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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
A priori, le premier problème lié à ce qu'il est convenu d'appeler "la succession d'Etats" a trait à la reconnaissance internationale et à l'application des Traités internationaux. La règle est l'intransmissibilité des Traités internationaux liant l'ancien Etat aux Etats successeurs, aux termes de l'article 34 de la Convention de Vienne de 1969. Mais en pratique, principes d'équilibre international et de continuité des Etats obligent, la Communauté internationale trouve rapidement les ressorts nécessaires pour que les instances et autres organisations internationales ne soient pas bloquées par tant de chambardements dans leurs rangs. Pour un exemple topique, on se souviendra que la Fédération de Russie aura ainsi succédé à l'URSS, sans délai, en qualité de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, sans que l'on puisse arguer du fait que l'Union soviétique avait été clairement dissoute et ses engagements internationaux aussi...
Plus vraisemblablement, l'imbroglio afférent à la succession des Etats concerne, d'une part, le droit de la nationalité et l'apatridie résultant bien souvent de cette "tectonique" des Etats. D'autre part, c'est sur le terrain patrimonial que se dispute l'indivision successorale, les puissances publiques étant, traditionnellement, des acteurs majeurs de l'économie mondiale, notamment, par le truchement de leurs bras séculiers : les banques centrales.
Et, c'est presque mécaniquement que les contentieux relatifs au recouvrement de dettes contractées directement ou indirectement par l'Etat prédécesseur viennent s'amonceler devant la porte du bureau des réclamations ouvert par l'Etat successeur.
L'affaire jugée le 11 février 2009 devant le tribunal de commerce de Paris, sur laquelle Lexbase Hebdo - édition privée générale a souhaité rencontrer Maître Rémi Barousse, avocat du cabinet Salans et magistrat en disponibilité, recèle, ainsi, des trésors d'enseignement sur les conséquences patrimoniales de la disparition de l'Etat de Yougoslavie.
En effet, la Convention sur la succession d'Etats en matière de biens, archives et de dettes d'Etats de 1983 a beau fournir un vade mecum à l'attention des Etats soucieux de faire peau neuve, il n'en demeure pas moins que la liquidation de l'indivision s'avère souvent difficile et longue à mettre en place. Si tous les Etats successeurs appliquaient l'article 24 de ladite Convention, sur les effets d'une succession d'Etats sur les créanciers et débiteurs privés, aux termes duquel "1. Une succession d'Etats ne devrait pas porter atteinte aux droits et obligations des créanciers et débiteurs privés. 2. Les Etats successeurs ont l'obligation de reconnaître dans leur ordre juridique l'existence des droits et obligations des créanciers qui ont été établis dans l'ordre juridique de l'Etat prédécesseur. [...]", on serait bien obligé de reconnaître que la bonne volonté des Etats à s'exécuter différerait sensiblement selon les circonstances ayant donné lieu à la disparition du ou des Etats concernés.
Les successions pacifiques de l'ancienne URSS ou de l'ancienne Tchécoslovaquie auront permis d'éviter l'inclusion du patos dans la résolution des problèmes juridiques internationaux soulevés à cette occasion. Tel n'est assurément pas le cas de la succession de la Yougoslavie, orchestrée sur fond de guerre des Balkans, d'épuration ethnique et de vindictes nationalistes. Ajoutez à cela, comme en l'espèce, le fait que la dette ainsi contractée par l'ancienne Banque centrale de Yougoslavie par garantie des dettes de la Banque franco-yougoslave, aurait servi au blanchiment d'argent et à l'achat d'armes, et l'on comprendra aisément qu'il y a un passif patrimonial que la nouvelle Serbie ou que le Monténégro, récemment indépendant, ne souhaitent pas assumer.
Sur le plan juridique, l'affaire paraissait entendue : si les juges consulaires commencent par rappeler que les banques centrales sont des institutions juridiques et patrimoniales distinctes des Etats qui en sont, pourtant, l'unique actionnaire, ils précisent aussitôt que, avec la disparition de la République socialiste fédérale de Yougoslavie en 1992, disparaissait la Banque nationale de Yougoslavie débitrice... sans qu'aucune continuité ne prévale entre la Serbie, sa Banque centrale, et les anciennes institutions. La liquidation successorale des Etats a ceci de particulier en matière de droit international, que seul l'actif est certain de trouver attributaire, mais que personne ne se dispute un passif bien encombrant (la dette en cause portant sur plus de 75 millions de dollars). "La Yougoslavie a six Républiques, cinq nations, quatre langues, trois religions, deux alphabets et un seul parti" ; la magie illyrienne n'aura donc pas opéré... et le mirage de Tito aura complètement disparu.
Il reste que l'on ne peut s'empêcher de penser, à la lecture de cette décision, aux conséquences juridiques qu'il conviendrait d'appréhender à l'occasion d'une sécession probable de la Belgique, avec pour donne singulière son appartenance à l'Union européenne et son adhésion à la zone euro. Comme le montre une étude de Jean-Sébastien Jamart, Maître de conférences à l'Université de Liège, sur la disparition de la Belgique sous l'angle du droit international, la conjugaison d'une future "Belgique continuée", constituée de Bruxelles et de la Wallonie, et de la Flandre indépendante risque fort bien de désorienter la Communauté internationale et, d'ores et déjà, les investisseurs privés auprès d'un Etat belge dont la disparition marquerait le signe d'une insécurité juridique paralysante.
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