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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 07 Octobre 2010
Pour faire le point sur ce sujet sensible, mais, surtout, essentiel pour la profession d'avocat, Lexbase Hebdo - édition professions s'est entretenue avec Michel Bénichou, président de la Fédération des Barreaux d'Europe.
Lexbase : L'acte contresigné par un avocat viendrait consacrer une situation de fait quant à la responsabilité de ce dernier. Laquelle est-elle ?
Michel Bénichou : L'acte contresigné par un avocat consacre une responsabilité importante de l'avocat. Celle-ci, à l'origine, était liée à l'activité contentieuse de l'avocat. Elle était, donc, limitée à la "perte d'une chance". Il s'agissait essentiellement de l'hypothèse où l'avocat n'avait pas fait appel dans le délai fixé ou n'avait pas inscrit les sûretés nécessaires.
Actuellement, le rôle de rédacteur d'acte de l'avocat est consacré. Dès lors, sa responsabilité est importante.
Il devient, au fur et à mesure du temps, un arbitre, un rédacteur impartial qui doit, quelles que soient les circonstances, quelque soit son client, donner un équilibre à l'acte et préserver les droits des deux parties.
Lexbase : Quelles seraient les caractéristiques de l'acte d'avocat ? Quels avantages procurerait-il pour les parties ?
Michel Bénichou : L'acte d'avocat ne serait pas assorti de la force exécutoire.
Ce serait la différence essentielle avec l'acte authentique. Pour le reste, cet acte -signé par les parties et par l'avocat (ou les avocats)- aurait une force probante accrue. En effet, cette force probante est due au fait que l'avocat, avant signature, aura à vérifier l'identité, la capacité des parties et leur compréhension du contenu de l'acte.
Cet acte sera plus difficilement contestable. L'avantage en est évident. Nous sommes dans une société de contractualisation. La sécurité juridique est l'objectif. Cet acte va l'accroître comme l'a indiqué, très clairement, le Président de la République dans le communiqué saluant le dépôt du rapport "Darrois".
Lexbase : Le 11 septembre 2008 a été présenté, lors d'un colloque organisé à Lyon par le Barreau de Lyon et le CNB, l'acte sous signature juridique (lire N° Lexbase : N1885BHB). Il était, alors, envisagé que cet acte pourrait être contresigné par un professionnel du droit visé à l'article 56 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ). Le projet de loi ne vise, quant à lui, que les avocats. Pourquoi cette restriction ? Existe-t-il d'autres points sur lesquels la réflexion a évolué ?
Michel Bénichou : Les avocats plaidaient pour un acte "sous signature juridique " ouvert à tous les professionnels du droit règlementés.
Cet acte devait, dès lors, s'insérer dans le Code civil. Tel était le projet que nous avions présenté aux autres professions règlementées. Or, les notaires s'y sont formellement opposés.
Dès lors, le rapport "Darrois" en a tiré les conséquences et a proposé un acte contresigné par le seul avocat.
Aujourd'hui, on constate que d'autres professions revendiquent cet acte, dont les experts-comptables qui ne semblent pas être des professionnels du droit. Les notaires ont toujours des oppositions formelles en pensant que cet acte pourrait concurrencer l'acte authentique. Or, nous avons clairement indiqué qu'il ne serait pas assorti de la force exécutoire. L'acte authentique restera l'acte rituel, formel et assorti au monopole des notaires que nous connaissons.
Nous tirons les conséquences de l'opposition formelle de cette profession à l'évolution du droit et la préservation de la sécurité juridique. Nous sommes encore dans un pays où les monopoles semblent inexpugnables, en dépit de la volonté de la Commission européenne de voir le marché des services juridiques se moderniser.
Toutefois, nous savons que, dans tous les cas, l'Etat sera toujours aux côtés des notaires. Il existe une véritable fusion entre l'Etat et cette profession, bien organisée, bien défendue, pratiquant un lobbying important. Elle a convaincu l'Etat de la nécessité de sa présence, de son action et l'Etat, quelque soient les gouvernements, défend toujours au niveau national et au niveau européen la seule profession de notaire.
Pour les avocats, nous savons ce qu'il en est. Nous attendons et espérons un changement d'attitude.
Lexbase : L'acte d'avocat pose la question de sa conservation. Quelles sont les pistes en la matière ?
Michel Bénichou : La conservation de l'acte d'avocat est fondamentale. Elle est prévue.
Nous avons créé le réseau privé virtuel avocats (RPVA), qui est géré par le Conseil National des Barreaux. C'est au travers de ce réseau que la conservation se fera. Un Office national de conservation sera créé.
Par ailleurs, parmi les obligations déontologiques, figurera celle d'avoir un registre des actes contresignés par l'avocat.
Dès lors, nous aurons une double conservation : individuelle, par l'avocat ; collective, par le Conseil National des Barreaux.
Lexbase : Existe-t-il des équivalents actuels ou à intervenir de l'acte d'avocat dans d'autres pays ?
Michel Bénichou : Actuellement, il n'existe pas d'acte d'avocat en Europe. Les belges, les italiens et les espagnols sont très intéressés, ainsi que d'autres pays européens, par l'importation de cet acte, lorsqu'il sera créé en France.
Ils ont bien conscience que la création de l'acte d'avocat améliorera la compétitivité européenne et internationale des avocats français.
Or, aujourd'hui, ceux-ci sont défavorisés par rapport, notamment, aux avocats anglais qui bénéficient du "deed", acte ayant une valeur importante, non formel et que les solicitors font régulièrement. Cet acte permet, notamment, le transfert des biens immobiliers.
Dans d'autres pays (Portugal, Roumanie...), il existe, de même, l'acte authentique d'avocat. Ce ne sont pas nos revendications. Aujourd'hui, nous demandons un acte contresigné par l'avocat, faute d'avoir un acte sous signature juridique. Cet acte sera assorti seulement, mais fortement, de la force probante et dépourvu de la force exécutoire, liée à l'acte authentique.
Lexbase : La proposition de loi présentée par M. Etienne Blanc sur le contreseing de l'avocat sera soumise au vote de l'Assemblée nationale. Etes-vous optimiste ? Que répondre aux notaires, qui craignent une concurrence quant à la délivrance des actes authentiques ?
Michel Bénichou : J'espère que la proposition de loi présentée par Etienne Blanc, député, sera soumise prochainement au vote de l'Assemblée nationale.
Il y a une difficulté pour trouver le créneau législatif permettant le débat.
D'autres professions font actuellement un "lobbying" intense auprès des députés et sénateurs pour les convaincre de l'inutilité de cet acte. Or, ce sont les mêmes professions qui bénéficient de monopoles et d'avantages concurrentiels immenses sur la profession d'avocat.
Apparemment, les notaires craignent la concurrence alors qu'ils bénéficient d'un monopole absolu en matière de transfert de biens immobiliers et d'autres actes.
A l'époque où le marché des services juridiques s'ouvre, où la Commission dénonce depuis 2003 des monopoles injustifiés, on peut s'étonner de cette position et de l'absence d'intervention des pouvoirs publics. Néanmoins, les avocats ne veulent pas concurrencer les notaires pour le transfert des biens immobiliers et leur acte monopolistique.
Les avocats veulent bénéficier des droits générés par leur rôle de rédacteurs d'actes et leur responsabilité accrue. Cela est demandé par la profession, mais, également, par les consommateurs qui veulent de la sécurité juridique et qui l'auront grâce à l'acte contresigné par l'avocat.
Je ne suis pas spécialement optimiste. Je connais la puissance du notariat. Si la profession d'avocat échoue et ne parvient pas à convaincre députés et sénateurs, alors même que le Président de la République s'est clairement exprimé en faveur de l'acte contresigné par l'avocat, alors, comme l'avait dit Loisel, à l'aube du XVIIème siècle, nous serions ramenés au rang de "gens de néant".
Cela signifiera que la profession d'avocat ne pèse pas par rapport à la profession de notaire et n'existe pas au regard de l'Etat, du Gouvernement et du Parlement.
Il faudra donc en tirer les conséquences, d'une part, en externe par rapport aux députés et sénateurs ayant refusé ce texte et, d'autre part, en interne quant à notre organisation.
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