La lettre juridique n°385 du 4 mars 2010 : Licenciement

[Jurisprudence] Nullité du licenciement et refus de réintégration par le salarié : quelles conséquences ?

Réf. : Cass. soc., 17 février 2010, n° 08-45.640, Mme Yamina Lahraoui c/ Société Groupe Vog, FS-P+B (N° Lexbase : A0477ESH)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Le Code du travail fait interdiction à l'employeur de résilier le contrat de travail d'une salariée en état de grossesse médicalement constatée et pendant l'intégralité des périodes de suspension auxquelles elle a droit. En outre, pendant le congé de maternité, aucun licenciement ne peut être signifié à la salariée, quelle qu'en soit la cause. Le licenciement prononcé en violation de ces prescriptions est nul et la salariée peut exiger sa réintégration dans l'entreprise. Dans la mesure où il ne s'agit que d'une faculté, la salariée peut préférer demander au juge une simple indemnisation. Mais, il lui est également loisible de demander sa réintégration pour ensuite la refuser. Un tel refus entraîne des conséquences en terme d'indemnisation, que la Cour de cassation vient préciser dans un important arrêt rendu le 17 février 2010.


Résumé

Après avoir relevé que la salariée avait refusé, le 12 octobre 2007, la réintégration proposée par l'employeur en exécution du jugement du conseil de prud'hommes et décidé à bon droit que l'appel du jugement interjeté par l'employeur ne faisait pas obstacle à cette réintégration, la cour d'appel en a justement déduit que la salariée ne pouvait prétendre au paiement d'un salaire après le 12 octobre 2007, dès lors qu'elle s'était abstenue de reprendre sa prestation de travail.
Cependant, le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé.

I - La nullité du licenciement

  • La sanction

Aux termes de l'article L. 1225-4 du Code du travail, il est interdit à l'employeur de résilier le contrat de travail d'une salarié en état de grossesse médicalement constatée et pendant l'intégralité des périodes de suspension auxquelles elle a droit, qu'elle en use ou non, ainsi que pendant les quatre semaines qui suivent l'expiration de ces périodes.

Après avoir posé le principe de l'interdiction, ce même texte ajoute que l'employeur peut, toutefois, résilier le contrat s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de l'impossibilité de maintenir le contrat, pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Il faut, toutefois, ajouter que, pendant le congé maternité, la protection de la salariée contre le licenciement est renforcée. La résiliation du contrat de travail ne peut pas être signifiée, ni prendre effet pendant cette période, quelle que soit la cause de licenciement invoquée par l'employeur (C. trav., art. L. 1225-4, al. 2 N° Lexbase : L0854H9I).

Il n'est guère besoin de s'étendre sur la sanction encourue par l'employeur qui met un terme au contrat de travail de la salariée en violation des dispositions qui viennent d'être évoquées : le licenciement est nul, en application de la loi.

C'est apparemment ce qui s'était passé dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen. En l'espèce, une salariée, engagée en août 2003 en qualité de coiffeuse, avait fait connaître à son employeur, alors qu'elle était en congé de maternité, son désir de prendre, à compter du 26 août 2004, un congé parental d'éducation après la naissance de son deuxième enfant. L'employeur ayant refusé la demande, il avait licencié la salariée, le 26 novembre 2004, pour faute grave résultant d'un abandon de poste depuis le 26 août 2004. Faisant valoir que le licenciement avait été prononcé pendant la suspension de son contrat de travail, la salariée avait saisi la juridiction prud'homale pour contester la validité du licenciement, demander sa réintégration et le paiement des salaires et congés payés afférents jusqu'à la réintégration effective. On peut penser que les juges du fond avaient prononcé la nullité du licenciement puisque le litige portait sur les conséquences du refus de la salariée d'être réintégrée dans son emploi, alors que cette mesure avait été décidée par les magistrats (1).

  • Les conséquences de la nullité

Dès lors que le licenciement est nul, la salariée peut exiger d'être réintégrée dans son emploi. On sait qu'il a fallu attendre de nombreuses années pour que la Cour de cassation finisse par admettre cette solution (2). Il est vrai que la rédaction maladroite des textes de loi pouvait donner lieu à interprétation.

Si la salariée demande sa réintégration, l'employeur ne peut s'y soustraire. Dans ce cas, il doit verser à celle-ci les salaires perdus entre le jour du licenciement et celui de la réintégration effective. Mais, la réintégration n'est qu'une faculté pour la salariée illégalement licenciée, qui peut donc préférer une indemnisation. Dans ce cas, l'employeur sera condamné, comme dans les autres cas de nullité, à trois paiements : le paiement des salaires qui auraient été perçus pendant la période couverte par la nullité (3), le paiement des indemnités de licenciement et de préavis et le paiement de dommages-intérêts réparant le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement (4). Il est une autre hypothèse, révélée par l'arrêt sous examen : celle dans laquelle la salariée demande sa réintégration, l'obtient du juge puis finit par y renoncer.

II - Le refus de la réintégration par la salariée

  • Le droit de refuser et la période postérieure au refus

Le droit à être réintégré consécutivement à la nullité du licenciement est, si l'on peut dire, abandonné à la volonté de la salariée. En d'autres termes, il n'y a là pour elle qu'une simple faculté. Elle peut donc saisir le juge d'une simple demande à indemnisation ou d'une demande de réintégration. Mais elle peut tout aussi bien, après avoir obtenu du juge sa réintégration, la refuser que ce soit de sa propre initiative ou après qu'une proposition en ce sens lui a été faite par l'employeur, en exécution du jugement du conseil de prud'hommes.

A cet égard, et ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, l'appel du jugement interjeté par l'employeur ne fait pas obstacle à cette réintégration. Il en résulte que celui-ci peut, à bon droit, proposer à la salariée d'être réintégrée ; proposition que celle-ci peut, de manière tout aussi justifiée, décliner. Mais, dans une telle hypothèse, et c'est là un autre enseignement de l'arrêt du 17 février 2010, la salariée ne peut prétendre à paiement de son salaire après son refus à être réintégrée, dès lors qu'elle s'est abstenue de reprendre sa prestation de travail. Cette solution nous paraît pleinement justifiée. La salariée ne peut pas, à la fois, demander sa réintégration au juge, l'obtenir, la refuser alors que l'employeur exécute le jugement et prétendre au paiement des salaires postérieurement à son refus. Et il n'y a pas lieu ici de tenir compte d'une quelconque réintégration effective puisque, précisément, la salariée ne souhaite plus revenir dans l'entreprise (5).

L'employeur a, quant à lui, tout intérêt à proposer la réintégration immédiatement après le jugement prud'homal l'y condamnant, y compris s'il a interjeté appel de ce jugement car, pendant ce temps, la "roue des salaires" continue de tourner. Reste à savoir quelle serait la conséquence d'une absence de réponse de la salariée à cette proposition. A notre sens, dès lors que la salariée s'abstient de reprendre son travail, la solution retenue dans l'arrêt commenté doit s'appliquer.

  • La période antérieure au refus

En l'espèce, non seulement les juges du fond avaient exclu que la salariée puisse prétendre au paiement des salaires postérieurs à son refus d'être réintégré, mais ils avaient, en outre, rejeté sa demande en paiement de rappel de salaires pour la période allant de son licenciement jusqu'au jour du refus précité. Pour aller à l'essentiel, la cour d'appel avait considéré que la salariée était à l'origine de son préjudice, celle-ci ayant refusé la réintégration qu'elle avait pourtant expressément demandée.

L'arrêt est censuré par la Cour de cassation au visa de l'article L. 1225-71 du Code du travail. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé (6). Par conséquent, en statuant comme elle a fait, alors que le refus par la salariée à compter du 12 octobre 2007 de la réintégration proposée par l'employeur ne pouvait la priver d'une indemnisation dans la limite des salaires qu'elle n'avait pas perçus pour la période comprise entre le licenciement et la date de ce refus, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Là encore, la solution paraît devoir être approuvée. Dès lors que le licenciement est nul, il ne peut produire aucun effet et la salariée doit pouvoir obtenir sa réintégration. Si elle la demande et qu'elle l'obtient, elle doit percevoir les salaires dus entre le licenciement et le jour de sa réintégration. Mais, nous l'avons relevé, cette réintégration n'est qu'une faculté qu'elle peut donc ne pas exercer que ce soit en amont du jugement ou en aval de celui-ci. En cas de refus, la période d'indemnisation n'est donc plus bornée par la réintégration effective mais par le refus de réintégration.

Il n'en demeure pas moins que cette solution conduit à une situation pour le moins curieuse. Ainsi que nous l'avons vu précédemment, si la salariée ne demande pas au juge sa réintégration, elle n'obtiendra que le paiement des salaires qui auraient été perçus pendant la période couverte par la nullité. En revanche, si elle demande sa réintégration et qu'elle l'obtient, il lui sera loisible de la refuser pour obtenir alors le paiement des salaires qui auraient du lui être versés entre le licenciement et le jour de son refus. On devine alors sans peine que la salariée a tout intérêt à privilégier la seconde option, même si, dès le départ, elle n'envisage nullement de revenir dans l'entreprise. On peut, toutefois, s'interroger sur le fait de savoir si, dans ce cas, la salariée peut également prétendre en outre au paiement de dommages-intérêts réparant le préjudice résultant du caractère illicite de licenciement et au moins égaux à six mois de salaire.


(1) On avouera être dubitatif quant à la nullité du licenciement. En effet, il apparaît que celui-ci avait été prononcé en novembre 2004. Or, la salariée avait demandé à bénéficier d'un congé parental d'éducation à compter d'août 2004. Par suite, le licenciement semblait être intervenu non durant la période de suspension du contrat de travail pour congé de maternité, mais pendant le congé parental.
(2) Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811, Mme Gabrielle Velmon c/ Association Groupe Promotrans (N° Lexbase : A7501BSM), Bull. civ. V, n° 152 ; D., 2004, somm., p. 178, obs. B. Lardy-Pélissier.
(3) C. trav., art. L. 1225-71, al. 2 (N° Lexbase : L0999H9U). La salariée a droit au paiement de tous les salaires qui auraient été versés du jour où elle a dû cesser son travail du fait du licenciement jusqu'au jour où cesse la période de protection (c'est-à-dire quatre semaines après l'expiration du congé maternité).
(4) Cass. soc., 9 octobre 2001, n° 99-44.353, Mme Cécile Hille c/ Société SVP Service (N° Lexbase : A2229AWH) (le montant de l'indemnité ne peut être inférieur à six mois de salaire).
(5) Ce que soutenait pourtant la salariée dans son pourvoi. Cette argumentation procédait de la considération que la salariée n'avait pas à reprendre le travail dans la mesure où le jugement du conseil de prud'hommes n'était pas assorti de l'exécution provisoire en ce qui concerne notamment la réintégration et ses conséquences.
(6) Il est important de remarquer que la Cour de cassation vise "le" salarié dont licenciement est nul. La solution vaut donc sans doute pour tous les cas de nullité du licenciement et non exclusivement pour celui de la salariée en état de grossesse.


Décision

Cass. soc., 17 février 2010, n° 08-45.640, Mme Yamina Lahraoui c/ Société Groupe Vog, FS-P+B (N° Lexbase : A0477ESH)

Cassation partielle de CA de Douai, ch. soc., 31 octobre 2008

Texte visé : C. trav., art. L. 1225-71 (N° Lexbase : L0999H9U)

Mots-clefs : femme enceinte ; protection contre le licenciement ; nullité ; réintégration ; refus ; conséquences

Lien base : (N° Lexbase : E3343ETY)

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