Réf. : Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 08-42.273, M. Ben Amar Chetioui c/ Société Océangrais manutention et a., F-D (N° Lexbase : A1145ELY)
Lecture: 8 min
N9402BLS
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Si, pour déterminer si les concessions sont réelles, le juge peut restituer aux faits, tels qu'ils ont été énoncés par l'employeur dans la lettre de licenciement, leur véritable qualification, il ne peut, sans heurter l'autorité de chose jugée attachée à la transaction, trancher le litige que cette transaction avait pour objet de clore en se livrant à l'examen des éléments de fait et de preuve. Ayant relevé que l'indemnité versée à titre transactionnel au salarié, supérieure à un mois de son salaire brut, ne pouvait être, au regard de l'aléa existant au moment de la signature de la transaction sur le différend opposant les parties, considérée comme dérisoire, la cour d'appel, qui ne pouvait trancher le litige relatif à la demande en requalification, a légalement justifié sa décision. |
I - Le juge et l'existence des concessions réciproques
Même si le Code civil ne l'impose pas, l'exigence de concessions réciproques constitue l'essence même de la transaction (1), et il n'est, dès lors, pas étonnant que la Cour de cassation exerce son contrôle sur la qualification opérée par les juges du fond (2) sur cette condition de validité (3). Mais quelle est la marge de manoeuvre du juge lorsqu'il a entre les mains la transaction signée par les contractants et que l'un d'entre eux, généralement le salarié, en demande l'annulation, parce qu'il s'est rendu compte, un peu tard, qu'il n'a pas perçu ce à quoi il avait droit ?
Il est évident que, pour que l'exigence de concessions réciproques soit satisfaite, il est nécessaire de constater l'existence de concessions, avant même que de s'intéresser à leur importance.
A cet égard, la Cour de cassation considère que, même si le juge n'a pas à s'intéresser aux faits visés dans la transaction (4), il contrôle tout de même d'autres éléments, ce qui impose aux parties de motiver a minima l'acte, singulièrement l'étendue des concessions consenties (5). Le juge vérifiera, également, si la procédure du licenciement a bien été respectée, singulièrement si la lettre de licenciement était suffisamment motivée (6), ou si les faits qualifiés par les contractants de fautifs pouvaient valablement recevoir la qualification convenue (7). Pour ce faire, le juge pourra se fonder sur tous les éléments de fait visés dans la transaction (8).
Ce sont ces principes qui se trouvent, ici, rappelés par la Haute juridiction dans ce nouvel arrêt en date du 16 septembre 2009. Comme l'indique la Cour, "si, pour déterminer si les concessions sont réelles, le juge peut restituer aux faits, tels qu'ils ont été énoncés par l'employeur dans la lettre de licenciement, leur véritable qualification, il ne peut, sans heurter l'autorité de chose jugée attachée à la transaction, trancher le litige que cette transaction avait pour objet de clore en se livrant à l'examen des éléments de fait et de preuve".
II - Le juge et l'importance des concessions réciproques
La Cour de cassation s'est toujours refusée à opérer un contrôle de proportionnalité des concessions, considérant qu'il appartenait aux parties de déterminer souverainement l'étendue de leur renonciation. La Cour vérifie, toutefois, que les concessions consenties ne sont pas dérisoires, ce qui équivaudrait à une absence de concessions (9). Il s'agit donc, pour emprunter au vocabulaire des spécialistes de droit administratif, d'opérer un simple contrôle minimum.
L'examen de la jurisprudence livre d'intéressants enseignements sur la notion de concessions dérisoires (10), car les juges doivent tenir compte de trois éléments au moins : le montant de l'indemnité perçue par le salarié, l'écart entre ce montant et les prétentions initiales des parties (11) et les sommes englobées dans le montant compte tenu de la qualification des faits adoptée par les parties. Dernièrement, il a été jugé qu'un montant "inférieur à deux mois de salaire était dérisoire et ne constituait pas une véritable concession de la part de l'employeur" (12).
Ce sont cette méthode et les contours concrets de la notion de "concessions dérisoires", qui se trouvent de nouveau illustrés dans cet arrêt en date du 16 septembre 2009, mais dans une affaire où on pouvait raisonnablement douter du caractère non dérisoire du montant attribué, compte tenu du montant perçu par le salarié.
Un salarié avait été licencié pour motif économique et les parties avaient signé une transaction moyennant le paiement d'une indemnité de 1 750 euros au salarié, correspondant à l'équivalent d'un mois et demi de salaire. Ce salarié, prétendant qu'il n'avait pas été tenu compte de l'ancienneté acquise dans l'entreprise lors de précédentes périodes d'intérim pour le calcul de ses indemnités, avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande en requalification de son contrat et en paiement de diverses indemnités, nonobstant la transaction. La cour d'appel de Rouen l'avait débouté et le rejet du pourvoi marque l'épilogue judiciaire de l'affaire.
Au soutien de son pourvoi, le demandeur faisait valoir que les juges du fond, pour écarter le grief tiré du caractère dérisoire des concessions consenties par l'employeur au regard des prétentions initiales des parties, auraient dû apprécier l'étendue des droits du salarié dans l'hypothèse où l'ensemble des contrats d'intérim conclus antérieurement par le salarié aurait été requalifié en une seule et même convention à durée indéterminée.
L'argument était astucieux, car nous avons rappelé que les juges doivent, pour apprécier l'existence des concessions, restituer aux faits leur exacte qualification, ce qui pouvait laisser suggérer que le juge pourrait également s'interroger sur la qualification des actes juridiques conclus antérieurement par les parties, et pas seulement sur les faits visés dans la transaction.
Par ailleurs, la faible importance de la somme avait déjà conduit la Cour de cassation à admettre le caractère dérisoire des concessions consenties.
Il n'a pourtant pas convaincu la Haute juridiction qui demeure, ici, dans une posture très classique, en affirmant que le juge ne peut "sans heurter l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction, trancher le litige que cette transaction avait pour objet de clore en se livrant à l'examen des éléments de fait et de preuve". La formule prend, d'ailleurs, tout son sens si on la rapporte à celle qui avait été adoptée par la juridiction d'appel qui avait justifié le rejet des prétentions par le fait que le montant "ne pouvait être, au regard de l'aléa existant au moment de la signature de la transaction sur le différend opposant les parties, considérée comme dérisoire".
La référence à l'aléa est également classique, car l'incertitude qui règle sur l'étendue des droits des parties constitue véritablement l'une des causes possibles de la transaction (13). C'est parce que les parties ne sont pas certaines d'avoir tout à fait raison et qu'elles ne veulent pas courir le risque d'un procès long, coûteux et à l'issue incertaine, qu'elles transigent.
Mais qu'il nous soit permis, ici, de douter de la cohérence d'ensemble de la jurisprudence concernant l'étendue du contrôle du juge, car nous ne comprenons pas pourquoi celui-ci pourrait contrôler la qualification de "faute", alors que le différend entre les parties porterait précisément sur cette question, et pourquoi il ne pourrait pas contrôler celle de contrat à durée indéterminée, s'agissant d'une succession de missions d'intérim auprès du même utilisateur, alors que là encore le différend tranché par la transaction porterait sur cette question ?
De deux choses l'une ; ou le juge contrôle les qualifications et, dans cette hypothèse, il les contrôle toutes, ou il se contente de vérifier que la transaction a été conclue dans des conditions qui préservent le consentement du salarié, et que chacun a abandonné une partie de ses prétentions initiales. Mais l'entre-deux dans lequel se situe aujourd'hui la Cour de cassation ne nous paraît guère compréhensible...
(1) Aubry et Rau, Cours de droit civil français, LGDJ, 4ème éd. 1871, tome 4, §. 418, p. 657.
(2) La volonté affichée de la Cour de cassation de reprendre le contrôle de la qualification de "concessions réciproques" remonte, en effet, à un arrêt du 18 octobre 1989 (Cass. soc., 18 octobre1989, n° 86-44145, Société Sécurité protection surveillance c/ M. Boileau N° Lexbase : A0466CI4, Bull. civ. V, n° 604 ; D., 1990, somm., p. 163, obs. A. Lyon-Caen).
(3) Cass. soc., 13 novembre 1959, JCP éd. G, 1960, II, 11450, note G.H. Camerlynck.
(4) Cass. soc., 27 février 1996, n° 92-44.997, Mme Georgette Antoine c/ Société générale de prestations et autres (N° Lexbase : A2470AGL), RJS, 1996, n° 405 ; Cass. soc., 14 juin 2000, n° 97-45.065, Société BMH c/ M. Pfendler (N° Lexbase : A3557AUB), Dr. soc., 2001, p. 27, chron. G. Couturier : "le juge ne peut, sans heurter l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction, trancher le litige que cette dernière avait pour objet de clore en se livrant à un examen des éléments de faits et de preuve pour déterminer le bien-fondé du motif du licenciement économique du salarié". Dernièrement, Cass. soc., 26 avril 2007, n° 06-40.718, Société Aquarine, F-P (N° Lexbase : A0696DWP), v. les obs. de S. Martin-Cuenot, Transaction sur licenciement nul est également annulée, Lexbase Hebdo n° 260 du 16 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0740BBZ).
(5) Cass. soc., 23 janvier 2001, n° 98-41.992, M. Jean-Marc Lamotte (N° Lexbase : A2287AIK), Dr. soc., 2001, p. 320, obs. G. Couturier.
(6) Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 03-46.446, Mme Anne-Marie Costantini, F-D (N° Lexbase : A4257DQQ).
(7) Cass. soc., 6 avril 1999, n° 96-43.467, M Deshayes c/ Société Technifil (N° Lexbase : A4610AGT), Dr. soc., 1999, p. 641, obs. B. Gauriau : "le juge peut, sans heurter l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction, restituer aux faits énoncés dans la lettre de licenciement leur véritable qualification" (transaction visant des faits comme étant susceptibles de justifier un licenciement pour faute grave alors qu'il ne s'agissait que d'insuffisance professionnelle, qui n'est jamais constitutive d'une faute) ; Cass. soc., 18 décembre 2001, n° 99-40.649, M. Michel Prudhomme c/ société Mane et Fils, FS-P (N° Lexbase : A7222AXR), Dr. soc., 2002, p. 360, obs. B. Gauriau ; Cass. civ. 1, 25 mai 2005, n° 02-15.938, M. Daniel Prat c/ M. Achille Camozzi, F-D (N° Lexbase : A4137DI3).
(8) Cass. soc., 26 avril 2007 , n° 06-40.718, préc..
(9) Dernièrement, Cass. soc., 15 mai 2009, n° 07-40.576, Société AVL Ditest France c/ M. Serge Houssin, F-D (N° Lexbase : A5419D89), et nos obs., Transaction et sécurisation des procédures : l'équation est-elle vraiment parfaite ?, Lexbase Hebdo n° 306 du 26 mai 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N9807BEX).
(10) Sur une étude, notre chron. préc..
(11) Dernièrement, Cass. soc., 15 novembre 2007, n° 06-42.991, Société Hasbro France, FS-D (N° Lexbase : A7427DZ4) ; Cass. soc., 27 mai 2009, n° 08-41.084, M. Daniel Gillen, F-D (N° Lexbase : A3965EHC) : "l'existence de concessions réciproques, qui conditionne la validité d'une transaction, doit s'apprécier en fonction des prétentions des parties au moment de la signature de l'acte".
(12) Cass. soc., 15 mai 2009, n° 07-40.576, préc..
(13) Pour une critique du rôle joué par l'aléa dans la transaction, notre chron., L'ordre public social et la renonciation du salarié, Dr. soc., 2002, p. 931-938.
Décision
Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 08-42.273, M. Ben Amar Chetioui c/ Société Océangrais manutention et a., F-D (N° Lexbase : A1145ELY) Rejet de CA Rouen, ch. soc., 18 septembre 2007 Texte concerné : C. civ., art. 2044 (N° Lexbase : L2289ABE) Mots-clef : transaction ; concessions réciproques ; caractère dérisoire Lien base : |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:369402