La lettre juridique n°358 du 9 juillet 2009 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le salarié peut légitimement refuser de reprendre le travail à la suite d'une mise à pied injustifiée

Réf. : Cass. soc., 23 juin 2009, n° 07-44.844, Société Mauffrey, FS-P+B (N° Lexbase : A4133EIW)

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par Sébastien Tournaux, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Le contrôle des sanctions disciplinaires prononcées par l'employeur repose, depuis la disparition de la théorie de l'employeur seul juge, sur les épaules du juge prud'homal. Cette fonction de contrôle était le plus généralement assurée par le juge sur la demande de salariés contestant la justification de cette sanction. Cette situation pourrait, pourtant, bien être en train d'évoluer, comme cela semble pouvoir être déduit de l'analyse d'une décision de la Chambre sociale de la Cour de cassation, rendue le 23 juin 2009. Si le premier degré d'analyse de cette solution permet de comprendre que le salarié peut, parfois, refuser de reprendre le travail à la suite d'une mise à pied disciplinaire qu'il juge injustifiée (I), le second niveau d'analyse pourrait préparer à un profond changement du contrôle des sanctions disciplinaires, le salarié pouvant, désormais, jouer un rôle plus actif dans celui-ci (II).

Résumé

Le refus par un salarié de reprendre le travail après une mise à pied disciplinaire peut être légitimé par un manquement de l'employeur à ses obligations.

Commentaire

I - Le refus de reprendre le travail à la suite d'une mise à pied disciplinaire

  • Les différentes mises à pied du salarié

Parmi le panel des sanctions disciplinaires qui peuvent être prononcées par l'employeur, la mise à pied disciplinaire comporte quelques ambiguïtés, ce principalement en raison de l'existence en droit du travail d'une procédure très proche, mais pourtant différente, de mise à pied conservatoire.

La mise à pied constitue une suspension provisoire des obligations du contrat de travail, de l'obligation de travailler pour le salarié, de l'obligation de verser un salaire pour l'employeur. Très tôt reconnue par la jurisprudence (1), la licéité de cette mesure a été consacrée par la loi n° 82-698 du 4 août 1982, relative aux libertés des travailleurs dans l'entreprise, qui a clairement distingué entre la mise à pied à titre disciplinaire et la mise à pied à titre conservatoire.

L'une comme l'autre doivent reposer sur une justification adéquate.

  • Le lien entre justification et rémunération de la mise à pied

Aux termes de l'article L. 1332-3 du Code du travail (N° Lexbase : L1865H9X), la mise à pied conservatoire n'est justifiée que lorsque les faits reprochés au salarié l'ont rendu "indispensable". La justification exigée est donc particulièrement sérieuse et il est, désormais, jugé que la mise à pied conservatoire n'est justifiée qu'en cas de faute grave du salarié (2). L'exigence de cette justification a nécessairement une incidence sur l'obligation ou non de rémunérer le salarié durant cette mise à pied. Longtemps autorisée sans qu'il y ait de faute grave, l'employeur n'était dispensé de rémunérer la mise à pied conservatoire que lorsque le salarié avait commis une faute grave (3). Il y a, désormais, concordance entre la justification de la mise à pied conservatoire et le non-paiement du salaire.

Pour sa part, la mise à pied disciplinaire ne doit pas nécessairement sanctionner des faits d'une gravité aussi importante que ceux justifiant la mise à pied conservatoire. La mise à pied disciplinaire constitue une véritable sanction, si bien qu'à ce titre, elle est soumise au principe de proportionnalité qui irradie le droit disciplinaire. Le juge, saisi de la validité d'une telle sanction, devra apprécier, a posteriori, si la sanction était proportionnée à la gravité des faits reprochés (4). Si tel est le cas, l'employeur n'est pas tenu de rémunérer le salarié pendant la durée de la mise à pied (5).

En somme, l'employeur n'est donc jamais tenu de rémunérer une mise à pied, qu'elle soit conservatoire ou disciplinaire, à condition, toutefois, que la mesure prise soit justifiée. En revanche, si la mesure est jugée illégitime, l'obligation de rémunération réapparaît et ce sont les conséquences de cette situation qui font l'objet de l'arrêt ici commenté.

  • En l'espèce

Dans cette affaire, un salarié avait été mis à pied à titre conservatoire pendant quinze jours. A l'issue de cette mise à pied et après convocation à un entretien préalable, l'employeur avait prononcé une mise à pied disciplinaire à titre de sanction (6). Cette période de mise à pied terminée, le salarié avait refusé de reprendre le travail tant qu'il ne serait pas payé pour cette mise à pied qu'il contestait. Face à ce refus, l'employeur licencia le salarié pour faute grave.

La cour d'appel de Chambéry, saisie de l'affaire, jugeait que la mise à pied disciplinaire était injustifiée et que le licenciement, prononcé avant même réception par l'employeur de la lettre du salarié contestant l'absence de paiement des salaires durant la mise à pied, était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sans reprendre exactement le même raisonnement que les juges du fond, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l'employeur. La Chambre sociale énonce, d'abord, que "le refus par un salarié de reprendre le travail peut être légitimé par un manquement de l'employeur à ses obligations" et ajoute, ensuite, que la cour d'appel ayant "décidé que la mise à pied disciplinaire était injustifiée, en a justement déduit que le refus du salarié de reprendre le travail tant qu'il ne serait pas payé des salaires dont il avait été privé pendant cette période n'était pas fautif".

Si la Cour de cassation avait déjà pu se prononcer sur les conséquences du refus du salarié de se plier à la sanction disciplinaire, par exemple en continuant à se présenter à son travail pendant la durée de la mise à pied (7), elle n'avait, à notre connaissance, pas encore eu l'occasion de statuer sur le refus du salarié de reprendre le travail après la mise à pied. Cette prise de position suscite, à vrai dire, de multiples interrogations.

II - Un changement de cap dans le contrôle du pouvoir disciplinaire de l'employeur ?

  • L'attitude de l'employeur face à un salarié qui refuse de reprendre le travail

La première question qui vient à l'esprit, et qui était d'ailleurs insidieusement soulevée par la première branche du moyen au soutien du pourvoi, est celle du comportement que doit adopter l'employeur face à un salarié qui refuse de reprendre le travail à l'issue d'une mise à pied disciplinaire.

En effet, sauf le cas d'une évidente mauvaise foi, l'employeur qui prend la décision de prononcer une mise à pied disciplinaire estime naturellement que la mesure est justifiée, qu'elle est proportionnée au comportement du salarié. Dans ces conditions, la suite logique de cette décision est, comme nous l'avons rappelé, de ne pas rémunérer le salarié pour le temps de la mise à pied. Que faire, dès lors, si le salarié refuse de reprendre le travail en exigeant le paiement de la mise à pied ? Le refus de reprendre le travail peut s'apparenter à une inexécution du contrat de travail, si bien que l'employeur peut légitimement penser que le licenciement est la mesure à prendre la plus adaptée. Or, la décision de la Cour de cassation devrait l'inciter à changer d'attitude dans cette situation.

Mais à la réflexion, le champ d'action de l'employeur risque, dès lors, d'être plutôt limité. Il semble, en effet, que sa seule véritable marge de manoeuvre soit conditionnée au paiement de la mise à pied dont la justification est contestée par le salarié afin que celui-ci reprenne le travail. Une fois ce versement effectué, il ne restera guère à l'employeur que la possibilité de saisir le conseil de prud'hommes afin de faire juger que la mise à pied disciplinaire était bien justifiée.

  • Une évolution des rôles dans le contentieux du contrôle des sanctions disciplinaires

Il nous semble alors qu'il s'agit d'un véritable renversement du contrôle opéré sur les sanctions disciplinaires. En effet, la décision de la Cour de cassation transforme insidieusement le contrôle a posteriori des sanctions disciplinaires, lequel était jusqu'ici de mise, en une sorte de contrôle a priori lorsque le salarié conteste la sanction.

En outre, dans cette situation, la contestation relative à la validité de la sanction ne reposera plus sur les épaules du salarié mais bien sur celles de l'employeur. Au lieu de contester la sanction devant le juge prud'homal, le salarié pourra exiger le paiement de la mise à pied et refuser de reprendre le travail tant que ce paiement n'aura pas été effectué. Et, si l'employeur accepte de payer la mise à pied afin que le salarié reprenne le travail, c'est désormais sur lui que reposera la charge de saisir le conseil de prud'hommes pour tenter de démontrer que la sanction était justifiée.

Une deuxième interrogation naît de l'analyse de cette décision de la Cour de cassation : la solution rendue n'ouvre-t-elle pas d'autres moyens d'action au salarié que le simple refus de reprendre le travail ? En effet, l'évocation par la motivation de l'arrêt d'un "manquement de l'employeur à ses obligations" fait nécessairement penser aux faits d'une suffisante gravité justifiant une prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié. Logiquement, si le salarié peut refuser de reprendre le travail en raison des manquements reprochés à l'employeur, il est probable qu'il puisse aller plus loin que cette exception d'inexécution et qu'il puisse prendre acte de la rupture. On sait, en effet, que les manquements de l'employeur liés à la rémunération sont de ceux qui permettent le plus facilement d'obtenir la requalification de la prise d'acte en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

L'ensemble de ces observations, nées de l'interprétation de cet arrêt, doivent être avancées avec prudence, ne serait-ce qu'en raison de la prudence de la Cour de cassation elle-même (8). Pour autant, si la solution devait être à l'avenir confirmée, elle marquerait incontestablement une évolution du contrôle des sanctions disciplinaires qui serait nettement favorable aux salariés. La tendance à l'objectivation du pouvoir de direction de l'employeur n'en finit plus de trouver, dans la jurisprudence de la Cour de cassation, d'innovantes illustrations.


(1) Cass., sect. soc., 16 juin 1945, Ets Poliet et Chausson c/ Vialard (N° Lexbase : A3214C8K), Dr. soc., 1946, p. 427, obs. P. Durand.
(2) V. la nouvelle définition de la faute grave conférée par la Chambre sociale de la Cour de cassation en 2007 : "la faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise" (Cass. soc., 27 septembre 2007, n° 06-43.867, FP-P+B+R N° Lexbase : A5947DYW), RDT, 2007, p. 650, obs. G. Auzero ; JCP éd. S, 2007, II, 10188, note D. Corrignan-Carsin (nous soulignons).
(3) Cass. soc., 27 novembre 1986, n° 85-41.639 ; Cass. soc., 7 décembre 1989, n° 89-45.625, Mme Vlahov c/ M Horel, ès qualités de syndic de la liquidation des biens (N° Lexbase : A7902AGR).
(4) C. trav., art. L. 1333-1, al. 1er (N° Lexbase : L1871H98) : "En cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction" ; C. trav., art. L. 1333-2 (N° Lexbase : L1873H9A) : "Le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise".
(5) Cass. soc., 23 novembre 1978, n° 77-41.447, SA Imprimerie Hérissay c/ Franchet (N° Lexbase : A8779AAE).
(6) La succession d'une mise à pied conservatoire et d'une mise à pied disciplinaire n'est pas, par principe, prohibée. V. Cass. soc., 29 mars 1995, n° 93-41.863, M. Biraud c/ Société Arnaud 79 (N° Lexbase : A2058AAH).
(7) Un tel refus justifie un licenciement pour faute grave. V. Cass. soc., 25 mai 1989, n° 85-43.864, M Brahimi c/ Société Fischer et fils (N° Lexbase : A2595ABQ) ; Cass. soc., 4 octobre 1990, n° 88-44.017, Mme Delacoute c/ Société Boucheries Bernard (N° Lexbase : A9318AAD).
(8) Plusieurs formules de la Chambre sociale, dans cet arrêt, marquent sa prudence au regard de la solution. V., par ex., la formule "le refus par un salarié de reprendre le travail peut être légitimé " ou, encore, la formule "par des dispositions non critiquées par le pourvoi", au sujet de la légitimité de la sanction.

Décision

Cass. soc., 23 juin 2009, n° 07-44.844, Société Mauffrey, FS-P+B (N° Lexbase : A4133EIW)

Rejet, CA Chambery, ch. soc., 18 septembre 2007

Texte visé : néant

Mots-clés : mise à pied disciplinaire ; rémunération ; contestation ; licenciement

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