde réclamait une inhumation dans le caveau familial en Tunisie selon le rite musulman, la première souhaitait une incinération -allant par là même à l'encontre des préconisations de l'islam-. Les juges ayant tranché en faveur de la veuve, sa belle-mère s'est pourvue en cassation arguant "qu'en cas de doute sur la volonté du défunt et d'opposition entre les divers membres de la famille, notamment à raison de traditions religieuses, doit être privilégiée la modalité qui n'est pas par elle-même de nature à heurter les convictions ou sentiments des uns ou des autres. Ainsi, en ordonnant l'incinération, contraire à la tradition musulmane et aux sentiments de la famille par le sang, plutôt que l'inhumation, qui n'est contraire à aucune tradition et ne pouvait donc par elle-même heurter quiconque, le premier président aurait violé les articles 3 et 4 de la loi du 15 novembre 1887".

Que nenni répondra la Haute juridiction : en l'absence de volonté connue du défunt, sa veuve, avec laquelle celui-ci a vécu pendant plus de trente et dont il a eu quatre enfants, était la plus qualifiée pour décider de l'organisation des obsèques, compte tenu de cette vie commune et des liens affectifs, non remis en cause, ayant uni ce couple !

Bref, ici peu importe la religion, le rite, ou la famille par le sang, seule compte la désignation de la personne qualifiée pour organiser les obsèques, quelles qu'elles soient !

Ce faisant, la Cour de cassation change le fondement du raisonnement qu'elle avait tenu, en juin 2005, dans un litige où les faits étaient similaires (veuve contre enfants d'un premier lit, cette fois). En effet, dans cette affaire largement relayée par les médias, la Cour de cassation s'était uniquement appuyée sur l'aspect religieux en retenant que la victime, "s'il n'était pas un pratiquant régulier, était de tradition musulmane, qu'il avait manifesté le voeu d'être inhumé, et que rien ne permettait d'affirmer qu'il eût entendu rompre tous liens avec cette tradition ; qu'il résulte de ces constatations, qui réfutent nécessairement les motifs du premier juge, que le premier président a fait ressortir la volonté de M. X d'être inhumé dans le respect de la tradition musulmane".

L'arrêt du 2 février dernier entend donc marquer que la personne qui a partagé la vie du défunt pendant de longues années est  a priori la plus à même de décider du déroulement des obsèques. Mais, comme l'affirme le Professeur Jean Hauser, "tout est question d'espèce et au fond [le conjoint] ne bénéficie guère que d'une sorte de présomption d'autorité qui n'est justifiable [...] que s'il n'y a pas mésintelligence entre les conjoints. Il ne suffirait donc pas d'être conjoint pour être l'interprète privilégié des volontés du défunt, il faudrait encore être un conjoint heureux en ménage."

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