La lettre juridique n°358 du 9 juillet 2009 : Marchés publics

[Jurisprudence] Contrats "in house" : la coopération intercommunale franchit une nouvelle étape

Réf. : CJCE, 9 juin 2009, aff. C-480/06, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne (N° Lexbase : A9625EHX)

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 07 Octobre 2010

Dans un arrêt rendu le 9 juin 2009, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a dit pour droit qu'un contrat de coopération verticale entre une ville et plusieurs circonscriptions administratives peut être passé sans procédure de marché, celui-ci ne constituant pas un marché public de services au sens de la Directive (CE) 92/50 du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (N° Lexbase : L7532AUI), mais une mesure interne de coopération entre organismes étatiques. L'on peut rappeler que les règles de procédures de passation des marchés publics de services introduites par la Directive (CE) 92/50 constituent une des mesures destinées à établir le marché intérieur en contribuant à supprimer les entraves à la libre circulation des services. En l'espèce, le contrat, passé entre la ville de Hambourg et quatre circonscriptions administratives supra-communales ou districts (Landkreise), tendait à l'accomplissement d'un service public, la valorisation thermique des déchets, et n'avait été conclu que par des autorités publiques sans la participation d'une partie privée. Or, la CJCE a récemment affirmé, dans son arrêt "Coditel Brabant", qu'une autorité publique peut accomplir les tâches d'intérêt public qui lui incombent par ses propres moyens, sans être obligée de faire appel à des entités externes n'appartenant pas à ses services, et peut aussi le faire en collaboration avec d'autres autorités publiques (CJCE, 13 novembre 2008, aff. C-324/07, Coditel Brabant SA c/ Commune d'Uccle N° Lexbase : A2174EB7) (1). Dans cet arrêt, pour mémoire, la CJCE avait exempté certaines associations de communes (intercommunales dites "pures", qui n'ont aucune société privée dans leur membre) de l'application des règles sur les marchés publics, ainsi que des règles de transparence qui découlent de l'article 43 du TUE , ceci en application des critères "Teckal" du nom de l'arrêt éponyme (CJCE, 18 novembre 1999, aff. C-107/98, Teckal Srl c/ Comune di Viano et Azienda Gas-Acqua Consorziale (AGAC) di Reggio Emilia N° Lexbase : A0591AWS, Rec. p. I-8121, spéc. n° 50). Il s'agissait, en l'occurrence, d'une commune belge qui avait cédé les droits d'exploitation de son réseau communal de télédistribution à l'intercommunale Brutélé sans passer par une procédure de mise en concurrence, ce qui avait soulevé les protestations de la société Coditel. Dans la décision du 9 juin 2009, la CJCE poursuit dans la même direction, en décidant que l'on peut fournir des services publics via la coopération intercommunale, sans passer par des appels d'offres tant qu'il n'y a pas de partenaire privé. Dans une telle circonstance, les autorités publiques peuvent donc mettre leurs ressources en commun pour prester un service qui est nécessaire à leurs missions, en l'occurrence l'élimination des déchets.

Toutefois, une nouvelle étape est franchie, puisqu'à la différence de la décision "Coditel", les quatre Landkreise concernés n'exerçaient aucun contrôle qui aurait pu être qualifié d'analogue à celui qu'ils exerçaient sur leurs propres services, que ce soit sur leur cocontractant, à savoir les services de voirie de la ville de Hambourg, ou encore sur l'exploitant de l'installation thermique, une société d'économie mixte locale. Impossible, à partir de là, d'appliquer la jurisprudence "Coditel" qui permet un contrôle collectif sous certaines conditions, à savoir essentiellement l'existence d'une participation même très faible de la personne publique à la société intercommunale en cause, cette participation n'étant pas incompatible avec le contrôle analogue qui peut être exercé de façon collective. Cette condition du contrôle analogue doit donc s'apprécier en rapport avec celui de l'activité, la dépendance s'appréciant à partir du fait de savoir si, dans le lien avec les collectivités qui la détiennent, l'organisme peut exercer, ou non, une partie importante de son activité auprès d'autres opérateurs (2).

La jurisprudence française a, d'ailleurs, repris à son compte cette théorie, puisque l'exception "in house providing", ou des prestations intégrées, est inscrite expressément à l'article 3, paragraphe 1, du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2663HPC), notamment dans un arrêt du 4 mars 2009 également relatif à la mutualisation (CE 1° et 6° s-s-r., 4 mars 2009, n° 300481, Syndicat national des industries d'information de santé N° Lexbase : A5748EDA). L'émiettement de l'influence publique entre plusieurs collectivités ne fait donc pas obstacle à l'identification de la relation "in house", dès lors que les collectivités dans leur ensemble maîtrisent les décisions économiques stratégiques de la société, tel le tarif de ses interventions (CE Contentieux, 6 avril 2007, n° 284736, Commune d'Aix-en-Provence N° Lexbase : A9332DU8) (3).

Dans la présente décision, la Cour de Luxembourg indique que, d'une part, le droit communautaire n'impose nullement aux autorités publiques, pour assurer en commun leurs missions de service public, de recourir à une forme juridique particulière. D'autre part, pareille collaboration entre autorités publiques ne saurait remettre en cause l'objectif principal des règles communautaires en matière de marchés publics, à savoir la libre circulation des services et l'ouverture à la concurrence non faussée dans tous les Etats membres, dès lors que la mise en oeuvre de cette coopération est uniquement régie par des considérations et des exigences propres à la poursuite d'objectifs d'intérêt public, et que le principe d'égalité de traitement des intéressés visé par la Directive (CE) 92/50 précitée est garanti. Elle rejette donc le recours en manquement introduit par la Commission européenne pour méconnaissance de cette Directive.

Dans son raisonnement, la CJCE indique, tout d'abord, que l'exclusion de l'application de la Directive (CE) 92/50 implique que l'on soit bien présence d'une mission de service public, argument déjà cité par l'Allemagne dans son argumentation initiale (I). Elle en déduit qu'une telle mission peut s'effectuer par le biais d'un contrat de coopération (II).

I - Le contrat en cause ne ressortait pas du droit des marchés publics

Selon l'argumentation de la République fédérale d'Allemagne, les cocontractants concernés doivent être considérés comme se fournissant une assistance administrative dans l'accomplissement d'une mission de service public. En ce sens, les services de voirie de la ville de Hambourg pourraient être regardés, non pas comme un prestataire de services agissant contre paiement d'une rémunération, mais comme un organisme de droit public responsable de l'élimination des déchets, offrant une assistance administrative à des collectivités publiques voisines contre remboursement de ses coûts de fonctionnement. Le contrat en cause étant l'aboutissement d'une opération interne à l'administration, il ne se situe donc pas dans le champ d'application de la Directive (CE) 92/50.

La Cour de Luxembourg reprend ici à son compte le critère de l'existence de la mission de service public. Elle constate que "le contrat litigieux instaure une coopération entre collectivités locales ayant pour objet d'assurer la mise en oeuvre d'une mission de service public qui est commune à ces dernières, à savoir l'élimination de déchets", et qu'il "prévoit, également, certains engagements des collectivités locales contractantes directement en rapport avec l'objet du service public". A ses yeux, le contrat litigieux constitue donc tant le fondement que le cadre juridique pour la construction et l'exploitation futures d'une installation destinée à l'accomplissement d'un service public, à savoir la valorisation thermique des déchets. Elle reprend, là encore, l'esprit de la jurisprudence "Coditel", selon laquelle une autorité publique peut accomplir les tâches d'intérêt public qui lui incombent par ses propres moyens, sans être obligée de faire appel à des entités externes n'appartenant pas à ses services, et qu'elle peut aussi le faire en collaboration avec d'autres autorités publiques, ce qui est le cas en l'espèce, puisque "ledit contrat n'a été conclu que par des autorités publiques, sans la participation d'une partie privée", et "ne prévoit, ni ne préjuge la passation des marchés éventuellement nécessaires pour la construction et l'exploitation de l'installation de traitement des déchets". Cette solution semble donc logique, du fait que l'un des objectifs de l'intercommunalité est de permettre aux collectivités territoriales d'organiser de façon rationnelle et efficace les compétences qu'elles détiennent dans les divers domaines de l'action locale.

La CJCE reconnaît, ensuite, que le contrat de prestation de services litigieux conclu dans le cadre d'une démarche intercommunale peut échapper, pour cette raison, à l'application des procédures de passation prévues par les Directives "marchés publics" du 31 mars 2004, 2004/17, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux (N° Lexbase : L1895DYT), et 2004/18, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU). L'on est ici en présence d'un contrat plus large que la simple prestation de services, puisque "le contrat passé entre les services de voirie de la ville de Hambourg et les Landkreise concernés doit être analysé comme l'aboutissement d'une démarche de coopération intercommunale entre les parties à celui-ci et qu'il comporte des exigences propres à assurer la mission d'élimination des déchets. Il a, en effet, pour objet de permettre à la ville de Hambourg de construire et de faire exploiter une installation de traitement de déchets dans les conditions économiques les plus favorables grâce aux apports en déchets des Landkreise voisins, ce qui permet d'atteindre une capacité de 320 000 tonnes. La construction de cette installation n'a, pour cette raison, été décidée et réalisée qu'après l'accord des quatre Landkreise concernés d'utiliser la centrale et leur engagement correspondant".

Les obligations des parties se rattachent donc à l'exécution réciproque de leur mission de service public, à savoir le traitement des déchets via la mutualisation qui permet la réalisation d'économies d'échelle par la mise en commun des moyens pour une plus grande efficacité pratique et économique de l'action locale. En outre, les Landkreise permettent aux services de la ville de Hambourg d'utiliser les capacités de mise en décharge qu'elles n'utilisent pas elles-mêmes, et s'engagent à réduire les capacités utilisées en cas de surcharge de l'installation (4). Enfin, un autre point de nature à écarter l'application de la Directive (CE) 92/50 est l'absence de prestation onéreuse, les services de voirie de la ville de Hambourg pouvant être regardés, non pas comme un prestataire de services agissant contre paiement d'une rémunération, mais comme un organisme de droit public responsable de l'élimination des déchets, offrant une assistance administrative à des collectivités publiques voisines contre remboursement de ses coûts de fonctionnement.

Le dernier argument de la CJCE est plus empirique, puisqu'elle relève que ledit contrat n'a été conclu que par des autorités publiques sans la participation d'une partie privée, et laisse pendante la possibilité éventuelle de passation future de marchés relatifs à l'installation de traitement des déchets. Elle constate, enfin, que, dans la présente affaire, rien ne permet d'affirmer que "les collectivités en cause se seraient livrées à un montage destiné à contourner les règles en matière de marchés publics".

Une fois cette mission de service public concrétisée, la CJCE poursuit son raisonnement en indiquant que cette tache peut s'effectuer via un contrat de collaboration (II).

II - La possibilité d'une mutualisation des moyens en l'absence préalable d'une structure dédiée

La Cour de Luxembourg a déjà admis le recours à une structure dédiée dès 1999. Dans l'arrêt "Teckal" précité, la Cour de justice a estimé qu'il pouvait être dérogé aux Directives communautaires pour les marchés passés entre une collectivité publique et une autre personne juridique dans les hypothèses "où, à la fois, la collectivité territoriale exerce sur la personne en cause un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services, et où cette personne réalise l'essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent". Cette exception a été étendue aux situations dans lesquelles la passation du marché est soumise à une obligation de mise en concurrence, non pas, en vertu des Directives communautaires, mais en vertu du Traité lui-même en application de la jurisprudence "Telaustria" (CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH c/ Telekom Austria AG N° Lexbase : A1916AWU, Rec., p. I-10745 ; CJCE, 21 juillet 2005, aff. C-231/03, Consorzio Aziende Metano (Coname) c/ Comune di Cingia de' Botti N° Lexbase : A1664DKT ; CJCE, 13 octobre 2005, aff. C-458/03, Parking Brixen GmbH c/ Gemeinde Brixen, Stadtwerke Brixen AG N° Lexbase : A7748DK8). Deux conditions doivent être réunies pour que puisse jouer l'exception "in house". La première est d'ordre organique, puisqu'il s'agit d'examiner si le contrôle exercé par les pouvoirs adjudicateurs sur le cocontractant est analogue à celui exercé sur ses propres services. La seconde est matérielle, puisqu'il s'agit d'exiger que l'entreprise réalise l'essentiel de son activité avec la collectivité publique (5).

Si elle a, tout d'abord, retenu une conception très restrictive des deux conditions posées dans l'arrêt "Teckal", jugeant que "la participation, fût-elle minoritaire, d'une entreprise privée dans le capital d'une société à laquelle participe, également, le pouvoir adjudicateur en cause exclut, en tout état de cause, que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu'il exerce sur ses propres services" (CJCE, 11 janvier 2005, aff. C-26/03, Stadt Halle, RPL Recyclingpark Lochau GmbH, Arbeitsgemeinschaft Thermische Restabfall - und Energieverwertungsanlage TREA Leuna N° Lexbase : A9511DEY). Toutefois, dès l'arrêt "Carbotermo" en 2006, la Cour de justice semble avoir adopté une position moins stricte (CJCE, 11 mai 2006, aff. C-340/04, Carbotermo, Consorzio Alisei c/ Commune du Busto Arsizio, AGESP SpA N° Lexbase : A3283DPB). Dans cette décision, elle admet qu'une société anonyme dont le capital est détenu à 99,8 % par une commune puisse bénéficier de l'exception "in house". Cette démarche va trouver son aboutissement avec l'arrêt "Coditel", en reconnaissant la présomption d'existence de la condition portant sur le contrôle analogue.

Dans le présent arrêt "Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne", elle admet que le recours à des moyens propres en collaboration avec d'autres autorités publiques peut se faire via un contrat de mutualisation sans recours préalable à la création d'une structure dédiée. Elle indique que le droit communautaire n'impose nullement aux autorités publiques, pour assurer en commun leurs missions de service public, de recourir à une forme juridique particulière. Elle va, ainsi, à l'encontre des conclusions de l'Avocat général, lequel affirmait qu'une coopération entre deux entités étatiques différentes s'analyserait comme l'utilisation des moyens propres du pouvoir adjudicateur. En effet, selon lui, les services de voirie de la ville de Hambourg ne peuvent pas être considérés comme les moyens propres des circonscriptions concernées qui constituent les pouvoirs adjudicateurs. De son côté, la Commission européenne avait, dans son argumentation, indiqué que les seules exceptions permises à l'application des Directives sur le droit des marchés publics sont celles qui sont limitativement et expressément mentionnées dans celles-ci. En outre, selon elle, dans un arrêt du 13 janvier 2005 (CJCE, 13 janvier 2005, aff. C-84/03, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d'Espagne N° Lexbase : A9516DE8), la Cour avait confirmé que les contrats de coopération horizontale conclus par des collectivités territoriales, tels que celui visé en l'espèce, sont soumis au droit des marchés publics.

La CJCE rejette ici ces argumentations, indiquant que le contrat de coopération entre autorités publiques, destiné à permettre à celles-ci d'assurer en commun leurs missions de service public, se situe définitivement en dehors du champ d'application de la Directive (CE) 92/50. Le Conseil des Communes et Régions d'Europe (CCRE) estime que cette décision constitue un tournant pour les collectivités locales européennes. Dans un communiqué, la responsable des politiques au CCRE, Angelika Poth-Mögele, ajoute que "la décision de la Cour reprend ce que nous avons répété pendant des années et qui figure dans notre récente Charte européenne sur les services locaux et régionaux d'intérêt général. La coopération intercommunale est une façon d'organiser les services de façon efficace, et sert les intérêts des citoyens et du secteur privé. Enfin, la Cour de justice a confirmé le droit des collectivités locales de choisir quelle est la meilleure façon pour eux d'organiser les tâches qui leur incombent". L'on peut supposer que la Commission européenne et la Cour de justice continueront à exercer un contrôle sur ce type de montage contractuel afin de déterminer s'il s'agit d'une simple mutualisation des services organisée au sein de l'intercommunalité ou, au contraire, d'un marché public soumis au respect de la procédure d'appel d'offres.


(1) Lire nos obs., L'ouverture de l'exception "in house" aux rapports entre communes et structures intercommunales, Lexbase Hebdo n° 92 du 17 décembre 2008 - édition publique (N° Lexbase : N9263BHK).
(2) Lire Claude Devès, Des progrès méritoires mais encore insuffisants dans la définition des prestations intégrées ou du "in house", JCP éd. A, n° 24, 8 juin 2009.
(3) Lire Antoine Bourrel, L'intercommunalité à l'abri du droit des marchés publics : une application audacieuse de la notion de "in house", AJDA, n° 17/2009, 11 mai 2009.
(4) Lire Philippe Proot, Coopération locale et mutualisation de services, JCP éd. A, n° 27, 29 juin 2009.
(5) Lire Olivier Dubos, La Cour de justice et l'exception "in house" : du rigorisme au pragmatisme ?, Lexbase Hebdo n° 8 du 14 Juin 2006 - édition publique (N° Lexbase : N9597AKN).

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